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Date : 20211015


Dossier : T-1475-20

Référence : 2021 CF 1076

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2021

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

Diane HAMEL

en sa qualité d’exécutrice testamentaire pour la succession de feu Jean-René Hébert

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Mme Diane Hamel, en sa qualité d’exécutrice testamentaire pour la succession de son époux feu Jean-René Hébert [le Défunt], demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 4 novembre 2020, par le directeur général, Direction de la politique législative, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires [le directeur général] de l’Agence du Revenu du Canada [l’Agence]. En bref, le directeur général conclut alors que la remise d’impôt ou des intérêts demandée ne peut pas être appuyée dans le cas du Défunt, qu’il n’est pas déraisonnable ou injuste de percevoir l’impôt et les intérêts correctement établis et qu’il n’est pas dans l’intérêt public d’accorder une remise.

[2] La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire est rendue par le directeur général en tant que représentant de la ministre du Revenu national [la Ministre] dans l’exercice du pouvoir prévu au paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F-11 [la Loi].

[3] Selon le paragraphe 23(2) de la Loi, le gouverneur en conseil peut, sur recommandation de la Ministre, faire remise de toutes taxes ou pénalités, ainsi que des intérêts afférents, s’il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise. Tel que le souligne le défendeur, le procureur général du Canada [le PGC], il s'agit d'une mesure exceptionnelle qui ne peut être accordée que si le gouverneur en conseil estime que la perception de la dette est déraisonnable ou injuste ou que l'intérêt public le justifie. La Ministre et ses représentants jouissent d'un très large pouvoir discrétionnaire quant à la décision de recommander ou non la remise demandée (Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c Canada (Procureur général), 2012 CF 823 [Twentieth Century Fox (CF)] au para 18 (conf. 2013 CAF 25 au para 11); Canada (Procureur général) c Abraham, 2012 CAF 266 au para 48; Première nation Waycobah c Canada (Procureur général), 2011 CAF 191 [Waycobah CAF] aux para 18-20).

[4] En dépit de la sympathie que j’éprouve pour Mme Hamel, je suis d’avis, pour les motifs qui suivent, qu’il y a lieu de rejeter la demande de contrôle judiciaire. Considérant la preuve au dossier, Mme Hamel ne m’a pas convaincue que la décision du directeur général est déraisonnable ou que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale ont été violés.

II. Le contexte selon la preuve au dossier

[5] Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, Mme Hamel dépose, avec son dossier de la demanderesse, son propre affidavit assermenté le 3 février 2021, l’affidavit de M. Steven Guillemette [l’analyste], analyste des politiques à la Section des remises et des délégations Direction de la politique législative, Direction générale de la politique législative et des affaires règlementaires de l’Agence [la Section des remises], 11 pièces et les documents certifiés selon la Règle 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[6] À titre préliminaire, le PGC soutient que l’affidavit de Mme Hamel contient plusieurs passages inadmissibles en preuve dans le cadre du présent contrôle judiciaire puisque Mme Hamel y affirme des faits qui n’étaient pas devant le décideur.

[7] Il est établi, notamment par la décision de la Cour d’appel fédérale [CAF] dans Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) 2012 CAF 22 [Access Copyright], que « [...] seule la preuve qui a été présentée au décideur administratif est pertinente et admissible en contrôle judiciaire » (Access Copyright au para 32). Or, M. Guillemette identifie les portions de l’affidavit de Mme Hamel contenant des faits n’ayant pas été portés à sa connaissance au cours du traitement de la demande de remise. Le paragraphe 20 de la décision Access Copyright établit trois exceptions au principe général interdisant l’admission de nouveaux éléments en preuve. Au titre de ces exceptions, la CAF qu’elle admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles de l’aider à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire pour apporter du contexte, et c’est cette exception qu’invoque Mme Hamel. La CAF précise cependant « [...] qu’on doit s'assurer que l'affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s'immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond » (Access Copyright au para 20).

[8] Ainsi, plusieurs éléments de l’affidavit de Mme Hamel signalés par M. Guillemette ne se trouvent effectivement pas dans le dossier certifié, n’étaient pas devant le décideur, dépassent la mise en contexte, ou les informations générales, et constituent des éléments de preuve visant le fond de la demande. Je ne les considérerai donc pas (voir les passages identifiés par M. Guillemette en lien avec les paragraphes 10, 20, 37 et 38 de l’affidavit de Mme Hamel). Ceci étant dit, l’inadmissibilité de ces éléments de preuve n’affecte pas ma décision.

[9] Les documents en preuve au dossier permettent de dresser le contexte décrit ci-après.

[10] Tristement, le 25 janvier 2017, M. Jean-René Hébert décède et Mme Hamel, son épouse, est la liquidatrice de sa succession.

[11] Le 9 mai 2017, à la suite de la production de la déclaration de revenus du Défunt pour l’année d’imposition 2016, l’Agence émet un avis de cotisation à l’égard de 2016. Cet avis de cotisation de 2016 indique notamment que :

À la date de cet avis, vous avez un montant inutilisé de pertes en capital nettes d’autres années de 48 191$. Vous pouvez utiliser ce montant pour réduire les gains en capital imposables que vous déclarez cette année. Si vous appliquez ce montant à d’autres années, vous pourriez devoir recalculer votre solde inutilisé parce différents taux d’inclusion s’appliquent aux gains en capital de ces années. Pour en savoir plus, consultez le guide T4037, Gains en capital.

[12] Le 27 novembre 2017, Mme Hamel transmet à l’Agence les documents confirmant qu’elle est la liquidatrice de la succession du Défunt, indique son souhait d’avoir accès aux déclarations d’impôts antérieures de ce dernier par le biais du service en ligne Mon dossier et demande à l’Agence de faire le nécessaire pour lui en donner l’accès (Dossier de la demanderesse [DD] à la p 138).

[13] Le 31 janvier 2018, le Service à la clientèle de l’Agence informe Mme Hamel, par lettre, ne pas pouvoir traiter sa demande faute d’un document/testament complet et signé, et lui demande donc de retourner sa demande avec une photocopie du document juridique complet et autres documents (DD à la p 139).

[14] Le 23 février 2018, Mme Hamel transmet au Service à la Clientèle de l’Agence les originaux des documents requis en demandant qu’ils lui soient ensuite retournés (DD à la p 140).

[15] Le 6 mars 2018, l’Agence inscrit Mme Hamel à titre de représentante légale du Défunt (Pièce E de l’affidavit de M. Guillemette).

[16] Le 9 mars 2018, le Service à la clientèle de l’Agence retourne à Mme Hamel les originaux des documents fournis et l’invite à communiquer par téléphone avec le personnel des Demandes de renseignement sur l’impôt des particuliers ou à visiter le site Web de l’Agence si elle souhaite obtenir des renseignements (DD à la p 141).

[17] Le dossier ne contient aucune indication que Mme Hamel a communiqué avec l’Agence au sujet du dossier fiscal du Défunt avant le 5 décembre 2018.

[18] Le ou vers le 16 mars 2018, Fiducie Desjardins émet un feuillet T4RSP à l’égard du Défunt indiquant qu’il détenait au moment de son décès un REER non échu ayant une juste valeur marchande de 124 124 $ (Pièce F de l’affidavit de M. Guillemette). Le 10 avril 2018, Mme Hamel signe le formulaire REER d’un rentier décédé – Remboursement de primes afin de désigner 69 758 $ de ce REER à titre de remboursement de prime pour l’année d’imposition 2017 (Pièce G de l’affidavit de M. Guillemette). Le 15 avril 2018, Mme Hamel produit la déclaration de revenus finale du Défunt pour l’année d’imposition 2017. Elle réclame une déduction de 72 288 $ au titre des pertes en capital nettes d’autres années.

[19] Selon la liste intégrée des notes au dossier de l’Agence du Défunt, entre le 23 février 2018 et le 15 avril 2018, Mme Hamel n’effectue aucun suivi quant à sa demande d’accès au portail électronique, et ne communique pas non plus par téléphone avec le personnel des Demandes de renseignements sur l’impôt des particuliers, dont les coordonnées lui ont été transmises par la lettre du 9 mars 2018 précitée (Pièce D de l’affidavit de M. Guillemette).

[20] Le 23 avril 2018, l’Agence émet un avis de cotisation à la succession du Défunt pour l’année 2017 et refuse la déduction de pertes en capital nettes d’autres années car les renseignements au dossier indiquent que la succession n’a pas droit à cette déduction dans sa déclaration de 2017 (Pièce I de l’affidavit de M. Guillemette).

[21] Le 28 avril 2018, Mme Hamel signifie un avis d’opposition à la Division des appels de l’Agence à l’encontre de l’avis de cotisation 2017 (DD à la p 191). Sur le formulaire qu’elle signe à cet égard, Mme Hamel souligne, au titre des motifs de son opposition, que l’avis de cotisation ne tient pas compte des pertes en capital nettes subies antérieurement et fait référence au Guide pour les personnes décédées (T4011) [le Guide] (Pièce J de l’affidavit de M. Guillemette).

[22] Le 5 décembre 2018, Mme Hamel contacte l’Agence pour avoir accès en ligne du compte du Défunt. Une demande de mise à jour de l’autorisation par courriel chiffré est transmise à la boîte aux lettre de la Section du système de l’identification des représentants des contribuables (SIRC) du centre fiscal (Pièce D de l’affidavit de M. Guillemette).

[23] Un relevé de l’Agence daté du 18 décembre 2020 indique que Mme Hamel est la représentante légale du Défunt, mais que « ACCES INTERNET : NON » (Pièce E de l’affidavit de M. Guillemette).

[24] Par ailleurs, en lien avec l’avis d’opposition, les notes intégrées du système révèlent que, le 29 janvier 2019, l’agent en charge du dossier d’opposition communique avec Mme Hamel et avec son comptable. Le 12 février 2019, l’agent discute avec le comptable et lui indique que l’opposition est rejetée puisque le Défunt avait demandé une exonération pour gain en capital (EGC) de 96 467 $ en 1990. Le comptable informe alors l’agent qu’il n’était pas au courant que le contribuable avait demandé une EGC en 1990 et il demande les documents internes de l’Agence qui démontrent ce fait (DD à la p 219). Le 14 février 2019, l’agent transmet les renseignements de la déclaration d’impôt du Défunt de 1990 et de 1995 (DD à la p 219). Le 25 février 2019, Mme Hamel contacte l’agent et souligne son mécontentement, car l’Agence ne lui a jamais communiqué cette information. Mme Hamel souligne notamment qu’elle trouve que l’Agence a été négligente de ne pas l’avoir informée dans les différentes lettres que l’Agence a envoyées où le solde de pertes nettes en capital est indiqué, mais pas le montant des EGP déjà utilisées. Le même jour, Mme Hamel laisse un message vocal à l’agent et demande la copie des annexes des déclarations du Défunt pour les années 1990 et 1995 et le nom du comptable pour ces années.

[25] Il n’est pas contesté que Mme Hamel ignorait, au moment de soumettre la déclaration d’impôts du Défunt au printemps 2018, que ce dernier avait demandé une EGC de 96 467 $ en 1990 et qu’elle ne l’a appris qu’en février 2019.

[26] Le 7 février 2019, la mise à jour de l’accès en ligne du représentant légal est complétée et, le 25 février 2019, Mme Hamel accède au compte en ligne Mon dossier du Défunt.

[27] Le 25 février 2019, le comptable transmet ses représentations à l’agent (Dossier du défendeur à la p 1). Le 15 mars, l’agent transmet au comptable son analyse et lui accorde jusqu’au 15 avril 2019 pour présenter par écrit les faits et motifs pertinents appuyant l’opposition (DD à la p 194).

[28] Le 26 avril 2019, Mme Hamel transmet sa position, toujours en lien avec son opposition. Elle y souligne avoir commencé à solliciter l’Agence pour avoir accès aux déclarations de revenus antérieures du défunt ainsi qu’à son dossier en ligne plusieurs mois à l’avance, par téléphone et par écrit. Elle réfère alors aux correspondances du 27 novembre 2017, du 31 janvier 2018, du 28 février 2018 et du 9 mars 2018 et au relevé des transactions en ligne Mon Dossier Succession JRH actif depuis le 25 février 2019 qu’elle joint à sa lettre (DD aux p 131-143). Mme Hamel soutient donc essentiellement que 1) le libellé de l’avis de cotisation 2016 indiquait un montant de pertes en capital nettes qui paraissait disponible pour la déduction réclamée; 2) l’Agence a tardé à lui donner accès au portail électronique, seul moyen de connaître l’existence des déductions demandées en 1990.

[29] Ultimement, le 31 mai 2019, l’Agence confirme la cotisation et rejette l’opposition de Mme Hamel (DD à la p 204).

[30] Le ou vers le 22 mai 2019, la chef d’équipe de la Division des appels transmet une demande de remise en vertu du paragraphe 23(2) de la Loi à Section des remises (DD à la p 144). La chef d’équipe inclut dans sa missive l’avis d’opposition signifié par Mme Hamel, les représentations du comptable du 25 février 2019, la présentation de l’agent du 15 mars 2019 et les représentations de Mme Hamel du 26 avril 2019.

[31] Le ou vers le 28 mai 2019, une agente de la Section des remises accuse réception de la demande de remise, informe Mme Hamel des quatre principaux facteurs d’analyse établis par les lignes directrices et l’invite à communiquer avec elle en lui donnant son numéro de téléphone (DD à la p 147). Il n’y a aucune indication que Mme Hamel a communiqué avec l’agente après la réception de cette lettre.

[32] Selon les notes au dossier de l’analyse de la demande de remise par l’analyste Steven Guillemette (DD à la p 177)), le 8 janvier 2020, ce dernier contacte Mme Hamel et le 9 janvier, il discute avec Mme Hamel au téléphone. Selon le relevé de conversation, en réponse à une question de l’analyste, Mme Hamel lui indique avoir essayé (« kept trying ») de contacter l’Agence et n’avoir obtenu l’accès en ligne qu’en février 2019.

[33] Le 13 juillet 2020, l’analyste adresse sa note de service au Comité des remises (DD à la p. 149). L’analyste note entre autres que « [l]es renseignements contenus dans les systèmes de l’Agence confirment que ce n’est pas avant le 25 février 2019 que Mme Hamel a accédé au compte du Défunt pour la première fois au moyen du service « Mon dossier » et qu’elle a examiné ses déclarations de revenus précédentes » (DD à la p 149). Mme Lynne Laplante, gestionnaire de M. Guillemette, signe le rapport à recommandation défavorable de remise et le transmet au Comité des remises (DD à la p 149).

[34] Le 16 juillet 2020, le Comité des remises examine le dossier et conclut unanimement que la recommandation de la remise n’est pas appropriée (DD à la p 158).

[35] Le 15 septembre 2020, Mme Lynne Laplante transmet un projet de lettre de décision, par courriel, au directeur général (DD à la p 160). Mme Laplante et le directeur général échangent des courriels jusqu’au 15 octobre 2020, date à laquelle le directeur général approuve la dernière version du projet de lettre de décision (DD à la p 160).

[36] Le 10 mars 2021, M. Guillemette signe son affidavit et consigne au paragraphe 14 avoir appris, après que la décision finale ait été rendue dans le dossier de demande de remise de Mme Hamel, que « [...] le champ « INTERNET : NON » de l’imprimé des informations relatives aux représentants autorisés au dossier du Défunt (pièce E) indique que l’accès au portail électronique Mon dossier n’était pas activé pour la demanderesse en date du 9 mars 2018 et que cet accès a été activé par l’ARC le 7 février 2019 ».

III. La décision contestée

[37] Le 4 novembre 2020, le directeur général conclut qu’une remise ne peut pas être recommandée. Dans sa décision, le directeur général aborde (1) le processus d’examen; (2) le résumé du contexte; (3) les résultats de l’examen, incluant (a) l’existence ou non d’une mesure incorrecte ou conseil erroné des fonctionnaires de l’Agence et les conséquences fiscales indésirables qui en auraient découlé; et (b) l’existence ou non de difficultés financières importantes associées à des circonstances atténuantes. Il dédie ensuite une courte section à sa conclusion.

[38] À la page 2 de sa décision, le directeur général souligne que Mme Hamel a indiqué n’avoir eu aucun moyen de savoir que le Défunt avait déjà réclamé une déduction pour gains en capital. Il souligne alors aussi que Mme Hamel indique aussi avoir demandé à l’Agence de lui fournir des renseignements pour remplir la déclaration de revenus finale du Défunt, mais n’avoir pas reçu tous les renseignements demandés avant la date limite de production de la déclaration de revenus. Enfin, il note que Mme Hamel déclare qu’elle aurait fait la planification fiscale de la succession différemment si elle avait su qu’aucune déduction n’était disponible, et que le fait de remplir la déclaration de revenus sans ces renseignements a entrainé des conséquences fiscales indésirables.

[39] Le directeur général examine si des fonctionnaires de l’Agence ont pris une mesure incorrecte ou fourni un conseil erroné et constate que 1) l’Agence a renvoyé à Mme Hamel ses documents le 9 mars 2018 et l’a informée de la possibilité de communiquer avec la ligne téléphonique des demandes de renseignements sur l’impôt des particuliers ou de visiter le site Web de l’Agence si des renseignements additionnels étaient nécessaire; (2) étant donné que la déclaration de revenus de 2017 du Défunt était exigible le 30 avril 2018, Mme Hamel a obtenu l’autorisation de consulter le compte d’impôt du Défunt un peu moins de deux mois avant la date limite de production (30 avril 2018); (3) ce n’est pas avant le 25 février 2019 que Mme Hamel a accédé au compte du Défunt au moyen du service Mon dossier pour la première fois, soit après avoir produit la déclaration de 2018; (4) il n’y a aucune indication au dossier ou dans les renseignements fournis concernant des circonstances qui auraient empêchées Mme Hamel de récupérer ces renseignements plus tôt. Le directeur général conclut que le retard encouru par Mme Hamel quant à la consultation des renseignements fiscaux du Défunt ne découle pas de mesures prises par l’Agence.

[40] Dns son affidavit, M. Guillemette reconnait qu’il ignorait, au moment de faire son analyse, que l’accès au portail électronique Mon dossier du compte du Défunt n’avait pas été activé le 9 mars 2018, au moment d’autoriser Mme Hamel à titre de représentante légale, et que cet accès a plutôt été activé le 7 février 2019. Le directeur général n’avait pas non plus cette information au moment de rendre sa décision.

[41] En lien avec l’argument de Mme Hamel au sujet de l’inexactitude de l’avis de cotisation de 2016, le directeur général cite l’énoncé qui y figurait quant au montant de pertes en capital nettes, et il conclut cet énoncé est exact. Il ajoute qu’il ne s’applique pas à une situation où un contribuable souhaite appliquer une perte en capital nette à ses autres sources de revenus (revenu autre qu’un gain en capital imposable) au cours de l’année du décès. Le directeur général rappelle que dans le régime d’autocotisation du Canada, les représentants légaux ont la responsabilité de faire en sorte que les renseignements qu’ils indiquent sont exacts et complets, et qu’il incombait à Mme Hamel de recueillir tous les renseignements nécessaires au moyen du service Mon dossier ou de la ligne téléphonique des demandes de renseignements sur l’impôt des particuliers.

[42] Le directeur général note en outre que l’attente d’une cotisation fiscale inférieure ne constitue pas une circonstance atténuante aux fins de remise. Il conclut ensuite que la remise de l’impôt ou des intérêts ne peut pas être appuyée dans le cas du Défunt.

IV. Position des parties

[43] Dans l’Avis de demande qu’elle dépose le 4 décembre 2020, Mme Hamel demande à la Cour d’infirmer la décision rendue par le directeur général et de renvoyer le dossier à la Ministre pour que la demande de remise soit réexaminée par un autre délégué. Au titre des motifs de sa demande, Mme Hamel ne mentionne alors que l’alinéa 18.1(4)(d) de la Loi sur les cours fédérales, LRC (1985) ch F-17 et soutient que la décision contestée est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée sans tenir compte des éléments dont l’Agence disposait.

[44] Dans son Mémoire des faits et du droit, Mme Hamel soutient que la Section des remises n’a pas respecté les principes de justice naturelle et d’équité procédurale et que la décision est déraisonnable.

[45] Premièrement, s’appuyant sur l’alinéa 18.1(4)(b) de la Loi sur les Cours fédérales, Mme Hamel soutient que la Section des remises n’a pas respecté son droit d’être entendue (1) au moment de l’analyse, puisque la décision a été rendue sur la base des dossiers internes de l’Agence que Mme Hamel n’a jamais pu consulter ni commenter de même que sur des lignes directrices se trouvant dans un Manuel sur les remises à l’intention des employés de l’Agence du revenu du Canada [le Manuel] (Pièce A de l’affidavit de M. Guillemette) auquel elle n’avait pas accès; (2) par un décideur sensible et attentif, puisque la Section des remise a omis de s’assurer dans ses dossiers qu’elle avait raison de dire qu’elle n’a eu accès au dossier fiscal en ligne du défunt qu’en février 2019; et (3) par un décideur impartial et de bonne foi, puisque la Section des remises n’a pas véritablement cherché à corroborer la version de Mme Hamel.

[46] Deuxièmement, s’appuyant sur le paragraphe 18.1(4)(d) de la Loi sur les Cours fédérales, Mme Hamel soutient que la norme est celle du caractère raisonnable de la décision et que la décision est en l’instance déraisonnable puisqu’elle est fondée sur une conclusion de faits erronée, tirée sans tenir compte des éléments disponibles. À cet égard, Mme Hamel soutient que l’Agence lui a accordé l’accès au dossier fiscal en ligne du défunt à compter du 7 février 2019 seulement, et non pas le 9 mars 2018, et que M. Guillemette a admis ce fait dans son affidavit au paragraphe 14. Mme Hamel ajoute ne pas avoir été avisée qu’elle avait accès au dossier, mais l’avoir constaté par hasard le 25 février 2019. Mme Hamel soutient donc que (1) la conclusion de la Section des remises selon laquelle Mme Hamel n’aurait pas fait d’effort pour accéder au dossier n’est pas intelligible puisqu’elle s’appuie sur une conviction erronée que Mme Hamel avait accès au dossier depuis le 9 mars 2018; (2) l’avis de cotisation de 2017 présente une information incomplète et constitue une mesure incorrecte prise par les fonctionnaires de l’Agence; et (3) la Section des remises aurait pu considérer que l’application de la législation fiscale donne lieu à des conséquences fiscales qui sont de toute évidence inéquitables et contraires à l’esprit de la loi.

[47] Le PGC répond que l’Avis de demande est muet à l’égard des allégations de violations à l’équité procédurale ce qui devrait entrainer un refus (St-Pierre c Canada (Procureur général), 2018 CF 1065 [St-Pierre] aux para 26-31, mais qu’à tout évènement, l’équité procédurale a été respectée dans le cadre du traitement de la demande de remise puisque Mme Hamel a été entendue, et que les représentants de la Ministre ont agi avec impartialité et puisque la norme du caractère raisonnable s’applique et la décision est raisonnable.

[48] Le PGC ajoute que l’équité procédurale a été respectée et que (1) Mme Hamel a été entendue, elle a eu l’occasion de transmettre ses représentations et rien dans la conduite des représentants de la Ministre n’a eu pour effet de la priver d’une opportunité de faire valoir sa position, considérant au surplus le contexte dans lequel l’obligation procédurale est minimale (Première nation Waycobah c Canada (Procureur général), 2010 CF 1188 [Waycobah CF]); (2) l’allégation de partialité ne rencontre pas le test établi et ne repose que sur des impressions et des conjonctures non prouvées.

[49] Le PGC répond aussi que la décision est raisonnable et note que (1) les motifs sont adaptés aux questions soumises; (2) l’information contenue à l’avis de cotisation 2016 est exacte; (3) Mme Hamel pouvait obtenir les renseignements contenus au dossier fiscal du Défunt en temps opportun; (4) Mme Hamel n’identifie pas les dispositions législatives en question ni en quoi le résultat de leur application serait contraire à l’esprit de la Loi.

V. Décision

A. Les principes de justice naturelle et d’équité procédurale

(1) Avis de demande

[50] La Cour doit déterminer si elle peut considérer les allégations de violations de 1'équité procédurale plaidées par Mme Hamel dans son Mémoire des faits et du droit.

[51] Le PGC cite la décision St-Pierre qui réfère à Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 [JP Morgan].

[52] M. le juge Stratas, dans l’arrêt JP Morgan au paragraphe 38, nous rappelle que « [d]ans un avis de demande de contrôle judiciaire, le demandeur doit présenter un énoncé « précis » de la mesure demandée et un énoncé « complet et concis » des motifs qu’il entend invoquer : Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, alinéas 301d) et 301e) ». C’est pourquoi, en sus de la réparation demandée, le demandeur se doit d’inclure un énoncé des motifs qui, bien que concis, demeure exhaustif. Les faits pertinents au soutien des motifs doivent également être inclus. Le demandeur ne devra toutefois pas inclure l’entièreté de la preuve qu’il soumettra au dossier, ni même énoncer l’identité des individus qui produiront des déclarations sous serment au soutien de la demande (voir par exemple Simpson Strong-Tie Company Inc c Peak Innovations Inc, 2008 CF 52; JP Morgan aux para 40-41).

[53] Alors que l’entièreté de la preuve ne figure évidemment pas dans l’Avis de demande de contrôle judiciaire, les motifs doivent tous être énoncés à ce stade préliminaire. La jurisprudence confirme effectivement qu’un motif qui n’a pas été énoncé dans l’Avis de demande ne peut être soulevé dans le mémoire de faits et du droit de la partie (voir par exemple l’arrêt Tl’azt’en Nation c Sam, 2013 CF 226 aux para 6-7).

[54] Dans cette dernière décision, la Cour souligne qu’il y a place à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Or, Mme Hamel souligne, dans son Avis de demande, qu’il lui était justifié de croire que le processus d’évaluation de sa demande de remise serait fait de manière juste et équitable, argument apparenté à celui invoqué dans son Mémoire.

[55] Je traiterai donc de ses arguments. Cependant, à tout évènement, tel que détaillé ci-après, l’examen de la preuve au dossier et de la jurisprudence me permettent de conclure que les principes d’équité procédurale ont été respectés.

(2) Argument en lien avec le droit d’être entendue par un décideur sensible et attentif

[56] Dans le présent cas, l’argument du droit d’être entendu par un décideur sensible et attentif n’a pas à être discuté dans l’examen des principes de justice naturelle et d’équité procédurale, mais doit être examiné au titre du caractère raisonnable de la décision, tel que l’explique le PGC au paragraphe 41 de ses représentations écrites.

(3) Argument en lien avec un décideur impartial et de bonne foi

[57] Quant aux allégations liées à un manquement au droit d’être entendu par un décideur impartial et de bonne foi, Mme Hamel ne cite aucune autorité qui discute de la question. Je cite plus amplement la décision Arthur c Canada (Canada (Procureur général)), 2001 CAF 223 mentionnée par le PGC :

Le procureur du demandeur me semble avoir confondu la règle audi alteram partem et le droit de son client à une audition par un tribunal impartial. Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l'encontre d'un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l'intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d'un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. Pour ce faire, il est souvent utile et même nécessaire de recourir à des preuves extrinsèques au dossier. C'est pourquoi ces preuves sont admissibles en dérogation au principe qu'une demande de contrôle judiciaire doit porter sur le dossier tel que constitué devant le tribunal. [Je souligne.]

[58] Mme Hamel n’a soumis aucune preuve pour soutenir son allégation et n’a pas prouvé un comportement dérogatoire à la norme. Je ne retiendrai donc pas cet argument.

(4) Droit d’être entendu

a) Niveau minimal d’équité procédurale

[59] Le cadre analytique applicable à l’examen de l’équité procédurale exige d’établir d’abord le niveau d’équité procédurale auquel le décideur est tenu ou auquel le demandeur est tenu dans le contexte particulier de l’affaire.

[60] En l’instance, et tel que le PGC le souligne, la Cour, dans la décision Waycobah CF (confirmé en appel dans la décision Waycobah CAF) discute des exigences d’équité procédurale dans le contexte de la remise de la Loi. La Cour souligne que « [...] la décision de recommander ou non une remise est très différente d’une décision judiciaire, puisqu’elle laisse une grande place à l’exercice du pouvoir discrétionnaire et exige l’examen de plusieurs facteurs. En outre, la remise de taxes constitue une exception aux principes généraux du droit fiscal et ne constitue clairement pas un droit de la personne concernée, même si elle peut manifestement avoir une grande incidence sur la situation de cette personne et confirme que pris dans leur ensemble, les facteurs commandent une obligation d’équité procédurale minimale » (Waycobah CF au para 54).

[61] La CAF dans Waycobah CAF a quant à elle précisé que la Loi ne prévoit aucune procédure pour régir les demandes de remise de taxes. Cela est laissé à la discrétion du Ministre (Waycobah CAF au para 30) et que le processus suivi, bien que n’incluant pas une occasion de « parler » directement au décideur, offre une occasion d’être entendu (Waycobah CAF au para 33).

b) Norme de contrôle

[62] Il s’agit ensuite d’établir la norme de contrôle applicable, bien que le terme ne soit pas toujours entièrement jugé approprié lorsqu’il est question de justice naturelle et d’équité procédurale. En effet, par exemple, au paragraphe 24 de la décision Waycobah CF, la Cour note que « [e]nfin, il est bien établi que les questions de justice naturelle n’ont pas à faire l’objet d’une analyse relative à la norme de contrôle. Elles s’apparentent davantage à des questions de droit. Dans ces cas, aucune déférence n’est nécessaire : soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation : voir Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 ».

[63] La Cour suprême, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], n’a pas traité de la norme applicable à une allégation de violation d’équité procédurale, sauf pour réitérer les facteurs énoncés dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 au paragraphe 77. Par ailleurs, la CAF a réitéré qu’à « [...] l’heure actuelle, il n’y a pas unanimité à la Cour au sujet de la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale » (CMRRA-SODRAC Inc c Apple Canada Inc, 2020 CAF 101 [CMRRA-SODRAC Inc] au para 15; voir aussi l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160 aux para 67-71). La CAF a confirmé que la Cour suprême n’a donné aucune indication à ce sujet dans l’arrêt Vavilov qu’elle a rendu récemment (CMRRA-SODRAC Inc). Dans la décision Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au paragraphe 56, la CAF a noté que:

Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. Cela pourrait s’avérer problématique si une décision a priori sur la question de savoir si la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte ou la norme de la décision raisonnable donnait une réponse différente à ce qui est une question singulière fondamentale à la notion de justice – a-t-on accordé à la partie le droit d’être entendue et la possibilité de connaître la preuve qu’elle doit réfuter? L’équité procédurale n’est pas sacrifiée sur l’autel de la déférence.

[64] Tel que l’a cité Mme Hamel, la décision de la CAF Canada (Procureur général) c Select Brand Distributeurs Inc, 2010 CAF 3 [Select Brand Distributeurs Inc] au paragraphe 46, stipule que « [l]’obligation d’agir avec équité exige du tribunal administratif qu’il permette aux parties de connaître les éléments auxquels elles doivent répondre et qu’il leur accorde la possibilité de le faire ». Il convient d’abord d’établir comment la Cour doit évaluer cet aspect.

[65] Le juge Gascon discute de l’équité procédurale de manière générale au paragraphe 28 de sa décision Haba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 732 :

L’obligation d’agir équitablement ne concerne pas le bien-fondé ou le contenu d’une décision rendue, mais se rapporte plutôt au processus suivi. Cette obligation comporte deux volets : le droit à une audition juste et impartiale devant un tribunal indépendant, et le droit d’être entendu (Re Therrien, 2001 CSC 35 au para 82). La nature et la portée de l’obligation d’équité procédurale peuvent varier en fonction des attributs du tribunal administratif et de sa loi habilitante mais, toujours, ses exigences renvoient à la procédure et non aux droits substantifs déterminés par le tribunal. Le principe d’équité procédurale protège les personnes, et permet l’intervention de la Cour au besoin, lorsqu’une décision ne respecte pas le droit d’un justiciable à une procédure juste et équitable.

c) Application aux faits

[66] Mme Hamel, aux paragraphes 16 à 29 de son Mémoire des faits et du droit, soutient qu’elle n’a pas été entendue au moment de l’analyse. Elle cite certaines sections du Manuel et note en particulier l’indication que « [l]es personnes souhaitant faire une demande de remise doivent être avisée d’envoyer leur demande écrite à l’adresse [...] » alors que, dans son cas, sa demande de remise a été présentée à la Section des remises par la gestionnaire de la Division des appels, une fois l’opposition rejetée.

[67] Mme Hamel note aussi la décision Select Brand Distributeurs Inc pour le principe que le droit d’être entendu exige que le décideur d’un tribunal administratif informe les parties des critères sur la base desquels la décision sera rendue, et qu’il donne l’occasion aux parties de présenter leurs observations en conséquences. Mme Hamel soutient que ce principe n’a pas été respecté puisque (1) l’analyste ne lui a pas fait part des lignes directrices s’appliquant à une demande de remise, ni à son droit à faire part de ses motifs; (2) aucun renseignement supplémentaire ne lui a été demandé pendant le processus d’analyse; (3) elle a reçu la décision finale sans avoir eu aucune occasion de répondre aux hypothèses émises sur lesquelles la décision contestée était fondée; (4) la décision a été rendue sur la base des dossiers internes à l’Agence qu’elle n’a jamais pu contester de même que sur des lignes directrices se trouvant dans un manuel auquel elle n’avait pas accès et qui est à l’usage exclusif de l’Agence (Mokrycke c Canada (Procureur général), 2020 CF 1027 [Mokrycke]).

[68] Je note qu’il n’y a pas de preuve de l’existence de dossiers internes qui auraient été considérés par le décideur, mais qui n’auraient pas été inclus dans le dossier certifié selon la Règle 318.

[69] Je note ensuite particulièrement le texte de l’accusé de réception de la demande de remise du 28 mai 2019 (DD à la p 147) dans lequel Mme Jessica Delcourt communique les critères établis par des directives :

Le bien-fondé de chaque demande est soigneusement étudié selon des directives pour établir s’il y a présence d’une situation financière extrêmement difficile, de mesure ou conseil erroné des fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada, de difficultés financières associées à des circonstances atténuantes, ou de résultats non voulus découlant des dispositions législatives.

[70] Au surplus, dans sa lettre, Mme Delcourt invite Mme Hamel à communiquer avec elle ou à écrire à la Direction générale de la politique législative et consigne d’ailleurs l’adresse postale. Mme Hamel ne s’est pas prévalue de cette opportunité. En outre, la preuve révèle que l’analyste a contacté Mme Hamel et qu’ils ont eu l’occasion de discuter du dossier.

[71] Je constate aussi que la présente affaire se distingue de Mokrycke, puisque, notamment, le texte de l’accusé de réception de Mme Delcourt réfère aux directives.

[72] Tel que souligné par la jurisprudence citée précédemment, la Loi ne prévoit aucune exigence procédurale particulière régissant les demandes de remise. La procédure à suivre est plutôt laissée à la discrétion de la Ministre. Dans ce contexte et constatant le caractère discrétionnaire et exceptionnel de la remise en elle-même, l’obligation d'équité procédurale est minimale. La CAF a considéré, tel que mentionné précédemment, que le droit d'être entendu est respecté dès lors que le décideur dispose d'un résumé dressant un portrait complet des principaux fondements de la demande de remise lui permettant de rendre une décision éclairée (Waycobah CAF aux para 32-33). Je souscris à la position du PGC telle qu’énoncée aux paragraphes 84 et 88 de ses représentations écrites et conclus, à la lumière de la preuve, que Mme Hamel a eu l’occasion de soumettre des représentations, qu’elle a été dûment entendue et que rien dans la conduite des représentants de la Ministre n’a eu pour effet de la priver d’une opportunité de faire valoir sa position.

B. Le caractère raisonnable de la décision

[73] Mme Hamel plaide que les motifs fournis adaptés aux questions centrales, ou le droit d’être entendu par un décideur sensible et attentif, est une question liée à l’équité procédurale en citant les paragraphes 127 et 128 de Vavilov (MDH aux para 30 et ss). Or, ces paragraphes se retrouvent sous l’aspect « III. L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable », sous le sous-aspect « E. Une décision raisonnable est à la fois fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et justifié à la lumière des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision », puis sous « (2) Une décision raisonnable est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision » et finalement sous « (e) Les observations des parties ». Ainsi, tel que le souligne le PGC au paragraphe 41 de ses représentations écrites, ce point se doit d’être discuté dans le cadre du caractère raisonnable de la décision.

(1) Norme de contrôle

[74] Je suis d’accord avec les parties qu’il convient d’évaluer la décision du directeur général à l’aune de la norme de la décision raisonnable (Vavilov). Le rôle de la Cour en révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La cour de révision doit tenir compte « du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov au para 15). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov au para 99, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] aux para 47 et 74, et Catalyst Paper Corp c North Cowichan (District), 2012 CSC 2 au para 13).

[75] Ainsi, il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » (en italiques dans l’original) (Vavilov au para 86). Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). Le Cour doit porter son attention sur la décision qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle elle serait elle-même parvenue si elle avait eu à décider.

[76] Dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur administratif pour en arriver à sa conclusion (Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). Il importe de rappeler que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire, et doit encore témoigner d’un respect envers le rôle distinct conféré aux décideurs administratifs (Vavilov aux para 13 et 75). La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable repose sur le « respect du choix d’organisation institutionnelle de la part du législateur qui a préféré confier le pouvoir décisionnel à un décideur administratif plutôt qu’à une cour de justice » (Vavilov au para 46). La déférence est particulièrement la norme lorsqu’il s’agit pour le décideur, d’exercer un pouvoir discrétionnaire ((Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c Canada (Procureur général), 2012 CF 823 au para 18 (conf. 2013 CAF 25 au para 11); Canada (Procureur général) c Abraham, 2012 CAF 266 au para 48; Première nation Waycobah c Canada (Procureur général), 2011 CAF 191 aux para 18-20). Dans le présent cas, le caractère raisonnable de la décision du décideur n’est pas compromis car le décideur ne s’est pas fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise (Vavilov au para 126). La conclusion erronée du décideur par rapport à l’accès au dossier en ligne n’est pas déterminante et n’est pas au cœur de la question que devait examiner le décideur (Vavilov aux para 100 et 126).

(2) Arguments

[77] Mme Hamel soutient d’abord que la décision découle d’une conclusion de faits erronée tirée sans tenir compte des éléments disponibles puisque le portail d’accès en ligne a été activé en février 2019 et non pas en Mars 2018. M. Guillemette a reconnu que ce fait n’était pas connu, cependant, tel que le soumet le PGC, cette erreur n’est pas fatale compte tenu des circonstances.

[78] D’abord, et le directeur général l’a souligné dans sa décision, Mme Hamel était bien inscrite comme représentante légale et avait accès au dossier du Défunt à partir du 9 mars 2018. Or, rien n’indique qu’elle ait tenté d’obtenir des informations via le portail ou via un autre moyen avant le mois de décembre 2018, et certainement pas avant de produire la déclaration du Défunt au printemps 2018.

[79] Cette situation s’explique par le fait, tel que la preuve le confirme, que Mme Hamel et son comptable ignoraient que le Défunt avait utilisé une EGC en 1990. Mme Hamel n’avait conséquemment aucune raison apparente de chercher à avoir accès aux anciennes déclarations du Défunt.

[80] À cet égard, Mme Hamel ne m’a pas convaincue qu’il appartient à l’Agence d’informer la succession de l’historique détaillé de la situation fiscale du défunt avant que la succession ne produise la déclaration d’impôt de ce dernier. Au surplus, tout indique que l’avis de cotisation ne contient pas d’erreur.

[81] À l’audience, le PGC rappelle que le principe d’autocotisation est au cœur du régime fiscal canadien : c’est la responsabilité du contribuable de faire ses choix fiscaux, et ce n’est pas le rôle de l’Agence de chapeauter le tout. De plus, le Guide, auquel se réfère Mme Hamel dans sa lettre d’opposition du 26 avril 2019 (DD à la p 130), énonce les étapes du calcul des pertes en lien avec le calcul des pertes en capital nettes applicable dans le cas d’une personne décédée ainsi que les mises en garde nécessaires.

[82] Enfin, rien n’indique que la décision du directeur général ne tient pas compte des principes du Manuel ou qu’il était déraisonnable pour le directeur général de conclure que l’avis de cotisation était exact. L’information à la disposition de Mme Hamel, dont le Guide, lui permettait de constater par elle-même les exigences de la loi quant aux déductions des pertes en capital nettes en cas de décès. Finalement, je ne retiens pas l’argument de Mme Hamel quant au résultat non voulu de l’application des dispositions législatives. Je conviens, comme le PGC, que l’argument est incomplet.

VI. Conclusion

La décision du directeur général est raisonnable. L’analyse est cohérente, rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le directeur général est assujetti (Vavilov au para 85). Je retrouve dans la décision du directeur général les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). La lacune dans la décision, c’est-à-dire de ne pas avoir observé et analysé l’absence d’accès au portail électronique, n’est pas conséquente et n’est pas fatale, compte tenu de toutes les circonstances du dossier.


JUGEMENT dans T-1475-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Des dépens de 500.00$ sont accordés en faveur du défendeur.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-1475-20

INTITULÉ :

DIANE HAMELen sa qualité d’exécutrice testamentaire pour la succession de feu Jean-René Hébert c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC) PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 SEPTEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 15 OCTOBRE 2021

COMPARUTIONS :

Madame Diane Hamel

Se représentant seule

Me Olivier Charbonneau-Saulnier

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Madame Diane Hamel

Montréal (Québec)

SE REPRÉSENTANT SEULE

Procureur Général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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