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Date : 20211101


Dossier : T-343-21

Référence : 2021 CF 1157

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

MICHEL GÉLINAS

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Michel Gélinas est un ancien combattant, ayant servi dans les Forces armées canadiennes (FAC) pendant 28 ans avant sa libération pour raisons médicales le 12 décembre 2012. Le 23 août 2007, lors de son déploiement en Afghanistan, M. Gélinas a souffert un choc psychologique puissant en apprenant la mort d’un camarade d’armes. Dans le cadre de cette action contre Sa Majesté la Reine, M. Gélinas allègue que son traitement, ou non-traitement, dans les heures suivant cet incident, ainsi que la conduite ultérieure des préposés de l’État en réponse à sa poursuite de la vérité des circonstances de l’incident, lui a causé un préjudice matériel, physique et moral grave. Il réclame les dommages-intérêts compensatoires et punitifs.

[2] Ce jugement porte sur la requête de la défenderesse en radiation de la déclaration amendée de M. Gélinas. La défenderesse prétend que la réclamation est empêchée par l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC (1985), ch C‑50 [LRCÉCA], parce que M. Gélinas reçoit une « pension ou indemnité » liée à son service et aux évènements du 23 août 2007.

[3] Comme je l’explique de façon plus détaillée dans ce jugement, j’accueille la requête de la défenderesse et j’ordonne la radiation de la déclaration amendée de M. Gélinas. Les dispositions législatives pertinentes, ainsi que les jugements de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel fédérale, mandatent ce résultat. Bien que certains aspects de la réclamation de M. Gélinas découlent des actions qui ont été prises après les évènements du 23 août 2007, et même après sa libération des FAC, les faits sur lesquels repose sa réclamation en dommages-intérêts sont les mêmes que ceux sur lesquels son indemnité est attribuée. Le traitement de M. Gélinas le jour du 23 août 2007 et les diverses réponses des préposés de l’État par la suite sont intrinsèquement liés au fondement factuel qui a donné ouverture au paiement de son indemnité. Il est donc évident et manifeste que l’article 9 de la LRCÉCA empêche sa réclamation.

II. Question en litige et cadre d’analyse

[4] La défenderesse cherche à radier la déclaration amendée de M. Gélinas selon l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Cet alinéa stipule que « la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure » au motif « qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable ».

[5] Quand la Cour analyse une requête en radiation, elle applique des principes qui sont bien établis dans la jurisprudence. Le juge Pentney de cette Cour a récemment résumé ces principes de façon claire et précise : Fitzpatrick c District 12 du service régional de la GRC de Codiac, 2019 CF 1040 aux para 13–17. Je fais mien son résumé de ces principes :

[14] […L]e droit régissant la requête en radiation vise à protéger les intérêts du demandeur en lui donnant l’occasion de se faire entendre, tout en tenant compte d’autres intérêts importants en évitant d’accabler les parties et le système judiciaire avec des demandes qui sont vouées à l’échec dès le départ. Pour y parvenir, les tribunaux ont élaboré une approche analytique et une série de critères qu’ils doivent appliquer lorsqu’ils examinent une requête en radiation.

[15] Le critère applicable à la requête en radiation met la barre très haute pour les défendeurs; il incombe au défendeur de convaincre la Cour qu’il est évident et manifeste que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action valable, même en supposant que les faits allégués dans la déclaration sont véridiques : R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, au par. 17; Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, à la p. 980. Le paragraphe 221(2) des Règles renforce ce critère en prévoyant qu’aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête […].

[16] Les faits énoncés dans la déclaration doivent être tenus pour véridiques, à moins qu’ils ne puissent manifestement pas être prouvés ou qu’ils équivalent à de simples suppositions. La déclaration doit être interprétée généreusement, et de simples lacunes rédactionnelles ou le fait de mal qualifier une cause d’action ne constitueront pas des motifs justifiant la radiation d’une déclaration, surtout lorsqu’elle est rédigée par une partie qui se représente seule.

[17] De plus, la déclaration doit énoncer les faits à l’appui d’une cause d’action – soit une cause d’action précédemment reconnue en droit, soit une cause que les tribunaux sont disposés à examiner. Le simple fait qu’une cause d’action puisse être nouvelle ou difficile à établir n’est pas, en soi, un motif pour radier la déclaration. À cet égard, la demande doit énoncer les faits qui appuient chacun des éléments de la déclaration.

[Je souligne.]

[6] Les mêmes principes ont été décrits par le juge Martineau dans Lafrenière, une affaire soulevée par la défenderesse qui présente d’importantes similitudes avec la cause de M. Gélinas et sur laquelle je reviendrai : Lafrenière c Canada (Procureur général), 2019 CF 219 [Lafrenière (CF)] aux para 55–57, confirmé sur ce point à 2020 CAF 110 [Lafrenière (CAF)] au para 37, demande d’autorisation d’appel rejetée à 2021 CanLII 20330 (CSC).

[7] La seule question soulevée par la requête de la défenderesse est donc à savoir si elle a établi qu’il est « évident et manifeste » que la déclaration amendée de M. Gélinas ne révèle aucune cause d’action valable, même en supposant que les faits allégués dans la déclaration sont véridiques.

III. Analyse

A. Contexte procédural

[8] M. Gélinas a intenté cette cause le 22 février 2021. Sa déclaration initiale réclamait les dommages-intérêts compensatoires et punitifs et soulevait des allégations de négligence et de discrimination selon la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), ch H‑6. Le 24 mars 2021, la défenderesse a déposé un avis de requête sollicitant la radiation de la déclaration et le rejet de l’action.

[9] Suite à une conférence de gestion de l’instance le 29 juin 2021, la juge responsable Tabib a autorisé M. Gélinas à signifier et déposer une déclaration amendée. Celle-ci a été déposée le 12 juillet 2021. Conformément à l’ordonnance de la juge responsable Tabib, la défenderesse a présenté une demande de précisions, à laquelle M. Gélinas a répondu. La défenderesse a ensuite déposé la présente demande en radiation.

B. La déclaration amendée de M. Gélinas et la nature de la cause

[10] La déclaration amendée de M. Gélinas est approfondie et détaillée. M. Gélinas n’est pas représenté par un avocat, mais on peut très bien comprendre de sa déclaration amendée la nature de sa réclamation et les allégations sur lesquelles elle est fondée.

[11] M. Gélinas réclame les dommages-intérêts de la défenderesse de 2 000 000$ pour préjudice matériel, physique et moral, ainsi qu’un montant de 1 500 000$ à titre de dommages punitifs. Les préjudices allégués par M. Gélinas découlent d’évènements qui ont débutés lors de son déploiement en Afghanistan en août 2007. Le matin du 23 août 2007, M. Gélinas a été avisé par un subalterne qu’un certain adjudant-maître était décédé la veille dans une explosion. Cet adjudant-maître était un ancien collègue de travail de M. Gélinas et son voisin immédiat à sa résidence familiale. La nouvelle du décès a affecté M. Gélinas fortement. Il a perdu conscience et il n’a aucun souvenir de la période suivante d’environ six heures, à l’exception de brefs moments d’éveil.

[12] M. Gélinas allègue que pendant ces six heures et après, les représentants de la défenderesse ont brisé plusieurs règles et directives militaires auxquelles ils étaient soumis. Il allègue, entre autres, qu’on l’a laissé seul dans sa chambre, qu’il n’a pas reçu d’aide médicale, qu’on l’a pas orienté vers un service d’aide spécialisé et qu’on lui a recommandé d’oublier ce qui s’était produit.

[13] Suite aux évènements du 23 août 2007, M. Gélinas souffrait un stress permanent et immense durant sa mission en Afghanistan jusqu’à son retour au mois de février 2008. Ses troubles physiques et psychologiques se sont aggravés au cours des années suivantes. M. Gélinas a suivi un traitement psychologique et psychiatrique. Son examen médical de libération marquant sa libération des FAC est daté le 12 décembre 2012.

[14] La déclaration amendée de M. Gélinas décrit ses efforts avant et après sa libération pour obtenir plus d’informations au sujet de ce qui s’est produit le 23 août 2007. Ces efforts comprennent une demande soumise au ministre de la Défense nationale qu’une enquête soit entreprise afin d’obtenir des éclaircissements et de découvrir la vérité des évènements du 23 août 2007. Cette demande a été finalement rejetée le 3 février 2015 dans une lettre indiquant que « la chaîne de commandement militaire avait décidé de ne pas mener d’enquête sur la façon dont le demandeur avait été traité en Afghanistan ».

[15] Peu après ce refus, M. Gélinas a encore écrit au ministre, exprimant son désir de venir à une entente financière puisque la demande pour une enquête a été refusée. Cette demande a été rejetée le 10 février 2016 dans une lettre d’une conseillère juridique. La lettre soulevait, entre autres, la position des FAC que la Couronne n’était pas responsable des évènements du 23 août 2007 et que la réclamation de M. Gélinas était irrecevable en vertu de l’article 9 de la LRCÉCA.

[16] M. Gélinas allègue que sa santé psychologique et physique a été gravement atteinte à cause des défaillances et des violations des règles et directives qui ont débutés le 23 août 2007. Après sa libération des FAC, ses préjudices se sont aggravés en raison de la conduite des préposés de l’État envers ses demandes. M. Gélinas a bien résumé la nature de sa réclamation dans la phrase suivante au paragraphe 22(b) de sa déclaration amendée : « La poursuite du demandeur est en lien avec le non-traitement médical à la source, attribuable aux décisions prises par les préposés de l’État impliqués ce 23 août 2007, ainsi qu’à l’absence d’enquête des autorités militaires ». Il allègue aussi que la lettre du 10 février 2016 de la part de la conseillère juridique des FAC niant sa réclamation a aggravé ses troubles psychologiques, au point qu’il a essayé de se suicider.

[17] M. Gélinas réclame les dommages-intérêts compensatoires représentant le préjudice physique, les dommages moraux et son manque à gagner avant et après sa libération. À cet égard, il reconnait une diminution des montants réclamés pour refléter les indemnités qu’il a déjà reçues d’Anciens Combattants Canada [ACC]. La déclaration amendée de M. Gélinas réclame aussi les dommages punitifs à la lumière du comportement des représentants de la défenderesse, y compris le manque d’indépendance et d’impartialité de l’appareil de justice des FAC et le refus de la demande pour une enquête administrative.

[18] Dans sa demande de précisions, la défenderesse recherchait le fondement juridique du recours de M. Gélinas, y compris la disposition législative pertinente, faisant référence à trois aspects de la déclaration, soit (i) le non-traitement médical à la source le 23 août 2007; (ii) l’absence d’enquête militaire; et (iii) la lettre du 10 février 2016. M. Gélinas a répondu, globalement et pour chacun des trois aspects en particulier, en faisant référence au projet de loi C‑77. Ce projet de loi est devenu, après avoir reçu la sanction royale le 21 juin 2019, la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, LC (2019), ch 15 [Loi modifiant la LDN]. En particulier, M. Gélinas se réfère à l’article 71.12 et au paragraphe 189.1(12) de la Loi sur la défense nationale, LRC (1985), ch N‑5 [LDN], dispositions qui ont été introduites par la Loi modifiant la LDN.

C. Survol des arguments

[19] La défenderesse soulève trois arguments principaux dans le cadre de sa requête en radiation. Premièrement, elle prétend que la cause est irrecevable en raison de l’immunité de la Couronne prévue à l’article 9 de la LRCÉCA et les articles 45 et 46 de la Loi sur le bien-être des vétérans, LC (2005), ch 21 [LBÊV] (anciennement intitulée la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes). Deuxièmement, elle allègue que l’action est dépourvue de fondement juridique et, en particulier, que les dispositions de la Loi modifiant la LDN ou de la LDN citées par M. Gélinas ne peuvent fonder sa cause. Troisièmement, elle prétend que l’action est prescrite en raison du passage du temps depuis les faits soulevés dans la déclaration, même en appliquant le régime de prescription le plus généreux.

[20] M. Gélinas répond que ses causes d’action ne sont pas reliées aux indemnisations reçues d’ACC, que les actes contestés des préposés de l’État ne sont pas liés à son service militaire et qu’aucune demande d’indemnité n’est disponible en vertu de la Loi sur l’indemnisation en ce qui concerne ces actes. Il nie aussi l’absence de fondement juridique, faisant référence à la LDN, au Code civil du Québec [CcQ] et à la directive et ordonnance administrative de la défense DOAD 7026-1, Gestion des enquêtes administratives. Quant à la question de prescription, M. Gélinas soutient que le point de départ du délai devrait être le 3 février 2015, date de la réponse finale de la part du ministre de la Défense nationale; qu’il a signifié à la défenderesse à maintes reprises les problèmes de comportement des préposés de l’État le 23 août 2007; qu’il a toujours désiré obtenir la vérité en lien avec ces actions; et qu’une tentative de suicide en octobre 2016 suite à la lettre datée du 10 février 2016 aurait pour effet de suspendre la prescription.

[21] Pour les motifs suivants, je conclus que le premier argument de la défenderesse, soit l’application de l’article 9 de la LRCÉCA, est déterminatif. Je n’ai donc pas à traiter les autres arguments de la défenderesse, mais j’en fais quelques commentaires.

D. La réclamation de M. Gélinas est évidemment et manifestement empêchée par la LRCÉCA

(1) L’article 9 de la LRCÉCA et l’arrêt Sarvanis de la Cour suprême du Canada

[22] L’article 9 de la LRCÉCA stipule ce qui suit :

Incompatibilité entre recours et droit à une pension ou indemnité

No proceedings lie where pension payable

9 Ni l’État ni ses préposés ne sont susceptibles de poursuite pour toute perte – notamment décès, blessure ou dommage – ouvrant droit au paiement d’une pension ou indemnité sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l’État.

9 No proceedings lie against the Crown or a servant of the Crown in respect of a claim if a pension or compensation has been paid or is payable out of the Consolidated Revenue Fund or out of any funds administered by an agency of the Crown in respect of the death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[23] La Cour suprême du Canada a évalué cette disposition dans l’affaire Sarvanis c Canada, 2002 CSC 28. Dans Sarvanis, le demandeur était un prisonnier dans un pénitencier fédéral qui a subi des blessures permanentes en travaillant dans une grange de la ferme de la prison. Il a intenté une réclamation contre l’État en responsabilité civile. Ce dernier a prétendu que l’article 9 de la LRCÉCA s’appliquait pour empêcher la poursuite parce que le demandeur recevait des prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada (RPC).

[24] La Cour suprême a conclu que l’article 9 exige que, pour qu’elle fasse obstacle à une action contre l’État, « la pension ou l’indemnité payée ou payable ait le même fondement factuel que l’action » [je souligne] : Sarvanis au para 28. Le juge Iacobucci pour la Cour a noté que l’article 9 « traduit le désir rationnel du législateur d’empêcher la double indemnisation d’une même réclamation dans les cas où le gouvernement est responsable d’un acte fautif mais où il a déjà effectué un paiement à cet égard » : Sarvanis au para 28. Ce n’est pas le chef de dommage qui est important à cet égard, mais la perte ou le fondement factuel : Sarvanis au para 29.

[25] Dans l’issu, la Cour suprême dans Sarvanis a conclu que les prestations d’invalidité prévues par le RPC ne sont aucunement tributaires d’un évènement en particulier, mais seulement de l’état d’invalidité. Notamment, la Cour a antérieurement décidé que les versements selon le RPC ne sont pas des versements indemnitaires : Canadian Pacific Ltd c Gill et al, [1973] RCS 654 à la p 670; Sarvanis au para 33. La pension que recevait le demandeur n’avait donc pas le même fondement factuel que son action contre l’État, et la réclamation n’était pas empêchée par l’article 9 : Sarvanis aux para 31–39. En résumant la portée de l’article 9, le juge Iacobucci a dit comme suit au paragraphe 38 :

Tout simplement, l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif établit l’immunité de l’État lorsque la perte même — notamment décès, blessures ou dommages — qui constitue le fondement de l’action irrecevable est l’événement qui a fondé le paiement d’une pension ou d’une indemnité.

[26] Selon l’analyse de l’arrêt Sarvanis, la question à savoir si la réclamation de M. Gélinas est exclue par l’article 9 de la LRCÉCA dépend de si sa pension payée en vertu de la LBÊV a le même fondement factuel que son action. Pour répondre à cette question, il faut tourner aux dispositions pertinentes de la LBÊV.

(2) Les articles 45 et 46 de la LBÊV et l’arrêt Lafrenière de la Cour d’appel fédérale

a) Clarification sur les modifications à la loi

[27] Je commence cette partie de l’analyse avec un survol de certaines modifications récentes à la loi pertinente, étant donné les références faites par les parties dans leurs prétentions écrites. Ces modifications, et donc cette discussion, n’affectent pas le fond de l’affaire, parce que les aspects pertinents de la législation restent inchangés. Cette discussion est donc incluse aux fins de clarification et de précision.

[28] Les parties ont fait référence dans leurs prétentions écrites à la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, ou la « Loi sur l’indemnisation ». Par contre, cette loi a été renommée la Loi sur le bien-être des vétérans à partir du 1er avril 2018 par la Loi no 1 d’exécution du budget de 2017, LC (2017), ch 20, arts 270, 299 : Fournier c Canada (Procureur général), 2019 CAF 265 au para 6. Ce changement de nom n’affecte aucunement l’analyse, donc je vais utiliser le nom actuel de la loi, soit la LBÊV, même si elle portait un autre titre quand M. Gélinas a commencé de recevoir des indemnités.

[29] L’année après le changement de titre, des modifications ont été apportées à la LBÊV pour introduire le concept d’une « indemnité pour douleur et souffrance » au lieu d’une « indemnité d’invalidité », à partir du 1er avril 2019 : Loi no 1 d’exécution du budget de 2018, LC (2018), ch 12, Sommaire et arts 142, 185; LBÊV, arts 2 (« indemnisation », « indemnité d’invalidité »), 45; voir, e.g., 100003525191 (Re), 2019 CanLII 45617 (CA VRAB). Des dispositions transitoires au sujet des indemnités d’invalidité et des indemnités pour douleur et souffrance étaient mises en place : LBÊV, arts 130–133.

[30] M. Gélinas confirme dans sa déclaration amendée qu’il reçoit des indemnités d’ACC depuis janvier 2014. À l’époque, des indemnités payées selon l’article 45 de la Loi sur l’indemnisation étaient des indemnités d’invalidité. M. Gélinas confirme aussi dans sa déclaration amendée qu’il reçoit maintenant une prestation de remplacement de revenu ainsi qu’une indemnité pour douleur et souffrance, qui est l’indemnité maintenant versée selon l’article 45 de la LBÊV. Il n’est pas contesté que M. Gélinas a reçu, et continue de recevoir, des indemnités selon l’article 45 de la LBÊV.

[31] La défenderesse a reproduit dans ses prétentions les anciens articles 45 et 46, qui font référence aux indemnités d’invalidité. Dans l’analyse suivante, je fais référence aux articles 45 et 46 actuels. La seule modification apportée à ces dispositions est le remplacement des mots « indemnité d’invalidité » par « indemnité de douleur et souffrance ». Cette modification ne change en aucune façon pertinente l’analyse centrale sur l’application de l’article 9 de la LRCÉCA.

b) La portée des dispositions

[32] Les paragraphes 45(1) et 46(1) de la LBÊV se lisent comme suit :

Indemnité pour douleur et souffrance

Pain and Suffering Compensation

Admissibilité

Eligibility

45 (1) Le ministre peut, sur demande, verser une indemnité pour douleur et souffrance au militaire ou vétéran qui démontre qu’il souffre d’une invalidité causée :

45 (1) The Minister may, on application, pay pain and suffering compensation to a member or a veteran who establishes that they are suffering from a disability resulting from

  • a) soit par une blessure ou maladie liée au service;

  • (a) a service-related injury or disease; or

  • b) soit par une blessure ou maladie non liée au service dont l’aggravation est due au service.

  • (b) a non-service-related injury or disease that was aggravated by service.

[…]

[…]

Blessure ou maladie réputée liée au service

Consequential injury or disease

46 (1) Pour l’application du paragraphe 45(1), est réputée être une blessure ou maladie liée au service la blessure ou maladie qui, en tout ou en partie, est la conséquence :

46 (1) For the purposes of subsection 45(1), an injury or a disease is deemed to be a service-related injury or disease if the injury or disease is, in whole or in part, a consequence of

  • a) d’une blessure ou maladie liée au service;

  • (a) a service-related injury or disease; or

  • b) d’une blessure ou maladie non liée au service dont l’aggravation est due au service;

  • (b) a non-service-related injury or disease that was aggravated by service.

  • c) d’une blessure ou maladie qui est elle-même la conséquence d’une blessure ou maladie visée par les alinéas a) ou b);

  • (c) an injury or a disease that is itself a consequence of an injury or a disease described in paragraph (a) or (b); or

  • d) d’une blessure ou maladie qui est la conséquence d’une blessure ou maladie visée par l’alinéa c).

  • (d) an injury or a disease that is a consequence of an injury or a disease described in paragraph (c).

[…]

[…]

[33] Le paragraphe 2(1) de la LBÊV comprend des définitions de certains termes employés aux paragraphes 45(1) et 46(1) :

Définitions

Definitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 (1) The following definitions apply in this Act.

due au service Se dit de l’aggravation d’une blessure ou maladie non liée au service que est :

aggravated by service, in respect of an injury or a disease, means an injury or a disease that has been aggravated, if the aggravation

  • a) soit survenue au cours du service spécial ou attribuable à celui-ci;

  • (a) was attributable to or was incurred during special duty service; or

  • b) soit consécutive ou rattachée directement au service dans les Forces canadiennes.

  • (b) arose out of or was directly connected with service in the Canadian Forces.

invalidité La perte ou l’amoindrissement de la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d’ordre physique ou mental.

disability means the loss or lessening of the power to will and to do any normal mental or physical act.

liée au service Se dit de la blessure ou maladie :

service-related injury or disease means an injury or a disease that

a) soit survenue au cours du service spécial ou attribuable à celui-ci;

(a) was attributable to or was incurred during special duty service; or

b) soit consécutive ou rattachée directement au service dans les Forces canadiennes.

(b) arose out of or was directly connected with service in the Canadian Forces.

[34] L’interaction entre l’article 45 de la LBÊV et l’article 9 de la LRCÉCA était en cause dans l’affaire Lafrenière. M. Lafrenière était journaliste militaire au sein des FAC. En septembre 2009, il a été informé, sans explications, qu’il avait été relevé de ses fonctions. Par la suite, il a été avisé que la décision était liée à une enquête à son sujet concernant la production et la distribution de DVD en utilisant les installations militaires sans avoir obtenu les approbations préalables : Lafrenière (CAF) aux para 6–8. Lorsqu’il attendait toujours des explications plus détaillées, M. Lafrenière a déposé un grief réclamant, entre autres, une explication écrite des raisons pour lesquelles il a été relevé de son poste de journaliste, et les raisons pour lesquelles l’enquête continuait toujours. Il a aussi déposé une plainte de harcèlement contre un supérieur, qui a été accueillie en partie. Le grief a été aussi accueilli en partie, sans compensation financière. Entretemps, M. Lafrenière a été libéré des FAC pour des raisons médicales : Lafrenière (CAF) aux para 6, 9–13.

[35] M. Lafrenière recevait, même avant sa libération, une indemnité d’invalidité en vertu des articles 45 et 46 de la Loi sur l’indemnisation pour des séquelles physiques et psychologiques qui étaient liées à son service dans les FAC ou qui ont été aggravées lors de celui-ci. Sa demande pour une indemnité d’invalidité était liée aux évènements de l’automne 2009 et des troubles psychologiques qui provenaient de l’enquête : Lafrenière (CF) aux para 58–59; Lafrenière (CAF) au para 23.

[36] M. Lafrenière a intenté une action contre l’État en dommages-intérêts. Ses allégations portaient sur les actes (a) à l’occasion de sa suspension en septembre 2009; (b) à l’occasion de l’enquête militaire qui s’est déroulée de septembre 2009 à mars 2012; et (c) dans le traitement prolongé du grief et de la plainte de harcèlement : Lafrenière (CAF) au para 26; Lafrenière (CF) au para 78. M. Lafrenière prétendait que les dommages qu’il réclamaient dans son action n’étaient pas couverts par sa pension : Lafrenière (CAF) au para 41.

[37] Le juge Martineau de cette Cour a conclu que tout dommage découlant des allégations dans les deux premières catégories, soit celles liées à la suspension en septembre 2009 et celles liées à l’enquête militaire avant sa libération, constituait une perte ayant le même fondement factuel que les indemnités d’invalidité. Appliquant Sarvanis, il a conclu que ces demandes étaient empêchées par l’article 9 de la LRCÉCA : Lafrenière (CF) aux para 65–67, 71, 79. Par contre, le juge Martineau a conclu que les allégations dans la troisième catégorie, soit celles liées au traitement du grief et de la plainte de harcèlement après la libération de M. Lafrenière, n’étaient pas couvertes par l’article 9 : Lafrenière (CF) au para 80.

[38] La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Martineau quant aux deux premières catégories d’allégations : Lafrenière (CAF) au para 47. Cependant, la Cour d’appel a conclu que la déclaration de M. Lafrenière aurait dû être radiée dans sa totalité, y compris les allégations de la troisième catégorie. Selon la Cour d’appel, le traitement du grief et de la plainte de harcèlement était « intrinsèquement lié au fondement factuel qui a donné ouverture au paiement de la pension ou des indemnités d’invalidité » et faisait partie de la « même trame factuelle ». L’article 9 de la LRCÉCA s’appliquait également pour empêcher ces allégations et donc la déclaration au complet : Lafrenière (CAF) aux para 64–66. La déclaration de M. Lafrenière était alors radiée dans sa totalité, sans possibilité d’amendement.

[39] Plusieurs principes ressortent de la décision de la Cour suprême en Sarvanis et celle de la Cour d’appel fédérale dans Lafrenière (CAF), principes qui lient cette Cour :

  • L’article 9 de la LRCÉCA a une interprétation large pour éviter que l’État ne soit tenu responsable, sous des chefs accessoires de dommages-intérêts, d’un évènement pour lequel une indemnité a déjà été versée : Sarvanis au para 29; Lafrenière (CAF) au para 45.

  • Ce qui est important est de savoir si l’indemnité et la perte réclamée dans l’action ont le même fondement factuel, peu importe les chefs de dommages soulevés dans l’action : Sarvanis au para 28; Lafrenière (CAF) aux para 45, 47.

  • La source de la faute ou des actes reprochés n’est pas pertinente afin de déterminer l’applicabilité de l’article 9 si le versement de l’indemnité et la réparation demandée dans l’action résultaient du même évènement : Lafrenière (CAF) au para 46.

  • Une réclamation fondée sur les préjudices découlant du traitement par l’État des plaintes du demandeur est également empêchée par l’article 9 si ces préjudices sont intrinsèquement liés au fondement factuel qui a donné l’ouverture au paiement de l’indemnité : Lafrenière (CAF) aux para 64–67.

(3) Application des principes à la déclaration amendée de M. Gélinas

[40] Comme résumé ci-dessus, M. Gélinas allègue dans sa déclaration amendée que les préposés de l’État ont brisé plusieurs règles et directives lors des évènements du 23 août 2007. Ces bris sont énumérés au paragraphe 10 de la déclaration amendée. M. Gélinas prétend que cet « odieux comportement de ses frères d’armes » a causé du stress et des troubles physiques et psychologiques. Ses consultations psychologiques et psychiatriques ont soulevé un élément central, soit le non-traitement à la source alors qu’il s’interrogeait sur la conduite de ses pairs en Afghanistan. Les difficultés qu’il a rencontrées lors de sa quête pour la vérité des événements du 23 août 2007, y compris le refus d’ouverture d’enquête ainsi que le refus de sa demande d’entente financière par les FAC, ont aggravé sa détresse psychologique et morale.

[41] À mon avis, il est évident et manifeste que l’action de M. Gélinas est fondée sur le même fondement factuel que son indemnité reçue en vertu de l’article 45 de la LBÊV. Les évènements du 23 août 2007, les actions des membres des FAC cette journée-là, et les actions ultérieures des membres des FAC en réponse à sa recherche de la vérité ont entrainé sa condition médicale actuelle et donc les invalidités sur lesquelles sont fondées son indemnité. Sa déclaration est fondée sur ces mêmes évènements et actions et cette même condition médicale.

[42] M. Gélinas soutient que l’article 9 ne s’applique pas, car il reçoit des indemnités pour « trouble anxieux non spécifié en lien avec le traumatisme subi en Afghanistan » [caractères italiques ajoutés par M. Gélinas]. Il prétend que sa réclamation n’est pas en lien avec le traumatisme causé par le décès de son camarade d’armes, mais avec l’injustice et la négligence des préposés d’État, y compris les bris de règles, de la CcQ et de la LDN. Il fait référence à une observation du président du tribunal d’ACC que ceux-ci ne sont pas « les réparateurs de torts ». Cependant, la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont souligné que ce n’est pas les chefs de dommages soulevés dans une action qui importent, mais le fondement factuel. Dans le cas en l’espèce, le fondement factuel de l’action est le même que le fondement factuel de l’indemnité.

[43] M. Gélinas prétend aussi que les actes des préposés de l’État, comme son abandon dans sa chambre et l’absence de soins médicaux, ne sont pas liés au « service » et qu’ils ne peuvent pas donc fonder une indemnité en vertu de l’article 45 de la LBÊV. Je ne suis pas d’accord. Les évènements du 23 août 2007 se sont déroulés lors de son déploiement militaire en Afghanistan. Il s’agit de son traitement, ou non-traitement, suite à la nouvelle qui lui a été transmise par une subalterne. À mon avis, qu’il soit question de manquement ou de prétendu bris de règles ou de directives, les actes des membres des FAC et les effets qu’ils ont eu sur M. Gélinas sont directement liés à son service au sein des FAC. Il est à noter que la définition de « liée au service » dans la LBÊV est assez large, couvrant toute maladie « consécutive » au service dans les FAC (en anglais, « arose out of […] service »).

[44] J’arrive à la même conclusion quant aux allégations portant sur les actes subséquents des préposés de l’État, notamment le refus du lancement d’une enquête et le refus de la demande de compensation financière de M. Gélinas. Même si ces actes n’ont pas eu lieu en Afghanistan et ont été commis après la libération de M. Gélinas, ils sont liés intrinsèquement aux faits du 23 août 2007 et à son service militaire. À mon avis, cette conclusion est effectivement mandatée par la conclusion similaire de la Cour d’appel dans l’affaire Lafrenière (CAF). Les dommages découlant de la mauvaise gestion alléguée dans la situation de M. Lafrenière, y compris son grief et sa plainte en harcèlement, ont été reconnus par la Cour d’appel comme étant liés au même fondement factuel que son indemnité. Je n’arrive pas à distinguer la réclamation de M. Lafrenière à cet égard de la réclamation de M. Gélinas fondée sur le traitement de ses demandes pour une enquête et pour la compensation.

[45] Je ne peux pas accepter non plus l’argument de M. Gélinas voulant qu’il ne s’agisse pas d’une « double indemnisation » parce qu’il n’a pas été dirigé vers les soins médicaux que devraient recevoir tous les militaires. La double indemnisation à laquelle la Cour suprême fait référence dans l’arrêt Sarvanis est la réclamation en dommages-intérêts quand une indemnité est déjà recevable. Elle ne concerne pas les autres ressources et ne constitue pas une comparaison avec ce que reçoivent d’autres individus.

[46] Le fait que M. Gélinas propose de soustraire ses prestations reçues des montants réclamés ne change pas non plus la question de « double indemnisation ». L’article 9 de la LRCÉCA est clair que l’État n’est pas « susceptible pour toute perte ouvrant droit au paiement » d’une indemnité. Le fait qu’un demandeur réclame des sommes supérieures au montant de son indemnité ne peut pas affecter l’immunité de poursuite décrétée par l’article 9.

[47] Je conclus donc qu’il est évident et manifeste que l’article 9 empêche l’action de M. Gélinas dans sa totalité. Sa déclaration amendée doit être radiée sans possibilité d’amendement.

E. Les autres arguments de la défenderesse

[48] Étant donné mes conclusions sur l’application de l’article 9 de la LRCÉCA, il n’est pas nécessaire de traiter les deux autres arguments de la défenderesse, soit le manque de fondement de la cause et la prescription. Il me semble néanmoins approprié de faire quelques observations brèves sur ces arguments.

[49] La défenderesse argumente que l’action est dépourvue de fondement juridique sur la base des dispositions du projet de loi C-77 citées par M. Gélinas. Je suis d’accord que les dispositions citées ne semblent pas donner un fondement juridique valable. En particulier, l’article 71.12 et le paragraphe 189.1(12) ne sont pas entrés en vigueur. Dans la codification de la LDN publiée par le ministre de la Justice, l’article 71.12 et l’article 189.1, y compris le paragraphe 189.1(12), se trouvent sous le titre « Modifications non en vigueur », indiquant qu’une date pour l’entrée en vigueur n’a pas été fixée par décret selon l’article 68(1) de la Loi modifiant la LDN.

[50] De toute façon, ces dispositions ne semblent pas créer en elle-même de la responsabilité pour la Couronne. Les deux articles portent sur les cours martiales : l’article 189.1 porte sur les plaidoyers; et l’article 71.12 stipule que « [t]oute victime a le droit à ce que la prise d’une ordonnance de dédommagement contre le contrevenant soit envisagée par la cour martiale ». Même si ces dispositions étaient en vigueur, elles portent sur les procédures devant une cour martiale et non les actions en dommages-intérêts devant cette Cour. Contrairement aux prétentions de M. Gélinas, le fait qu’une cour martiale aurait pu être convoquée suite à une enquête ne crée pas de cause d’action par l’entremise de ces dispositions.

[51] Ceci dit, je n’accepte pas l’affirmation de la défenderesse que M. Gélinas n’a pas identifié aucun autre fondement juridique à son recours. Lisant la déclaration de façon généreuse, comme on le doit lors d’une demande en radiation surtout lorsque le demandeur agit pour son propre compte, on voit des références à la « négligence » des préposés de l’État. Même si M. Gélinas n’a pas cité la négligence de l’État dans sa réponse à la demande de précisions de la défenderesse, demande qui était axée sur les « dispositions législatives », il a soulevé la question de négligence dans sa demande, ainsi que les allégations que les préposés de l’État ont « commis des fautes ». La défenderesse dans sa requête ne s’est pas penchée sur la question à savoir s’il est évident et manifeste que les allégations soulevées dans la déclaration amendée ne révèlent pas une cause d’action valable en négligence.

[52] Quant à l’application des régimes de prescription, M. Gélinas a soulevé plusieurs arguments concernant la date à laquelle il a pris connaissance de sa cause d’action ainsi que les périodes pendant lesquelles la prescription devrait être considérée comme suspendue. Sans déterminer ces questions complexes, j’observe que cette Cour a noté la difficulté de déterminer de telles questions dans le cadre d’une requête en radiation. L’observation du juge Barnes dans Whaling c Canada (Procureur général), 2018 CF 748 au paragraphe 12 me semble pertinente :

J’accepte le point du défendeur qu’une déclaration peut être radiée lorsque la cause d’action qu’elle allègue est clairement et définitivement hors délai. Il est également bien établi en droit qu’une action fondée sur des droits constitutionnels doit toujours se conformer aux délais de prescription prévus par la loi. Mais ces points n’enlèvent rien à l’hypothèse que, face à une défense de prescription présentée, la cause d’action est vouée à l’échec. Il est inexact de dire que, lors d’une requête en radiation, la Cour est habilitée à résoudre les questions difficiles sur le fait de savoir si la défense alléguée s’applique effectivement ou à partir de quand le délai de prescription commence à courir. Cela est particulièrement vrai pour une cause d’action relativement nouvelle.

[Je souligne; citations omises.]

F. Frais judiciaires

[53] La défenderesse sollicite ses frais judiciaires. En tant que partie gagnante, la défenderesse a typiquement droit à ses dépens, mais la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer toute question de dépense : Règles des Cours fédérales, art 400.

[54] Pour appuyer son point, M. Gélinas soulève le fait que l’affaire a été l’objet d’une gestion spéciale et qu’il se représente seul. Je conviens avec la défenderesse que le fait que M. Gélinas se représente ne signifie pas que les frais ne peuvent être adjugés : Canjura c Canada (Procureur général), 2021 CF 1022 au para 27, citant Martinez c Canada, 2020 CAF 150 (Officier Taxateur) aux para 11–15. Par contre, je tiens compte du fait que M. Gélinas se représente lui-même en déterminant le montant de l’indemnité pour frais : McMullen c Canada (Procureur général), 2021 CF 516 au para 10. En considérant la nature de l’action, les informations dans la déclaration amendée sur les moyens financiers de M. Gélinas, et les facteurs énumérés à la règle 400, je conclus que l’adjudication d’un montant de $500.00 au titre des dépens, y compris les débours et les taxes, est justifiée dans les circonstances.

IV. Conclusion

[55] M. Gélinas a présenté clairement dans sa déclaration amendée le fondement de sa réclamation contre la défenderesse. Il n’y a pas question que, selon les faits allégués, M. Gélinas est confronté à d’importantes difficultés de santé qu’il attribue aux évènements du 23 août 2007 et aux actions des préposés de l’État pendant et après ces évènements. Cependant, il ressort clairement des allégations de M. Gélinas qu’il s’agit du même fondement factuel sur lequel est fondée son indemnité en vertu de l’article 45 de la LBÊV. Selon l’article 9 de la LRCÉCA, tel que la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale l’ont interprété et l’ont appliqué, ni l’État ni ses préposés ne sont susceptibles de poursuites pour cette perte. La déclaration amendée doit être radiée et l’action rejetée.


JUGEMENT dans le dossier T-343-21

LA COUR STATUE que

  1. La requête de la défenderesse est accueillie.

  2. La déclaration amendée du demandeur est radiée sans possibilité d’amendement et l’action du demandeur est rejetée.

  3. Les frais de $500.00, y compris les débours et les taxes, sont payables par le demandeur à la défenderesse.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-343-21

INTITULÉ :

MICHEL GÉLINAS c SA MAJESTÉ LA REINE

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1 Novembre 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Michel Gélinas

POUR SON PROPRE COMPTE

Me Antoine Lippé

Me Margarita Tzavelakos

Pour LA DÉFENDEResse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA DÉFENDEResse

 

 

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