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Date : 20211029


Dossier : IMM-2062-20

Référence : 2021 CF 1150

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 29 octobre 2021

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

ISAAC FAVOUR OLOBOR

DANIEL ELOGHOSA ISAAC-OLOBOR (mineur)

DAVID UYIOGHOSA ISAAC-OLOBOR (mineur)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs contestent une décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) datée du 25 février 2020. La SAR a rejeté leurs demandes de statut de réfugié au sens de la Convention et de protection présentées au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Ils demandent à notre Cour d’annuler la décision de la SAR et de renvoyer leurs demandes d’asile pour nouvel examen.

[2] Les demandeurs sont Isaac Olobor et ses deux fils, David et Daniel. Le père et les enfants ainsi qu’Iyabo Olobor, la femme du demandeur principal et la mère des demandeurs mineurs, ont demandé l’asile au Canada au motif que des membres de la famille élargie de M. Olobor ou la police les persécuteraient s’ils retournaient au Nigéria, car ceux-ci croient que Mme Olobor est lesbienne.

[3] En première instance, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté toutes leurs demandes d’asile. En appel devant la SAR, où de nouveaux éléments de preuve ont été présentés, Mme Olobor a eu gain de cause. Elle a qualité de réfugié au sens de la Convention.

[4] M. Olobor et ses deux fils ont soutenu qu’ils seraient également persécutés. La SAR n’était pas de cet avis. Elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que M. Olobor avait une crainte subjective de persécution. Elle a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que M. Olobor était exposé à un risque sérieux de persécution aux termes de l’article 96 ou à un risque de préjudice au sens du paragraphe 97(1) provenant de sa famille élargie ou de la police. Elle a tiré la même conclusion pour ce qui est de David. Daniel a la double citoyenneté nigériane et américaine, mais n’a pas présenté de demande d’asile à l’égard des États-Unis, de sorte que la SAR a rejeté ses prétentions.

[5] Devant notre Cour, les demandeurs ont fait valoir que la SAR avait commis une erreur en concluant que les prétentions de M. Olobor n’étaient pas fondées. Ils soutiennent que la preuve démontre que les membres de la famille élargie de M. Olobor et la police les poursuivraient au Nigéria tout comme ils persécuteraient Mme Olobor. Ils affirment également que la police poursuivrait M. Olobor, car il avait fourni un soutien matériel à une personne perçue comme étant membre de la communauté LGBTQ+, ce qui constitue une infraction à une loi nigériane.

[6] À mon avis, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. La SAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle suivant la description qu’en a donnée la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65. Premièrement, la SAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle quant à la question de savoir si les demandeurs avaient droit à une protection en tant que membres de la famille d’une personne ayant obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention. La conclusion de la SAR quant à la persécution de Mme Olobor ne concernait pas la famille en tant que groupe social. La SAR a conclu que M. Olobor n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve démontrant sa crainte subjective de sa famille élargie ou de la police pour justifier sa demande d’asile. Deuxièmement, la décision de la SAR ne peut pas être annulée au motif que la SAR n’a pas tenu compte d’un argument principal présenté par les demandeurs. Les demandeurs n’ont pas présenté à la SAR d’observations précises concernant le risque d’être persécutés par la police dans le contexte de la répression de l’infraction de soutien matériel à une personne perçue comme étant membre de la communauté LGBTQ+. La SAR a bel et bien examiné un point semblable lié à la complicité et a conclu au vu de la preuve que M. Olobor ne serait ni poursuivi ni maltraité par la police s’il retournait au Nigéria.

I. Faits et événements à l’origine de la demande de contrôle judiciaire

[7] Les demandeurs sont des citoyens du Nigéria. Daniel Olobor est également un citoyen des États-Unis.

[8] Le 15 février 2018, les demandeurs et Mme Olobor ont quitté le Nigéria pour aller aux États-Unis. Ils sont arrivés au Canada le 17 février 2018.

[9] Tous les membres de la famille ont présenté une demande d’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[10] Le 25 juin 2019, la SPR a rejeté leurs demandes.

[11] Ils ont interjeté appel auprès de la SAR et ont déposé de nouveaux éléments de preuve. La SAR a admis l’ensemble des nouveaux éléments de preuve, qui se sont avérés décisifs pour convaincre la SAR que Mme Olobor avait qualité de réfugié au sens de la Convention.

A. Décision de la SAR

[12] La SAR a d’abord exposé les allégations formulées par Mme Olobor :

À la suite d’un désaccord survenu en 2016 avec un ami qui lui devait de l’argent, l’ami a dit à la famille élargie que Mme Olobor trompait son mari et qu’elle le trompait depuis le début de leur mariage. La famille élargie a ensuite convoqué une réunion de famille en novembre 2016, et Mme Olobor s’est fait dire à la réunion qu’elle devait se soumettre à des rituels dans lesquels elle subirait des incisions dans la peau ainsi qu’une deuxième circoncision. Mme Olobor ne voulait pas se soumettre à de tels rituels. M. Olobor l’a appuyée. Mme Olobor ne s’est pas présentée pour les rituels. La famille élargie croit, après avoir consulté un oracle, que Mme Olobor est la cause d’un certain nombre de malheurs qui se sont produits dans la famille, y compris le décès d’un membre de la famille. La famille élargie n’a jamais accepté Mme Olobor comme épouse de M. Olobor et a insisté pour que M. Olobor épouse quelqu’un d’autre.

[13] Deux mois après la réunion familiale, la famille Olobor a fui à Ibadan. Un an plus tard, ils sont arrivés au Canada via les États-Unis. Le frère de Mme Olobor les a alors informés que des membres de la famille élargie de M. Olobor avaient jugé que Mme Olobor devait être une lesbienne et qu’ils en avaient avisé la police. La police a ensuite détenu le frère et la mère de Mme Olobor pendant plusieurs heures, dans l’espoir de trouver celle-ci.

(1) Demande d’asile de Mme Olobor

[14] La SAR a conclu que Mme Olobor avait qualité de réfugié au sens de la Convention en raison d’événements survenus après son arrivée au Canada. Plus précisément, la famille élargie de M. Olobor a signalé le prétendu lesbianisme de Mme Olobor aux autorités nigérianes. La SAR a conclu que l’homosexualité constituait une infraction criminelle au Nigéria et que la police nigériane recherchait donc Mme Olobor. Elle a aussi conclu que Mme Olobor avait un lien avec un motif prévu dans la Convention en raison de son appartenance à un groupe social, du moins dans l’esprit des membres de la famille élargie de M. Olobor et de la police nigériane, qui sont les agents de persécution.

[15] Selon la SAR, Mme Olobor avait une crainte subjective d’être persécutée par la police étant donné que celle-ci avait détenu son frère et sa mère pour qu’ils l’aident à la trouver. Le frère de Mme Olobor a présenté un affidavit indiquant que sa mère et lui avaient été détenus une seconde fois. Ils ont été accusés de complicité dans la perpétration d’une infraction criminelle. Son frère a demandé un avis juridique lorsqu’une invitation à se présenter au poste lui a été signifiée. Son avocat s’est rendu au poste de police et a versé la caution des deux personnes. La preuve comprenait l’invitation à se présenter au poste et une lettre notariée de l’avocat dans laquelle celui-ci explique et confirme sa participation. La SAR a conclu que la preuve sur la situation dans le pays démontre que les femmes lesbiennes sont traitées comme des criminelles et sont persécutées par l’État dans l’ensemble du pays.

[16] La SAR a aussi conclu que la crainte de persécution de Mme Olobor avait un fondement objectif. Elle a conclu que le fait d’être lesbienne constitue une infraction criminelle au Nigéria, passible d’une longue peine d’emprisonnement. La police a recherché Mme Olobor. Même si Mme Olobor a soutenu qu’elle n’était pas lesbienne, la SAR a conclu qu’il existait un risque sérieux qu’elle soit persécutée de toute façon. La police avait été avisée que Mme Olobor n’était pas lesbienne et avait continué de la rechercher. Compte tenu de la fortune et du poids politique du membre de la famille élargie de M. Olobor qui a déposé la plainte de nature criminelle, la SAR a conclu que la police continuerait de donner suite à cette plainte, ce qui mènerait à l’arrestation et à la persécution de Mme Olobor si elle devait retourner au Nigéria. Comme la police nigériane était mise en cause, la SAR a conclu que Mme Olobor ne bénéficierait pas de la protection de l’État et qu’il n’existait aucune possibilité de refuge intérieur.

(2) Demande d’asile de M. Olobor

[17] La SAR a conclu que M. Olobor n’avait pas de crainte subjective de persécution et qu’il n’existait aucun fondement objectif permettant d’établir qu’il était exposé à un risque prospectif au sens de l’article 96 ou à un préjudice au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR. Elle a jugé qu’elle n’avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure (directement ou par déduction) que M. Olobor avait peur de sa famille élargie, de la police ou de quiconque au Nigéria.

[18] M. Olobor n’a pas témoigné devant la SPR. Il a fait sien le fondement de la demande d’asile de sa femme. Par conséquent, M. Olobor n’a pas fourni de preuve directe démontrant sa crainte subjective. La SAR a également refusé de déduire du reste des éléments de preuve que M. Olobor avait une telle crainte. Elle a conclu que Mme Olobor, et non M. Olobor, était la cible de la persécution de la part de la famille élargie de M. Olobor.

[19] La SAR a examiné la preuve du fondement objectif de la demande de M. Olobor présentée au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. Elle a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir qu’il était plus probable que le contraire que M. Olobor soit exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruelles, ou au risque d’être soumis à la torture s’il retournait au Nigéria.

[20] Il y avait deux menaces ou risques en cause. Premièrement, la SAR n’a pas été persuadée par la preuve que M. Olobor risquait sérieusement d’être forcé de se marier contre son gré s’il retournait au Nigéria. Les désirs/menaces de sa famille existaient depuis 2011 et il n’avait pas été forcé à se marier contre son gré.

[21] Deuxièmement, la SAR a examiné la possibilité que des accusations criminelles soient portées contre lui. Bien que des plaintes aient été portées à la police contre sa femme, aucune plainte n’a été portée à la police contre M. Olobor.

[22] En ce qui a trait à l’accusation de complicité du crime de sa femme au Nigéria, la SAR a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que M. Olobor serait poursuivi et maltraité par la police s’il devait retourner au Nigéria.

(3) Demandes d’asile des fils

[23] La SAR s’est penchée sur les risques de persécution ou de préjudice auxquels le fils aîné, David, pourrait être exposé. Elle a conclu qu’il n’y avait pas non plus de preuve permettant d’établir qu’il était exposé à l’un ou l’autre de ces risques. Aucune menace n’avait été proférée envers David et la police n’avait manifesté aucun intérêt à son égard parce qu’il aurait été complice d’un crime. En effet, aucun argument à cet effet n’a été présenté en appel.

[24] Étant donné que Daniel est à la fois un citoyen du Nigéria et un citoyen des États-Unis, la SAR a conclu qu’il devait établir qu’il serait exposé au risque d’être persécuté ou au risque de subir un préjudice dans chaque pays de citoyenneté, ce qu’il n’a pas fait à l’égard des États-Unis, de sorte que sa demande d’asile a été rejetée.

[25] Dans la présente demande, les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

II. Norme de contrôle

[26] La norme de contrôle applicable à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est décrite dans l’arrêt Vavilov. Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision : Vavilov, aux para 75 et 100.

[27] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives : Vavilov, aux para 12-13. Il faut d’abord examiner les motifs fournis par le décideur, lesquels doivent être interprétés de façon globale et contextuelle et en corrélation avec le dossier dont disposait le décideur : Vavilov, aux para 84, 91-96, 97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 31.

[28] Le contrôle de la cour doit s’intéresser au raisonnement suivi et au résultat de la décision : Vavilov, aux para 83 et 86. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, aux para 85 et 99.


III. Analyse

A. La SAR a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en omettant de tenir compte du risque « dérivé » pour les demandeurs?

[29] Les demandeurs font valoir que la SAR n’a pas examiné de manière dérivée la question de savoir s’ils seraient la cible de persécution en raison de leur lien familial avec Mme Olobor, que la police nigériane et la famille élargie perçoivent comme une lesbienne. Bien qu’ils n’aient pas présenté d’observations précises expliquant comment David et Daniel pourraient être persécutés, ils ont soutenu que M. Olobor avait droit à la protection de la LIPR. Ils ont mis en évidence la preuve sur la situation dans le pays démontrant que la police du Nigéria cible et détient les membres de la famille de personnes recherchées qui sont soupçonnées de faire partie de la communauté LGBTQ+ (comme l’ont vécu la mère et le frère de Mme Olobor). Ils ont invoqué des éléments de preuve qui donnent à penser que la police poursuivrait les deux adultes. De plus, ils ont soutenu que la police pourrait essayer de faire pression sur M. Olobor ou de le retrouver pour trouver et persécuter sa femme.

[30] Les demandeurs ont invoqué des éléments de preuve dans le dossier, dont l’affidavit du frère de Mme Olobor, selon lesquels la police recherchait les deux adultes. Le frère de Mme Olobor a déclaré que la police lui avait dit qu’elle avait été informée qu’il [traduction] « savait où se trouvaient Iyabo Olobor et les membres de sa famille » (non souligné dans l’original). De même, la lettre notariée de l’avocat, mentionné ci-dessus, a confirmé que la police avait demandé la présence du frère et de la mère afin de [traduction] « savoir où se trouvaient la suspecte, Iyabo Olobor, et les membres de sa famille qui sont toujours en liberté » (non souligné dans l’original).

[31] En ce qui concerne la persécution de la part des membres de la famille élargie, les demandeurs ont insisté sur le fait que M. Olobor a soutenu sa femme contre les membres de sa famille élargie lorsque ceux-ci ont formulé des accusations contre elles et ont menacé de pratiquer certains rites inacceptables et de s’en prendre physiquement à elle. Les demandeurs ont fait remarquer qu’ils avaient quitté le Nigéria après qu’un cousin avait vu M. Olobor dans la nouvelle ville où ils habitaient (Ibadan) après avoir quitté leur ancien domicile à Benin City. Cette situation démontre que tous les demandeurs étaient confrontés aux risques ensemble et que ces risques ne pouvaient pas être dissociés, comme la SAR l’a insinué dans sa conclusion. La famille élargie croyait que M. Olobor cachait sa femme et elle rechercherait les deux. Les demandeurs ont soutenu que la SAR n’avait pas suffisamment tenu compte de la relation conjugale et familiale, invoquant les décisions Granada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1766, Ndegwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 847; et Corneille c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 901.

[32] Dans la décision Granada, le juge Martineau a déclaré qu’une famille pouvait être considérée comme un groupe social (un motif reconnu aux fins du statut de réfugié au sens de la Convention), mais uniquement dans les cas où certains éléments de preuve indiquent que la persécution vise les membres de la famille en tant que groupe social : Granada, au para 16.

[33] À l’audience, les demandeurs se sont appuyés sur le passage suivant tiré des motifs du juge Mosley dans l’affaire Ndegwa :

[8] La loi exige qu’un demandeur d’asile prouve qu’il existe un lien personnel entre lui et la persécution qu’il allègue fondée sur l’un des motifs prévus à la Convention. Par conséquent, la persécution indirecte n’est pas un fondement solide pour la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention : Pour-Shariati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1997), 215 N.R. 174, 39 Imm. L.R. (2d) 103 (C.A.) (Pour-Shariati); Granada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1766, [2004] A.C.F. no 2164 (QL).

[9] La reconnaissance de la famille comme groupe social aux fins d’une demande d’asile est bien établie dans la jurisprudence. Dans les cas où la demande d’asile est fondée sur l’appartenance à un groupe familial, il faut démontrer l’existence d’un lien personnel entre le demandeur et la persécution qui aurait été exercée pour un motif prévu à la Convention : Pour-Shariati, susmentionné. Il n’est pas suffisant de faire valoir la persécution subie par des membres de la famille s’il est peu probable que le demandeur soit directement touché. En l’espèce, il existe un lien suffisant entre la demande d’asile du demandeur et la persécution subie par sa femme et sa fille. Le demandeur est le mari et le père des femmes et, par conséquent, la décision de ne pas faire exciser sa fille lui ferait directement courir un risque.

[10] En l’espèce, le commissaire a commis une erreur en n’examinant pas si le demandeur serait persécuté du fait de son appartenance à sa famille immédiate. Bien que la persécution indirecte ne soit pas un fondement suffisant pour qu’une demande d’asile soit accueillie, en l’espèce, le commissaire aurait dû conclure que le demandeur risquerait d’être persécuté du fait de son appartenance à sa famille immédiate.

[34] Dans la décision Corneille, le juge O’Reilly a accueilli la demande de contrôle judiciaire parce que le décideur n’avait pas évalué comme il se doit le témoignage d’un enfant de huit ans indépendamment de celui de sa mère à propos des risques de mauvais traitements liés à l’orientation sexuelle de la mère : Corneille, aux para 3, 10 et 11.

[35] Le défendeur n’a pas contesté activement les principes juridiques applicables à l’examen par la SAR de la demande fondée sur le risque « dérivé » pour les demandeurs, mais a fait valoir que la présente affaire concernait le fardeau qui incombait aux demandeurs et l’insuffisance de la preuve. En ce qui a trait au fardeau, le défendeur a soutenu que les faits doivent être prouvés selon la prépondérance des probabilités, puis soupesés en fonction des critères juridiques applicables aux articles 96 et 97.

[36] Le défendeur a fait abondamment référence à l’évaluation de la preuve par la SAR et au raisonnement de celle-ci concernant la crainte subjective alléguée de M. Olobor et le fondement objectif au regard de l’article 96 et du paragraphe 97(1). Évoquant l’insuffisance de la preuve, le défendeur a indiqué que, pour ce qui est de la crainte subjective, M. Olobor n’a pas témoigné et s’est contenté d’utiliser le formulaire Fondement de la demande d’asile de sa femme. Il n’a pas souscrit au témoignage que sa femme a livré devant la SPR.

[37] Le défendeur a également donné des exemples tirés de la preuve qui tendaient à indiquer que seule Mme Olobor était la cible de persécution. Selon une déclaration du frère de Mme Olobor datée du 23 janvier 2019 qui a été déposée en preuve, la police a indiqué durant son interrogatoire qu’elle menait des recherches exhaustives pour retrouver Mme Olobor [traduction] « et les membres de sa famille, où qu’ils soient, afin de traduire Mme Olobor en justice » (non souligné dans l’original).

[38] À mon avis, les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR avait commis une erreur susceptible de contrôle.

[39] Le fait qu’un seul membre de la famille a été persécuté, ou le sera, ne donne pas à tous les autres membres de la famille la qualité de réfugié. Autrement dit, il n’existe pas de notion de persécution indirecte en droit canadien : Theodore c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 651 (juge Roussel) au para 8; Ramirez Estrada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1019 (juge LeBlanc) au para 8. Dans les cas où la demande d’asile d’une personne est fondée sur l’appartenance à un groupe familial, il faut démontrer l’existence d’un lien personnel entre le demandeur et la persécution qui aurait été exercée pour un motif prévu à la Convention : Ndegwa, aux para 8-9.

[40] En l’espèce, la SAR a conclu que Mme Olobor était victime de persécution de la part de la famille élargie de M. Olobor et de la police nigériane compte tenu de l’allégation selon laquelle elle est une lesbienne. Le lesbianisme constitue une infraction criminelle passible de 14 ans d’emprisonnement au Nigéria, une peine qui, selon la SAR, équivaut en soi à de la persécution. La persécution dont Mme Olobor est la cible selon la conclusion de la SAR ne visait pas la famille en tant que groupe social, et les événements donnant lieu à la persécution au Nigéria concernaient principalement Mme Olobor à titre personnel. La SAR a conclu que la famille de M. Olobor était la source de la plainte déposée à la police et que les membres de la famille ne cherchaient pas à ce que la police le cible. La SAR a conclu que « [t]ous les éléments de preuve dont [elle] dispose laissent supposer que c’est Mme Olobor qui est méprisée par la famille élargie, et que c’est elle qui est recherchée par la police nigériane à la demande de la famille élargie [...] ». La SAR a rejeté les préoccupations distinctes quant à la persécution de M. Olobor à titre personnel.

[41] De plus, et fait crucial pour trancher la demande en l’espèce, la SAR a conclu que le motif pour rejeter la demande de M. Olobor était qu’il n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve démontrant sa crainte subjective des membres de sa famille, de la police ou de quiconque au Nigéria. La SAR n’a trouvé aucune preuve directe à l’appui de la crainte subjective prétendue de M. Olobor et a refusé de déduire du reste de la preuve qu’il existait une telle crainte. Une lettre dans laquelle M. et Mme Olobor étaient menacés n’a pas démontré l’existence d’une crainte subjective parce que M. Olobor n’a pas témoigné à ce sujet.

[42] Les deux décisions favorables rendues à la suite d’un contrôle judiciaire et invoquées par le demandeur se distinguent de l’espèce, car dans ces affaires, le décideur avait omis de tenir compte de l’incidence de la demande d’asile accueillie sur les demandes d’asile des demandeurs : voir Ndegwa, aux para 9-10, et Corneille, au para 11. Dans la présente affaire, la SAR a examiné la demande d’asile de M. Olobor, notamment l’incidence des éléments de preuve liés à la demande d’asile de Mme Olobor.

[43] Même si les parties ont abondamment invoqué la preuve lors de l’audience devant notre Cour, la cour de révision ne peut pas prendre part au débat sur la question de savoir si la preuve permet de conclure que la famille élargie et la police nigériane recherchaient Mme Olobor ou tous les membres de sa famille, donc M. Olobor et leurs fils également, en tant que groupe. En prenant part au débat, la Cour emprunterait la voie d’une nouvelle appréciation de la preuve, ce qui n’est pas permis : Vavilov, au para 125.

[44] Enfin, le demandeur n’a pas démontré que la SAR a mal interprété la preuve ou n’en a pas tenu compte. Les demandeurs n’ont pas relevé de faits essentiels dont la SAR aurait omis de tenir compte. Voir Vavilov, au para 126; Loi sur les Cours fédérales, alinéa 18.1(4)d).

[45] Par conséquent, je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle dans son examen de la preuve relative à la demande d’asile de M. Olobor.

B. La SAR a-t-elle omis de tenir compte d’un argument principal présenté par les demandeurs?

[46] À l’audience, les demandeurs ont présenté un argument selon lequel la SAR aurait commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que de fournir un « soutien matériel » à une personne perçue comme étant lesbienne ou appartenant autrement à la communauté LGBTQ+ constitue une infraction criminelle au Nigéria. Ils ont affirmé que, même si Mme Olobor était la principale cible de la police, M. Olobor serait aussi recherché sur cette base. Selon l’arrêt Vavilov, l’omission de la SAR de tenir compte d’une position ou d’un argument principal présenté par les demandeurs, qui peut amener la Cour à perdre confiance dans la décision de la SAR, peut constituer une erreur susceptible de contrôle : Vavilov, aux para 127-128.

[47] Dans les observations écrites qu’ils ont présentées à la SAR, les demandeurs ont mis l’accent sur les allégations de Mme Olobor et ont peu traité des allégations propres à M. Olobor ou aux fils, ou de leurs allégations de risque dérivé. Ils n’y ont pas présenté l’argument, qu’ils font maintenant valoir devant notre Cour, du « soutien matériel » fourni par M. Olobor à une personne perçue comme étant membre de la communauté LGBTQ+. Je ne peux pas conclure que cet argument précis était si essentiel aux observations des demandeurs présentées à la SAR que celle-ci devait s’y attaquer en détail comme le prévoit l’arrêt Vavilov, au paragraphe 128.

[48] Toutefois, la SAR a bel et bien examiné et rejeté un argument relatif à la complicité qui, en l’espèce, est semblable à celui du « soutien matériel » avancé devant notre Cour. La SAR a conclu ce qui suit :

Si M. Olobor retournait au Nigéria, il pourrait être considéré comme complice du crime de Mme Olobor, ce dont la police a accusé le frère et la mère de Mme Olobor. Cependant, étant donné que la plainte a été portée par l’oncle de M. Olobor, qui est une personnalité politique, et qu’elle vise clairement Mme Olobor, et étant donné que l’ensemble de la preuve dont je dispose tend à démontrer les risques auxquels est exposée Mme Olobor et le désir de la famille élargie de récupérer M. Olobor, j’estime que la preuve ne permet pas d’établir, comme possibilité sérieuse ou selon la prépondérance des probabilités, que M. Olobor serait poursuivi et maltraité par la police s’il retournait au Nigéria.

[49] En appliquant les principes établis dans l’arrêt Vavilov, je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle.

IV. Conclusion

[50] Je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de la SAR devrait être annulée selon les principes de l’arrêt Vavilov. La décision de la SAR était fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et était justifiée au regard des faits et du droit applicable.

[51] La demande est donc rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2062-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel aux termes de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2062-20

 

INTITULÉ :

ISAAC FAVOUR OLOBOR, DANIEL ELOGHOSA ISAAC-OLOBOR (mineur), DAVID UYIOGHOSA ISAAC-OLOBOR (mineur) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 AVRIL 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 OCTOBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Solomon Orjiwuru

POUR LES DEMANDEURS

 

James Todd

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Solomon Orjiwuru

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

James Todd

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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