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Date : 20040811

Dossier : IMM-3520-03

Référence : 2004 CF 1104

Ottawa (Ontario), le 11 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                            ION MACHEDON et

MIHAELA MACHEDON

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 22 avril 2003, dans laquelle il a été décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[2]                Les demandeurs visent à obtenir un bref de certiorari annulant la décision de la Commission, une déclaration selon laquelle ils sont des réfugiés au sens de la Convention ou une ordonnance renvoyant leur demande d'asile à la Commission pour qu'elle soit entendue par un tribunal différemment constitué.

Le contexte

[3]                Les demandeurs, Ion Machedon (le demandeur) et Mihaela Machedon (la demanderesse) sont mariés et citoyens de la Roumanie. Ils revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention au motif qu'ils craignent d'être persécutés en Roumanie en raison de leur origine ethnique rom.

[4]                Subsidiairement, les demandeurs prétendent être des personnes à protéger qui, si elles étaient renvoyées en Roumanie, seraient personnellement exposées soit au risque d'être soumises soit à la torture, soit à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

Le demandeur


[5]                Le demandeur a la double origine ethnique hongroise et rom et prétend avoir été exposé toute sa vie à la persécution en Roumanie. Devant la Commission, le demandeur a décrit les mauvais traitements qu'il a subis pendant son enfance, dont notamment le fait d'être appelé par des noms péjoratifs et celui d'être pris à partie à l'école en raison de son origine ethnique.

[6]                Après avoir obtenu son diplôme d'électricien spécialisé, le demandeur a travaillé pour une société d'État où il était constamment la cible de harcèlement de la part de ses collègues de travail. À l'été 1988, il a été injustement congédié de son emploi et la lettre de référence défavorable de la société d'État l'a empêché d'obtenir un nouvel emploi.

[7]                À l'automne 1988, le demandeur a décidé de travailler dans la construction avec son père, allant d'un village à l'autre et travaillant principalement pour des membres de la communauté rom. Le demandeur et son père ont souvent été harcelés ou par ailleurs maltraités lors de leurs voyages.

[8]                En 1995, dans la ville de Gherla, le demandeur et son père ont été arrêtés par la police ainsi que deux soldats, harcelés et obligés de payer un pot-de-vin. Le demandeur a été giflé et ils ont tous les deux été avertis de ne jamais revenir dans cette ville.

[9]                En septembre 1997, le demandeur s'est rendu à Onestj, où il a rencontré sa future épouse (la demanderesse). Après être déménagé à Onestj en janvier 1998, le demandeur a commencé à travailler au magasin de la demanderesse.

[10]            Le demandeur a commencé à rencontrer des problèmes avec un policier nommé Valentin Popa qui avait extorqué des pots-de-vin à son épouse pendant un certain nombre de mois. Sur l'insistance du demandeur, la demanderesse a cessé de verser les pots-de-vin en mars 1999, après quoi son magasin a été vandalisé à plusieurs reprises. Le demandeur a soupçonné Popa d'en être à l'origine.

[11]            En mai 1999, le demandeur et environ 200 autres Roms ont organisé une manifestation à l'hôtel de ville d'Onestj en faveur des droits des Roms. Des spectateurs roumains ont jeté des pierres aux manifestants et la police anti-émeute a été envoyée pour s'occuper de la manifestation. Environ vingt manifestants, dont le demandeur, ont été arrêtés et détenus au poste de police local. Le demandeur a été détenu pendant onze jours et il a été battu pendant les trois premiers jours. Il a ensuite été libéré tout en étant averti qu'il avait été inscrit sur la liste noire.

[12]            Après que le demandeur a été libéré et qu'il a appris que son épouse avait été battue, les demandeurs ont décidé de fermer leur magasin et de quitter Onestj. En juin 1999, ils ont déménagé à Bucarest pour vivre chez le cousin de la demanderesse et se sont cachés jusqu'à ce qu'ils puissent se rendre au Canada.


[13]            Le demandeur affirme qu'il craint que, si on l'obligeait à retourner en Roumanie, le fait de devoir présenter une demande de permis de résidence avertirait la police de son retour et les raclées ainsi que le harcèlement liés au fait d'être d'origine ethnique hongroise et rom recommenceraient.

La demanderesse

[14]            La demanderesse est d'origine ethnique rom et a été élevée dans la ville d'Onestj, dans l'est de la Roumanie.

[15]            Tout au long de ses études et de sa vie active en Roumanie, la demanderesse a été victime de mauvais traitements, de harcèlement et d'injures. Elle se souvient qu'en neuvième année, son professeur lui criait des insultes à connotation ethnique et que, lorsqu'elle se rebellait, elle était suspendue. En 1990, la demanderesse a été congédiée de son emploi au bureau de poste, ce qui, selon elle, est survenu en raison de son origine ethnique rom.

[16]            En mars 1997, la demanderesse a ouvert une épicerie et a reçu un permis d'exploitation d'entreprise du ministère du Commerce. Pour continuer à exploiter son entreprise, la demanderesse affirme qu'elle devait verser continuellement des pots-de-vin aux fonctionnaires sous forme de café, de cigarettes, d'alcool ou d'argent. En juillet 1997, elle a commencé à être harcelée et extorquée par un agent de police nommé Valentin Popa, qui s'intéressait sexuellement à elle et qui, selon elle, a fait en sorte qu'elle soit également harcelée et extorquée par la police de la circulation.


[17]            En juin 1998, la demanderesse a converti son entreprise en magasin de vêtements. Tant la demanderesse que le demandeur y ont travaillé. Le policier, Popa, a continué à demander des pots-de-vin et lorsque la demanderesse a cessé de lui faire des versements en mars 1999, son magasin et sa voiture ont été vandalisés. La demanderesse a affirmé qu'il était inutile de faire des rapports à la police.

[18]            Lorsque son mari a été arrêté relativement à la manifestation des Roms en mai 1999, Popa a rendu visite à la demanderesse chez elle, a argumenté avec elle et l'a ensuite battue grièvement au point où elle a dû être hospitalisée. Les dossiers de l'hôpital indiquent que la demanderesse a fait une fausse couche et qu'elle a été sauvagement battue au visage et au corps. La demanderesse affirme que le personnel infirmier a été méchant envers elle et qu'un dentiste a par la suite refusé de réparer ses dents cassées en raison du fait qu'elle était rom.

[19]            La demanderesse affirme qu'elle et son mari ont déménagé à Bucarest en juin 1999, où ils ont vécu chez son cousin et l'épouse de celui-ci, et qu'ils ont ensuite fui le pays en janvier 2000.


[20]            La demanderesse affirme qu'un contact roumain lui avait conseillé de se rendre au Canada en passant par l'Irlande parce que ce serait plus facile que de passer par le continent européen. Une fois à Dublin, en Irlande, les demandeurs ont été pris par les fonctionnaires de l'immigration en raison du fait qu'ils détenaient de faux passeports hongrois. Afin d'éviter d'être renvoyés en Roumanie, les demandeurs ont demandé l'asile en Irlande. Ils affirment avoir entendu dire que les demandes d'asile des Roumains étaient rejetées par les autorités irlandaises qui les renvoyaient en Roumanie. Les demandeurs ont abandonné leurs demandes d'asile en Irlande pour venir au Canada en juin 2001, leur destination envisagée depuis leur départ de la Roumanie.

[21]            La demanderesse affirme qu'elle craint pour sa vie, au cas où on l'obligerait à retourner en Roumanie, parce qu'elle serait tenue de s'enregistrer auprès des autorités locales, lesquelles apprendraient alors son origine ethnique, et les problèmes recommenceraient.

[22]            Les demandeurs sont arrivés à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 7 juin 2001 et ils ont demandé l'asile quatre jours plus tard.

[23]            Les demandes d'asile des demandeurs ont été entendues le 3 décembre 2002 devant un tribunal de la Commission composé d'un seul membre.


Les motifs de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié

(Section de la protection des réfugiés)

[24]            Dans une décision datée du 22 avril 2003, la Commission a décidé que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[25]            La Commission a accepté les témoignages des demandeurs selon lesquels ils étaient des Roms de la Roumanie, mais a décidé qu'ils n'avaient pas raison de craindre d'être persécutés en Roumanie aujourd'hui en raison de leur origine ethnique ou de tout autre motif de la Convention.

[26]            La Commission a rejeté les demandes d'asile des demandeurs pour quatre motifs :

1.          La discrimination dont ont été victimes les demandeurs n'équivaut pas à de la persécution;

2.          Les demandeurs auraient pu demander la protection de l'État en Roumanie;

3.          Les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur viable à Bucarest;

4.          L'abandon par les demandeurs de leurs demandes d'asile en Irlande indiquait une absence de crainte subjective de persécution.


Distinction entre la discrimination et la persécution

[27]            Invoquant le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (Genève, janvier 1992) du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide du HCR), la Commission a fait une distinction entre la discrimination vécue par les demandeurs et la persécution au sens de la Convention. Selon la Commission, ce n'est que lorsque la discrimination restreint gravement le droit d'une personne de gagner sa vie, de pratiquer sa religion ou d'accéder à des services pédagogiques normalement disponibles qu'elle équivaut à de la persécution.

[28]            Compte tenu des faits de la présente affaire, la Commission a conclu que les demandeurs pouvaient avoir vécu de la discrimination mais qu'ils n'avaient pas raison de craindre d'être persécutés, même lorsque les événements en question étaient considérés dans leur ensemble. La Commission a fait remarquer que les demandeurs avaient pu obtenir une éducation postsecondaire et qu'ils avaient continuellement travaillé en Roumanie, cela signifiant que les restrictions mentionnées dans le Guide du HCR n'existaient pas.


[29]            En examinant la preuve documentaire disponible, la Commission a accordé un poids important au Country Assessment Report: Romania (Immigration & Nationality Directorate, avril 2002) du Home Office de la Grande-Bretagne, lequel a décrit les « tentatives vigoureuses » du gouvernement de la Roumanie « pour assimiler et intégrer la population rom à la société roumaine » , comme le démontre une initiative appelée la « stratégie nationale pour améliorer la condition des Roms » .

[30]            La Commission a également accordé un grand poids aux Country Reports on Human Rights Practices: Romania (2002) du Département d'État des États-Unis, lesquels mentionnaient que les Roms étaient victimes de discrimination mais n'établissaient pas de manière convaincante qu'il existait un risque grave de persécution en Roumanie, fondée sur l'origine ethnique rom.

La disponibilité de la protection de l'État en Roumanie

[31]            La Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas établi qu'ils ne pouvaient pas bénéficier de la protection de l'État ou qu'ils ne pourraient en bénéficier s'ils retournaient en Roumanie.


[32]            Soulignant que les demandeurs semblaient être « débrouillards » , la Commission a examiné la preuve documentaire concernant les tentatives du gouvernement pour redresser la situation des citoyens roms et a conclu qu'il n'était pas plausible que les demandeurs aient été incapables de régler les problèmes en rapport avec l'agent de police Popa. De plus, la Commission a conclu qu'il n'était pas raisonnable que la demanderesse n'ait pas voulu faire affaire avec la cour rom tzigane à Onestj dont l'existence avait pour but d'aider la collectivité rom.

[33]            En résumé, la Commission n'était pas convaincue que l'État ne pouvait protéger les demandeurs à Onestj.

Possibilité de refuge intérieur

[34]            La Commission a conclu que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur viable à Bucarest et que, par définition, ils n'avaient donc pas de raisons objectives de craindre d'être persécutés en Roumanie.

[35]            La Commission a décidé qu'il n'existait pas de possibilité sérieuse de persécution, de menace à la vie, de risque de traitements ou peines cruels et inusités ou de danger de torture à Bucarest et qu'il ne serait pas déraisonnable que les demandeurs y cherchent refuge.

[36]            La Commission a examiné le fait que, entre juin 1999 et janvier 2000, les demandeurs avaient vécu chez des parents à Bucarest. Le cousin de la demanderesse les a hébergés et employés, elle et le demandeur, pendant cette période. Aucun des demandeurs n'a rencontré de problèmes de violence ou de harcèlement à Bucarest, bien que l'extorsion ait été répandue et qu'elle visait les gens d'affaires roms.


[37]            Lors de l'audience, les demandeurs ont complètement rejeté l'idée qu'il aurait été possible pour eux de demeurer de façon permanente à Bucarest plutôt que de chercher une protection internationale. Puisque le demandeur avait participé à une manifestation, il serait connu des services de police partout en Roumanie et serait encore visé une fois que les demandeurs enregistreraient une adresse à Bucarest. Les demandeurs ont admis ne pas avoir tenté d'enregistrer une adresse à Bucarest.

[38]            La Commission a conclu que les raisons pour lesquelles les demandeurs ne voulaient pas s'établir à Bucarest n'étaient pas convaincantes pour trois motifs. Premièrement, la Commission a conclu qu'il n'y avait aucune preuve qu'une tentative de la part des demandeurs pour enregistrer une adresse à Bucarest mènerait à d'autres mauvais traitements infligés par la police. Deuxièmement, la preuve documentaire ainsi que les témoignages des demandeurs indiquent que Bucarest constitue la ville la plus populeuse de la Roumanie, que beaucoup de Roms y résident (notamment les parents fortunés des demandeurs qui sont disposés à les employer) et que les demandeurs sont des gens instruits, de même que raffinés. En dernier lieu, la Commission a déclaré que les demandeurs avaient vécu à Bucarest pendant un an et demi avant de quitter la Roumanie et qu'ils n'avaient pas été victimes de harcèlement en raison de leur origine ethnique.


L'abandon de leurs demandes d'asile en Irlande réduit à rien la crainte subjective de persécution des demandeurs

[39]            La Commission a conclu que le simple fait que les demandeurs aient abandonné leurs demandes d'asile en Irlande, un pays signataire de la Convention, démontrait clairement une absence de crainte subjective de persécution de leur part.

[40]            Bien que les demandeurs aient expliqué l'abandon de leurs demandes d'asile en affirmant que leur intention, à l'origine, était de venir au Canada et qu'on leur avait dit que les autorités irlandaises refusaient d'accorder la protection aux demandeurs d'asile roumains, la Commission n'a pas accepté ces explications. La Commission a fait remarquer qu'il n'y avait aucune preuve convaincante, digne de foi et fiable à l'appui de l'allégation selon laquelle l'Irlande ne respectait pas ses obligations en vertu de la Convention.

[41]            Il s'agit du contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

Les observations des demandeurs


[42]            Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en concluant qu'ils n'avaient pas de raisons objectives de craindre d'être persécutés en se basant sur des rapports selon lesquels le gouvernement roumain faisait des tentatives pour régler la situation de la population rom.

[43]            Les demandeurs font observer que les parties du rapport du Home Office de la Grande-Bretagne que la Commission avait invoquées établissent également que la discrimination envers les Roms persiste. De plus, le Second rapport sur la Roumanie de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (Conseil de l'Europe, le 23 avril 2002), lequel faisait partie des documents à communiquer de la Commission, mentionne que les abus de pouvoir de la police sont insuffisamment examinés en justice, découragés ou sanctionnés.

[44]            Les demandeurs invoquent également le Human Rights Watch World Report 2002: Europe & Central Asia: Romania, (commençant à la page 209 du dossier certifié du tribunal), lequel documente de façon objective le fait que le dossier de la Roumanie relativement aux droits de la personne soit demeuré inégal en 2001, le fait que la législation élaborée dans le but d'améliorer les droits de la minorité n'ait pas été mise en application, le fait que la conduite répréhensible de la police ait continué et le fait que le problème de discrimination envers les Roms ait continué d'imprégner la société. Les demandeurs soulignent également que les propres documents de recherche de la Commission mentionnent que la protection des Roms par la police fait souvent défaut et que les Roms se voient souvent refuser l'enregistrement, ainsi que les services sociaux et médicaux liés à l'enregistrement.

[45]            Les demandeurs soutiennent que la question de savoir si la discrimination équivaut à de la persécution en est une mixte de droit et de fait susceptible de révision par la Cour selon la norme de la décision raisonnable : Wickramasinghe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 470, [2002] A.C.F. no 601 (QL).

[46]            Invoquant le Guide du HCR, l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, et la décision Soto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 768, [2002] A.C.F. no 1033 (QL), les demandeurs soutiennent que la conclusion de la Commission était déraisonnable, puisqu'elle n'a pas reconnu que les actes de discrimination pouvaient occasionner une crainte raisonnable de persécution s'ils inspiraient un sentiment d'appréhension dans l'esprit de la personne visée.

[47]            Les demandeurs font valoir que la Commission n'a pas appliqué les directives du Guide du HCR de façon appropriée. La Commission a reconnu que les demandeurs avaient été maltraités à l'école, qu'ils avaient dû verser des pots-de-vin, qu'ils avaient été victimes d'un agent de police en particulier, que la police n'avait pas tenu compte de leurs plaintes, que la demanderesse avait été battue et que le demandeur avait été détenu et battu. Selon les observations des demandeurs, ces événements, ainsi que les restrictions à leur capacité de gagner leur vie, satisfont aux exigences du Guide du HCR de façon à atteindre le niveau de la persécution.

[48]            Les demandeurs font valoir que la Commission a préféré la preuve documentaire à leurs témoignages, ce qui équivaut à une conclusion quant à la crédibilité qui leur est défavorable, sans qu'aucun motif ne soit donné. Ceci constitue, selon les demandeurs, une erreur susceptible de révision de la part de la Commission.

[49]            Les demandeurs soutiennent que, étant donné la situation des Roms en Roumanie, il n'y avait pas de possibilité raisonnable de refuge intérieur. La preuve documentaire a démontré qu'il existait, partout en Roumanie, une discrimination importante et la Commission n'a apporté aucune preuve que Bucarest constituait un refuge sûr. Les demandeurs soutiennent que l'absence d'actes de persécution lorsqu'ils se cachaient à Bucarest ne pouvait équivaloir à une absence de crainte objective ou subjective de persécution.

[50]            Invoquant le critère énoncé dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que Bucarest constituait une possibilité de refuge intérieur. Selon les demandeurs, puisqu'ils ne pouvaient pas s'enregistrer auprès des autorités locales par crainte d'être constamment harcelés, ils ne pouvaient pas résider légalement dans la ville ou avoir accès aux services sociaux. Les demandeurs soutiennent que la Commission n'a pas examiné la question de savoir s'il était raisonnable de leur part de chercher refuge à Bucarest ou s'il y avait une possibilité sérieuse qu'ils y soient victimes de persécution.

[51]            Les demandeurs soutiennent que le rejet de la part de la Commission de leurs témoignages selon lesquels ils craignaient d'être persécutés par la police à Bucarest équivaut à une appréciation défavorable quant à la crédibilité sans qu'aucun motif ne soit donné.

[52]            Les demandeurs soutiennent que l'appréciation de la Commission quant à la crédibilité était fondée, en partie, sur des faits erronés. La Commission affirme que les demandeurs avaient vécu à Bucarest pendant un an et demi, alors que les éléments de preuve non contredits ont démontré qu'ils n'avaient passé que six mois à Bucarest (de juin 1999 à janvier 2000).

[53]            Les demandeurs présentent la décision Muresan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 819, [2002] F.C.J. no 1097 (QL), comme une affaire ayant été décidée sur des faits similaires concernant la possibilité d'un refuge intérieur.

[54]            En se basant sur les décisions antérieures de la Commission, les demandeurs soutiennent que, lorsqu'une explication plausible est offerte au sujet des raisons pour lesquelles un demandeur d'asile n'a pas demandé le statut de réfugié ailleurs, le fait qu'il ne l'ait pas fait ne peut être interprété à son encontre.


[55]            Les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur en rejetant leurs explications concernant le fait qu'ils avaient abandonné leurs demandes d'asile en Irlande sans déterminer si leur récit était plausible. La Commission a décidé qu'il n'y avait pas d'éléments de preuve convaincants selon lesquels l'Irlande traitait les demandeurs d'asile d'une manière différente de celle du Canada. Les demandeurs font valoir qu'ils ont offert une explication plausible, à savoir que d'autres réfugiés les avaient informés qu'il n'était pas possible d'avoir gain de cause et qu'ils avaient toujours eu l'intention de venir au Canada. Les demandeurs allèguent que la Commission a commis une erreur en appliquant un critère de vraisemblance objectif au lieu d'un critère subjectif.

[56]            De plus, les demandeurs affirment que le fait d'avoir abandonné leurs demandes d'asile en Irlande était tout à fait compatible avec une crainte subjective de persécution alors qu'ils faisaient face à la perspective d'être renvoyés en Roumanie. Les demandeurs allèguent que la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité concernant cette question sans fournir de motifs ou une analyse.

[57]            Pour ces motifs, les demandeurs demandent que la décision de la Commission soit annulée et qu'ils soient déclarés réfugiés au sens de la Convention ou, subsidiairement, que leurs demandes d'asile soient renvoyées à la Commission pour qu'elles soient entendues par un tribunal différemment constitué.


Les observations du défendeur

[58]            Le défendeur soutient que les demandeurs ont, tout au long de l'audience devant la Commission, le fardeau d'établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'ils sont visés par la définition de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger de la LIPR.

[59]            Invoquant la décision Zsuzsanna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1206, [2002] A.C.F. no 1642 (QL), le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable à l'ensemble des conclusions contestées de la Commission en l'espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[60]            Le défendeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs avaient vécu des incidents de discrimination en Roumanie, lesquels n'équivalaient pas, dans leur ensemble, à de la persécution, était fondée sur un examen minutieux des faits auxquels on a appliqué le critère juridique approprié. Le défendeur nie qu'il existe une erreur susceptible de révision relativement à cet aspect de la décision de la Commission.


[61]            Le défendeur soutient que la Commission n'a commis aucune erreur en concluant que les demandeurs avaient accès à la protection de l'État et qu'ils n'avaient pas épuisé toutes les voies de protection de l'État auxquelles ils avaient accès en Roumanie. Le défendeur invoque les éléments de preuve selon lesquels le gouvernement roumain faisait des efforts soutenus pour régler la situation des Roms et selon lesquels les demandeurs n'avaient pas cherché à obtenir l'aide d'organismes gouvernementaux. De plus, le défendeur souligne qu'il n'est pas nécessaire que la protection de l'État soit parfaite pour qu'elle offre suffisamment de protection au point de nier aux demandeurs leurs prétentions au titre de réfugiés.

[62]            Le défendeur fait également valoir que la Commission pouvait choisir sur quelle preuve documentaire s'appuyer.

[63]            Le défendeur soutient que les demandeurs n'ont pas démontré que la décision de la Commission concernant la possibilité d'un refuge intérieur était manifestement déraisonnable.

[64]            Le critère approprié pour trancher la question de savoir si la possibilité d'un refuge intérieur qui a été proposée était viable est, selon l'observation du défendeur, celui de savoir s'il était objectivement déraisonnable pour le demandeur d'asile d'avoir cherché refuge à cet endroit : Ayisi-Nyarko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1425, [2003] A.C.F. no 1833 (QL).

[65]            En l'espèce, le défendeur soutient que, selon la preuve dont elle disposait, il n'était pas manifestement déraisonnable de la part de la Commission de conclure que Bucarest constituait une possibilité viable de refuge intérieur pour les demandeurs.

[66]            Enfin, le défendeur soutient que l'abandon par les demandeurs de leurs demandes d'asile en Irlande constituait une considération pertinente pour apprécier leur crainte subjective. De plus, le défendeur soutient que c'est à juste titre que la Commission a présumé que l'Irlande respectait ses obligations dans le cadre de la Convention, puisqu'on n'a offert que conjecture et opinion pour établir le contraire.

[67]            Le défendeur demande que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

Les questions en litige

[68]            1.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la question de savoir si la discrimination subie par les demandeurs équivalait à de la persécution?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion à l'existence d'une protection adéquate en Roumanie?

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu'il existait une possibilité de refuge intérieur à Bucarest?

4.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que l'abandon des demandes d'asile en Irlande des demandeurs réduisait à rien leur crainte subjective de persécution?


Les dispositions législatives pertinentes

[69]            L'article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, précitée, définissent « réfugié au sens de la Convention » et « personne à protéger » comme suit :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

. . .

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

. . .

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Analyse et décision

[70]            Première question

La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la question de savoir si la discrimination subie par les demandeurs équivalait à de la persécution?

Les demandeurs et le défendeur ne s'entendent pas sur la norme de contrôle applicable à cette question. Les demandeurs affirment que la norme applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter, ce à quoi le défendeur répond que la Cour ne devrait intervenir que si la conclusion de la Commission était manifestement déraisonnable. Je suis d'avis que la détermination de la question de savoir si une certaine conduite équivaut à de la persécution constitue une question mixte de droit et de fait qui devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter : Wickramasinghe, précitée.


[71]            En l'espèce, la Commission n'a pas refusé de croire les récits de harcèlement et de discrimination des demandeurs mais elle a conclu qu'ils n'équivalaient pas à de la persécution. La Commission semblait être consciente du fait qu'elle devait considérer les incidents dans leur ensemble mais elle a interprété le Guide du HCR de façon restrictive. La Commission a affirmé à la page 5 de sa décision :

Pour distinguer la persécution de la discrimination, le Handbook du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés déclare qu'il existe des différences de traitement entre les divers groupes de nombreuses sociétés, et ce dans une plus ou moins grande mesure. Ce n'est que dans certaines circonstances, telles que de graves restrictions quant au droit de gagner sa vie, au droit de pratiquer sa religion ou à l'accès à des services pédagogiques normalement disponibles que la discrimination peut équivaloir à de la persécution.

Après un examen soigné de la preuve dans son ensemble et des circonstances de ces demandes, le tribunal estime que de telles restrictions n'existent pas, même considérées dans leur ensemble. [...]

[Renvoi omis]

[72]            La partie pertinente du Guide du HCR a été citée récemment dans la décision Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 4 C.F. 771, 2003 CFPI 429, au paragraphe 34 :

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a publié un ouvrage intitulé « Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié » (réédité à Genève en janvier 1992) (le Guide), où l'on trouve des conseils pour l'examen des revendications de persécution fondées sur les effets cumulatifs de la discrimination. Les paragraphes 53 à 55 sont pertinents. Je cite aussi le paragraphe 52, parce qu'il fournit un contexte à la discussion de savoir de quels éléments on doit tenir compte lorsqu'on fait une analyse cumulative en vue d'atteindre l'objectif plus général de déterminer l'existence d'une persécution :

b) Persécutions

[...]

52. La question de savoir si d'autres actions préjudiciables ou menaces de telles actions constituent des persécutions dépendra des circonstances de chaque cas [...]. Le caractère subjectif de la crainte d'être persécuté implique une appréciation des opinions et des sentiments de l'intéressé. C'est également à la lumière de ces opinions et de ces sentiments qu'il faut considérer toute mesure dont celui-ci a été effectivement l'objet ou dont il redoute d'être l'objet. En raison de la diversité des structures psychologiques individuelles et des circonstances de chaque cas, l'interprétation de la notion de persécution ne saurait être uniforme.               


53. En outre, un demandeur du statut de réfugié peut avoir fait l'objet de mesures diverses qui en elles-mêmes ne sont pas des persécutions (par exemple, différentes mesures de discrimination), auxquelles viennent s'ajouter dans certains cas d'autres circonstances adverses (par exemple une atmosphère générale d'insécurité dans le pays d'origine). En pareil cas, les divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent provoquer chez le demandeur un état d'esprit qui permet raisonnablement de dire qu'il craint d'être persécuté pour des « motifs cumulés » . Il va sans dire qu'il n'est pas possible d'énoncer une règle générale quant aux « motifs cumulés » pouvant fonder une demande de reconnaissance du statut de réfugié. Toutes les circonstances du cas considéré doivent nécessairement entrer en ligne de compte, y compris son contexte géographique, historique et ethnologique.

c) Discrimination

54. Dans de nombreuses sociétés humaines, les divers groupes qui les composent font l'objet de différences de traitement plus ou moins marquées. Les personnes qui, de ce fait, jouissent d'un traitement moins favorable ne sont pas nécessairement victimes de persécutions. Ce n'est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions. Il en sera ainsi lorsque les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions du droit d'exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d'avoir accès aux établissements d'enseignement normalement ouverts à tous.

55. Lorsque les mesures discriminatoires ne sont pas graves en elles-mêmes, elles peuvent néanmoins amener l'intéressé à craindre avec raison d'être persécuté si elles provoquent chez lui un sentiment d'appréhension et d'insécurité quant à son propre sort. La question de savoir si ces mesures discriminatoires par elles-mêmes équivalent à des persécutions ne peut être tranchée qu'à la lumière de toutes les circonstances de la situation. Cependant, il est certain que la requête de celui qui invoque la crainte des persécutions sera plus justifiée s'il a déjà été victime d'un certain nombre de mesures discriminatoires telles que celles qui ont été mentionnées ci-dessus et que, par conséquent, un effet cumulatif intervient.

[73]            Dans sa décision, la Commission ne s'est pas intéressée au paragraphe 55 du Guide du HCR et à la possibilité que les incidents décrits par les demandeurs aient créé « un sentiment d'appréhension et d'insécurité quant à [leur] propre sort » .


[74]            En concluant qu'il n'y avait pas de persécution, la Commission a fait remarquer que les demandeurs avaient obtenu une éducation postsecondaire et qu'ils avaient continuellement travaillé en Roumanie. Toutefois, la Commission n'a pas traité des raclées et de la détention dont ont été victimes les demandeurs en raison de leur origine ethnique. Il y avait des éléments de preuve non contredits selon lesquels la demanderesse avait été battue au point de nécessiter plus d'une semaine d'hospitalisation, qu'elle avait fait une fausse couche et qu'elle avait besoin d'une réparation dentaire. Il y avait également des éléments de preuve selon lesquels le demandeur avait été détenu pendant onze jours et qu'il avait reçu des raclées pendant trois jours. Il aurait fallu tenir compte de ces éléments de preuve pour déterminer la question de savoir si les demandeurs avaient été victimes de persécution. Bien que la Commission ne soit pas tenue de faire référence à tous les éléments de preuve dans sa décision, il faut traiter de ceux qui, comme les éléments de preuve susmentionnés, sont importants à l'égard de l'issue finale de l'affaire. Je suis d'avis que la décision de la Commission est déraisonnable à cet égard.

[75]            Deuxième question

La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion à l'existence d'une protection adéquate en Roumanie?

Le point de vue dominant est que, bien que les conclusions de fait sous-jacentes soient assujetties à la norme de la décision manifestement déraisonnable, les conclusions de la Commission concernant le caractère adéquat de la protection de l'État constituent une question mixte de droit et de fait qui est examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.


[76]            Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a statué que les demandeurs d'asile doivent présenter « une preuve claire et convaincante » de l'incapacité de leur État d'assurer leur protection dans le cadre de la définition de réfugié au sens de la Convention. En l'espèce, la Commission a invoqué la preuve documentaire pour conclure que le gouvernement roumain faisait beaucoup d'efforts pour améliorer la situation des Roms, de même que celle des autres minorités. Les conclusions de la Commission sur cette question me préoccupent à deux points de vue. Premièrement, la Commission n'a fait aucune référence à la preuve documentaire qui affirmait que la législation visant l'amélioration de la situation n'avait pas été adoptée, que la conduite répréhensible de la police continue et que la protection des tziganes par la police fait souvent défaut. Bien que l'on présume que la Commission a pris en compte l'ensemble des éléments de preuve dont elle disposait, le juge Evans a reconnu dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.) (QL), que lorsqu'une preuve cruciale n'est pas mentionnée ou analysée, la Cour sera plus disposée à inférer de ce silence qu'une conclusion de fait a été tirée sans tenir compte de la preuve. J'applique la décision Cepeda-Gutierrez, précitée, aux faits de l'espèce et je conclus que les conclusions de la Commission concernant la protection de l'État étaient déraisonnables dans les circonstances.

[77]            Troisième question

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu'il existait une possibilité de refuge intérieur à Bucarest?

La norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la possibilité de refuge intérieur est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 999, [2003] A.C.F. no 1263 (QL).


[78]            La Commission a affirmé que l'un des motifs de sa conclusion selon laquelle Bucarest constituait une possibilité de refuge intérieur, c'était que les demandeurs y avaient vécu pendant un an et demi sans être victimes d'actes de persécution. Il convient de souligner que les demandeurs ne sont demeurés à Bucarest que pendant six mois et qu'ils se cachaient durant cette période. Les témoignages des demandeurs étaient que s'ils s'enregistraient auprès de la police dans le but de résider légalement à Bucarest, la police serait mise au courant de la part des autorités d'Onestj de leur origine ethnique rom et ils continueraient d'être ciblés. S'ils ne s'enregistraient pas, ils n'étaient pas en mesure d'avoir accès aux services sociaux.

[79]            Dans l'arrêt Rasaratnam, précité, la Cour d'appel fédérale a statué au paragraphe 10 :

À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge.

[80]            J'ai examiné la décision de la Commission et je ne puis trouver où la Commission a abordé la deuxième partie du critère, à savoir que, « compte tenu de toutes les circonstances, dont celles [leur] étant particulières, la situation à [Bucarest] était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour [les demandeurs] d'y chercher refuge » . Je suis d'avis que la Commission aurait dû prendre en considération l'effet sur les demandeurs de leur croyance selon laquelle ils ne pouvaient pas s'enregistrer et, par conséquent, être en mesure d'avoir accès aux services sociaux. Je suis d'avis qu'il s'agissait d'une erreur susceptible de révision, même si on applique la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable.

[81]            Quatrième question

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que l'abandon des demandes d'asile en Irlande des demandeurs réduisait à rien leur crainte subjective de persécution?

La norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision manifestement déraisonnable. De nombreuses décisions de la Cour ont affirmé que l'omission de la part d'un demandeur de chercher refuge dans les pays de transit était pertinente lorsqu'il s'agissait de déterminer s'il avait une crainte subjective de persécution (p. ex., le juge MacKay dans la décision Ilie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1758 (1re inst.) (QL)). La Cour a également décidé que lorsqu'un demandeur fournit une explication raisonnable pour ne pas avoir demandé l'asile dans un pays de transit, son omission de le faire ne jouera pas contre lui.

[82]            En l'espèce, les demandeurs ont demandé l'asile en Irlande mais ont ensuite abandonné leur demande parce qu'ils s'étaient fait dire que les demande d'asile de la part des Roumains étaient rejetées et que ceux-ci étaient renvoyés en Roumanie. La Commission n'a pas analysé cette explication concernant l'abandon ni affirmé qu'elle n'y croyait pas. La Commission a simplement affirmé que, puisqu'il n'y avait pas de « preuve convaincante, digne de foi et fiable » pour démontrer que l'Irlande ne respectait pas ses obligations en vertu de la Convention, le « simple fait que les deux demandeurs ont abandonné leurs demandes d'asile en Irlande témoigne clairement d'une absence de crainte subjective de persécution de leur part » .

[83]            En l'espèce, les demandeurs ont affirmé qu'ils avaient une crainte subjective de persécution en Roumanie et ils ont expliqué leur conduite. La Commission n'a pas tiré de conclusion défavorable aux demandeurs ni traité autrement de leur explication. Dans ces circonstances, je suis d'avis que la Commission a tiré une inférence défavorable sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait. La décision de la Commission sur cette question est manifestement déraisonnable.

[84]            La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. La décision de la Commission est annulée et les demandes d'asile des demandeurs sont renvoyées à la Commission pour qu'elle statue à nouveau sur celles-ci.

[85]            Aucune des parties n'a souhaité me proposer une question grave de portée générale aux fins de la certification.


                                        ORDONNANCE

[86]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de la Commission est annulée et les demandes d'asile des demandeurs sont renvoyées à la Commission pour qu'elle statue à nouveau sur celles-ci.

                                                                            « John A. O'Keefe »            

                                                                                                     Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 11 août 2004

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-3520-03

INTITULÉ :                                           ION MACHEDON et MIHAELA MACHEDON

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 11 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Eugene Y. S. Tan                                     POUR LES DEMANDEURS

Melissa R. Cameron                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cooper & McDonald                               POUR LES DEMANDEURS

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Morris Rosenberg, c.r.                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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