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Date : 20211028


Dossier : DES‑1‑18

Référence : 2021 CF 1153

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 octobre 2021

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

HASSAN ALMREI

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Il s’agit d’une requête des amici curiae pour que la Cour statue sur un point de droit dans une demande conformément aux articles 3 et 4 et, par analogie, à l’article 220 des Règles des Cours fédérales, qui se rapporte au dépôt d’une telle requête dans une action.

[2] La requête vise à répondre à la question suivante :

[traduction]

Lorsque :

(i) une partie est légalement tenue de communiquer des informations dans le cadre d’une instance devant une cour de justice;

(ii) une revendication de privilège conformément à l’article 18.1 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C‑23 [Loi sur le SCRS] est présentée au sujet de ces informations;

(iii) une demande est présentée à un juge en vertu de l’alinéa l8.1(4)a) de la Loi sur le SCRS en vue d’obtenir une ordonnance déclarant que certaines informations susceptibles d’être tirées des informations privilégiées ou résumées à partir de celles‑ci (le « résumé ») ne sont pas des informations qui communiquent l’identité d’une source humaine ou qui permettraient de découvrir cette identité;

(iv) le juge décide que le résumé ne constitue pas des informations qui communiquent l’identité d’une source humaine ou qui permettraient de découvrir cette identité;

Le juge peut‑il ordonner la communication du résumé?

II. Le contexte

[3] Monsieur Almrei est le demandeur contre le gouvernement du Canada devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Il a déjà été l’objet d’instances en matière de certificat de sécurité devant notre Cour sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I‑27 et de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 (LIPR). Le premier certificat de sécurité, délivré en 2001, a été annulé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui, Re, [2007] 1 RCS 350. Un second certificat, délivré en 2008, a été jugé déraisonnable et annulé par notre Cour dans Almrei, Re, 2009 CF 1263 [Almrei (Re)].

[4] Dans l’action civile devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, engagée en 2010, M. Almrei sollicite des dommages‑intérêts et d’autres mesures de réparation à l’encontre du gouvernement du Canada pour atteintes aux droits que lui garantit la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 (la Charte) et pour délits civils connexes, comme une enquête négligente et un emprisonnement illégal par suite de la délivrance des certificats de sécurité et de sa détention pendant une période de près de huit ans.

[5] La procédure civile de communication préalable dans le cadre de l’action ontarienne a débuté en 2017. Des documents détenus par les nombreux ministères et organismes gouvernementaux possédant les informations ont été fournis de manière continue à M. Almrei et à son avocat par le défendeur sous forme expurgée, avec des passages visés par des allégations fondées sur la sécurité nationale omis ou noircis. Les transcriptions des audiences tenues à huis clos et ex parte au sujet du certificat de 2008 ont elles aussi fait l’objet d’examens et d’expurgations.

[6] Pour ce qui est des informations expurgées ou des autres preuves communiquées ou à communiquer à M. Almrei dans le cadre de l’instance ontarienne, notre Cour a été saisie de deux demandes parallèles : l’une en vertu de l’alinéa 38.04(2)c) de la Loi sur la preuve au Canada, LRC (1985), c C‑5 (LPC) dans le dossier DES‑3‑17, en vue de la communication d’informations que le procureur général du Canada cherche à protéger dans le cadre du processus de communication préalable, et la seconde dans le dossier DES‑1‑18 en vertu de l’alinéa 18.1(4)a) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC (1985), c C‑23 (Loi sur le SCRS) en vue de la communication d’informations faisant actuellement l’objet de revendications du privilège des sources humaines de la part du procureur général du Canada.

[7] La présente requête concerne la demande présentée par M. Almrei sous le régime de la Loi sur le SCRS. Dans l’avis de demande qu’il a déposé en vertu du paragraphe 18.1(4), M. Almrei a demandé réparation sous la forme de résumés d’informations pouvant être tirées des informations à l’égard desquelles a été revendiqué le privilège fondé sur l’article 18.1. Il ne cherche pas à obtenir des informations qui identifieraient une source humaine ou qui permettraient de découvrir son identité.

[8] Par la voie d’ordonnances datées du 25 mai 2017, du 14 juin 2018 et du 19 février 2020, Monsieur Gordon Cameron et Mme Shantona Chaudhury ont été nommés amici curiae à l’égard des deux demandes. La présente requête visant à statuer sur un point de droit a été introduite par un avis que les amici ont déposé le 9 octobre 2020 dans le but de clarifier la procédure à suivre pendant l’examen des informations assujetties aux revendications du privilège fondé sur l’article 18.1.

[9] À la suite de conférences de gestion d’instance, un calendrier a été établi pour le dépôt des dossiers de requête et des observations écrites des parties. Étant donné que l’objet de la requête avait trait à un point de droit non protégé, une audience publique a eu lieu le 27 avril 2021, par voie de vidéoconférence, et les avocats des parties ont fait part de leurs observations de vive voix. Des observations de vive voix ont aussi été fournies par les amici lors d’une audience à huis clos, observations auxquelles le procureur général du Canada a répondu lors de la même audience. Le public a été exclu de celle‑ci car il a été fait référence à un document protégé pour illustrer la question que posaient les amici.

III. La question en litige

[10] La question en litige peut être décrite de façon succincte comme suit :

A. L’article 18.1 de la Loi sur le SCRS autorise‑t‑il à produire des résumés?

IV. Les dispositions applicables

[11] Les dispositions suivantes de la Loi sur le SCRS et des Règles des Cours fédérales sont pertinentes en l’espèce.

Loi sur le SCRC

CSIS Act

Définitions

Definitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 In this Act,

source humaine Personne physique qui a reçu une promesse d’anonymat et qui, par la suite, a fourni, fournit ou pourrait vraisemblablement fournir des informations au Service.

human source means an individual who, after having received a promise of confidentiality, has provided, provides or is likely to provide information to the Service;

Objet de l’article — sources humaines

Purpose of section — human sources

18.1 (1) Le présent article vise à préserver l’anonymat des sources humaines afin de protéger leur vie et leur sécurité et d’encourager les personnes physiques à fournir des informations au Service.

18.1 (1) The purpose of this section is to ensure that the identity of human sources is kept confidential in order to protect their life and security and to encourage individuals to provide information to the Service.

Interdiction de communication

Prohibition on disclosure

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (8), dans une instance devant un tribunal, un organisme ou une personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production d’informations, nul ne peut communiquer l’identité d’une source humaine ou toute information qui permettrait de découvrir cette identité.

(2) Subject to subsections (3) and (8), no person shall, in a proceeding before a court, person or body with jurisdiction to compel the production of information, disclose the identity of a human source or any information from which the identity of a human source could be inferred.

Exception — consentement

Exception — consent

(3) L’identité d’une source humaine ou une information qui permettrait de découvrir cette identité peut être communiquée dans une instance visée au paragraphe (2) si la source humaine et le directeur y consentent.

(3) The identity of a human source or information from which the identity of a human source could be inferred may be disclosed in a proceeding referred to in subsection (2) if the human source and the Director consent to the disclosure of that information.

Demande à un juge

Application to judge

(4) La partie à une instance visée au paragraphe (2), l’amicus curiae nommé dans cette instance ou l’avocat spécial nommé sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés peut demander à un juge de déclarer, par ordonnance, si une telle déclaration est pertinente dans l’instance :

(4) A party to a proceeding referred to in subsection (2), an amicus curiae who is appointed in respect of the proceeding or a person who is appointed to act as a special advocate if the proceeding is under the Immigration and Refugee Protection Act may apply to a judge for one of the following orders if it is relevant to the proceeding:

a) qu’une personne physique n’est pas une source humaine ou qu’une information ne permettrait pas de découvrir l’identité d’une source humaine;

(a) an order declaring that an individual is not a human source or that information is not information from which the identity of a human source could be inferred; or

b) dans le cas où l’instance est une poursuite pour infraction, que la communication de l’identité d’une source humaine ou d’une information qui permettrait de découvrir cette identité est essentielle pour établir l’innocence de l’accusé et que cette communication peut être faite dans la poursuite.

(b) if the proceeding is a prosecution of an offence, an order declaring that the disclosure of the identity of a human source or information from which the identity of a human source could be inferred is essential to establish the accused’s innocence and that it may be disclosed in the proceeding.

Contenu et signification de la demande

Contents and service of application

(5) La demande et l’affidavit du demandeur portant sur les faits sur lesquels il fonde celle‑ci sont déposés au greffe de la Cour fédérale. Sans délai après le dépôt, le demandeur signifie copie de la demande et de l’affidavit au procureur général du Canada

(5) The application and the applicant’s affidavit deposing to the facts relied on in support of the application shall be filed in the Registry of the Federal Court. The applicant shall, without delay after the application and affidavit are filed, serve a copy of them on the Attorney General of Canada.

Procureur général du Canada

Attorney General of Canada

(6) Le procureur général du Canada est réputé être partie à la demande dès que celle‑ci lui est signifiée.

(6) Once served, the Attorney General of Canada is deemed to be a party to the application.

Audition

Hearing

(7) La demande est entendue à huis clos et en l’absence du demandeur et de son avocat, sauf si le juge en ordonne autrement.

(7) The hearing of the application shall be held in private and in the absence of the applicant and their counsel, unless the judge orders otherwise.

Ordonnance de communication pour établir l’innocence

Order — disclosure to establish innocence

(8) Si le juge accueille la demande présentée au titre de l’alinéa (4)b), il peut ordonner la communication qu’il estime indiquée sous réserve des conditions qu’il précise.

(8) If the judge grants an application made under paragraph (4)(b), the judge may order the disclosure that the judge considers appropriate subject to any conditions that the judge specifies.

Prise d’effet de l’ordonnance

Effective date of order

(9) Si la demande présentée au titre du paragraphe (4) est accueillie, l’ordonnance prend effet après l’expiration du délai prévu pour en appeler ou, en cas d’appel, après sa confirmation et l’épuisement des recours en appel.

(9) If the judge grants an application made under subsection (4), any order made by the judge does not take effect until the time provided to appeal the order has expired or, if the order is appealed and is confirmed, until either the time provided to appeal the judgement confirming the order has expired or all rights of appeal have been exhausted.

Confidentialité

Confidentiality

(10) Il incombe au juge de garantir la confidentialité :

(10) The judge shall ensure the confidentiality of the following:

a) d’une part, de l’identité de toute source humaine ainsi que de toute information qui permettrait de découvrir cette identité;

(a) the identity of any human source and any information from which the identity of a human source could be inferred; and

b) d’autre part, des informations et autres éléments de preuve qui lui sont fournis dans le cadre de la demande et dont la communication porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui

(b) information and other evidence provided in respect of the application if, in the judge’s opinion, its disclosure would be injurious to national security or endanger the safety of any person.

Confidentialité en appel

Confidentiality on appeal

(11) En cas d’appel, le paragraphe (10) s’applique, avec les adaptations nécessaires, aux tribunaux d’appel.

(11) In the case of an appeal, subsection (10) applies, with any necessary modifications, to the court to which the appeal is taken.

Autorisation de communication

Authorized disclosure of information

19 (1) Les informations qu’acquiert le Service dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ne peuvent être communiquées qu’en conformité avec le présent article.

19 (1) Information obtained in the performance of the duties and functions of the Service under this Act shall not be disclosed by the Service except in accordance with this section.

(2) Le Service peut, en vue de l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ou pour l’exécution ou le contrôle d’application de celle‑ci, ou en conformité avec les exigences d’une autre règle de droit, communiquer les informations visées au paragraphe (1). Il peut aussi les communiquer aux autorités ou personnes suivantes

(2) The Service may disclose information referred to in subsection (1) for the purposes of the performance of its duties and functions under this Act or the administration or enforcement of this Act or as required by any other law and may also disclose such information,

Règles des Cours fédérales

Federal Court Rules

Principe général

General principle

3 Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

3 These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits.

Cas non prévus

Matters not provided for

4 En cas de silence des présentes règles ou des lois fédérales, la Cour peut, sur requête, déterminer la procédure applicable par analogie avec les présentes règles ou par renvoi à la pratique de la cour supérieure de la province qui est la plus pertinente en l’espèce

4 On motion, the Court may provide for any procedural matter not provided for in these Rules or in an Act of Parliament by analogy to these Rules or by reference to the practice of the superior court of the province to which the subject‑matter of the proceeding most closely relates.

Décision préliminaire sur un point de droit ou d’admissibilité

Preliminary determination of question of law or admissibility

220 (1) Une partie peut, par voie de requête présentée avant l’instruction, demander à la Cour de statuer sur :

220 (1) A party may bring a motion before trial to request that the Court determine

a) tout point de droit qui peut être pertinent dans l’action;

(a) a question of law that may be relevant to an action;

b) tout point concernant l’admissibilité d’un document, d’une pièce ou de tout autre élément de preuve;

(b) a question as to the admissibility of any document, exhibit or other evidence; or

c) les points litigieux que les parties ont exposés dans un mémoire spécial avant l’instruction de l’action ou en remplacement de celle‑ci.

(c) questions stated by the parties in the form of a special case before, or in lieu of, the trial of the action.

Contenu de la décision

Contents of determination

(2) Si la Cour ordonne qu’il soit statué sur l’un des points visés au paragraphe (1), elle :

(2) Where, on a motion under subsection (1), the Court orders that a question be determined, it shall

a) donne des directives sur ce qui doit constituer le dossier à partir duquel le point sera débattu;

(a) give directions as to the case on which the question shall be argued;

b) fixe les délais de dépôt et de signification du dossier de requête;

(b) fix time limits for the filing and service of motion records by the parties; and

c) fixe les date, heure et lieu du débat.

(c) fix a time and place for argument of the question.

Décision définitive

Determination final

(3) La décision prise au sujet d’un point visé au paragraphe (1) est définitive aux fins de l’action, sous réserve de toute modification résultant d’un appel.

(3) A determination of a question referred to in subsection (1) is final and conclusive for the purposes of the action, subject to being varied on appeal.

V. Analyse

[12] La présente requête s’inscrit dans le contexte des préparatifs entourant le règlement de la demande sous‑jacente présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS (les audiences relatives à l’article 18.1) avant la demande connexe présentée en vertu de l’article 38 de la LPC (les audiences relatives à l’article 38). Dans une décision rendue le 12 janvier 2021, la Cour a rejeté une requête du demandeur pour que la totalité des revendications du privilège de la sécurité nationale soient réglées au cours d’une même audience, et elle a donné pour instruction, comme le demandait le procureur général, que les audiences relatives au dossier DES‑1‑18 (les audiences relatives à l’article 18.1) commenceraient en premier et seraient suivies de celles concernant le dossier DES‑3‑17 : Almrei c Canada (Procureur général) 2021 CF 46 (les audiences relatives à l’article 38).

[13] En s’acquittant de son obligation de communication dans le cadre de l’action civile ontarienne, le procureur général a divulgué l’existence d’un certain nombre de documents qui sont pertinents quant aux questions en litige dans cette affaire. Le processus de divulgation se poursuit car d’autres documents en la possession de ministères et d’organismes gouvernementaux ont été jugés pertinents. Le procureur général a revendiqué le privilège fondé sur l’article 18.1 à l’égard d’informations qui figurent dans ces documents et il les a expurgés dans les documents qu’il a remis jusqu’ici au demandeur. Il a également fait savoir que si l’une quelconque de ces revendications de privilège n’était pas établie en l’espèce, une revendication fondée sur l’article 38 de la LPC pouvait être invoquée à l’égard des mêmes informations. Autrement dit, les informations en question peuvent être assujetties à des revendications de privilège sous le régime des deux lois, et ce, pour des raisons différentes : protéger l’identité d’une source humaine ou, si cette revendication échoue, au motif que la divulgation serait susceptible de porter atteinte aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. Et les dispositions qui permettent de traiter des revendications faites en vertu des deux lois sont nettement différentes.

[14] La LPC renferme un code de procédure à appliquer dans le cas de la divulgation d’informations sensibles ou potentiellement préjudiciables dans le cadre d’une instance tenue devant un tribunal judiciaire ou administratif, et ce code comporte des règles qui régissent la communication d’informations se présentant sous des formes diverses. Le paragraphe 38.06(2) de la LPC autorise expressément le juge qui est saisi d’une demande présentée en vertu de l’article 38.04 de cette loi à autoriser la divulgation, sous réserve des conditions appropriées, de tout ou partie des informations (appelés « renseignements » dans cette loi), ou d’un résumé de celles‑ci, que le procureur général souhaite protéger. Il n’existe aucune disposition semblable à l’article 18.1 dans la Loi sur le SCRS.

[15] En pratique, le « résumé » des informations divulguées se présente souvent sous la forme d’une description qui informe le lecteur de la nature générale de ce qui a été expurgé, sans fournir de détails sensibles. Je suis d’avis que les amici incluent cette description dans la mention qu’ils font, dans leur requête, d’informations [traduction] « susceptibles d’être tirées des informations privilégiées ou résumées à partir de celles‑ci ».

[16] Les avocats du procureur général et les amici s’occupent depuis un certain temps de passer en revue les informations assujetties à des revendications de privilège en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS et de l’article 38 de la LPC, l’objectif étant de déterminer s’il n’est peut‑être pas nécessaire de trancher l’une quelconque des revendications, sous réserve de l’accord de la Cour. Dans les demandes qui comportent de très nombreux documents et de multiples revendications de privilège, il s’agit là d’une pratique courante.

[17] Dans le cas des demandes fondées sur l’article 38 de la LPC, des examens semblables ont permis de réduire le temps que requièrent les auditions de la preuve et le règlement, par la Cour, de questions litigieuses. Cette façon de procéder favorise l’économie des ressources judiciaires lors de l’exécution de telles instances. Dans bien des cas, le risque de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales par suite d’une divulgation des informations est clair et, aussi, il l’emporte manifestement sur les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation. Dans d’autres affaires, les avocats du procureur général et les amici ont souvent été en mesure de s’entendre sur les informations qui pouvaient être divulguées sous une forme sommaire ou descriptive sans craindre de porter préjudice aux raisons d’intérêt protégées. Cette mesure facilite l’examen que fait la Cour, encore qu’il faille que celle‑ci soit néanmoins convaincue que la proposition conjointe est appropriée. Il incombe toujours à la Cour de décider si les raisons d’intérêt public justifiant la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public justifiant la protection des informations, ce qui représente la troisième étape du critère énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ribic, 2003 CAF 246. En fin de compte, les résumés peuvent servir l’intérêt de l’économie des ressources judiciaires tout en répondant aux obligations du gouvernement en matière de divulgation et en protégeant des informations véritablement sensibles ou préjudiciables.

[18] Le privilège relatif aux sources humaines, tel qu’énoncé à l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS, a pour objet de garantir que l’identité d’une source humaine demeure confidentielle, de façon à protéger sa vie et sa sécurité et d’encourager les personnes physiques à fournir des informations au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS, ou le Service). Cette disposition interdit de divulguer l’identité d’une source humaine ou toute information permettant de la découvrir.

[19] L’interdiction que prévoit l’article 18.1, relativement à la communication de l’identité d’une source humaine, est absolue à première vue, mais elle dépend de la conclusion selon laquelle la personne identifiée par les informations en question tombe sous le coup de la définition d’une « source humaine » qui est donnée à l’article 2 de la Loi sur le SCRS. Cela oblige la Cour à conclure que la personne a fourni des informations au Service après avoir reçu une promesse de confidentialité. Il peut y avoir des observations contradictoires quant à la qualité de la preuve requise pour établir ces faits, mais en présumant que la Cour souscrit à la position du procureur général selon laquelle on a satisfait à la définition, il ressort clairement d’une simple lecture de la loi que la Cour ne peut pas autoriser la communication d’un résumé qui identifierait une source humaine.

[20] Ce qui est plus problématique est la situation dans laquelle la Cour examine si une information expurgée qui, est‑il allégué, constitue une information dite identificatrice « permettrait de découvrir » l’identité d’une source humaine. Pendant l’examen des informations en question, la Cour s’attend à ce que les avocats du procureur général et les amici discutent de la question de savoir si, à la simple lecture du document, le fondement d’une telle inférence est établi ou non. En cas de contestation, la Cour s’attend à ce que le procureur général cite des témoins qui, dans une audience à huis clos, expliqueront pourquoi elle devrait admettre que les informations permettraient de découvrir l’identité d’une source humaine, et le procureur général et les amici fourniront des observations pour qu’une décision soit rendue sur la question. Si la Cour accepte l’allégation, les informations ne seront pas communiquées, ce qui pourrait compromettre la capacité du demandeur d’obtenir réparation auprès de la Cour supérieure. Cependant, il ne s’agit pas là d’un facteur qu’il faut prendre en considération pour faire appliquer le privilège.

[21] Comme notre Cour l’a signalé, les revendications de privilège fondées sur la sécurité nationale qu’invoque le procureur général pour le compte du Service peuvent être exagérées : Canada (Procureur général) c Almalki, 2010 CF 1106, [2012] 2 RCF 508 au para 108; Khadr c Canada (Procureur général), 2008 CF 549, 329 FTR 80 aux para 73‑77 et 98. La Cour suprême du Canada a prévenu que, dans le contexte du régime des certificats de sécurité, le juge désigné doit faire preuve de vigilance : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Harkat, 2014 CSC 37 aux para 63‑64.

[22] Dans le cadre de la présente requête, le demandeur et les amici ne contestent pas de façon générale les expurgations d’informations identificatrices que le procureur général a faites. Ils font plutôt valoir qu’il existe des cas dans lesquels il y aura des informations susceptibles d’être tirées d’informations identificatrices ou résumées à partir de celles‑ci qui n’identifieront pas la source humaine ou ne permettront pas de découvrir son identité. Cela concorde, soutiennent‑ils, avec l’objet de la disposition. Cela n’implique pas non plus une mise en balance des raisons d’intérêt public ou d’autres aspects qui pourraient l’emporter sur le privilège fondé sur l’article 18.1, comme dans le cas des revendications de privilège fondées sur l’article 38 de la LPC.

[23] L’alinéa 18.1(4)a) de la Loi sur le SCRS prévoit qu’une partie à l’instance, l’amicus curiae nommé dans cette instance ou l’avocat spécial nommé sous le régime de la LIPR peut demander à un juge de déclarer, par ordonnance, qu’une personne physique n’est pas une source humaine ou qu’une information ne permettrait pas de découvrir l’identité d’une source humaine. Cette disposition ne traite pas expressément du fait de savoir si une partie, un amicus ou un avocat spécial peut solliciter une ordonnance en vue d’obtenir un résumé d’informations qui n’identifie pas la source humaine ou qui ne permettrait pas de découvrir son identité.

[24] Aux dires du demandeur et des amici, il ressort clairement du sens ordinaire et d’une interprétation téléologique de l’article 18.1 qu’il n’est pas interdit à un tribunal de communiquer des informations sommaires non identificatrices. Cette interprétation, soutiennent‑ils, limiterait l’atteinte aux intérêts de la justice dans le litige sous‑jacent dans la mesure nécessaire pour protéger entièrement le privilège relatif aux sources humaines. L’alinéa 18.1(4)a) limite l’obligation de communication d’une partie uniquement dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour préserver le privilège. Dans le litige sous‑jacent, le demandeur a par ailleurs droit à la production des informations. La communication d’un résumé, allèguent‑ils, réaliserait l’objet de la Loi en protégeant l’identité de la source tout en procurant au demandeur le maximum d’informations qu’il est, de par la loi, en droit de recevoir par voie de divulgation dans le cadre de son action contre le gouvernement.

[25] Le demandeur et les amici reconnaissent l’importance de protéger l’identité des sources humaines du SCRS. Cependant, ils soutiennent que le fait de reconnaître l’importance du régime législatif ne veut pas dire qu’un résumé que la Cour pourrait autoriser inclurait des informations qui identifieraient une source humaine ou qui permettraient de l’identifier.

[26] Pour déterminer le caractère raisonnable du second certificat de sécurité, notre Cour a fait, dans ses motifs, des commentaires sur le manque de crédibilité des informations de source humaine sur lesquelles se fondait le gouvernement pour justifier le certificat et la détention prolongée du demandeur : Almrei (Re), aux para 162‑164. Ces questions sont d’une grande pertinence pour l’action sous‑jacente. Le demandeur fait valoir que la production de preuves liées au défaut du SCRS d’évaluer qu’il avait en sa possession des preuves objectives qui contredisaient ce que ses sources humaines lui avaient dit revêt une importance cruciale pour ce qui est de sa capacité de demander réparation pour la prétendue atteinte aux droits que lui garantit la Charte et pour les actes délictuels qui auraient été commis contre lui. Le gouvernement, soutient‑il, ne devrait pas pouvoir recourir aux dispositions de l’article 18.1 pour se soustraire à toute responsabilité dans le cadre de l’action civile. La loi doit être interprétée d’une manière qui concorde avec le principe de la primauté du droit et les obligations du gouvernement en matière de production.

[27] Se fiant à l’expérience qu’elle a acquise dans d’autres instances, la Cour s’inquiète du fait que le défendeur cherchera à protéger de larges pans d’informations en se fondant sur ses allégations selon lesquelles toute communication tendrait à identifier des sources humaines si un observateur éclairé la lisait. Cela pourrait inclure des rapports émanant, par exemple, de sources considérées plus tôt comme non crédibles parce que leurs informations contredisaient des preuves objectives recueillies par le SCRS, comme des observations faites par des unités des services de filature du Service. D’après la manière dont le défendeur interprète le régime législatif en l’espèce, la Cour ne pourrait pas autoriser la communication d’un résumé de ces faits une fois qu’il a été établi que la source avait fourni les fausses informations après que le Service lui avait promis l’anonymat et que cette personne répondait donc à la définition légale d’une source humaine.

[28] L’interprétation selon laquelle le régime législatif autorise la production de résumés étaye donc la position qu’a adoptée le procureur général du Canada dans une instance tenue devant le juge Noël, en répondant à un argument selon lequel l’article 18.1 était inconstitutionnellement rigide :

Au sujet des étapes suivant la décision relative à la validité de la réclamation du privilège, les avocats du gouvernement avancent que le régime de l’article 18.1 n’empêche pas les solutions de rechange à la communication d’information sur l’identité de la source humaine du SCRS ou d’informations qui permettraient de découvrir cette identité. À titre d’exemple, le régime n’interdit pas la production de résumés des informations qui n’établissent pas l’identité de la source. En outre, même s’il prend connaissance des informations relatives à la source humaine du SCRS, le juge désigné peut décider de ne leur accorder aucun crédit et peut, entre autres, refuser de décerner un mandat ou de conclure au caractère raisonnable d’un certificat. L’interprétation téléologique du régime de l’article 18.1 permet aux juges désignés qui sont chargés de dossiers relatifs à la sécurité nationale de traiter sans entraves de nombreuses questions juridiques tout en respectant l’objectif énoncé de la disposition, c’est‑à‑dire établir une mesure de protection relative à la communication d’informations sensibles sur l’identité de sources humaines du SCRS ou d’informations qui permettraient de découvrir cette identité. Les avocats du gouvernement sont conscients que l’adoption d’une telle interprétation aura une incidence sur d’autres dossiers.

[Non souligné dans l’original.]

X (Re), 2017 CF 136, au para 18.

[29] Dans la présente instance, le procureur général du Canada souhaite établir une distinction avec la position qu’il a adoptée dans l’affaire soumise au juge Noël dans X (Re) car cette dernière s’articulait autour de la question de savoir si les informations identifiant la source pouvaient même être communiquées au juge désigné qui présidait l’affaire. Les avocats de la partie adverse avaient fait valoir que l’article 18.1 était « boiteux » du point de vue constitutionnel, selon une interprétation littérale stricte de la loi. Le procureur général préconisait une interprétation souple de la disposition de façon à éviter cette conclusion. Le juge Noël a souscrit à cette démarche et a parlé de plusieurs situations dans lesquelles il pourrait être nécessaire qu’un juge désigné analyse en profondeur les faits se rapportant à une source humaine du SCRS de manière à pouvoir exercer ses fonctions judiciaires. Il a conclu, au paragraphe 49 :

[…] Le législateur n’avait pas l’intention de restreindre les moyens dont disposent les juges désignés pour s’acquitter adéquatement de leurs fonctions, c’est‑à‑dire assurer l’équité et la bonne administration de la justice, en limitant leur pouvoir de remettre en question le caractère approprié des informations communiquées pendant une instance ex parte et à huis clos et de prendre les mesures qui s’imposent.

[30] Dans le cas présent, le procureur général soutient que la protection que confère l’article 18.1 est absolue, à une seule exception près : si la communication des informations est essentielle pour établir l’innocence d’un accusé dans une instance criminelle : al 18.1(4)b) de la Loi sur le SCRS. Il s’agit là d’une exception très étroite et, dans les affaires de nature criminelle, il a été conclu qu’elle ne s’applique que dans les cas où des questions fondamentales concernant la culpabilité de l’accusé sont en cause et qu’il y a un risque réel que l’on prononce une déclaration de culpabilité injustifiée : R c Brassington, 2018 CSC 37 au para 36. La Loi ne prévoit pas que le tribunal peut exercer un pouvoir discrétionnaire quelconque dans les cas où l’instance sous‑jacente est de nature civile. Ce n’est qu’avec le consentement de la source humaine concernée et du directeur du SCRS que le privilège peut être levé : para 18.1(8) de la Loi sur le SCRS.

[31] Si on applique la méthode moderne d’interprétation législative, les termes d’une loi doivent être lus dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur : 1704604 Ontario Ltd. c Pointes Protection Association, 2020 CSC 22 au para 6; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27 au para 21.

[32] Le contexte dans lequel a été adopté l’article 18.1, rappelle le procureur général à la Cour, était la décision de la Cour suprême du Canada selon laquelle le privilège de common law relatif aux indicateurs ne s’appliquait pas aux sources humaines du SCRS : Harkat, précité, aux para 85‑87. La réponse du gouvernement à cette décision a été l’introduction, quelques mois plus tard, du projet de loi C‑44, la Loi protégeant le Canada contre les terroristes. Ce dernier est entré en vigueur le 23 avril 2015, créant ainsi l’article 18.1.

[33] Le procureur général fait valoir que la position qu’avancent le demandeur et les amici minerait la protection qu’accorde l’article 18.1. Répondre par l’affirmative au point de droit que soulève la présente requête irait au‑delà de ce que la loi autorise, soutient le défendeur.

[34] Une bonne part de l’argument qu’invoque le procureur général souligne l’importance d’un privilège générique, comme celui que contient l’article 18.1, et il est fondé sur la jurisprudence concernant le privilège des indicateurs, comme il est décrit dans le passage suivant :

[...] Dans le cas d’un privilège générique, l’important n’est pas tant le contenu de la communication que la protection du genre de relation. En principe, une fois que la relation nécessaire est établie entre la partie qui se confie et celle à qui elle se confie, les renseignements ainsi confiés sont présumés confidentiels par application du privilège, sans égard aux circonstances. Le privilège générique déroge nécessairement à la recherche judiciaire de la vérité et ne dépend pas des faits de l’espèce. Suivant la jurisprudence, sans cette confidentialité générale, il serait impossible de donner au client de l’avocat ou à l’indicateur de police la garantie nécessaire pour qu’il puisse faire ce que l’administration de la justice exige de lui.

[Non souligné dans l’original.]

R. c National Post, 2010 CSC 16 au para 42

[35] Parmi les motifs cités par le procureur général à l’appui de l’importance du privilège générique que comporte l’article 18.1 il y a le fait que les sources humaines du SCRS ont besoin de la protection complète qu’assure la loi afin de protéger leur sécurité et d’encourager d’autres sources à fournir des informations au Service. Cela, le demandeur ou les amici ne le contestent pas.

[36] Le défendeur soutient que des résumés poseraient aux sources humaines du SCRS un sérieux risque de préjudice ou de mort. Le procureur général fait valoir que l’on peut mettre en péril la vie ou la sécurité de ces sources, tant en faisant référence à la nature des informations qu’elles ont fournies qu’en publiant leurs noms. Il soutient que la confiance que pourraient avoir les juges à l’égard de l’exclusion d’informations susceptibles de dévoiler l’identité d’un informateur pourrait être mal fondée, voire dangereuse.

[37] Le procureur général est d’avis que l’on ne peut communiquer des résumés d’informations d’indicateurs privilégiées dans le contexte d’une instance criminelle qu’en appliquant l’exception relative à la démonstration de l’innocence, semblable à celle qui figure à l’alinéa 18.1(4)b).

[38] Si une demande présentée en vertu de l’alinéa 18.1(4)b) est accordée en vertu de l’exception relative à la démonstration de l’innocence, le juge peut ordonner la communication qu’il estime appropriée, sous réserve des conditions qu’il précise (para 18.1(8)). C’est là un énoncé clair de l’intention du législateur de préserver le rôle du tribunal qui consiste à tirer des conclusions de fait par rapport aux informations en question et de contrôler la manière dont ces informations peuvent être communiquées, même si elles sont susceptibles d’identifier la source.

[39] Comme le soulignent les amici, des résumés d’informations protégées par le privilège de l’indicateur sont fournis dans le cours normal d’une instance criminelle où l’exception ne s’applique pas, de manière à s’acquitter des obligations du ministère public. R c Crevier, 2015 ONCA 619 aux para 23, 24, 48‑51. Et ce, tout en respectant l’exigence absolue de ne pas identifier la source.

[40] Les tribunaux criminels ébauchent avec soin les résumés judiciaires d’informations protégées par le privilège de l’indicateur sans nuire au privilège. Comme il a été signalé dans R. c Shivrattan 2017 ONCA 23, au paragraphe 68, la participation du ministère public à ce processus, avec l’aide de la police, garantit que rien n’est divulgué dans les résumés qui pourrait mener par inadvertance à l’identification de l’indicateur. Dans le même ordre d’idées, les avocats du procureur général du Canada, avec l’aide de membres chevronnés du Service, pourraient travailler avec les amici pour ébaucher avec soin des résumés non identificateurs à soumettre à l’examen de la Cour. Cela a été fait à de nombreuses reprises dans le cadre d’instances engagées en vertu de l’article 38 de la LPC.

[41] Il a été conclu que le privilège de l’indicateur de police est absolu dans les instances de nature civile, où l’exemption de l’innocence ou les obligations du ministère public en matière de communication ne s’appliquent pas : Iser v Canada (Attorney General), 2017 BCCA 393. Habituellement, comme le privilège appartient à la fois au ministère public et à l’indicateur, il faut le consentement des deux pour pouvoir le lever : Personne désignée c Vancouver Sun, 2007 CSC 43 aux para 24‑25.

[42] L’obligation du double consentement est intégrée au privilège fondé sur le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur le SCRS. Cependant, indépendamment de cette disposition, le directeur du Service conserve, aux termes de l’article 19 de la Loi sur le SCRS, le vaste pouvoir discrétionnaire de communiquer des informations obtenues dans le cadre de l’exercice des fonctions du Service sous le régime de la Loi sur le SCRS pour, entre autres fins, telles que l’exécution de la loi, la défense nationale et les relations internationales, « l’exécution des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la [Loi sur le SCRS] ». Il n’est pas contesté que cela inclurait la communication de l’identité d’une source humaine ou d’informations susceptibles de l’identifier sans son consentement.

[43] Par ailleurs, le paragraphe 18.1(2) n’est pas absolu en ce sens qu’il se limite seulement aux instances où l’on demande la communication devant « un tribunal, un organisme ou une personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production d’informations ». C’est donc dire que l’interdiction ne s’étend pas aux communications que fait le Service à d’autres fins.

[44] Bien que l’article 18.1 semble à première vue imposer une interdiction absolue à n’importe quelle communication dans le cadre d’une instance tenue devant un tribunal judiciaire ou administratif, sous réserve de l’exception de l’innocence de l’accusé dans les affaires de nature criminelle, cette disposition doit être lue dans le contexte de la Loi dans son ensemble. Comme il a été signalé, il n’existe aucune interdiction absolue à la communication en dehors du contexte d’une communication préalable, d’une production ou d’un témoignage faits dans le contexte d’une instance tenue devant un tribunal judiciaire ou administratif, et l’article 19 autorise le directeur à communiquer l’identité d’une source humaine à des partenaires étrangers et nationaux du Service pour des raisons opérationnelles. De telles communications pourraient compromettre la sécurité des sources. Des efforts peuvent être faits pour protéger les sources, et, en fait, il pourrait s’agir là de l’objet de la communication si ces sources risquent d’être exposées par un organisme étranger. Et le Service peut faire des mises en garde au sujet de l’utilisation des informations. Cependant, une fois qu’elles sont partagées, les informations échappent au contrôle direct du Service.

[45] Le procureur général est d’avis qu’il faudrait également tenir compte du silence du législateur à l’article 18.1 au sujet de la communication de résumés. D’autres régimes législatifs prévoient expressément la communication de résumés dans des instances qui mettent en cause des questions liées à la sécurité nationale : LPC, art 38; LIPR, al 83(1)e), Loi sur la prévention des voyages terroristes, LC 2015, c 36, art 42, al 4(4)c) et al 6(2)c), et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, LC 2015, c 20, art 11, al 16(6)c).

[46] À titre de contexte, la communication de résumés en vertu de l’article 38 de la LPC requiert quelques mesures : premièrement, elle exige une décision préliminaire quant à la pertinence des informations pour l’instance sous‑jacente. Deuxièmement, il faut avoir conclu que les informations sont susceptibles de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales si elles sont communiquées. Le juge qui préside l’affaire peut ensuite examiner si l’intérêt public à l’égard de la communication l’emporte sur celui de la non‑communication. Le tribunal peut ordonner, sous réserve de certaines conditions, que les informations soient divulguées en tout ou en partie ou sous la forme d’un résumé de celles‑ci ou d’un aveu écrit des faits qui y sont liés.

[47] Chacun des autres régimes législatifs cités prévoit la communication de résumés ne contenant pas d’informations sensibles. Ces régimes prévoient tous soit des demandes de contrôle judiciaire, soit des appels devant la Cour fédérale, relativement aux décisions prises par un ministre ou un autre haut fonctionnaire, et ils régissent la communication des informations lors de ces instances par souci d’équité. Seuls l’article 38 de la LPC et l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS s’appliquent aux instances engagées devant d’autres tribunaux judiciaires ou administratifs comme, en l’espèce, la Cour supérieure de justice de l’Ontario. À mon avis, le fait que ces deux régimes étendent la compétence de la Cour à des cours de justice externes, notamment les cours supérieures provinciales qui, en d’autres circonstances, ont le pouvoir absolu de forcer la communication, signifie que les résumés peuvent être d’une importance plus cruciale en ce sens qu’ils procurent à ces tribunaux le maximum d’informations possible de façon à garantir une issue appropriée.

[48] L’application du privilège générique qu’implique l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS dépend de la conclusion que les informations en litige émanent d’une source humaine, comme il est défini à l’article 2 de la Loi, et que ces informations, si elles étaient communiquées, identifieraient cette source humaine ou permettraient de l’identifier. Reconnaissant que la preuve peut ne pas établir le fait que les informations ont été fournies par une source humaine ou bien qu’elles identifieraient la source ou permettraient de l’identifier, le procureur général a fait valoir avec succès dans une requête antérieure qu’il faudrait autoriser le gouvernement à se prévaloir de la protection que confère l’article 38 de la LPC à l’égard des mêmes informations si sa preuve était rejetée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS. En fin de compte, le procureur général aura deux moyens de convaincre le tribunal que les informations ne devraient pas être communiquées. Du moins pas sans les conditions qu’envisage l’article 38.06 de la LPC. Le procureur général conserve également le pouvoir discrétionnaire de délivrer un certificat interdisant de communiquer les informations en vertu de l’article 38.13 de la LPC.

[49] Il semble donc que toute décision de la Cour qui ne confirme pas l’application de l’article 18.1 à des informations que le Service a expurgées des documents remis au demandeur au stade de la communication préalable peut mener à une demande de protection des mêmes informations en vertu de l’article 38 de la LPC. Par souci d’économie des ressources judiciaires, il serait bon d’encourager les avocats du procureur général et les amici à déterminer, pendant qu’ils examinent les documents, s’il serait possible d’exclure des informations identificatrices pour protéger les sources humaines ou, à défaut de cela, de les décrire sous une forme quelconque de façon à satisfaire aux obligations du procureur général en matière de communication ainsi qu’à la responsabilité qu’a la Cour d’assurer l’équité et la bonne administration de la justice. S’entendre sur cette question éviterait d’avoir à passer de nouveau en revue les informations lors de l’instance fondée sur l’article 38 de la LPC.

[50] Pour illustrer la situation à l’aide d’un exemple hypothétique, une telle description des informations expurgées pourrait mentionner qu’une source a déclaré que le sujet se trouvait à un certain endroit à un certain moment et avait fait certaines déclarations, tandis que d’autres informations se trouvant en la possession du Service à ce moment‑là ont établi hors de tout doute que la déclaration ne pouvait pas être exacte.

[51] En fin de compte, je suis convaincu que le demandeur et les amici ont établi le bien‑fondé d’une interprétation de l’article 18.1 qui préserverait l’intention du législateur de protéger l’identité des sources humaines du Service tout en permettant de communiquer des informations pour aider le tribunal de première instance à analyser les questions fondées sur la Charte et de responsabilité délictuelle que soulève l’action. Un tel résultat, selon moi, favorise l’intérêt de la justice et n’est pas contraire à l’objet de la loi.

VI. Conclusion

[52] Pour les motifs qui précèdent, je fais droit à la requête des amici et je conclus, en tant que point de droit, que la Cour peut autoriser la communication d’informations qui sont tirées d’informations protégées par l’article 18.1 ou décrites ou résumées à partir de celles‑ci dans les cas où une demande est soumise à un juge en vertu de l’alinéa l8.1(4)a) de la Loi sur le SCRS et où ce juge décide qu’il ne s’agit pas d’informations qui communiquent l’identité d’une source humaine ou qui permettraient de découvrir cette identité.

[53] Pour plus de certitude, j’ai ajouté le mot « décrites » à la liste, proposée par les amici, de ce qui constitue un résumé.

 


ORDONNANCE dans le dossier DES‑1‑18

LA COUR ORDONNE que lorsque :

(i) une partie est légalement tenue de communiquer des informations dans le cadre d’une instance devant une cour de justice;

(ii) une revendication de privilège en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C‑23 [Loi sur le SCRS] est présentée au sujet de ces informations;

(iii) une demande est présentée à un juge en vertu de l’alinéa l8.1(4)a) de la Loi sur le SCRS en vue d’obtenir une ordonnance déclarant que certaines informations susceptibles d’être tirées des informations privilégiées ou décrites ou résumées à partir de celles‑ci (le « résumé ») ne sont pas des informations qui communiquent l’identité d’une source humaine ou qui permettraient de découvrir cette identité;

(iv) le juge décide que le résumé ne constitue pas des informations qui communiquent l’identité d’une source humaine ou qui permettraient de découvrir cette identité.

La Cour peut ordonner que les informations soient communiquées.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

DES‑1‑18

INTITULÉ :

HASSAN ALMREI c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AVRIL 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 28 OctobrE 2021

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

POUR LE DEMANDEUR

Philip Tunley

POUR LE DEMANDEUR

(DANS L’INSTANCE CIVILE)

Jacques‑Michel Cyr

Brenda Price

POUR LE DÉFENDEUR

Gordon Cameron

Shantona Chaudhury

AMICI CURIAE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

St. Lawrence Barristers

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

(DANS L’INSTANCE CIVILE)

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

Blake Cassels Graydon LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

AMICI CURIAE

Pape Chaudhury

Avocats

Toronto (Ontario)

AMICI CURIAE

 

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