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Date : 20211021


Dossier : IMM-757-21

Référence : 2021 CF 1118

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2021

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

JUDITH ARACELI DIAZ CASTILLO

REGINA MONTSERRAT ARREDONDO DIAZ

NAOMI SUGEY ARREDONDO DIAZ

JESUS AARON ARREDONDO HERNANDEZ

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Le demandeur, Jesus Aaron Arredondo Hernandez, son épouse, Judith Araceli Diaz Castillo, et leurs filles mineures sont citoyens du Mexique. Ils sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] qui conclut que le demandeur est visé par l’exclusion prévue à l’article 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [Convention] et à l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Au Canada depuis le 29 septembre 2018, le demandeur allègue avoir été ciblé par des membres du cartel Jalisco Nueva Generación [JNG] de 2010 à 2018.

[3] Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [ministre] est intervenu auprès de la Section de la protection des réfugiés [SPR] pour soulever l’exclusion du demandeur en vertu de l’article 1Fb) de la Convention. Dans son avis d’intervention, le ministre allègue qu’il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur aurait commis des crimes graves de droit commun avant son entrée au Canada qui, si commis au Canada, seraient punissables par des peines d’emprisonnement maximales allant de cinq (5) à quatorze ans (14), conformément aux articles 402.2(2), 467.11 et 467.12(1) du Code criminel, LRC 1985, c C-46 [Ccr].

[4] Malgré l’intervention du ministre, la SPR conclut que l’ensemble des allégations avancées par le demandeur ne sont pas crédibles en raison des multiples contradictions et variations dans son témoignage, dans le narratif joint à son formulaire de Fondement de la demande d’asile [FDA] et dans ses propos tenus lors d’une entrevue avec l’Agence des services frontaliers du Canada. Elle conclut également que le constat d’absence de crédibilité sur l’implication du demandeur avec le cartel JNG fait en sorte que le demandeur ne peut être exclu en vertu de l’article 1Fb) de la Convention. La SPR rejette donc l’ensemble des demandes d’asile, toutes fondées sur le récit du demandeur.

[5] En appel devant la SAR, les demandeurs soutiennent d’abord que la SPR a erré en ne reconnaissant pas que le demandeur avait participé aux activités du cartel, mais qu’il l’avait fait sous la contrainte de menaces, justifiant ainsi que le demandeur ne soit pas exclu selon l’article 1Fb) de la Convention. Ensuite, ils allèguent que la SPR a pris sa décision avant même de les entendre et qu’elle n’a pas tenu compte de leur profil. Enfin, ils contestent les conclusions de crédibilité de la SPR, affirmant avoir rendu un témoignage fiable leur permettant de bénéficier de la présomption prévue dans la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF).

[6] Dans sa décision rendue le 14 janvier 2021, la SAR conclut que la SPR a effectivement erré en omettant de considérer la question de l’exclusion du demandeur sous l’article 1Fb) de la Convention. Après avoir énoncé le cadre d’analyse applicable en matière d’exclusion, la SAR note d’abord qu’il ressort du FDA du demandeur, de son entretien avec un agent d’immigration tenu préalablement à l’audience et de son témoignage que le demandeur reconnait avoir collaboré avec les membres du cartel JNG à de nombreuses reprises pendant une période d’environ huit (8) ans pour réaliser diverses tâches au profit du cartel. Elle examine ensuite les infractions commises par le demandeur et les circonstances entourant la commission des crimes. À cet effet, elle souligne notamment que le demandeur agissait comme chauffeur occasionnel, transportant des produits de la criminalité, dont de la drogue et des armes. Le demandeur aurait également été témoin d’actes criminels impliquant des agressions physiques contre d’autres membres du cartel. La SAR reconnait que le demandeur n’aurait pas lui-même manipulé la marchandise ou participé aux agressions physiques auxquelles il a été témoin. Toutefois, elle juge que l’impact de ces crimes sur la société et la participation aux activités d’un important cartel constituent des circonstances aggravantes. Elle conclut qu’il ressort de la preuve des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis plusieurs infractions de droit commun qui, en droit canadien, consisteraient au minimum en la participation aux activités d’une organisation criminelle (art 467.11 du Ccr) et en la commission d’un acte au profit d’une telle organisation (art 467.12 du Ccr).

[7] La SAR examine ensuite l’argument du demandeur selon lequel il aurait perpétré ces crimes sous la contrainte. S’appuyant sur le test applicable à la défense de contrainte énoncé dans l’arrêt R c Ryan, 2013 CSC 3 [Ryan], la SAR conclut que le demandeur ne satisfait pas le premier critère, soit la présence de menaces explicites ou implicites de causer la mort ou des lésions corporelles, dans l’immédiat ou dans le futur, visant le demandeur ou un tiers. Elle juge le demandeur non crédible quant aux allégations de menaces de mort dont il aurait fait l’objet. Bien qu’elle croit le demandeur lorsqu’il affirme avoir travaillé pour le compte du cartel, la SAR n’accepte pas qu’il ait été contraint de mener ses activités, à aucun moment entre 2014 et 2018, en raison de menaces de mort proférées à son endroit ou contre les membres de sa famille.

[8] Ayant conclu que le demandeur est une personne visée par l’article 1Fb) de la Convention, la SAR détermine qu’il ne peut avoir la qualité de réfugié ou de personne à protéger selon l’article 98 de la LIPR. Comme les demandes d’asile des autres demandeurs reposent sur les allégations du demandeur et son témoignage, elle conclut, comme la SPR, qu’ils ne sont pas non plus des personnes visées par les articles 96 et 97 de la LIPR.

[9] Dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire, les demandeurs reprochent d’abord à la SAR le non-respect de l’équité procédurale puisqu’elle a tiré des conclusions défavorables sur des incohérences relevées dans le témoignage du demandeur sans lui donner la possibilité de les expliquer. Ensuite, les demandeurs soutiennent que la SAR a erré dans son analyse de la défense de contrainte en ajoutant un critère qui ne fait pas partie de ceux énoncés dans l’arrêt Ryan. Finalement, les demandeurs font valoir que la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur a fait preuve d’aveuglement volontaire entre 2010 et 2014 n’est pas fondée sur la preuve.

II. Analyse

[10] La norme de contrôle applicable à une question d’exclusion prononcée en vertu de l’article 1Fb) de la Convention est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17 [Vavilov]; Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 157 au para 8; Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 12 au para 12). Il en est de même pour l’application de la défense de contrainte et des questions de crédibilité (Guerra Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 88 aux para 20, 22).

[11] Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, la Cour doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit se demander si la décision possède les « caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99). De plus, il « incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100).

[12] En ce qui a trait à l’allégation de manquement à l’équité procédurale, le rôle de cette Cour est de déterminer si la procédure était équitable compte tenu de toutes les circonstances (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54-56).

[13] Les demandeurs soutiennent qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale au motif que le demandeur n’a pas eu l’occasion de s’expliquer sur certaines incohérences soulevées par la SAR dans son évaluation de la défense de contrainte.

[14] La Cour n’est pas d’accord.

[15] Même si la SPR n’a pas confronté le demandeur sur les éléments soulevés par la SAR, il ne s’agissait pas d’une nouvelle question qui exigeait que la SAR donne au demandeur une possibilité d’être entendu. Selon la jurisprudence de cette Cour, une nouvelle question s’entend d’une question n’appartenant pas aux moyens d’appel soulevés par les parties. Elles sont différentes, sur le plan juridique et factuel, des questions soulevées dans l’appel (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 870 au para 13; Bebri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 726 au para 16; Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725 au para 67-68; voir aussi R c Mian, 2014 CSC 54 au para 30).

[16] En l’espèce, les questions soulevées et examinées par la SAR étaient directement liées aux observations des demandeurs en appel et aux conclusions de la SPR. Les demandeurs contestaient les conclusions de la SAR sur la crédibilité du demandeur. La SAR a évalué la preuve de façon indépendante et elle a tiré ses propres conclusions. Les demandeurs n’ont pas démontré qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

[17] À l’audience, les demandeurs ont soutenu que la conclusion d’aveuglement volontaire dont aurait fait preuve le demandeur constituait un autre manquement à l’équité procédurale. Il s’agit toutefois d’un nouvel argument qui n’était pas dans leur mémoire, les demandeurs n’ayant soulevé que le caractère déraisonnable de cette conclusion. Bien qu’il existe un pouvoir discrétionnaire permettant à la Cour d’examiner de nouveaux arguments, la Cour n’entend pas l’exercer puisque l’examen de ce nouvel argument priverait le défendeur d’y répondre d’une manière utile (Obineze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1150 aux para 12-13; Mohseni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 795 aux para 28-36; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 182 au para 6).

[18] Les demandeurs soutiennent de plus qu’en faisant référence à une « profération constante » de menaces, la SAR a importé un nouveau critère, l’omniprésence de menaces, à ceux prévus dans l’arrêt Ryan. Ils font valoir qu’il est normal que les menaces n’aient pas été réitérées entre 2014 et 2018 puisque le demandeur a continué à opérer sous la menace du cartel.

[19] La Cour est d’avis que les demandeurs procèdent à une lecture erronée des motifs de la SAR. La SAR analyse les contradictions entre le témoignage oral du demandeur, lors duquel il affirme avoir été constamment victime de menaces de mort depuis son agression de septembre 2014, et le récit du demandeur, qui ne fait état d’aucune menace entre 2015 et 2018. Elle juge non crédibles les explications du demandeur pour justifier l’absence de toute déclaration de menaces de mort pendant trois (3) ans et demi et conclut que le demandeur n’a pas satisfait le premier critère de l’arrêt Ryan. Lorsqu’elle utilise l’expression « profération constante », elle réfère au témoignage du demandeur. La Cour n’est pas persuadée, comme le soutiennent les demandeurs, que la SAR a importé un nouveau critère à la défense de contrainte. La SAR a plutôt bien identifié les paramètres du premier critère et elle a effectué une analyse détaillée de la preuve.

[20] Enfin, les demandeurs reprochent à la SAR sa conclusion que le demandeur aurait fait preuve d’aveuglement volontaire. Ils allèguent que cette conclusion est basée sur des hypothèses et que rien dans la preuve ne remet en doute les allégations du demandeur comme quoi il ignorait, avant l’été 2014, qu’il faisait affaire avec des membres du cartel.

[21] Au contraire, la conclusion de la SAR sur ce point est basée sur le récit écrit du demandeur et son témoignage. Elle souligne que même si le demandeur n’avait pas sollicité leur collaboration en 2010 lorsqu’il a été approché par les membres du cartel, il n’a pris aucune démarche pour se départir de cette affiliation et a même déclaré durant son témoignage avoir été satisfait des différents arrangements monétaires convenus entre 2010 et 2014. La SAR énonce également les faits sur lesquels elle s’appuie qui lui portent à croire que le demandeur a fait preuve d’aveuglement volontaire quant au caractère criminel des activités de ses présumés agresseurs avant l’été 2014. La Cour est d’avis que la SAR pouvait raisonnablement conclure qu’il y avait une certaine incohérence dans l’ignorance du demandeur. En l’espèce, elle pouvait s’appuyer sur la raison et le bon sens pour apprécier la crédibilité des affirmations du demandeur (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF) (QL) au para 2).

[22] De toute façon, même si la Cour était du même avis que le demandeur, cet élément ne serait pas déterminant puisque la SAR a bien précisé qu’il s’agissait d’une conclusion subsidiaire.

[23] Il importe de rappeler que les conclusions relatives à la crédibilité d’un demandeur d’asile et à l’évaluation de la preuve commandent un degré élevé de retenue de la part de cette Cour. Bien que les demandeurs ne soient pas d’accord avec les conclusions de la SAR, il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve de nouveau pour en arriver à une conclusion qui leur serait favorable (Vavilov au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 59, 61).

[24] Pour conclure, la Cour estime que lorsque les motifs de la SAR sont interprétés de manière globale et contextuelle, ils possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov aux para 97, 99). La Cour ne voit donc aucune raison d’intervenir en l’espèce.

[25] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-757-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-757-21

INTITULÉ :

JUDITH ARACELI DIAZ CASTILLO ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 OCTOBRE 2021

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 21 OCTOBRE 2021

COMPARUTIONS :

Sophie Demers

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Lynne Lazaroff

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats Semperlex, s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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