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Date : 20211101


Dossier : IMM‑4071‑20

Référence : 2021 CF 1163

Toronto (Ontario), le 1er novembre 2021

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

MANPREET SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Manpreet Singh demande à la Cour d’annuler la décision datée du 4 août 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a conclu qu’il n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), au motif qu’il dispose d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans plusieurs villes de l’Inde.

[2] Pour les motifs suivants, je conclus que la demande devrait être rejetée.

I. Demande d’asile de M. Singh au Canada

[3] Citoyen indien, M. Singh est arrivé au Canada le 10 août 2014 et a demandé l’asile le 2 octobre 2014.

[4] M. Singh a soutenu qu’il serait persécuté à son retour en Inde parce qu’il est un partisan du parti politique Shiromani Akali Dal Amritsar (le SADA) dans son État d’origine, le Pendjab. Son père était un membre influent du SADA et un militant, qui a prononcé des discours en public au nom du parti pendant de nombreuses années. Dans sa demande d’asile, M. Singh a indiqué qu’il était lui‑même engagé au sein du SADA en tant que bénévole depuis août 2012. Il aidait son père, faisait du bénévolat lors d’événements politiques et contribuait à l’organisation de réunions et de rassemblements.

[5] M. Singh a fondé sa demande d’asile sur deux événements. Le premier s’est produit en janvier 2013 chez ses parents, où il habitait aussi. Quatre agresseurs masqués qui étaient à sa recherche sont entrés de force dans le domicile. Lorsqu’ils ont su que M. Singh n’était pas là, ils ont agressé son père. Un voisin est intervenu, et les agresseurs sont partis. Son père a dû aller se faire soigner à l’hôpital. Il a communiqué avec son fils pour lui dire de ne pas rentrer à la maison ce jour‑là.

[6] Devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR), M. Singh a témoigné qu’avant de partir, les personnes qui avaient envahi le domicile de ses parents et attaqué son père avaient averti ce dernier d’arrêter de prêcher et de diffuser le message du SADA sinon, un jour, elles tueraient son fils (c.‑à‑d. M. Singh, qui n’a pas de frère).

[7] Selon le témoignage de M. Singh, les membres du SADA sont persécutés par un autre parti politique, Shiromani Akali Dal Badal, connu sous le nom de SADB. Selon M. Singh, les personnes qui avaient perpétré l’invasion de domicile étaient notamment des membres du SADB. (La SAR a précisé que le témoignage de M. Singh concernant l’allégeance politique des envahisseurs avait fini par changer pour inclure également des membres d’un autre parti politique rival au Pendjab, soit le parti du Congrès.)

[8] Un deuxième incident s’est produit en juin 2014. Des inconnus se sont présentés dans le village de M. Singh et ont posé des questions à son sujet. Une personne du village a informé le père de M. Singh que des inconnus étaient à la recherche de son fils. Le père a communiqué avec son fils pour lui dire encore une fois de ne pas rentrer à la maison ce jour‑là.

[9] En raison de ces incidents, le père et les proches de M. Singh ont estimé que la vie de M. Singh était en danger et qu’il devrait quitter le pays, ce qu’il a fait le 8 août 2014. Il est arrivé au Canada le 10 août 2014. Comme je l’ai déjà mentionné, il a demandé l’asile au Canada en octobre 2014.

[10] Depuis son arrivée au Canada, M. Singh a appris que la police est à sa recherche en Inde. Il a informé la SPR qu’en raison d’allégations faites par un parti politique de l’opposition, la police l’accuse faussement de s’être joint « aux militants » et d’avoir menacé de tuer des membres de l’opposition.

[11] En 2015, la police a arrêté le père de M. Singh et plusieurs autres membres du SADA. Le père a été détenu et agressé. La police lui a posé des questions au sujet de son fils et les a accusés de travailler pour les militants. Après avoir été mis en liberté, le père de M. Singh est entré dans la clandestinité. La mère de M. Singh a également quitté le domicile familial. La police a finalement retrouvé le père, qui vivait dans la clandestinité, et l’a arrêté.

[12] Personne n’a entendu parler du père de M. Singh depuis janvier 2016. Le demandeur a fait valoir que ce sont des rivaux politiques du SADA ou la police, qui travaille pour le compte des rivaux politiques, qui l’ont fait [traduction] « disparaître ». La police continue de harceler les membres de la famille de M. Singh.

[13] Devant la SPR et la SAR, M. Singh a déclaré qu’il n’était en sécurité nulle part en Inde, parce qu’il a appuyé le SADA et qu’il a été qualifié à tort de militant, comme son père. Il croit qu’il sera arrêté à son arrivée en Inde.

[14] La SAR a souligné que la preuve présente d’autres aspects importants. Premièrement, M. Singh a témoigné que le SADB l’accuse d’être un terroriste et accuse l’ensemble du SADA d’être un groupe terroriste. Deuxièmement, le parti SADB faisait partie du gouvernement au Pendjab lorsque les deux incidents décrits ci‑dessus se sont produits. Troisièmement, M. Singh a déclaré qu’il craignait la police, car elle était au service du parti politique au pouvoir (c.‑à‑d. le SADB, au moins jusqu’en août 2014 lorsqu’il a quitté l’Inde) et qu’elle ferait tout ce que le gouvernement lui dirait de faire.

[15] La SPR et la SAR ont rejeté sa demande d’asile. Elles ont conclu que M. Singh disposait d’une PRI en Inde, soit à Mumbai, à Kolkata et à New Delhi.

[16] Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Singh soutient que la décision de la SAR quant à l’existence d’une PRI était déraisonnable et devrait être annulée.


II. Norme de contrôle

[17] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, énoncée par la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[18] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable comporte une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives : Vavilov, aux para 12‑13. Les motifs fournis par le décideur constituent le point de départ. Ils doivent être interprétés de façon globale et contextuelle, et lus en corrélation avec le dossier dont disposait le décideur : Vavilov, aux para 84, 91‑96, 97 et 103.

[19] Le contrôle de la Cour doit s’intéresser au raisonnement suivi et au résultat de la décision : Vavilov, aux para 83 et 86. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, aux para 85 et 99.

[20] Il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, aux para 75 et 100.

III. Analyse de la SAR quant à la PRI

[21] La Cour d’appel fédérale a établi un critère à deux volets relatif à la PRI dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) (Rasaratnam), aux para 8‑10. Selon ce critère, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que (1) le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans le lieu envisagé comme PRI; et (2) il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont particulières au demandeur d’asile. Il incombe au demandeur d’asile de montrer que la PRI proposée est déraisonnable.

[22] En ce qui a trait au premier volet du critère relatif à la PRI énoncé dans l’arrêt Rasaratnam, M. Singh a soutenu que la SAR avait commis une erreur susceptible de contrôle :

  • en faisant fi de son témoignage; en ne tenant pas compte, dans l’évaluation du premier volet, des éléments de preuve qu’il a présentés quant à sa véritable crainte subjective de persécution; et en préférant la preuve documentaire à son témoignage portant sur sa crainte subjective;

  • en souscrivant à tort aux motifs de la SPR concernant la population et la géographie de l’Inde. La SPR a conclu que le demandeur serait en sécurité à Mumbai, à Kolkata et à New Delhi notamment parce que ce sont de grandes villes comptant une importante population, dans le sens où il serait difficile pour les agents de persécution de trouver le demandeur dans ces villes. Le demandeur a fait valoir que la SAR avait souscrit à ces conclusions, mais qu’elle avait néanmoins conclu dans d’autres décisions que les grands centres urbains ne peuvent systématiquement constituer une PRI.

[23] Relativement au deuxième volet du critère relatif à la PRI énoncé dans l’arrêt Rasaratnam, M. Singh a soutenu que la SAR n’a pas accordé une attention et une importance appropriées à la preuve voulant que la police indienne finirait par savoir que M. Singh vivait dans l’une des villes proposées comme PRI et qu’elle transmettrait l’information sur son emplacement aux agents de persécution. À l’appui de cet argument, le demandeur a invoqué les décisions Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1576 (le juge Ahmed) et Ng’Aya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1136 (le juge Barnes).

[24] J’examinerai successivement chacun des arguments de M. Singh.

A. Premier volet du critère de l’arrêt Rasaratnam

[25] Je ne puis admettre le premier argument de M. Singh selon lequel la SAR a fait fi de son témoignage. La décision de la SAR comporte une section intitulée « Témoignage – possibilité de refuge intérieur – premier volet » (motifs de la SAR, aux para 6‑9). De plus, la SAR a expressément renvoyé au témoignage de M. Singh dans son analyse aux paragraphes 24, 25, 26, 28, 29, 30, 36 et 38.

[26] Selon le deuxième argument du demandeur, la SAR n’a pas expressément tenu compte de son témoignage concernant ses craintes subjectives de retourner en Inde. Invoquant la décision Amit c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 381 (le juge Martineau), le demandeur a fait valoir que la SAR a rendu une décision déraisonnable puisque, dans son évaluation du premier volet du critère de l’arrêt Rasaratnam, elle n’a pas tenu compte de ses craintes subjectives. À l’audience, l’avocat du demandeur a mentionné le témoignage de M. Singh concernant les craintes suscitées par la disparition de son père et les craintes de l’ensemble de la famille découlant des incidents décrits ci‑dessus.

[27] Le défendeur a fait valoir que le témoignage d’un demandeur concernant ses craintes subjectives n’est pas déterminant pour décider s’il existe une PRI viable (citant les décisions Onyeme c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1243 (le juge Russell), au para 37; et Haastrup c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 141 (la juge Kane), au para 32).

[28] Dans la décision Amit, le juge Martineau a adopté le raisonnement suivant :

[2] Il faut se rappeler que la notion de PRI est inhérente à la définition même de « réfugié au sens de la Convention ». Le critère à appliquer pour savoir si un demandeur d’asile dispose d’une PRI comprend deux volets. D’abord, la PRI proposée ne doit comporter aucune possibilité sérieuse que la personne concernée soit persécutée ou soumise à la persécution, ou soit exposée au risque d’être soumise à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités; et deuxièmement, les conditions ayant cours dans la région de la PRI proposée doivent être telles qu’il ne serait pas déraisonnable que la personne concernée cherche refuge dans cette région : arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1992] 1 CF 706 (CAF).

[3] C’est au demandeur d’asile qu’il appartient d’apporter la preuve réelle et concrète des conditions qui pourraient mettre sa vie en danger (Morales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 216). À cet égard, la Commission commettra une erreur de droit si elle néglige de considérer, dans son analyse de la PRI, les risques particuliers auxquels se sent exposé un demandeur d’asile (Velasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] ACF n° 1496, aux paragraphes 15 à 22).

[4] Dans la décision contestée, la conclusion de la Commission selon laquelle une PRI existe n’est pas raisonnable. Il n’est pas contesté que la crainte de persécution qu’éprouve le demandeur repose sur un motif prévu par la Convention, à savoir les convictions politiques qu’on lui prête. Le raisonnement tout entier de la Commission est fondé sur le postulat erroné selon lequel le demandeur serait un militant sikh qui passe inaperçu, mais la véritable question ici est de savoir si, dans la mesure où l’on ajoute foi au récit du demandeur, un jeune Hindou qui a été détenu, photographié, interrogé et torturé par la police de New Delhi, et dont les empreintes digitales ont été relevées, en raison de ses liens supposés avec un présumé terroriste à la suite de l’attentat à la bombe en 2008 à Mumbai, a une crainte fondée de persécution partout en Inde.

[5] Au lieu de s’attacher à cet aspect fondamental de la demande d’asile, la Commission se fonde sur une preuve documentaire selon laquelle [traduction] « même si la police du Pendjab est véritablement déterminée à poursuivre, partout en Inde, les Sikhs qu’elle considère comme des militants purs et durs, en fait, seule une poignée de militants sont susceptibles de faire l’objet de mesures d’exécution de la loi si étendues » (Cartable national de documentation – Inde, 31 mai 2010, onglet 2.5). Quoi qu’il en soit, l’attentat à la bombe de Mumbai fut une grande tragédie qui a attiré l’attention nationale en Inde. La Commission n’ayant pas véritablement analysé la crainte subjective de persécution ressentie par le demandeur d’asile, sa conclusion selon laquelle il dispose à Bangalore d’une PRI est arbitraire.

[Non souligné dans l’original.]

[29] Le juge Martineau a annulé la décision et a renvoyé l’affaire devant la SPR en enjoignant au nouveau tribunal d’« analyser la crainte subjective du demandeur, et notamment évaluer la crédibilité et la vraisemblance de son récit, pour ensuite analyser le risque de persécution, la question de la PRI et l’existence d’une protection de l’État, selon le cas » : Amit, au para 8 et dans le dispositif du jugement, au para 2.

[30] En l’espèce, la SAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la preuve de crainte subjective présentée par le demandeur. Contrairement à ce qui s’est produit dans l’affaire Amit, en l’espèce, la SAR connaissait les craintes du demandeur et leurs sources. Tout au long de l’exposé de ses motifs et de son analyse, la SAR a manifesté sa compréhension des craintes du demandeur. Elle a également mentionné les craintes des membres de sa famille.

[31] Tout d’abord, la SAR a reproduit 15 paragraphes exposant de manière détaillée les motifs de la SPR pour décrire le contexte factuel ayant mené à la demande d’asile du demandeur. Dans ces paragraphes, la SPR a indiqué que le père et les proches de M. Singh « [avaient] décidé que la vie de ce dernier était en danger en Inde en raison des incidents susmentionnés et qu’il valait mieux qu’il quitte le pays ». Le père ne voulait pas avoir « à s’inquiéter de la sécurité de son fils » et croyait qu’il pourrait poursuivre ses activités politiques si son fils était en sécurité au Canada. Dans le passage cité, la SPR a ajouté que la police recherche toujours le demandeur et a mentionné la crainte de la mère de M. Singh pour sa sécurité, le fait que le père de M. Singh manquait toujours à l’appel et le fait que la police a continué à harceler la famille et les proches de M. Singh après son départ pour le Canada.

[32] En outre, dans ses propres motifs, la SAR a renvoyé au témoignage de M. Singh selon lequel il ne serait en sécurité nulle part en Inde « en tant que partisan du SADA et parce qu’il a été qualifié à tort de militant/terroriste comme son père ». La SAR a également mentionné la préoccupation qu’avait M. Singh d’être arrêté à son retour en Inde (motifs, au para 6; voir également le para 28). Au paragraphe 7, la SAR a pris note du témoignage de M. Singh selon lequel les villes proposées comme PRI ont toutes un processus obligatoire d’enregistrement des locataires, ce qui signifie que s’il devait un jour y trouver un logement, la police en serait informée. Il a soutenu que la police le recherchait en tant que militant et qu’elle indiquerait le lieu où il se trouve à ses ennemis politiques, dont les partis sont puissants et influents, qui viendraient alors le tuer. Il a fait valoir que, pour obtenir ces renseignements et cette aide de la police, qui est corrompue, ses ennemis ont simplement à la soudoyer. La SAR a ensuite mentionné la crainte de M. Singh envers la police, car elle était au service du ou des partis politiques au pouvoir et qu’elle ferait tout ce que le gouvernement lui dirait de faire (motifs, au para 30).

[33] La SAR a également souligné la prétention de M. Singh selon laquelle les opposants politiques à la SADA l’avaient ciblé et avaient menacé de le tuer lui, le fils unique de son père, pour faire pression sur son père afin qu’il cesse son militantisme politique (motifs, aux para 14 et 24‑25). Au paragraphe 27, la SAR a conclu qu’il était évident que le but des agresseurs était d’empêcher le travail politique du père de M. Singh. Elle a également jugé que la conclusion de la SPR selon laquelle ce but avait été atteint par le fait d’avoir réduit au silence et fait disparaître le père de M. Singh en 2016 était justifiée.

[34] De toute évidence, la SAR était bien au fait du fondement de la prétention de persécution de M. Singh et de ses craintes de ce qui se produirait advenant son retour en Inde. Ces craintes provenaient du témoignage de M. Singh. Dans son analyse de la PRI, la SAR a tenu compte de ces craintes et les a analysées. Par conséquent, la SAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en n’évaluant pas les craintes subjectives de M. Singh. Les motifs de la SAR à l’appui de ses conclusions sont transparents et justifiés et satisfont à l’exigence énoncée dans la décision Amit.

[35] Selon le troisième argument du demandeur, avancé dans ses observations écrites, la SAR aurait préféré la preuve documentaire au témoignage qu’il a livré, ce qu’elle n’aurait pas dû faire. Cet argument n’a pas été invoqué de manière très détaillée dans les documents du demandeur ou à l’audience. Par exemple, le demandeur n’a pas indiqué quels documents la SAR avait préférés à quel témoignage.

[36] En réponse, le défendeur a fait valoir que la Cour a conclu que le décideur a le droit de préférer une preuve documentaire à un témoignage, même un témoignage que le décideur juge crédible (citant Doka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 449 (le juge Russell), aux para 37‑38).

[37] À mon avis, il n’appartient pas à la cour de révision de tenter de relever elle‑même les détails des possibles documents et témoignages se trouvant dans les motifs de la SAR ou dans le dossier à l’appui de la position du demandeur. Elle risquerait alors de jouer un rôle semblable à celui d’une partie ou d’un défendeur, ce qui pourrait entraîner une importante iniquité pour l’autre partie (qui n’a peut‑être pas eu l’occasion de répondre convenablement). J’estime que je suis incapable de véritablement évaluer le bien‑fondé de la position du demandeur sur cette question. Aucune erreur susceptible de contrôle n’a été relevée.

[38] Le dernier argument du demandeur au sujet de l’analyse faite par la SAR du premier volet du critère de l’arrêt Rasaratnam portait sur les conclusions concernant la population et la géographie en Inde. Cependant, bien que la SPR ait expressément évalué et invoqué ces facteurs, je ne trouve aucune mention de ceux‑ci dans l’analyse de la SAR. La seule analyse portant sur la population et la géographie se trouve dans l’exposé faite par la SAR des principales conclusions de la SPR (motifs, aux para 11‑12). Par conséquent, le demandeur n’a pas démontré que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle à cet égard.

B. Deuxième volet du critère de l’arrêt Rasaratnam

[39] Dans l’arrêt Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164, la Cour d’appel fédérale a conclu que le deuxième volet de l’analyse de la PRI exige une preuve « réelle et concrète » de « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr » (au para 15).

[40] En l’espèce, pour le deuxième volet, la SAR a tenu compte de l’argument de M. Singh selon lequel il ne parle pas les langues les plus répandues dans chacune des villes proposées comme PRI. Il a soutenu qu’en tant que migrant sikh du Pendjab dans ces villes, il attirerait l’attention de la police, qui l’interrogerait alors sur les raisons pour lesquelles il a déménagé là. La SAR a conclu que, selon la preuve documentaire concernant l’Inde, depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, les sikhs vivent pacifiquement en Inde et la majorité d’entre eux ne subissent pas de discrimination sociale ou de violence. La SAR a également fait remarquer que toutes les principales villes en Inde comptent une communauté sikhe forte et que les minorités sikhes vivant à l’extérieur du Pendjab ont accès à des logements, à des emplois, à des soins de santé et à l’éducation et peuvent pratiquer leur religion librement. La SAR n’a trouvé aucun élément de preuve à l’appui de l’argument selon lequel M. Singh serait harcelé ou persécuté d’une quelconque façon dans l’une ou l’autre des villes proposées comme PRI ou qu’il y vivrait des difficultés linguistiques.

[41] Dans la présente demande, M. Singh a soutenu que la SAR n’a pas accordé une attention et une importance appropriées à la preuve voulant que la police indienne finirait par savoir que M. Singh habitait dans l’une des villes proposées comme PRI. Je ne suis pas de cet avis.

[42] Dans ses observations, le demandeur n’a pas démontré que la SAR s’est fondamentalement méprise sur la preuve quant à savoir si sa présence dans l’une des villes proposées comme PRI attirerait l’attention de la police. Comme l’a fait valoir le défendeur, essentiellement, le demandeur a plutôt demandé à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve, ce que la Cour ne peut pas faire : Vavilov, au para 125. Le demandeur n’a fait ressortir aucun élément de preuve précis dont la SAR a fait fi ou auquel elle n’aurait pas accordé l’attention et l’importance appropriées.

[43] Le dossier ne permet pas de savoir si le demandeur a présenté à la SAR des arguments fondés sur les décisions Abbas et Ng’Aya rendues par la Cour. Dans chacune de ces affaires, le caractère déraisonnable des villes proposées comme PRI découlait des risques sérieux auxquels étaient exposés les demandeurs, à savoir que des membres de leur famille qui étaient des agents de persécution finiraient pas connaître leur emplacement et que, par conséquent, les demandeurs auraient été obligés de cesser toutes relations avec leur famille respective afin d’être en sécurité dans ces villes : voir Ng’Aya, aux para 3‑6 et 12‑14; Abbas, aux para 1, 7‑8 et 26‑30. En l’espèce, les circonstances ne sont pas comparables. Dans son évaluation des villes proposées comme PRI, la SAR a examiné l’intérêt et la motivation ainsi que les moyens et la capacité de la police à retrouver le demandeur. Elle a conclu que la police avait les moyens de localiser le demandeur, mais qu’elle n’en aurait pas la motivation, car le père de M. Singh avait cessé son militantisme politique et que les partis politiques qui auraient pu ordonner à la police de continuer à chercher le demandeur ne faisaient plus partie du gouvernement. La SAR a également conclu que le SADB ne disposait pas d’un réseau indépendant de la police qui lui permettrait de savoir que M. Singh s’est installé dans l’une ou l’autre des villes proposées comme PRI. De plus, la SAR a conclu que M. Singh serait capable de se rendre en toute sécurité dans les villes proposées comme PRI, puisqu’il ne risquait pas sérieusement, compte tenu de son profil et des éléments de preuve tirés des documents sur la situation générale du pays, d’être arrêté à l’aéroport à son arrivée en Inde.

[44] Par conséquent, le demandeur n’a pas démontré que la décision de la SAR quant au deuxième volet du critère de l’arrêt Rasaratnam était déraisonnable selon la norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Vavilov.

IV. Conclusion

[45] Pour ces motifs, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la décision de la SAR est déraisonnable. La demande doit donc être rejetée.

[46] En terminant, je tiens à souligner que le demandeur a soulevé une nouvelle question dans ses observations orales présentées à l’audience relativement au parti, le SADA ou le SADB, qui est actuellement au pouvoir au Pendjab. L’avocate du défendeur a fait remarquer à juste titre que la question n’était pas mentionnée dans les documents écrits du demandeur. Elle a néanmoins présenté des observations spontanées pour y répondre, en soulignant notamment que le nouvel argument n’était étayé par aucune référence précise à la preuve. Dans les présents motifs, je ne me suis pas penché sur le fond de la nouvelle question en raison de l’absence de références à la preuve et par souci d’équité pour le défendeur.

[47] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et aucune question n’est formulée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4071‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4071‑20

 

INTITULÉ :

MANPREETH SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JUIN 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER NOVEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Balwinder Singh Sran

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lela Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Balwinder Singh Sran

Avocat

Sran Law Office

Brampton (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lela Jawando

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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