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Date : 19990305


Dossier : IMM-2140-98

Entre :

     ANDREI MARIAN GICU

     Demandeur

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Défendeur

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

TREMBLAY-LAMER J. :

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision rendue par la Section du statut de réfugié, en date du 22 avril 1998, ayant conclu que le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]      Le demandeur est un citoyen de Roumanie. Il indique dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) être homosexuel; il allègue avoir été interné dans un hôpital psychiatrique durant 2 mois en 1982 alors qu"il faisait son service militaire, et emprisonné au mois de juin 1989 jusqu"au mois de décembre 1989, où il fut libéré lors de la révolution. En 1991, alors qu"il était en compagnie d"un ami, il rapporte avoir été arrêté par des policiers et détenu pendant 7 jours, battu et menacé de mort.

[3]      Libéré sous condition de se présenter au poste de police lorsque convoqué, ce dernier se cache durant quelques jours chez des amis pour finalement quitter la Roumanie lorsqu"il est informé qu"un mandat d"arrêt avait été émis contre lui. Le 15 avril 1991 il quitte son pays après avoir obtenu son passeport pour l"Italie où il y a vécu illégalement pendant 18 mois. En août 1992, il quitte l"Italie pour la Belgique où il séjourne durant 12 mois pour finalement retourner en Italie en août 1993 pour y rester jusqu"à son départ pour le Canada en novembre 1996.

[4]      Le demandeur a un dossier psychiatrique datant du 21 janvier 1998 et une évaluation psychologique datant du 17 mars 1998 indiquant, dans les deux cas, des problèmes psychologiques.

[5]      Le tribunal refuse d"accorder le statut de réfugié au demandeur au motif qu"un changement de circonstances est intervenu en Roumanie et qu"il n"a pu à craindre la persécution à cause de son homosexualité. En novembre 1996 des modifications législatives sont intervenues qui permettent les relations homosexuelles en privé de sorte qu"elles ne sont plus des actes criminels; par contre les relations homosexuelles demeurent illicites en public.

[6]      Le tribunal constate que la preuve documentaire ne relève que deux cas depuis 1993 où les personnes ont été emprisonnées pour avoir eu des relations homosexuelles dans un endroit public.

[7]      Le tribunal indique également que le demandeur n"a pas établi qu"il avait subi des persécutions tellement épouvantables pouvant justifier un refus de réclamer la protection de son pays et ce, conformément aux exigences de l"arrêt Obstoj 1 de la Cour d"appel fédérale en ce qui a trait à l"application du paragraphe 2(3) de la Loi sur l"immigration2.

[8]      Il souligne que le demandeur a vécu chez des parents jusqu"à son départ de Roumanie et qu"en ces circonstances, il croit qu"il sera apte à pouvoir s"établir de nouveau chez lui. Le tribunal souligne que le fait qu"il ait séjourné dans plusieurs pays, démontre sa débrouillardise et sa capacité d"adaptation sociale.

[9]      Le procureur du demandeur soumet que le tribunal a erré en droit en déterminant qu"il y a eu un changement de circonstances puisque ce ne sont pas toutes les relations homosexuelles qui sont dorénavant permises. Il allègue également que le tribunal aurait omis d"évaluer la gravité des atrocités dont le demandeur prétend avoir été victime.

ANALYSE

     Changement de circonstances

[10]      Essentiellement, le tribunal fonde sa décision sur le fait que les relations homosexuelles en privé ne sont désormais plus considérées comme des actes illicites. Le tribunal retient, de plus, que selon la preuve documentaire déposée, seulement deux personnes ont été emprisonnées pour avoir eu une relation homosexuelle en public depuis 1993.

[11]      À mon avis, tenant compte du test applicable quant à la crainte bien fondée de persécution et du changement de circonstances, il appert que depuis le départ du demandeur en 1991, l"ensemble de la preuve soumise permettait au tribunal de raisonnablement conclure qu"il y a effectivement eu un changement d"attitude du gouvernement vis-à-vis la communauté homosexuelle et qu"en ces circonstances, le demandeur n"a plus de motifs raisonnables de craindre la persécution.

     Présence ou absence de raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures selon le paragraphe 2(3) de la Loi.

[12]      C"est dans l"arrêt Obstoj que la Cour d"appel fédérale établissait le droit applicable quant à l"interprétation du paragraphe 2(3) de la Loi :

             Quelle que soit l"interprétation du paragraphe 2(3), elle doit s"étendre à quiconque a été reconnu comme réfugié à un moment donné, même bien après la date de la Convention. Il n"est donc guère surprenant que ce paragraphe doive être interprété comme exigeant des autorités canadiennes qu"elles accordent la reconnaissance du statut de réfugié pour des raisons d"ordre humanitaire à cette catégorie spéciale et limitée de personnes, c"est-à-dire ceux qui ont souffert d"une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu"ils n"auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution.             
             Les circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 2(3) doivent certes s"appliquer uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels. Je ne vois aucune raison de principe, et l"avocat n"en a pu proposer aucune, pour laquelle le succès ou l"échec des demandes de ces personnes devrait dépendre seulement du fait purement fortuit de savoir si elles ont obtenu la reconnaissance du statut de réfugié avant ou après le changement de la situation dans leur pays d"origine. En fait, une interprétation qui produisait un tel résultat me semblerait à la fois répugnante et absurde 3.             

[13]      Compte tenu de l"histoire relatée dans le FRP du demandeur et des interrogatoires ayant eu lieu lors de l"audition (soit celui du demandeur et celui de Monsieur Nanau Lucian, résident permanent qui connaît le demandeur depuis la Roumanie), et du test applicable sous le paragraphe 2(3) de la Loi , il appert de l"ensemble de la preuve qu"aucune erreur révisable n"a été commise par le tribunal.

[14]      En effet, bien que le demandeur indique avoir été interné dans un hôpital psychiatrique durant quelques mois, emprisonné à deux reprises et battu lors de ses séjours en prison, il demeure que les événements rapportés ne remplissent pas les conditions requises par la jurisprudence de notre Cour en ce qui a trait au niveau d"atrocité exigé. Par ailleurs, il est difficile de déterminer le niveau d"atrocité des événements vécus par le demandeur puisque ce dernier n"en fait aucune description.

[15]      À titre d"exemple, dans Jiminez4, le demandeur, originaire du Salvador rapporte avoir été électrocuté, mutilé, brûlé à l"aide de lait en ébullition et finalement laissé pour mort.

[16]      Tel que le tribunal le souligne, le demandeur est doué d"une grande capacité d"adaptation aux changements de situation et de débrouillardise puisqu"il a su voyager dans divers pays durant plus de cinq ans et ce, sans avoir eu de problèmes avec les autorités des différents pays. Suivant cette constatation, il est difficile de conclure que ce dernier a souffert d"un traumatisme psychologique tel qu"il continue d"être affecté par ce dernier et ce, près de 10 ans après sa survenance.

[17]      Le tribunal n"a commis aucune erreur dans son évaluation des faits quant à l"application du paragraphe 2(3) de la Loi .

[18]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[19]      Le procureur du demandeur demande la certification de la question suivante :

     Est-ce-que le tribunal peut substituer la preuve documentaire avec sa connaissance spécialisée sans avoir les informations spécifiques dans le domaine en litige?         


[20]      Je ne suis pas convaincue de la portée générale d"une telle question. Il n"y aura donc pas de question certifiée.

     Danièle Tremblay-Lamer

                                 JUGE

MONTRÉAL (QUÉBEC)

Le 5 mars 1999.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE LA COUR :      IMM-2140-98

INTITULÉ :      ANDREI MARIAN GICU

    

         Demandeur

     ET:
     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 4 mars 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU      5 mars 1999

COMPARUTIONS :

Me Serban Mihai Tismanariu      pour le demandeur

Me Marie-Claude Demers      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Serban Mihai Tismanariu, avocat     

Montréal, Québec      pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)      pour le défendeur

[21]     

__________________

1      Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1992] 2 C.F. 739 (C.A.F.).

2      L.R.C. (1985), ch. I-2.

3      Supra note 1 à la p. 748.

4      Jiminez c. Canada (M.E.I.) (le 25 janvier 1999), IMM-1718-98 (C.F. 1ère inst.).

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