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Date : 20211029


Dossier : IMM-3175-20

Référence : 2021 CF 1160

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

THASHIL ETWAROO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Thashil Etwaroo, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’immigration (l’agent) d’Immigration, Refugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a refusé sa demande de permis d’études (la demande) par application de l’article 220 et du paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

[2] Le demandeur soutient que la décision de l’agent est déraisonnable au motif que l’agent n’a pas suffisamment tenu compte des éléments de preuve qu’il avait produits et a conclu à tort qu’il ne disposait pas de ressources financières suffisantes pour financer ses études. Le demandeur fait également valoir que l’agent a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale, car il n’a pas demandé de renseignements supplémentaires sur les ressources financières dont il disposait pour financer ses études.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie.

II. Faits

A. Le demandeur

[4] Le demandeur est un citoyen de Maurice âgé de 26 ans. Le 1er octobre 2019, il a été admis à un programme de technicien en systèmes informatiques, d’une durée de deux ans, au Collège Fanshawe, à London (Ontario).

[5] Le 11 novembre 2019, le demandeur a présenté une demande de permis d’études. IRCC a rejeté cette demande le 30 décembre 2019 (la première décision) au motif que l’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du Règlement. Les motifs du rejet sont expliqués comme suit dans la première décision :

[traduction] […] Si je tiens compte de son plan d’études, il me semble que le demandeur n’[a] pas suffisamment bien établi que le programme d’études qu’il entend suivre serait une dépense raisonnable. Étant donné les raisons familiales ou économiques qu’il a de rester au Canada, ces raisons pourraient l’emporter sur les liens qu’il a dans son pays d’origine. Le plan d’études du demandeur semble vague et peu étayé. Après avoir soupesé les facteurs à prendre à considération dans cette demande, j’estime que le demandeur ne quittera pas le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable. Pour les motifs ci-dessus, je rejette cette demande.

[6] Le demandeur a présenté à la Cour une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la première décision. Il a ensuite, sur consentement, déposé un avis de désistement, et la décision a été annulée et renvoyée à un autre agent pour qu’il rende nouvelle décision après avoir donné au demandeur l’occasion de présenter des documents à jour, ce que le demandeur a fait le 15 juin 2020.

B. Décision contrôlée

[7] Dans une lettre datée du 7 juillet 2020, l’agent a rejeté la demande au motif qu’il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du Règlement, compte tenu de ses actifs personnels et de sa situation financière. De plus, l’agent ne croyait pas que le demandeur disposait de ressources financières suffisantes pour acquitter les frais de scolarité liés à son programme d’études, subvenir à ses propres besoins durant ses études et acquitter les frais de transport pour venir au Canada et en repartir, comme l’exige l’article 220 du Règlement.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[8] Le demandeur soulève les questions suivantes :

  1. La décision de l’agent de rejeter la demande était‑elle raisonnable?

  2. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[9] Les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique à la première question. Je suis d’accord (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 764 au para 12). J’estime que cette conclusion est conforme à l’arrêt de la Cour suprême du Canada Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16-17.

[10] La deuxième question est assujettie à la norme de la décision correcte, qui est celle qui reflète le mieux l’exercice qui consiste à déterminer si l’agent s’est conformé aux principes de l’équité procédurale (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35).

[11] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle rigoureuse, mais empreinte de déférence (Vavilov, aux para 12-13). La cour de révision doit déterminer si la décision contrôlée, notamment le raisonnement suivi et le résultat obtenu, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif qui lui est propre, du dossier présenté au décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes concernées (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).

[12] Pour qu’une décision soit déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte une lacune suffisamment capitale ou importante pour la rendre déraisonnable (Vavilov, au para 100). La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et elle ne doit pas modifier les conclusions de faits tirées par celui‑ci à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125).

[13] En revanche, la norme de la décision correcte est une norme qui n’appelle aucune déférence. La cour appelée à statuer sur une question d’équité procédurale doit essentiellement se demander si la procédure était équitable compte tenu de toutes les circonstances, y compris les facteurs énumérés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Baker) aux para 21-28; (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

IV. Analyse

A. La décision de l’agent de rejeter la demande était-elle raisonnable?

[14] La décision de l’agent se trouve en majeure partie dans les notes qu’il a entrées dans le Système mondial de gestion des cas, lesquelles font partie des motifs de la décision.

[15] Dans ses motifs, l’agent a reconnu que les renseignements à jour que lui avaient transmis le demandeur comprenaient des documents financiers détaillant les ressources financières que son oncle avait mises à sa disposition. L’agent a jugé que ces fonds étaient suffisants, mais que, puisqu’ils provenaient d’un tiers, ils pouvaient être retirés à tout moment. Il leur a donc accordé moins de poids :

[traduction] L’oncle et les parents du DP ont l’intention de financer les études de ce dernier. Je prends note des fonds initialement soumis au nom des parents (environ 2 400 CAD en nov. 2019 de la mère, et environ 1 800 CAD en nov. 2019 du père). Le DP a besoin d’environ 28 000 CAD.

Les fonds ne sont pas suffisants pour couvrir les frais de scolarité, les frais de subsistance durant un an et les frais de transport. La majeure partie des fonds du DP proviennent de l’oncle. Je constate qu’il y a des fonds suffisants dans un compte de la banque Afrasia en date de nov. 2019. Toutefois, des fonds provenant d’un tiers peuvent être retirés à tout moment, et on ne sait rien des autres obligations financières du répondant. Ainsi, j’accorde moins de poids à l’établissement économique du DP et de ses parents dans le PdeR et aux fonds disponibles. Dans les documents à jour qui ont été soumis, le représentant du demandeur a produit des documents financiers à jour concernant l’oncle qui montrent un solde suffisant.

Les relevés bancaires des parents du DP indiquent à peu près le même solde pour la mère, mais un solde d’environ 600 CAD seulement pour le père. Le DP a 1 700 CAD, ce qui semble être tout l’argent dans son compte selon son relevé bancaire. Je note également une LA à jour en date de début septembre. J’ai examiné tous les renseignements. Toutefois, je ne suis pas convaincu que ce demandeur soit un véritable étudiant.

[16] Le demandeur affirme qu’il a fourni de nombreux documents financiers pour démontrer qu’il avait à sa disposition suffisamment de ressources financières pour financer ses études et subvenir à ses besoins durant son séjour au Canada, notamment des fonds de ses parents et de son oncle, ainsi que ses propres économies.

[17] Le défendeur invoque la décision de la Cour, Touré c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 932 (Touré), pour faire valoir que le demandeur doit démontrer qu’il dispose de ressources financières suffisantes pour subvenir à ses besoins durant ses études (au para 10), et qu’il était raisonnable pour l’agent de ne pas tenir compte du soutien financier de l’oncle. Dans la décision Touré, la Cour a souscrit à la conclusion de l’agent, selon qui la preuve au dossier de la demande de permis d’études, qui permettait surtout d’établir le lien de parenté entre le demandeur et son garant potentiel, était insuffisante (aux para 13-15).

[18] J’estime que la présente affaire est différente de l’affaire Touré, en ce que les motifs de la décision qui nous occupe ne laissent pas croire que la preuve était insuffisante pour établir le lien entre le demandeur et son oncle, mais qu’ils tendent plutôt à indiquer que l’agent doutait de la disponibilité du soutien financier de l’oncle.

[19] Dans les documents présentés à IRCC par le demandeur se trouvait une déclaration signée et notariée de son oncle, M. Kamal Etwaroo, dans laquelle ce dernier affirmait que sa situation financière était stable et qu’il avait l’intention de financer les études de son neveu au Canada. La déclaration de l’oncle était accompagnée de documents attestant de ce soutien, dont les pièces d’identité de M. Kamal Etwaroo et ses relevés bancaires. La déclaration contenait le paragraphe suivant :

[traduction] Je certifie, par la présente, que ma situation financière est stable, et que je peux soutenir financièrement mon neveu, Thashil, durant ses études au Collège Fanshawe en Ontario, au Canada, notamment en ce qui concerne ses frais de scolarité et toutes les autres dépenses comme l’assurance médicale et autres frais connexes.

[20] Dans la décision Iyiola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 324 (Iyiola), la juge Fuhrer a jugé que les conclusions de l’agent n’étaient pas justifiées et étaient, par conséquent, déraisonnables parce qu’elles ne tenaient pas explicitement compte de certains éléments de preuve au dossier. Au paragraphe 19, la juge Fuhrer écrit que, même si le frère du demandeur s’était engagé à soutenir financièrement ce dernier durant ses études, l’agent avait mis exclusivement l’accent sur la situation financière du demandeur :

[…] tout en prenant acte des renseignements d’ordre financier du frère de M. Iyiola, l’agent des visas a, de manière inintelligible, exclusivement mis l’accent sur la situation financière de M. Iyiola, sans expliquer pourquoi l’engagement de son frère d’en assumer l’entière responsabilité financière n’a pas été pris en compte ou jugé suffisant […]

[Renvoi omis]

[21] À mon avis, la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas suffisamment de ressources financières pour financer ses études n’est pas justifiée compte tenu de la déclaration signée de l’oncle et de la preuve faisant état de sa stabilité financière et de sa volonté de soutenir le demandeur, notamment son engagement à lui offrir un emploi lorsqu’il aurait terminé ses études.

[22] Je conviens également avec le demandeur que la conclusion de l’agent selon laquelle son oncle pourrait retirer son aide à tout moment tient de la conjecture et que l’agent a tiré cette conclusion sans la justifier, ce qui, selon moi, est un motif pour annuler la décision (Huot c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2011 CF 180 au para 26).

[23] Par ailleurs, comme l’a déterminé la Cour au paragraphe 27 de la décision Lakhanpal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 694, l’agent doit expliquer en quoi les éléments de preuve dont il dispose ne remplissent pas les conditions d’admissibilité :

Bien qu’il soit indubitablement vrai qu’il incombe à la demanderesse de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour remplir les conditions d’admissibilité (voir par exemple la décision Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264 au para 22), il reste que l’agent a mission d’apprécier les éléments de preuve dont il dispose et d’expliquer en quoi ils ne remplissent pas les conditions d’admissibilité pour lesquelles il rejette la demande.

[24] J’estime que le demandeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver qu’il avait suffisamment de ressources financières pour financer ses études, et que la conclusion contraire de l’agent n’est pas transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15).

[25] Je souligne en outre qu’à l’audience, l’avocat du défendeur a fait valoir que l’agent avait non seulement conclu que le demandeur n’avait pas suffisamment de ressources financières pour financer ses études, mais que le demandeur n’était pas non plus suffisamment établi dans son pays de résidence. L’avocat du défendeur a souligné que le demandeur n’a pas d’enfant ni de famille, qu’il n’a pas atteint un certain niveau de scolarité, qu’il n’est pas établi économiquement et qu’il n’a pas non plus d’emploi stable à Maurice. Il a ajouté que le plan d’études du demandeur était peu étayé et que le demandeur n’avait pas dit explicitement qu’il retournerait à Maurice.

[26] Dans sa réponse, l’avocat du demandeur a à juste titre affirmé que, dans ses observations, le défendeur abordait une grande partie des motifs exposés dans la première décision et ne traitait pas de la décision de l’agent qui fait l’objet du présent contrôle. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que les observations formulées par le défendeur au cours de l’audience étaient embrouillées par l’historique du présent dossier. Les motifs fournis par l’agent dans la décision qui fait l’objet du présent contrôle portaient surtout sur la situation économique du demandeur, notamment sa capacité à financer ses études, et sur son programme d’études.

[27] De plus, je ne souscris pas à l’argument du défendeur selon lequel il était raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur avait peu de raisons de retourner à Maurice après ses études. Comme son avocat l’a plaidé au cours de l’audience, le demandeur a fourni des explications détaillées de son intention et de sa capacité d’étudier au Canada. Le demandeur a aussi dit clairement qu’il n’était pas riche, mais qu’il avait pris les mesures nécessaires pour obtenir de l’aide financière de son oncle.

[28] Comme l’a souligné à juste titre l’avocat du demandeur, ce dernier a la chance d’avoir un oncle qui est prêt à financer ses études au Canada afin qu’il puisse obtenir un diplôme qui est très recherché à Maurice. Il va sans dire que beaucoup d’étudiants ont besoin des membres de leur famille pour les aider à financer leurs études postsecondaires. Dans le présent cas, le défendeur prétend le contraire apparemment au motif que le demandeur a une famille moins bien nantie. Ce raisonnement est absurde et perpétue les stéréotypes à propos des personnes qui doivent constamment surmonter des obstacles pour accéder à des études supérieures. Le demandeur a clairement démontré qu’il a réuni les ressources financières nécessaires pour financer ses études. Le fait qu’il vient d’une famille à faible revenu ne devrait pas l’empêcher de chercher les occasions d’étudier et d’en profiter.

[29] Je conclus que l’agent n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve dont il disposait et qu’il a rendu une décision déraisonnable.

[30] À mon avis, compte tenu de la conclusion que j’ai tirée sur ce point, il n’est pas nécessaire d’examiner la deuxième question soulevée par le demandeur.

V. Conclusion

[31] J’estime que l’agent n’a pas suffisamment justifié sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas en mesure de financer ses études au Canada, malgré la preuve du contraire, de sorte que la décision est déraisonnable. J’accueille par conséquent la présente demande de contrôle judiciaire.

[32] Aucune question n’a été soulevée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3175-20

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision contrôlée est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs du jugement.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3175-20

 

INTITULÉ :

THASHIL ETWAROO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 SeptembrE 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 OctobRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Massood Joomratty

 

POUR LE DEMANDEUR

Jessica Ko

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Surrey (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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