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Date : 20211101


Dossier : IMM‑4406‑20

Référence : 2021 CF 1164

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

JARMANJIT SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Jarmanjit Singh, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas (l’agent) a refusé sa demande de permis de travail au motif qu’il n’avait pas démontré qu’il serait capable d’exercer adéquatement l’emploi et qu’il quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[2] M. Singh est un citoyen de l’Inde résidant aux Émirats arabes unis (les EAU), où il travaille comme camionneur. Il s’est fait offrir un poste de conducteur de grand routier auprès d’une société à Surrey, en Colombie‑Britannique. M. Singh soutient que l’agent n’avait pas de motifs raisonnables de conclure qu’il serait incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé ou qu’il ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Il affirme que l’agent n’a pas justifié sa décision, ce qui la rend déraisonnable.

[3] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je ne suis pas convaincue que la décision de l’agent est déraisonnable.

II. Question préliminaire

[4] Avant l’audience et avec l’accord du demandeur, j’ai autorisé Mme Sepideh Khazei, qui est stagiaire en droit en Colombie‑Britannique, à présenter des observations pour le compte du défendeur, sous la supervision d’un avocat : Article 2‑60 des règles intitulées Law Society Rules (Règles du Barreau) de la Law Society of British Columbia; articles 119 et 2 (définition d’« avocat ») des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106; paragraphe 11(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

III. Norme de contrôle

[5] La seule question en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire consiste à déterminer si la décision de l’agent de refuser la demande de permis de travail de M. Singh était déraisonnable. Un tribunal qui procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], aux para 85, 99. Il incombe à M. Singh de démontrer que la décision de l’agent est déraisonnable : Vavilov, au para 100.

IV. Analyse

[6] L’agent n’était pas convaincu que M. Singh serait en mesure d’exercer adéquatement l’emploi aux motifs que : i) le demandeur n’a pas démontré qu’il possédait une expérience de la conduite internationale sur une longue distance; ii) l’expérience de conduite de M. Singh limitée aux EAU ne correspond pas à l’expérience nécessaire de la conduite de camions pour transporter des marchandises et des matériaux sur de longues distances; iii) les EAU présentent des conditions météorologiques et des terrains considérablement différents de ceux du Canada; iv) M. Singh n’a ni produit un dossier de conduite sans tache des EAU ni démontré qu’il serait capable d’exercer son emploi sans mettre en danger la sécurité des Canadiens.

[7] En outre, l’agent n’était pas convaincu que M. Singh quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, en raison des motifs suivants : i) la nature temporaire du statut d’immigration de M. Singh aux EAU et ii) le fait que les observations et les éléments de preuve qu’il a présentés indiquaient qu’il avait des liens limités, voire inexistants, avec l’Inde et les EAU, alors que les raisons incitant le demandeur à rester au Canada étaient élevées.

[8] M. Singh soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle il n’est pas capable d’exercer l’emploi de conducteur de grand routier n’est pas étayée par la preuve. Il fait valoir que le règlement britanno‑colombien intitulé Employment Standards Regulations (Règlement sur les normes du travail), BC Reg 396/95, indique que le terme [TRADUCTION] « conducteur de grand routier » désigne un camionneur conduisant sur une distance supérieure à 160 km de son terminal d’attache. Ensuite, le demandeur affirme qu’une lettre fournie par son employeur aux EAU précise qu’il parcourt une distance pouvant atteindre de 500 km à 600 km, aller seulement.

[9] M. Singh soutient que l’agent n’a pas fourni d’explication claire et raisonnable quant aux points de référence choisis dans son évaluation (Sevilla c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 424) et que, de manière déraisonnable, il a adopté des normes subjectives. L’agent n’a expliqué ni la raison pour laquelle l’expérience de la conduite de 500 km à 600 km dans une direction était insuffisante, ni la raison pour laquelle M. Singh devrait posséder une expérience de conduite à l’extérieur des EAU, dans des conditions météorologiques et un terrain différents, et une expérience internationale de conduite de camion. M. Singh soutient que l’agent a conclu qu’il ne disposait pas d’un « dossier de conduite sans tache » des EAU, sans preuve. De plus, il s’appuie sur la décision Randhawa c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1294, où la Cour fédérale a fait valoir qu’il était déraisonnable pour l’agent de cette affaire de ne pas prendre en compte le fait que certains éléments de formation professionnelle seraient fournis. M. Singh affirme qu’il serait assujetti aux exigences canadiennes en matière d’octroi des permis de conduire.

[10] Le défendeur soutient qu’il incombait à M. Singh de démontrer qu’il était capable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé, et l’agent a conclu raisonnablement que celui‑ci ne s’était pas acquitté de son fardeau à cet égard. Le défendeur souligne l’absence de renseignements sur la formation en matière de sécurité que l’employeur éventuel fournirait de même que l’absence de dossier de conduite des EAU comme étant des lacunes importantes dans la demande de permis de travail de M. Singh. Le défendeur soutient que les arguments présentés par M. Singh représentent un désaccord avec l’évaluation réalisée par l’agent quant aux exigences de l’emploi, ce qui n’est pas un motif de contrôle judiciaire : Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95 [Sangha].

[11] Je ne suis pas persuadée que l’agent a tiré des conclusions non étayées ou adopté une norme déraisonnable en concluant que M. Singh n’avait pas établi qu’il serait capable d’exercer adéquatement l’emploi pour lequel le permis de travail avait été demandé. Des conditions météorologiques et des terrains différents ont une incidence sur les conditions routières, et il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent de faire remarquer les différences entre le Canada et les EAU à cet égard. Selon l’offre d’emploi, M. Singh conduirait des camions au Canada et aux États‑Unis; il était donc raisonnable pour l’agent de souligner le manque d’expérience de la conduite internationale sur une longue distance. C’est au demandeur que revient le fardeau de fournir des éléments de preuve suffisants pour démontrer sa compétence, et un agent des visas possède un large pouvoir discrétionnaire pour trancher l’affaire : Sangha, para 42; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 573, au para 31. La conclusion de l’agent selon laquelle M. Singh n’avait pas démontré qu’il pouvait exercer l’emploi de façon sécuritaire est raisonnable à la lumière du dossier.

[12] Le défaut de démontrer la capacité à exercer adéquatement l’emploi est suffisant pour justifier le refus de l’agent. Toutefois, j’examinerai les arguments des parties en ce qui concerne la conclusion de l’agent selon laquelle il n’était pas convaincu que M. Singh quitterait le Canada.

[13] M. Singh soutient que la conclusion selon laquelle on ne peut se fier à ce que le demandeur se conforme aux lois canadiennes est très grave (Cervjakova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1052, au para 12) et fait observer que l’agent n’a pas indiqué ce qui le motiverait à prolonger indûment son séjour au Canada. M. Singh affirme que les éléments de preuve montrent qu’il est retourné en Inde, son pays de citoyenneté, après avoir travaillé à l’étranger aux EAU. En particulier, il est retourné en Inde pendant 15 mois entre deux périodes d’emploi aux EAU. En outre, M. Singh a fourni comme éléments de preuve les économies nettes et les biens de sa famille comme liens avec l’Inde.

[14] Le défendeur souligne que l’évaluation visant à déterminer si un demandeur entretient des liens suffisants avec son pays d’origine pour inférer qu’il y retournera à la fin de son séjour autorisé est hautement discrétionnaire : Cruz c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018 CF 1283, au para 14; Perez Pena c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 796, au para 14. En l’espèce, M. Singh n’a pas démontré qu’il entretenait des liens importants avec l’Inde. Il n’a aucun emploi dans ce pays, et les actifs de sa famille ne sont pas ses propres liens. Malgré le fait que les parents de M. Singh et ses frères ou sœurs vivent en Inde, il était disposé à vivre séparé d’eux auparavant, pour des raisons économiques.

[15] À mon avis, la décision de l’agent selon laquelle M. Singh n’a pas établi qu’il quitterait le Canada après son séjour autorisé est raisonnable. Un décideur administratif est présumé avoir pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, à moins que l’on démontre le contraire (Sekhon c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018 CF 700, para 13, où l’on cite l’arrêt Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793, au para 17), et la conclusion de l’agent selon laquelle les éléments de preuve indiquaient des « liens limités voire inexistants » avec l’Inde ou les EAU est juste et raisonnable, et fondée sur le dossier en l’espèce. Le fait que M. Singh soit retourné en Inde entre deux emplois aux EAU n’est pas déterminant ni ne contredit la conclusion sur l’entretien de liens limités avec l’Inde. M. Singh ne s’est tout simplement pas acquitté du fardeau qu’il lui incombait, soit celui de fournir une preuve suffisante. À la lumière du dossier, les raisons justifient la décision de l’agent.

V. Conclusion

[16] M. Singh n’a pas établi que la décision de l’agent était déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[17] Les parties n’ont pas proposé de question à certifier. À mon avis, il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4406‑20

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4406‑20

 

INTITULÉ :

JARMANJIT SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AOÛT 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Victor Ing

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sepideh Khazei

Alison Brown

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sas & Ing, Immigration Law Centre

Barristers and Solicitors

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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