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Date : 20211007


Dossier : IMM‑2610‑20

Référence : 2021 CF 1052

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2021

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

MARCO VINICIO GUERRERO GARCIA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR], le 2 mars 2020. Dans cette décision, la SAR a confirmé la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] a déterminé que le demandeur avait des possibilités de refuge intérieur (PRI) à Veracruz ou à Tampico, au Mexique, et qu’il n’avait donc ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] Comme je l’explique plus en détail ci‑dessous, la présente demande est accueillie, parce que la SAR n’a pas suffisamment analysé l’effet qu’aurait un déménagement dans l’un des endroits proposés comme PRI sur la santé mentale du demandeur.

II. Contexte

[3] Le demandeur est un citoyen du Mexique. En janvier 2017, une personne qu’il connaît depuis l’enfance l’a abordé pour lui demander de devenir trafiquant de drogue pour le cartel de Sinaloa. Il a accepté, mais au lieu d’assister à la première réunion organisée par le cartel, il est entré dans la clandestinité et s’est rendu à Mexico, puis finalement au Canada. En février 2017, le demandeur a présenté une demande d’asile au motif qu’il craignait d’être persécuté par le cartel de Sinaloa s’il retournait au Mexique. Alors qu’il se cachait, et avant qu’il change de numéro de téléphone, des membres du cartel l’ont appelé à plusieurs reprises pour le menacer.

[4] Le demandeur a reçu un diagnostic de trouble de stress post‑traumatique, de trouble dépressif caractérisé chronique et de déficit cognitif entraînant une perte de mémoire. Il a des antécédents de toxicomanie. Bien que le demandeur soit sobre depuis un certain nombre d’années, sa consommation de drogues l’a laissé avec des problèmes de mémoire et de cognition.

[5] À la suite d’une audience tenue en avril 2019, la SPR a rendu une décision, datée du 13 août 2019, par laquelle elle a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La SPR a jugé le demandeur crédible, mais elle a rejeté sa demande d’asile après avoir conclu qu’il disposait de possibilités de refuge intérieur (PRI) à Tampico et à Veracruz.

[6] Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la SAR. Dans la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[7] La possibilité de refuge intérieur (PRI) était la question déterminante dans l’appel interjeté à la SAR. La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur était crédible, mais elle a également convenu avec cette dernière que le demandeur disposait d’une PRI viable à Tampico ou à Veracruz.

[8] La SAR a commencé par expliquer que la SPR avait appliqué l’analyse à deux volets relative à la PRI qui est décrite dans les arrêts Rasaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF) aux para 5-6, et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF) aux para 9, 11. Il s’agit de déterminer : a) s’il existe une possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté dans la partie du pays proposée comme PRI; b) si la situation dans la partie du pays que l’on estime constituer une PRI est telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile d’y chercher refuge, compte tenu de toutes les circonstances.

[9] S’agissant du premier volet de l’analyse, la SAR a déterminé que le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution dans l’un ou l’autre des endroits proposés comme PRI. Cela étant, elle a confirmé les conclusions suivantes de la SPR :

  1. le territoire régional du cartel de Sinaloa s’étend le long des régions nord et ouest du Mexique et les autres cartels concurrents règnent sur le territoire entourant les endroits proposés comme PRI;
  2. le demandeur n’avait pas établi, au-delà de la simple hypothèse, que le cartel de Sinaloa utiliserait des informateurs pour le chercher dans les endroits proposés comme PRI;
  3. le demandeur a été en mesure de prendre un autobus interurbain public de sa ville natale jusqu’à Mexico, ce qui indique que les tentatives du cartel pour le trouver n’étaient pas particulièrement approfondies ni sophistiquées;
  4. la famille du demandeur réside toujours dans la ville de Sinaloa et rien ne montre que l’un de ses membres a été contacté ou blessé par le cartel, ce que la SAR a considéré comme la preuve que le cartel ne se souciait pas de trouver le demandeur ni de le faire sortir de sa cachette;
  5. le demandeur n’a pas entendu parler du cartel depuis qu’il a quitté le Mexique et qu’il a obtenu un nouveau téléphone cellulaire, ce qui indique que l’intérêt du cartel pour le demandeur a diminué.

[10] Le demandeur a fait valoir devant la SAR qu’il ne pourrait vivre en sécurité nulle part au Mexique en raison de son accent de Sinaloa. La SAR a reconnu l’existence d’accents régionaux, mais elle a jugé qu’il était difficile de savoir comment l’identité du demandeur pourrait être portée à l’attention du cartel de Sinaloa, étant donné que le Mexique est un pays qui permet la liberté de mouvement et où il y a un grand nombre de villes cosmopolites dans lesquelles des gens d’origines diverses se côtoient (y compris dans les deux endroits proposés comme PRI).

[11] Le demandeur a également soutenu que la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte de son élément de preuve anecdotique concernant une autre personne qui était recherchée par un cartel dans le Sud du pays et qui avait tenté de s’échapper vers le Nord. Cette personne avait apparemment été trouvée et tuée. La SAR a reconnu que ces événements s’étaient produits, mais elle a conclu que l’anecdote ne révélait rien d’utile et ne permettait pas de tirer une quelconque conclusion de fait dans l’affaire du demandeur, parce qu’elle faisait apparemment référence à un autre cartel qui aurait une portée différente de celle du cartel de Sinaloa, et qu’elle ne révélait pas la nature de la vendetta en question, qui pouvait être très différente de celle de la présente affaire.

[12] La SAR a également rejeté l’argument du demandeur concernant le taux d’homicides en général au Mexique, expliquant qu’il n’avait aucun rapport avec le risque auquel le demandeur serait personnellement exposé dans les endroits proposés comme PRI.

[13] Enfin, la SAR a examiné l’analogie faite par le demandeur entre la vendetta dont il avait été la cible et d’autres cas d’asile impliquant la persécution politique et le rang. La SAR a indiqué qu’elle ne voyait pas très bien ce que le demandeur voulait démontrer en faisant cette analogie puisqu’il avait déjà été admis qu’il avait été la cible des efforts de recrutement du cartel de Sinaloa et qu’il avait reçu plusieurs appels téléphoniques de gens furieux. La SAR a expliqué que le demandeur n’avait présenté aucune preuve visant à établir que le cartel de Sinaloa pourrait le trouver dans les endroits proposés comme PRI.

[14] En ce qui concerne le deuxième volet de l’analyse, la SAR a conclu que les endroits proposés comme PRI seraient des refuges raisonnables pour le demandeur compte tenu de sa situation personnelle. Cela étant, la SAR a précisé que la SPR avait conclu que rien ne prouvait que le demandeur ne serait pas en mesure de trouver du travail dans l’un ou l’autre des endroits proposés comme PRI et qu’il devrait traverser le territoire du cartel de Sinaloa pour s’y rendre . Le demandeur n’avait contesté aucune de ces conclusions en appel.

[15] En fait, devant la SAR, le demandeur a plutôt contesté l’évaluation faite par la SPR du caractère raisonnable des endroits proposés comme PRI, car la preuve de nature psychologique versée au dossier montrait que son état mental pourrait régresser de façon importante s’il retournait au Mexique. Après avoir examiné la preuve, la SAR a conclu que le demandeur avait reçu un diagnostic de trouble d’anxiété généralisée, de trouble de stress post‑traumatique modéré, de trouble dépressif caractérisé modéré et de déficit cognitif entraînant une perte de mémoire. Elle a ajouté que le demandeur avait fait référence à un trouble bipolaire dans l’exposé circonstancié contenu dans sa demande d’asile. Elle a mentionné que le demandeur avait des antécédents de dépendance aux drogues illicites, mais qu’il était sobre depuis maintenant plusieurs années. La SAR a convenu avec la SPR que tous ces diagnostics étaient crédibles.

[16] Toutefois, la SAR a déterminé que la SPR ne s’était pas trompée en concluant que le demandeur serait en mesure d’accéder aux ressources en santé mentale dont il avait besoin au Mexique. La SAR a conclu que les antécédents du demandeur montraient qu’il s’était plutôt bien débrouillé au Mexique : avant de quitter le Mexique, le demandeur obtenait des soins en matière de santé mentale, prenait des médicaments et avait mis fin à sa consommation de drogues illicites. Rien ne prouvait qu’il n’existait pas de cliniques dans les endroits proposés comme PRI ou qu’elles empêcheraient le demandeur de les fréquenter, et le demandeur possédait la capacité de défendre ses intérêts et d’accéder au système de soins de santé dans les endroits proposés comme PRI.

[17] La SAR a fait remarquer que le demandeur avait fait valoir en appel que la SPR n’avait pas tenu compte du fait que c’était avant ses démêlés avec le cartel qu’il avait pu accéder à des ressources de santé mentale au Mexique. La SAR a reconnu que les efforts de recrutement du cartel et les appels téléphoniques qui ont suivi avaient été traumatisants pour le demandeur et que ce traumatisme interagissait vraisemblablement de façon complexe avec ses traumatismes antérieurs et ses autres problèmes de santé. Toutefois, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas dit dans quelle mesure le traumatisme découlant de son expérience avec le cartel ne pourrait pas être traité dans les endroits proposés comme PRI. Elle a expliqué que le critère pour déterminer le caractère raisonnable d’une PRI place la barre très haut, en ce que les conditions à l’endroit proposé comme PRI doivent être de nature à mettre en péril la vie ou la sécurité du demandeur d’asile. La SAR a conclu que le fait que le demandeur ait réussi à surmonter les traumatismes et les mauvais traitements dont il avait été victime était une preuve convaincante qu’il serait en mesure de se remettre des expériences plus récentes qu’il avait vécues.

[18] Par conséquent, la SAR a jugé que la SPR avait eu raison de conclure que les endroits proposés comme PRI, Tampico et Veracruz, étaient à la fois sûrs et raisonnables pour le demandeur, et elle a rejeté son appel.

IV. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[19] Le demandeur soumet les questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne risquait pas sérieusement d’être persécuté à Veracruz ou à Tampico?

  2. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable pour le demandeur de chercher refuge à Veracruz ou à Tampico?

[20] Les parties conviennent, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

V. Analyse

[21] Ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire repose sur les arguments avancés par le demandeur sur le deuxième volet de l’analyse relative à la PRI. Le demandeur soutient que la SAR a effectué une analyse déraisonnable de l’effet qu’aurait un déménagement dans l’un des endroits proposés comme PRI sur sa santé mentale. Il affirme que, à l’instar de la SPR, la SAR a analysé cet effet uniquement du point de vue de la capacité du demandeur à accéder à des services de santé mentale et n’a pas tenu compte de l’effet du déménagement même sur sa santé mentale et son risque de suicide.

[22] La preuve présentée par le demandeur comprend des rapports rédigés par son psychiatre, le Dr Christopher Kitamura, en avril 2017 et en février 2019, ainsi qu’un rapport préparé en mai 2019 par son médecin de famille, la Dre Vanessa Redditt. Dans son premier rapport, le Dr Kitamura explique que le demandeur souffre d’ un trouble de stress post‑traumatique, d’un trouble dépressif caractérisé chronique et d’un déficit cognitif entraînant une perte de mémoire, et parle des effets qu’aurait un retour au Mexique sur sa santé. Le Dr Kitamura explique qu’il est médicalement préjudiciable pour la personne qui souffre d’un trouble de stress post‑traumatique d’être placée contre son gré dans une situation qu’elle juge dangereuse et que la personne peut se rétablir si elle est traitée et qu’avec le temps, elle n’est plus exposée à la situation dangereuse. Le Dr Kitamura a exprimé l’opinion suivante :

[traduction] Étant donné que M. Vinicio Guerrero Garcia a quitté le Mexique parce qu’il y avait été traumatisé et qu’il ne s’y sentait pas en sécurité, il est probable que sa santé mentale se détériorerait et que ses symptômes de dépression et de trouble de stress post-traumatique s’aggraveraient s’il devait retourner au Mexique. Son risque de suicide augmenterait aussi probablement, en raison du sentiment de désespoir et d’impuissance que l’idée de retourner au Mexique déclencherait chez lui….

[23] Le deuxième rapport du Dr Kitamura va dans le même sens que le premier. Le Dr Kitamura décrit le processus de rétablissement du demandeur comme étant à ses débuts et fragile :

[traduction]… Aujourd’hui plus que jamais, il est impératif qu’il continue de vivre dans un environnement sûr et sécuritaire. Sa santé mentale risque de se détériorer de façon importante s’il retourne au Mexique : il risque de rechuter et de recommencer à consommer de l’héroïne ou d’autres drogues et, par le fait même, d’aggraver son état mental et cognitif, et de souffrir d’un déclin du fonctionnement et de sa santé physique.

[24] L’explication de la Dr Redditt sur les antécédents et le diagnostic psychiatriques du demandeur est conforme à celle du Dr Kitamura.

[25] C’est à la lumière de ces rapports médicaux que le demandeur a soutenu devant la SAR que la SPR n’avait pas vraiment tenu compte, dans son analyse relative à la PRI, de l’effet qu’un retour au Mexique aurait sur sa santé mentale. Il soutient maintenant, dans la présente demande de contrôle judiciaire, que la SAR a fait la même erreur. Je souscris à cette observation.

[26] Comme le fait valoir le demandeur, la partie pertinente de l’analyse relative à la PRI de la SAR porte entièrement sur l’accès à des traitements au Mexique et passe sous silence la preuve médicale sur l’effet qu’aurait son retour au Mexique sur sa santé mentale et sur sa capacité à accéder à des traitements. Je reconnais que la SAR a pris acte des deux arguments suivants du demandeur : a) ses éléments de preuve de nature psychologique montraient que son état mental pourrait régresser de façon importante s’il retournait au Mexique; b) il ne saurait pas comment accéder au système de soins de santé dans une nouvelle ville. Toutefois, les motifs de la SAR ne présentent aucune analyse de ces arguments ou des éléments de preuve connexes.

[27] Le défendeur soutient qu’il ressort de la décision que la SAR a tenu compte de l’incidence d’un déménagement dans un des endroits proposés comme PRI sur la santé mentale du demandeur. Il se fonde à cet égard sur l’extrait suivant de la décision :

L’appelant a fait valoir que la SPR n’avait pas tenu compte du fait que son succès antérieur en matière de santé mentale au Mexique était survenu avant son expérience avec le cartel. Je reconnais que les efforts de recrutement du cartel et les appels téléphoniques de gens furieux qui ont suivi ont été traumatisants pour l’appelant, et je reconnais également que ce traumatisme interagit vraisemblablement de façon complexe avec ses traumatismes antérieurs et ses autres problèmes de santé. Toutefois, ce qui n’a pas été dit dans l’argument de l’appelant est la question de savoir dans quelle mesure l’expérience traumatisante de l’appelant avec le cartel ne pourrait pas être traitée dans les endroits proposés comme PRI. La Cour fédérale a affirmé clairement que le critère du caractère raisonnable est une barre très haute qui doit mettre en péril la vie ou la sécurité du demandeur d’asile dans l’endroit proposé comme PRI.

[Souligné par le défendeur.]

[28] J’estime que cet extrait n’appuie que faiblement l’observation du défendeur et qu’il ne permet guère de conclure au caractère raisonnable de la décision. Comme le fait valoir le demandeur, cet extrait porte plutôt sur la question de savoir si ses problèmes de santé mentale seraient traitables dans un des endroits proposés comme PRI. Il ne révèle aucune analyse des éléments de preuve liés à l’effet que le déménagement dans un de ces endroits aurait sur sa santé mentale.

[29] Je souligne que le demandeur appuie son argument, selon lequel la décision est déraisonnable en raison de l’absence d’une telle analyse, sur la préoccupation exprimée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], au sujet des décideurs qui concentrent leurs analyses uniquement sur la disponibilité des services de santé mentale dans le pays de référence et qui passent sous silence les répercussions du renvoi du demandeur sur sa santé mentale (au para 48) :

... De plus, en s’attachant uniquement à la possibilité que Jeyakannan Kanthasamy soit traité au Sri Lanka, l’agente passe sous silence les répercussions de son renvoi du Canada sur sa santé mentale. [...] le fait même que Jeyakannan Kanthasamy verrait, selon toute vraisemblance, sa santé mentale se détériorer s’il était renvoyé au Sri Lanka constitue une considération pertinente qui doit être retenue puis soupesée, peu importe la possibilité d’obtenir au Sri Lanka des soins susceptibles d’améliorer son état…

[30] En réponse, le défendeur fait remarquer que les faits de l’affaire Kanthasamy étaient très différents et que la décision en cause dans cette affaire portait sur une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (CH). Je conviens que la Cour doit faire preuve de prudence en dégageant, par extrapolation, de l’analyse faite dans l’arrêt Kanthasamy, l’analyse requise pour évaluer la viabilité d’un endroit proposé comme PRI dans une affaire de demande d’asile. Par exemple, l’analyse que doit effectuer l’agent d’immigration qui étudie une demande CH suppose nécessairement une comparaison entre la situation dans laquelle se trouve le demandeur au Canada et la situation dans laquelle il se trouverait s’il retournait dans le pays de référence. En revanche, l’analyse relative à la PRI consiste principalement à comparer la situation à l’endroit proposé comme PRI et celle qui prévaut à l’endroit où a été persécuté le demandeur d’asile. Cela dit, je reconnais que l’arrêt Kanthasamy s’applique à l’affaire qui nous occupe dans la mesure où la Cour suprême y exprime ses inquiétudes au sujet du décideur qui ne tient pas compte des arguments avancés par un demandeur au sujet de sa santé mentale non plus que des éléments de preuve présentés à l’appui, et je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la décision visée par le présent contrôle montre qu’il y a eu un tel manquement.

[31] Je sais aussi que le défendeur invoque la décision Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643, dans laquelle le juge en chef Crampton a expliqué que, s’agissant du deuxième volet du critère de la PRI, le seuil à atteindre pour qu’il soit objectivement déraisonnable pour un demandeur d’asile de trouver refuge dans une PRI est très élevé. Le juge en chef a cité d’autres décisions selon lesquelles les conditions à l’endroit proposé comme PRI doivent être telles qu’elles mettent en péril la vie ou la sécurité du demandeur ou l’exposeraient à un danger physique ou à des épreuves indues. Toutefois, je n’ai aucune difficulté à conclure que les effets préjudiciables sur la santé mentale du demandeur, y compris le risque de suicide, qui sont décrits dans la preuve médicale qui m’a été présentée, pourraient atteindre ce seuil et auraient dû être analysés par la SAR.

[32] Compte tenu de ces conclusions, la décision est déraisonnable, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et il n’est pas nécessaire d’examiner l’autre question soulevée par le demandeur.

[33] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’appel et aucune n’est énoncée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-2610-20

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre membre de la SAR pour réexamen, le demandeur ayant le droit de présenter des observations à jour. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2610-20

INTITULÉ :

MARCO VINICIO GUERRERO GARCIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 septembre 2021

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 7 octobre 2021

COMPARUTIONS :

Marianne Lithwick

Pour le demandeur

Laoura Christodoloulides

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Lithwick Law

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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