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Date : 20211013


Dossier : IMM-780-20

Référence : 2021 CF 1067

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2021

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

AHMED MOHAMED SAAD ABDELKADER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 5 décembre 2019 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente présentée par le demandeur dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) d’Entrée express, car il ne satisfaisait pas aux exigences prévues à l’article 11.2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La principale question est de savoir si l’agent a agi de façon déraisonnable dans son évaluation des diplômes d’études du demandeur, parce qu’il n’a pas tenu compte de la véritable nature de sa demande.

II. Faits

[2] Citoyen égyptien âgé de 34 ans, le demandeur a obtenu un baccalauréat en droit (LL. B.) de l’Université d’Alexandrie le 19 septembre 2007 et exerce le droit depuis 11 ans.

[3] En décembre 2018, il a créé un profil d’Entrée express et, le 20 février 2019, il a reçu une invitation à présenter une demande de résidence permanente à titre de travailleur qualifié.

[4] Il a présenté une demande en indiquant ses diplômes dans la catégorie « Maîtrise ou diplôme professionnel nécessaire pour pratiquer une profession réglementée ». J’appellerai cette catégorie « Maîtrise ou premier grade professionnel ». Je souligne la conjonction disjonctive « ou », car il a été évalué comme s’il avait une maîtrise, alors qu’il n’en détenait pas une et n’aurait pas pu prétendre le contraire. Sa demande était plutôt fondée sur le fait d’avoir un baccalauréat en droit (LL. B.), ce qui n’est pas contesté. La question est de savoir si ce diplôme équivalait à un premier grade professionnel. Rien dans le dossier ne me porte à conclure que cette question a été examinée ou évaluée. Par conséquent, la présente demande sera accueillie.

[5] Dans son dossier de demande, le demandeur a fourni une évaluation de diplômes étrangers [ÉDÉ] de World Education Services [WES] datée du 24 octobre 2017. Sous la rubrique « CREDENTIAL ANALYSIS » (analyse des diplômes), à « Credential » (diplôme), le rapport indique « Bachelor Degree » (baccalauréat) et, plus bas, à « Major/Specialization » (matière principale/spécialisation), il indique « Law » (droit). Le rapport conclut que l’équivalence canadienne était un baccalauréat (quatre ans). Rien n’est dit quant à savoir s’il s’agissait d’un premier grade professionnel.

[6] Il a ensuite présenté une ÉDÉ de WES plus récente datée du 13 décembre 2019. Sous la rubrique « CREDENTIAL ANALYSIS » (analyse des diplômes), à « Credential » (diplôme), le rapport indique « Bachelor of Laws (LL.B.) » (baccalauréat en droit [LL. B.]) et, à « Major/Specialization » (matière principale/spécialisation), il indique « Law » (droit). Le rapport conclut que l’équivalence canadienne était un baccalauréat (quatre ans). Là encore, aucune conclusion n’a été tirée quant à savoir si ce diplôme pouvait être considéré comme un premier grade professionnel.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[7] Le 5 décembre 2019, l’agent a rejeté la demande. Il a conclu que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences lui permettant d’immigrer au Canada. Cette conclusion était fondée sur l’évaluation effectuée par WES du diplôme analysé, à savoir le baccalauréat en droit (LL. B.), quant à l’équivalence en matière d’études au Canada.

[8] Après avoir examiné le dossier, je suis convaincu que le demandeur a présenté sa demande en fonction du deuxième critère de la catégorie « Maîtrise ou diplôme professionnel nécessaire pour pratiquer une profession réglementée ». Le premier critère était d’avoir une maîtrise. Il ne détenait pas une maîtrise et n’avait pas prétendu le contraire. Le deuxième critère était d’avoir un premier grade professionnel, soit son baccalauréat en droit (LL. B.). Je remarque que le demandeur a sollicité un réexamen à plusieurs reprises, notamment les 4 décembre 2019, 8 décembre 2019 et 11 décembre 2019. Il a clairement demandé à ce que sa demande soit examinée en fonction du fait que son baccalauréat en droit (LL. B.) est un diplôme professionnel.

[9] Que ce soit dans sa décision ou dans ses réponses du 12 décembre 2019 et du 17 décembre 2019, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] ne renvoie jamais à sa demande en indiquant qu’il détient un premier grade professionnel.

[10] Dans chacune de ses réponses, le défendeur a écrit : [traduction] « vous avez indiqué : une maîtrise ». Il ne reconnaît dans aucune d’elles que sa demande est présentée relativement à un premier grade professionnel.

[11] Je constate que, dans son mémoire devant la Cour, le défendeur reste campé sur sa position que le demandeur n’a fondé sa demande que sur une maîtrise. À mon avis, cette position n’est pas viable à la lumière du dossier. Il a présenté sa demande sur la base d’une maîtrise (qu’il ne détenait pas) « ou » (remarquer la conjonction disjonctive), et c’est ce qu’il prétendait, du fait que son baccalauréat en droit (LL. B.) était un premier grade professionnel.

[12] Il est évident que WES n’a pas évalué la demande fondée sur un diplôme professionnel. À mon humble avis, j’estime que ses rapports n’ont évalué le baccalauréat en droit (LL. B.) que sur le plan de l’équivalence à un baccalauréat (quatre ans), et non au premier grade professionnel que le demandeur prétendait détenir.

[13] L’examen par la Cour du dossier certifié du tribunal [le DCT] vient confirmer que la demande indiquait une maîtrise « ou » un diplôme professionnel – voir les pages 13, 18, 37, 38 et 39, où IRCC reconnaît que le demandeur a sélectionné « Maîtrise ou premier grade professionnel ». Il y a peut-être d’autres mentions à cet égard, mais je suis convaincu que c’est ainsi qu’il a formulé sa demande.

[14] À un certain moment, IRCC a cependant décidé de ne pas évaluer sa demande en fonction du fait qu’il prétendait détenir un premier grade professionnel, ce qui était la même approche adoptée par WES.

[15] Le paragraphe 11.2(1) de la LIPR exige que les renseignements fournis dans le profil d’Entrée express du demandeur concernant son admissibilité à être invité à présenter une demande [alinéa 10.3(1)e)] ainsi que la base sur laquelle peut être classé le demandeur qui peut être invité à présenter une demande [alinéa 10.3(1)h)] soient valides, tant au moment où l’invitation a été formulée qu’au moment où la demande de résidence permanente est reçue :

Visa ou autre document ne pouvant être délivré

Visa or other document not to be issued

11.2 (1) Ne peut être délivré à l’étranger à qui une invitation à présenter une demande de résidence permanente a été formulée en vertu de la section 0.1 un visa ou autre document à l’égard de la demande si, lorsque l’invitation a été formulée ou que la demande a été reçue par l’agent, il ne répondait pas aux critères prévus dans une instruction donnée en vertu de l’alinéa 10.3(1)e) ou il n’avait pas les attributs sur la base desquels il a été classé au titre d’une instruction donnée en vertu de l’alinéa 10.3(1)h) et sur la base desquels cette invitation a été formulée.

11.2 (1) An officer may not issue a visa or other document in respect of an application for permanent residence to a foreign national who was issued an invitation under Division 0.1 to make that application if — at the time the invitation was issued or at the time the officer received their application — the foreign national did not meet the criteria set out in an instruction given under paragraph 10.3(1)(e) or did not have the qualifications on the basis of which they were ranked under an instruction given under paragraph 10.3(1)(h) and were issued the invitation.

[16] Les alinéas 10.3(1)e) et h) de la LIPR sont ainsi libellés :

Instructions

Instructions

10.3 (1) Le ministre peut donner des instructions régissant l’application de la présente section, notamment des instructions portant sur :

10.3 (1) The Minister may give instructions governing any matter relating to the application of this Division, including instructions respecting

e) les critères que l’étranger est tenu de remplir pour pouvoir être invité à présenter une demande;

(e) the criteria that a foreign national must meet to be eligible to be invited to make an application;

h) la base sur laquelle peuvent être classés les uns par rapport aux autres les étrangers qui peuvent être invités à présenter une demande;

(h) the basis on which an eligible foreign national may be ranked relative to other eligible foreign nationals;

[17] L’agent a conclu que le demandeur avait été invité à présenter une demande de résidence permanente parce qu’il avait indiqué avoir une maîtrise. Avec égards, cette interprétation était incomplète; comme je l’ai déjà mentionné, il a présenté une demande parce qu’il avait une maîtrise « ou » un premier grade professionnel. Il semble que sa demande ait initialement été évaluée comme s’il détenait un premier grade professionnel, mais qu’après avoir reçu les évaluations de WES, lesquelles ne tenaient pas compte de cet aspect de sa demande, l’agent lui a accordé moins de points, ce qui a fait en sorte que le demandeur ne satisfaisait plus aux exigences prévues à l’article 11.2 de la LIPR.

IV. Questions en litige

[18] En l’espèce, la seule question en litige consiste à déterminer si la décision est raisonnable.

V. Norme de contrôle

[19] La décision d’un agent concernant la demande de résidence permanente d’un demandeur au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés est susceptible de contrôle selon la norme de contrôle de la décision raisonnable : Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 571 [le juge O’Keefe] au para 18; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 678 [le juge de Montigny] au para 9 [Kaur]. La Cour doit faire preuve d’une « très grande retenue » à l’égard de telles décisions : Kaur, précité, au para 9.

[20] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Postes Canada], motifs du juge Rowe pour la majorité – qui a été rendu en même temps que l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada expliquent les caractéristiques nécessaires à la décision raisonnable et, il importe de le souligner pour les besoins de l’espèce, les obligations auxquelles la cour de révision est tenue lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[21] Encore plus important en l’espèce, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême affirme que le tribunal devrait « s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties ». Comme il est indiqué au paragraphe 128, ne pas le faire « permet de se demander [si le décideur] était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » :

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.

VI. Analyse

[22] Le demandeur soutient que l’agent a agi de manière déraisonnable en n’accordant pas au demandeur le bon nombre de points pour sa scolarité et que la décision de l’agent de rejeter la demande était déraisonnable.

[23] À mon avis, la question est de savoir si la décision de l’agent est transparente, intelligible et justifiée. Plus précisément, j’ai conclu que, dans sa décision, l’agent ne s’était pas attaqué de façon significative à la prétention du demandeur selon laquelle il détenait un premier grade professionnel, à savoir un baccalauréat en droit (LL. B.). Cet aspect de sa demande n’a pas du tout été pris en considération.

[24] Comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur a présenté une demande parce qu’il détenait une maîtrise « ou » un diplôme professionnel, ce que démontre non seulement le dossier du demandeur, mais également le DCT.

[25] Je conviens que l’agent a agi de manière déraisonnable en concluant que le demandeur avait indiqué [traduction] « Maîtrise » à titre de diplôme d’études. Le demandeur avait en fait sélectionné l’option « Maîtrise ou diplôme professionnel nécessaire pour pratiquer une profession réglementée », qui fait partie de la liste figurant sur le site Web d’IRCC. Je ne suis pas convaincu que cette option était réservée exclusivement aux titulaires d’une maîtrise.

[26] Le demandeur fait également valoir qu’il a sélectionné la bonne option de diplôme d’études, car un baccalauréat en droit (LL. B.) est un « diplôme professionnel », ce qui aurait dû lui donner le même nombre de points qu’une maîtrise. Selon le site Web d’IRCC, un diplôme en droit est un « Diplôme professionnel requis pour la pratique au sein d’une profession décernant des permis de pratique » et peut permettre d’obtenir autant de points qu’une maîtrise. Ainsi, le demandeur soutient qu’il a satisfait aux exigences prévues à l’article 11.2 de la LIPR et que les points alloués pour son diplôme d’études n’auraient pas dû être ajustés. Je suis de cet avis.

[27] À cet égard, la page Web du défendeur intitulé « Système de classement global » à l’adresse https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/immigrer-canada/entree-express/documents/evaluer-diplomes-etudes/comment-lire-rapport.html confirme qu’un baccalauréat en droit est un « Diplôme professionnel requis pour la pratique au sein d’une profession décernant des permis de pratique » et devrait permettre d’obtenir 135 points sans époux (comme en l’espèce) :

[28] Je conviens qu’une attestation d’équivalence de WES constitue une preuve concluante à ses fins, comme le prévoit le paragraphe 75(8) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-27 [le RIPR] :

Preuve concluante

Conclusive evidence

75(8) Pour l’application de l’alinéa (2)e), du paragraphe (2.1) et de l’article 78, l’attestation d’équivalence constitue une preuve concluante, de l’équivalence avec un diplôme canadien, du diplôme, du certificat ou de l’attestation obtenu à l’étranger

75(8) For the purposes of paragraph (2)(e), subsection (2.1) and section 78, an equivalency assessment is conclusive evidence that the foreign diplomas, certificates or credentials are equivalent to Canadian educational credential

[29] Cependant, je ne puis conclure que WES a analysé la prétention du demandeur selon laquelle il détenait un premier grade professionnel nécessaire pour pratiquer une profession réglementée. Plus précisément, l’alinéa 78(1)f) du RIPR prévoit ce qui suit : « f) 23 points, pour le diplôme de niveau universitaire de deuxième cycle ou pour le diplôme visant un programme d’études nécessaire à l’exercice d’une profession exigeant un permis délivré par un organisme de réglementation provincial et appartenant au niveau de compétence A de la matrice de la Classification nationale des professions ». Les parties ne contestent pas le fait que le droit constitue une telle profession.

[30] De la même façon, IRCC n’a pas analysé la prétention du demandeur selon laquelle il détenait un premier grade professionnel nécessaire pour pratiquer une profession réglementée, qui constitue une autre possibilité visée à l’alinéa 78(1)f) précité.

[31] La demande du demandeur n’a été examinée et évaluée qu’en fonction du fait qu’il détenait une maîtrise, comme l’a maintes fois affirmé IRCC dans sa correspondance avec le demandeur et comme l’a répété le défendeur dans les actes de procédure qu’il a déposés devant la Cour. Le fait qu’il ne détenait pas une maîtrise, ce qui, avec égards, aurait dû inciter IRCC à examiner l’autre prétention selon laquelle il avait un premier grade professionnel, met en évidence le caractère déraisonnable de cette approche.

[32] Ce qui précède m’amène à conclure que le décideur ne s’est pas attaqué de façon significative à la prétention du demandeur selon laquelle il détenait un premier grade professionnel. Contrairement au paragraphe 128 de l’arrêt Vavilov, cet aspect a été écarté ou ignoré. Pour la même raison, la décision n’est ni transparente, ni intelligible, ni justifiée au regard des faits dont le décideur est saisi et de son issue. Elle va à l’encontre de l’arrêt Vavilov.

[33] La décision Ijaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 67, a été portée à mon attention. Cependant, la présente affaire s’en distingue. Je souscris à la conclusion de la juge Strickland voulant qu’une évaluation de WES constitue une preuve probante, comme l’exige le paragraphe 75(8) du RIPR précité. Toutefois, cette conclusion ne s’applique pas en l’absence d’une attestation ou d’une analyse d’équivalence, comme en l’espèce, où le demandeur a prétendu détenir un premier grade professionnel que WES n’a ni analysé ni évalué en tant que tel.

[34] Dans son évaluation, WES a conclu que le demandeur est titulaire d’un baccalauréat en droit (LL. B.) avec spécialisation en droit. Sur le site Web d’Entrée express d’IRCC, il est expressément indiqué qu’un « Baccalauréat en droit » est un « Diplôme professionnel requis pour la pratique au sein d’une profession décernant des permis de pratique » et qu’un premier grade professionnel dans le domaine du droit « perme[t] d’obtenir autant de points qu’une maîtrise ». À mon humble avis, cela démontre encore une fois un manquement à l’arrêt Vavilov, de sorte que la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et qu’un nouvel examen sera ordonné.

VII. Conclusion

[35] En tout respect, le demandeur a démontré que la décision de l’agent était déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

VIII. Questions à certifier

[36] Le demandeur a proposé la certification des questions suivantes :

1. Est-ce une erreur susceptible de contrôle, une erreur de droit et une violation à l’obligation d’équité si l’agent d’immigration n’a pas évalué la demande de visa de résident permanent présentée au titre d’un programme visé par Entrée express à la lumière de lois – Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés – et de lignes directrices – IRCC – impératives et claires, car il n’a pas pris en compte, n’a pas examiné et n’a pas traité les renseignements fournis dans la demande, dans la mesure où le traitement et l’examen de ces renseignements auraient mené à une conclusion différente et au succès de la demande?

2. Est-ce une erreur de droit si l’agent préposé aux cas n’a pas tenu compte de la classification applicable énoncée à l’article 78 du RIPR et présentée dans les lignes directrices liées aux critères de sélection des travailleurs qualifiés (fédéral) : Études pour forger son opinion à l’égard des points attribués à la demande, et, lors de l’examen de la demande, l’agent d’immigration manque-t-il aux règles d’équité en n’examinant pas l’applicabilité de dispositions législatives qui sont portées à son attention avant de rendre une décision sur la demande?

[37] Le défendeur affirme ce qui suit :

Dans l’arrêt Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, [1994] ACF no 1637 (CAF) [Liyanagamage], la Cour d’appel fédérale a énoncé le critère à trois volets relatif à la certification :

« [une] question [certifiée] transcende les intérêts des parties au litige, [...] aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale [...] et [...] est aussi déterminante quant à l’issue de l’appel. »

Le défendeur soutient qu’aucune des questions soulevées par le demandeur ne satisfait à l’une ou l’autre des conditions énoncées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Liyanagamage. À cet égard, aucune des questions soulevées par la demande ne transcende les intérêts des parties au litige, n’aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale et n’est déterminante quant à l’issue de l’appel.

Ainsi, la Cour devrait refuser de certifier les questions proposées par le demandeur.

[38] Le demandeur a répliqué en affirmant que le défendeur n’avait pas respecté le délai et qu’il ne pouvait donc plus exercer son droit de réponse, ce que je rejette, car j’ai consenti à la brève prorogation de délai requise.

[39] En tout respect, je refuse de certifier ces questions en les considérant comme des questions de portée générale. En ce qui a trait à la première question, il est bien établi que le fait de ne pas évaluer une demande de résidence permanente à la lumière de lois impératives et claires peut mener à un contrôle judiciaire. Par conséquent, cette question proposée a été posée et a reçu une réponse. Il en va de même pour la deuxième question, qui cherche à déterminer les conséquences de ne pas tenir compte de la classification énoncée à l’article 78 du RIPR. La réponse est bien connue, et il n’est pas nécessaire de poser la question encore une fois : un contrôle judiciaire peut être accordé.


JUGEMENT dans le dossier IMM-780-20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée, que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-780-20

 

INTITULÉ :

AHMED MOHAMED SAAD ABDELKADER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 SEPTEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 13 OCTOBRE 2021

COMPARUTIONS :

Ahmed Mohamed Saad Abdelkader

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Brad Gotkin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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