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Date : 20211102


Dossier : IMM‑1191‑20

Référence : 2021 CF 1171

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2021

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

MARITZA ESTHER RAMOS HERNANDEZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Maritza Esther Ramos Hernandez, est citoyenne de Cuba. Elle a travaillé comme l’une des quatre directrices et directeurs d’une compagnie appartenant à l’État cubain. Celle‑ci avait vocation à s’associer en entreprise commune avec des entités étrangères pour faire des affaires légalement à Cuba. La demanderesse a essuyé des déboires juridiques entre 2009 et 2010 lorsque l’investisseur chilien de la compagnie s’est brouillé avec le gouvernement cubain, ce qui a conduit à la mise en accusation et à la condamnation de la demanderesse pour [traduction] « crime économique prioritaire » (essentiellement la corruption) en 2011. La demanderesse a purgé une peine de cinq ans et a fini par faire l’objet, en mars 2015, d’une libération conditionnelle dont les conditions ont pris fin en janvier 2016.

[2] La demanderesse est par la suite arrivée au Canada avec un « super visa » pour grands‑parents en décembre 2016 pour séjourner avec sa fille et son gendre, tous deux citoyens naturalisés canadiens, et leurs deux enfants mineurs canadiens. Peu après l’arrivée de la demanderesse au pays, sa fille a tenté en vain de la parrainer au titre de la catégorie du regroupement familial. En avril 2017, la demanderesse a présenté une demande d’asile.

[3] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande, car elle n’était pas convaincue que la demanderesse avait la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a débouté la demanderesse de son appel de la décision de la SPR et la Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SAR présentée par la demanderesse.

[4] La demanderesse a ensuite déposé une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire [la demande CH] au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] ainsi qu’une demande d’examen des risques avant renvoi. Le même agent d’immigration principal [l’agent] a rejeté ses deux demandes à un jour d’intervalle.

[5] La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision sur la demande CH et soulève trois erreurs. Premièrement, l’agent a mal interprété les éléments de preuve et les conclusions de la SPR concernant la condamnation et la peine de prison de cinq ans de la demanderesse et n’a donc pas décidé si sa situation justifiait l’octroi d’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire. Deuxièmement, l’agent a mal exposé les éléments de preuve relatifs au parrainage parental et à la capacité de la demanderesse de revenir au Canada si elle devait être renvoyée du pays. Troisièmement, l’agent a erronément pondéré les facteurs de l’établissement et de l’intérêt supérieur des enfants [l’ISE] sous l’angle du critère des difficultés. Au vu du dossier et des observations écrites et orales des parties, je ne suis pas convaincue que la décision de l’agent était déraisonnable.

[6] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10. Je conclus qu’aucune des situations qui permettent de réfuter la norme présumée n’est présente en l’espèce : Vavilov, au para 17.

[7] Compte tenu du fait que la cour de révision ne doit pas apprécier les motifs d’un décideur administratif au regard d’une norme de perfection, ni se livrer à « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur », je conclus de surcroît que la décision de l’agent dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes : Vavilov, aux para 15, 91, 99 et 102. La demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, au para 100. Pour les motifs plus détaillés qui suivent, je rejette donc la demande de contrôle judiciaire des demandeurs.

[8] Voir l’annexe « A » ci‑dessous pour les dispositions pertinentes.

II. Analyse

[9] À mon avis, l’agent n’a pas mal interprété les conclusions de la SPR concernant la condamnation et la peine de prison de cinq ans de la demanderesse. Celle‑ci déplore, par exemple, que l’agent ait greffé « l’opinion politique » sur l’examen d’une possible reprise de la poursuite ou d’une possible persécution si elle devait retourner à Cuba. Je ne suis pas d’accord. Selon moi, la mention de « l’opinion politique » par l’agent était directement reliée à l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle [traduction] « continue de subir les séquelles psychologiques de sa condamnation infligée pour des raisons politiques ». L’agent a en outre fait état de la déposition donnée par la demanderesse lors de l’audience sur sa demande d’asile où elle a indiqué qu’elle craignait de subir de la persécution [traduction] « à cause de la nature politique de la poursuite, qu’elle a qualifiée de persécution endurée à cause de son opinion politique présumée » (non souligné dans l’original).

[10] Je suis convaincue que les motifs de l’agent démontrent que, dans l’ensemble, il a raisonnablement compris et apprécié les difficultés alléguées par la demanderesse si elle devait être contrainte de retourner à Cuba. La conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse éprouverait [traduction] « peu de difficultés » repose sur une constatation quant à la faiblesse de la preuve. Je remarque, par exemple, que l’évaluation de l’agent englobait l’ensemble de la preuve de la demanderesse, y compris la documentation sur la situation générale du pays et la preuve documentaire relative à la désertion. Selon moi, l’agent a raisonnablement conclu que la demanderesse n’a pas réussi à établir de lien entre sa situation personnelle et la documentation sur la situation du pays. L’agent a aussi conclu, raisonnablement à mon avis, que la demanderesse n’a pas démontré que les conditions défavorables à Cuba, notamment en ce qui concerne les déserteurs, et quoique moins favorables à celles qui prévalent au Canada, auront des répercussions directes et défavorables d’une ampleur telle qu’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire était justifiée.

[11] Vu le chevauchement factuel entre les circonstances figurant dans les observations présentées devant la SPR et celles figurant dans les observations déposées dans le cadre de la demande CH, je suis convaincue qu’en l’espèce il n’était pas déraisonnable pour l’agent de se reporter aux conclusions de faits pertinentes tirées par la SPR pour rendre sa décision quant aux difficultés : Garcia Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 300 au para 34.

[12] La demanderesse se plaint également des énoncés erronés de l’agent portant que [traduction] « les parents des [petits‑enfants de la demanderesse] sont en train de faire les démarches pour la parrainer, et ils ont déclaré qu’ils remplissent désormais les conditions pour la parrainer sous le régime d’un programme d’immigration différent ». Dans sa lettre de soutien, la fille de la demanderesse n’a pas confirmé qu’une autre demande de parrainage était en suspens. Je conclus néanmoins que les doléances de la demanderesse constituent une tentative de tenir l’agent à une norme de perfection, alors que les observations déposées dans le cadre de la demande CH laissent penser qu’il existe une nouvelle demande de parrainage :

[traduction]

En janvier 2017, Mabel et Yamil [la fille et le gendre de la demanderesse] ont déposé une demande de parrainage pour Maritza comme membre de la catégorie du regroupement familial, mais celle‑ci a été rejetée parce que les revenus du couple étaient inférieurs au SFR pendant l’une des trois années examinées. Leurs revenus dépassent maintenant le SFR depuis trois ans et ils ont signé et déposé un engagement d’aide dans le cadre de la présente demande.

[13] La demanderesse soutient que, dans ces circonstances, si elle devait être renvoyée du Canada, elle aurait besoin d’une autorisation pour revenir. Cependant, je conclus en outre qu’il n’était pas totalement incorrect, et donc pas déraisonnable, pour l’agent de déclarer que la demanderesse est en mesure de retourner au Canada pour visiter ses petits‑enfants et qu’elle pourrait être en mesure de vivre avec eux d’une façon permanente, parce que les commentaires de l’agent reposaient, selon le dossier, sur l’octroi de l’autorisation nécessaire — une (future) demande de parrainage accueillie.

[14] Enfin, je ne suis pas convaincue que l’agent a apprécié les facteurs relatifs à l’établissement et à l’ISE uniquement selon le critère des difficultés. L’agent a favorablement soupesé, sur l’établissement, les éléments de preuve de la demanderesse qui exposent ses liens personnels formés au Canada. Par contre, il a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir une interdépendance d’un niveau tel que son départ engendrerait des difficultés pour les personnes concernées. L’agent était aussi d’avis que la preuve de la demanderesse ne permettait pas de démontrer qu’elle aussi éprouverait des difficultés en tentant de préserver ses liens personnels au Canada. Je conclus que la mention des difficultés dans ce contexte ne montre pas, comme le prétend la demanderesse, que l’agent a pondéré la preuve sous l’angle du critère des difficultés : De Sousa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 818 au para 31. De fait, à mon avis, l’agent pouvait légitimement conclure que l’ensemble de la preuve de la demanderesse ne permettait pas de justifier l’octroi d’une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire.

[15] Je conviens en outre avec le défendeur que l’agent n’a pas commis d’erreur dans l’évaluation de l’ISE. À mon avis, l’agent n’a pas fondé l’ensemble de l’analyse de l’ISE sur la capacité de la demanderesse à revenir au Canada. Il a reconnu la force du lien établi entre la demanderesse et les enfants, mais a conclu que la preuve ne permettait pas d’appuyer sa prétention que son retour à Cuba entraînerait en l’espèce des répercussions défavorables sur l’ISE [traduction] « de sorte que son renvoi devrait être évité ». L’agent a également reconnu que, si les facteurs touchant les enfants devaient peser lourd, l’ISE reste un facteur parmi d’autres tout aussi importants et ne devrait pas surclasser l’ensemble des autres facteurs. Selon moi, la demanderesse n’a pas démontré que la pondération faite par l’agent était déraisonnable : Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 754 aux para 46‑49.

[16] Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], la Cour suprême n’a pas aboli la notion de difficultés comme facteur à pondérer. Elle a plutôt conclu qu’il faut soupeser « toutes les considérations humanitaires pertinentes » : Kanthasamy, au para 33. À mon avis, cette position s’harmonise avec le paragraphe 25(1.3) actuel de la LIPR.

[17] En l’espèce, l’agent a examiné un certain nombre de facteurs d’ordre humanitaire, y compris les liens personnels de la demanderesse au Canada et sa relation avec ses petits‑enfants. L’agent a également tenu compte de l’absence de preuve selon laquelle la demanderesse était en train de suivre une thérapie psychologique au Canada et qu’elle ne serait pas en mesure de subvenir à ses besoins à Cuba. De plus, il estimait qu’elle ne serait pas considérée comme une déserteuse. J’estime que l’examen des facteurs dont l’agent a tenu compte reposait plus ou moins sur la faiblesse de la preuve. À mon avis, la décision de l’agent dans son ensemble « [est] fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles [l’agent] est assujetti » : Vavilov, au para 85.

III. Conclusion

[18] Je conclus donc que la demanderesse n’a pas réussi à établir que la décision de l’agent était déraisonnable dans son ensemble.

[19] Aucune partie n’a proposé de question grave de portée générale à certifier, et je conclus que l’affaire n’en soulève aucune dans les circonstances.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1191‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


Annexe « A » – Dispositions pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27)

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

Non‑application de certains facteurs

Non‑application of certain factors

(1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe (1) d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face.

(1.3) In examining the request of a foreign national in Canada, the Minister may not consider the factors that are taken into account in the determination of whether a person is a Convention refugee under section 96 or a person in need of protection under subsection 97(1) but must consider elements related to the hardships that affect the foreign national.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1191‑20

 

INTITULÉ :

MARITZA ESTHER RAMOS HERNANDEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 OctobRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS:

LE 2 NovembRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Lisa Winter‑Card

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lisa Winter‑Card

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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