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Date : 20020528

Dossier : IMM-1146-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 28 MAI 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NADON

ENTRE :

                               MANJIT KAUR BAINES, KULVARAN SINGH BAINES

                                                    et MANJINDER SINGH BAINS

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                            « Marc Nadon »          

                                                                                                                                                                 Juge                   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20020528

Dossier : IMM-1146-01

Référence neutre : 2002 CFPI 603

ENTRE :

                               MANJIT KAUR BAINES, KULVARAN SINGH BAINES

                                                    et MANJINDER SINGH BAINS

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]                 Les demandeurs sollicitent l'annulation d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 5 février 2001, par laquelle la Commission avait jugé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]                 La demanderesse principale, Manjit Kaur Baines, née le 11 septembre 1963, et ses deux fils, Manjinder Singh Baines, né le 22 juillet 1983, et Kulvaran Singh Baines, né le 10 février 1987, tous des ressortissants indiens, ont fui leur pays pour le Canada et revendiqué le statut de réfugié en invoquant leur appartenance à deux groupes sociaux, les Sikhs du Punjab et leur famille. Ils affirment craindre d'être persécutés par la police.

[3]                 Le 5 février 2001, la Commission a rejeté leurs revendications au motif qu'elles n'étaient pas crédibles. La question tout entière qui m'est soumise, et d'ailleurs la seule question soulevée par les demandeurs, concerne la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n'étaient pas crédibles.

[4]                 Selon les demandeurs, la Commission a fait neuf erreurs lorsqu'elle a tiré sa conclusion. Je commence par la conclusion générale de la Commission, qui apparaît à la page 2 de ses motifs :

[...] ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention pour la raison qu'ils ne sont pas crédibles. Ils n'ont pas réussi à démontrer, à l'aide d'une preuve crédible, que la police a persécuté leur famille et qu'ils courraient le risque d'être persécutés s'ils devaient retourner en Inde.


[5]                 La première constatation faite par la Commission au soutien de sa conclusion était que la mère ne savait rien de Kashmir Singh et de sa famille, un prétendu voisin et un ami intime de son mari. Kashmir Singh a, semble-t-il, été tué en raison de son appartenance à un petit groupe politique factieux qui ne craignait pas de s'exprimer et auquel le mari de la demanderesse principale appartenait lui aussi. En raison de son rôle dans ce groupe politique et de son amitié avec Kashmir Singh, le mari de la demanderesse principale aurait été tabassé par la police jusqu'au jour où il s'enfuit du village. La version des demandeurs est que, après le départ de son mari, ils sont devenus la cible de persécutions policières.

[6]                 Dans leur mémoire, au paragraphe 8, les demandeurs exposent l'argument suivant :

[Traduction]

8.             Nous croyons qu'il est arbitraire, selon ce que prévoit l'alinéa 18.1(4)e) de la Loi sur la Cour fédérale, d'attaquer la crédibilité d'une femme panjabi parce qu'elle ne sait que peu de choses de l'un des amis de son mari, même si elle considérait son mari et l'ami de celui-ci comme des « amis très proches » , et même si l'ami en question ne vivait qu'à un kilomètre de chez elle.

[7]                 À mon avis, au vu des faits présentés, il n'était pas arbitraire pour la Commission de conclure à l'absence de crédibilité de la demanderesse principale. Aux pages 38, 39 et 40 de la transcription du 15 janvier 2001, on peut lire les questions et réponses suivantes :

[Traduction]

PAR L'AGENT D'AUDIENCE (il s'adresse à la revendicatrice)

Q.            Bon, je voudrais que vous me parliez de Kashmir Singh. Que savez-vous de M. Kashmir Singh?

R.            Kashmir Singh était un ami de mon mari.

Q.            Un ami intime?

R.            Très intime, oui.

Q.            Le connaissiez-vous personnellement?

R.            Oui.

Q.            D'accord. Vous avez dit qu'il venait souvent chez vous. Est-ce exact, madame?

R.            Oui.

Q.            Était-il marié?

R.            Oui.


Q.            Connaissez-vous le nom de sa femme?

R.            Non, je ne connais pas son nom, il était le seul à venir nous rendre visite.

Q.            Bon. Avait-il des enfants?

R.            Oui, il avait des enfants, c'est ce que disait mon mari, qu'il est marié, qu'il a des enfants, mais je n'ai pas cherché à en savoir davantage.

Q.            Savez-vous quelle position il occupait dans le parti politique de (inaudible), le parti de votre mari?

R.            Oui, il était membre du parti, et c'est par son entremise que mon mari est lui aussi devenu membre.

Q.            Savez-vous quelle était sa position?

R.            Il était une bonne personne, et il était reconnu.

Q.            Avait-il un poste particulier au sein du parti?

R.            Oui, les chefs se présentaient, il les escortait jusqu'au temple sikh et, une fois au temple, les chefs prêchaient.

Q.            Il était une escorte, il escortait les chefs?

R.            C'est ça.

[8]                 À mon avis, la Commission pouvait parfaitement conclure que la mère, la demanderesse principale, n'était pas crédible en raison de son incapacité à répondre à des questions essentielles concernant Kashmir Singh. Le bon sens et la raison font qu'elle aurait dû être en mesure de renseigner la Commission sur une personne qui était un ami intime de son mari et qui venait régulièrement chez eux.


[9]                 Selon la version des demandeurs, Kashmir Singh, un chef bien en vue d'un parti politique, qui avait introduit le mari de la mère dans le parti, vivait à un kilomètre de la maison familiale des demandeurs. Selon la preuve également, Kashmir Singh empruntait régulièrement à la famille des demandeurs, et partageait avec elle, des instruments aratoires, il était du même âge que le mari, et, finalement, il était marié et avait des enfants.

[10]            Or, selon le témoignage de la mère, elle ne connaissait pas le nom de l'épouse de Kashmir Singh, et elle ne savait rien de ses enfants. Comme il ressort clairement des questions et réponses ci-dessus, la mère n'a pu donner que des réponses très générales.

[11]            Je suis par conséquent d'avis que la conclusion de la Commission sur ce point n'est pas déraisonnable. À la page 2 de ses motifs, la Commission explique ainsi sa conclusion :

Le tribunal constate que le manque de connaissance de la revendicatrice concernant Kashmir Singh et sa famille vient en contradiction avec le prétendu lien d'amitié entre son conjoint et celui qui était censé vivre dans un village éloigné d'à peine un kilomètre. Étant donné que la revendicatrice a indiqué que la deuxième arrestation de son conjoint était liée au sort qui avait été réservé à Kashmir Singh, le tribunal conclut que l'incident du 31 mars 1997 n'a pas eu lieu. Nous sommes également d'avis que Kashmir Singh n'a pas recruté le conjoint et que la revendicatrice a produit la carte de membre datée de 1995 dans le but d'utiliser le nom de Kashmir Singh et qu'en réalité cette carte est fausse. Selon nous, la revendicatrice ne connaissait pas Kashmir Singh. Sa crédibilité en est diminuée.

[12]            Selon les demandeurs, des arrêts tels que Armson c. Canada (MEI) (1990), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (CAF) et Chan c. Canada (MEI), [1995] 3 R.C.S. 593, permettent d'affirmer que les tribunaux canadiens ne devraient pas exiger trop rigoureusement des revendicateurs du statut de réfugié qu'ils se plient aux règles ou manières de penser à l'occidentale. Il a souvent été avancé que, lorsqu'ils témoignent, les revendicateurs du statut de réfugié ont du mal avec les interprètes et s'adaptent difficilement à une culture complètement différente et à des normes et attentes différentes elles aussi.

[13]            Cependant, les problèmes que connaissent les revendicateurs avec les interprètes, ou leurs problèmes d'adaptation à d'autres cultures, ou de compréhension des autres cultures, n'ont rien à voir à mon avis avec la question de savoir si un revendicateur dit ou non la vérité à propos d'événements qui se sont déroulés dans son pays. Le fait de savoir peu de choses d'un ami très intime de la famille ou de tout autre élément d'information que le revendicateur concerné devrait savoir n'a rien à voir avec les différences culturelles. Quoi qu'il en soit, il ne suffit pas de soulever la question des « différences culturelles » . Il faut en apporter la preuve.

[14]            La Commission a constaté que la mère savait très peu de choses de Kashmir Singh et de sa famille, et cela, à mon avis, l'autorisait tout à fait à conclure que les demandeurs n'étaient pas crédibles. Je m'abstiendrai donc d'examiner tous les points soulevés par les demandeurs, mais je ferai quelques observations sur deux des autres aspects évoqués.

[15]            Les demandeurs ont affirmé que la mère et son fils aîné ont été tabassés et torturés dans un poste de police le 16 août 1999. Examinant cette partie de leur version, la Commission affirme, à la page 3 de ses motifs, ce qui suit :

4.             [...] Elle a pourtant dit qu'à peine six semaines auparavant, elle avait reçu un coup de bâton et qu'elle avait été battue avec une ceinture de cuir, qu'on lui avait cogné la tête contre une table, d'où la blessure à l'arcade sourcilière, et qu'on l'avait blessée au bras avec une bouteille brisée. Ces événements se sont produits avant le prétendu viol.

La revendicatrice aurait beau possédé des capacités de récupération excellentes, nous trouvons invraisemblable qu'elle ait pu avoir été victime, quelques semaines plus tôt seulement, des sévices qu'elle prétend avoir reçus et qu'elle puisse affirmer tout bonnement peu de temps après qu'elle n'avait pas de problèmes médicaux. Nous sommes confortés dans notre conclusion précédente : les événements du 16 août 1999 n'ont jamais eu lieu.


5.             Le docteur Pelletier (voir pièce P-8) a constaté que la revendicatrice porte une cicatrice au coude gauche et une autre à l'arcade, mais il ne dit rien concernant de prétendus cicatrices provenant de coups donnés avec un bâton ou une courroie. Étant donné le peu de crédibilité dont jouit la revendicatrice, le tribunal conclut que la pièce P-8 ne permet pas de corroborer ses allégations à propos de l'incident du 16 août 1999. Nous ne pouvons pas faire d'hypothèse sur l'origine des blessures observées chez la revendicatrice, mais nous ne croyons pas que l'explication fournie soit la bonne.

[16]            Les arguments des demandeurs à propos de cette conclusion apparaissent aux paragraphes 25 à 28 de leur mémoire :

[Traduction]

25.           Le tribunal trouve que le rapport médical, pièce P-8, « ne permet pas de corroborer les allégations de la revendicatrice à propos de l'incident du 16 août 1999 » ;

26.           Un rapport médical ne peut établir un lien de causalité. Il n'est pas raisonnable, et il est même erroné, de conclure que des cicatrices ne corroborent pas des allégations de torture, si insuffisant que puisse paraître le rapport médical;

27.           Le tribunal poursuit ainsi [note omise] :

« Nous ne pouvons pas faire d'hypothèse sur l'origine des blessures observées chez la revendicatrice, mais nous ne croyons pas que l'explication fournie soit la bonne. »

28.           Les demandeurs affirment que le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu qu'il ne pouvait pas faire d'hypothèse sur l'origine des blessures de la demanderesse, étant donné les faits relatés par elle, sa preuve médicale et psychologique et les documents sur la situation qui prévaut dans le pays, documents qui confirment que sa situation est loin d'être exceptionnelle. Nous croyons que cela atteste un viol et permet de croire qu'elle pourrait encore en être victime. Nous lisons ce qui suit dans l'affaire Re : Naredo et M.E.I., 130 DLR 4d, page 754, le juge Urie :

« D'habitude, pour répondre à ce genre de questions, la Commission doit tirer ses conclusions des faits établis en preuve. En tout état de cause, elle a le devoir de le faire. »


[17]            À mon avis, la Commission n'a commis aucune erreur de fait ou de droit lorsqu'elle a tiré sa conclusion. S'agissant de la preuve psychologique à laquelle les demandeurs se réfèrent au paragraphe 28 de leur mémoire, la conclusion de la Commission se trouve aux pages 4 et 5 de ses motifs :

8.             La revendicatrice a produit un rapport d'une psychologue (pièce P-10) qui décrit le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) dont elle souffrirait. Nous nous étonnons de trouver dans ce rapport une évaluation de la situation politique qui règne en Inde. À la page 4 du rapport, nous lisons que la revendicatrice (Traduction) « vivait dans le contexte d'oppression politique dont les Sikhs faisaient les frais en Inde. » La psychologue renvoie à des documents allant de 1990 à 1995 pour étayer son assertion. Il se trouve cependant que les problèmes de la famille de la revendicatrice ont commencé, selon elle, en septembre 1995. La pièce en liasse A-7 est faite d'articles d'origines diverses qui décrivent le retour à une situation calme et normale avant 1995. La pièce A-5, à la page 13, confirme la fin d'une situation anarchique et insurrectionnelle qui a duré jusqu'en 1991. Il semble bien que la psychologue est allée au-delà de ses compétences professionnelles en faisant l'évaluation de la situation politique d'un pays étranger pour asseoir ses conclusions. Une telle évaluation relève de la compétence de la section du statut de réfugié. En ce qui concerne le SSPT, la pièce A-8 montre qu'il y a plusieurs autres problèmes qui pourraient lui ressembler. La psychologue ne nous dit pas qu'elle a fait passer des tests à la revendicatrice dans le but d'écarter de son diagnostic d'autres explications tout aussi possibles. En l'absence d'une telle preuve et à cause du jugement politique déplacé qu'il contient, le tribunal ne reconnaît aucune valeur probante à ce rapport psychologique. ...

[18]            Je suis également d'avis que la Commission n'a commis aucune erreur sujette à révision lorsqu'elle a tiré cette conclusion. Il est bien établi en droit que, lorsqu'elle évalue la preuve soumise, y compris les rapports de nature médicale, la Commission est fondée à apprécier cette preuve et à tirer les conclusions nécessaires. La Commission a estimé qu'elle ne pouvait accorder aucun poids au rapport du docteur Pelletier (pièce P-8), ni au rapport du psychologue (pièce P-10). Les demandeurs ne m'ont pas convaincu que, en tirant cette conclusion, la Commission a commis une erreur.


[19]            En bref, je suis d'avis que le dossier renfermait des preuves suffisantes pour permettre à la Commission de dire que les demandeurs n'étaient pas crédibles. En conséquence, je n'ai pas été persuadé que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a rejeté les revendications du statut de réfugié présentées par les demandeurs.

[20]            Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

   

                                                                                        « Marc Nadon »          

                                                                                                             Juge                   

OTTAWA (Ontario)

le 28 mai 2002

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

No DU GREFFE :                                   IMM-1146-01

INTITULÉ :                                             MANJIT KAUR BAINES et autres

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

   

LIEU DE L'AUDIENCE :                     MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 31 JANVIER 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     MONSIEUR LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                          LE 28 MAI 2002

  

COMPARUTIONS :

M. JEAN-FRANÇOIS BERTRAND                                        POUR LES DEMANDEURS

  

M. MICHEL PÉPIN                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BERTRAND, DESLAURIERS                                                    POUR LES DEMANDEURS

MONTRÉAL (QUÉBEC)

  

M. MORRIS ROSENBERG                                                        POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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