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Date : 20211019


Dossier : T-1449-19

Référence : 2021 CF 1101

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

JONARD CAPINPIN CRUZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Jonard Capinpin Cruz sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent de la citoyenneté (l’agent) a rejeté une demande de citoyenneté canadienne pour sa nièce et fille adoptive, qui est une citoyenne des Philippines. M. Cruz fait valoir que la décision devrait être annulée parce que l’agent a manqué à l’équité procédurale et que sa décision est déraisonnable.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que M. Cruz n’a pas démontré que l’agent a manqué à l’équité procédurale ou qu’il a rendu une décision déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Question préliminaire : admissibilité de la preuve

[3] M. Cruz a déposé un affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Le défendeur soutient que certaines parties de l’affidavit (les paragraphes 7-8 et les pièces F-G) sont inadmissibles, car elles contiennent des éléments de preuve dont ne disposait pas l’agent : Popov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 898 au para 35. M. Cruz soutient que les éléments de preuve sont visés par l’une des exceptions à la règle habituelle et sont donc admissibles, car ils étayent son affirmation selon laquelle l’agent a manqué à l’équité procédurale : Scarlett c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1051 au para 9, citant Rizvi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 717 au para 29. Il affirme que les éléments de preuve se rapportent à ses attentes à l’égard de la procédure que l’agent suivrait et à ses efforts pour obtenir les documents que celui-ci lui avait demandés.

[4] En principe, le dossier de preuve qui est soumis dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Association des universités et collèges du Canada] au para 19. La cour de révision doit être consciente que son rôle ne consiste pas à tirer des conclusions de fait ou à rendre une nouvelle décision sur le fond. Le fait de limiter la preuve à celle qui figure au dossier tient compte des rôles distincts joués par le décideur et par la cour de révision, et les exceptions à la règle générale doivent être compatibles avec ces rôles : Association des universités et collèges du Canada, au para 20. Trois exceptions qui ne portent pas atteinte à ces rôles distincts concernent les éléments de preuve qui : (i) contiennent des informations générales susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, dans la mesure où ils ne se rapportent pas au bien-fondé de la décision administrative; (ii) expliquent des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier, permettant ainsi à la Cour de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale; et (iii) font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée : Association des universités et collèges du Canada, au para 20.

[5] À mon avis, les paragraphes 7-8 et les pièces F-G de l’affidavit de M. Cruz sont visés par les première et deuxième exceptions susmentionnées. Ces éléments de preuve sont pertinents dans une certaine mesure pour établir si l’agent a manqué à l’équité procédurale, et je les juge admissibles.

III. Norme de contrôle

[6] Les questions relatives à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon une norme qui s’apparente à celle de la décision correcte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [Chemin de fer Canadien Pacifique]. L’obligation d’équité procédurale est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 77 [Vavilov]. La cour qui apprécie une question relative à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54.

[7] La question de savoir si la décision de l’agent est raisonnable doit être tranchée conformément aux directives formulées dans l’arrêt Vavilov. La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse : Vavilov, aux para 12-13, 75 et 85. La cour de révision ne se demande pas quelle décision elle aurait rendue, ne tente pas de prendre en compte l’éventail des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une nouvelle analyse et ne cherche pas à déterminer la solution correcte au problème : Vavilov, au para 83. La cour de révision doit plutôt s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur administratif et établir si la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 15 et 83. À cet égard, il ne suffit pas que la décision soit justifiable; elle doit être justifiée par le décideur au moyen de motifs : Vavilov, au para 86. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85.

[8] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

IV. Analyse

[9] M. Cruz, qui est un citoyen canadien, sa femme et leurs trois fils vivent à Winnipeg, au Manitoba. Le couple voulait une fille et a donc déposé une requête en adoption en vue d’adopter la nièce de Mme Cruz des Philippines. Le tribunal régional de première instance de la ville de Dagupan, aux Philippines, a accueilli la requête. L’adoption s’est conclue aux Philippines le 10 juillet 2014.

[10] Un enfant étranger adopté par un citoyen canadien peut se voir attribuer la citoyenneté canadienne si l’adoption satisfait à certaines conditions de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29. Les conditions pertinentes dans le cadre du présent contrôle judiciaire sont soulignées ci-après :

Cas de personnes adoptées — mineurs

5.1 (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté soit à la personne adoptée avant le 1er janvier 1947 par une personne qui a obtenu qualité de citoyen à cette date — ou avant le 1er avril 1949 par une personne qui a obtenu qualité de citoyen à cette date par suite de l’adhésion de Terre-Neuve-et-Labrador à la Fédération canadienne — soit à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment, lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

a) elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

b) elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

c.1) elle a été faite d’une façon qui n’a pas eu pour effet de contourner les exigences du droit applicable aux adoptions internationales;

d) elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

[Non souligné dans l’original.]

Adoptees — minors

5.1 (1) Subject to subsections (3) and (4), the Minister shall, on application, grant citizenship to a person who, while a minor child, was adopted by a citizen on or after January 1, 1947, was adopted before that day by a person who became a citizen on that day, or was adopted before April 1, 1949 by a person who became a citizen on that later day further to the union of Newfoundland and Labrador with Canada, if the adoption

(a) was in the best interests of the child;

(b) created a genuine relationship of parent and child;

(c) was in accordance with the laws of the place where the adoption took place and the laws of the country of residence of the adopting citizen;

(c.1) did not occur in a manner that circumvented the legal requirements for international adoptions; and

(d) was not entered into primarily for the purpose of acquiring a status or privilege in relation to immigration or citizenship.

[Emphasis added.]

 

[11] La demande de citoyenneté au nom de la fille adoptive de M. Cruz a été traitée par l’ambassade canadienne à Manille, aux Philippines.

[12] À la suite de l’examen initial de la demande, l’agent a envoyé par la poste une lettre d’« équité procédurale » à M. Cruz, lui demandant de fournir les renseignements et les documents suivants dans un délai de 30 jours :

  • la requête en adoption;

  • le rapport d’étude sur l’enfant du ministère du Bien-être social et du Développement (Department of Social Welfare and Development – DSWD);

  • le rapport sur l’étude du milieu familial du Manitoba;

  • la lettre de non-opposition/l’avis d’approbation du Manitoba;

  • le certificat de conformité d’adoption internationale délivré par l’Intercountry Adoption Board;

  • la preuve documentaire du lien affectif parent-enfant, comme des photos d’eux ensemble.

 

(Notons que le terme « Manitoba » renvoie aux Services à l’enfant et à la famille du Manitoba, et le terme « Intercountry Adoption Board » renvoie à l’Inter-Country Adoption Board (ICAB) des Philippines.)

[13] Bien qu’elle soit datée du 30 mai 2016, la lettre de l’agent a été postée le 14 juin 2016 et M. Cruz l’a reçue le 24 juin 2016. M. Cruz y a répondu dans une lettre datée du 27 juin 2016. Il a fourni certains des documents demandés et a demandé plus de temps [traduction] « pour répondre à la lettre et envoyer les autres documents dès qu’ils ser[aient] prêts ». En juillet et en août 2016, M. Cruz a envoyé d’autres documents. Lorsqu’il a soumis le rapport d’étude sur l’enfant du DSWD des Philippines, M. Cruz a fourni une autre lettre expliquant qu’il n’avait pas les autres documents et qu’il les attendait.

[14] M. Cruz affirme qu’il n’a pas reçu d’autres communications de l’ambassade canadienne jusqu’à ce que sa demande soit rejetée près de trois ans plus tard, le 30 mai 2019. Dans sa lettre de refus, l’agent a indiqué ce qui suit :

[traduction]

À la lumière des renseignements que vous avez fournis, vous ne satisfaites pas aux exigences des alinéas 5.1(1)c) et 5.1(1)c.1) de la Loi sur la citoyenneté. Pour rendre ma décision, j’ai pris en compte l’ensemble de la preuve ainsi que les facteurs énoncés dans le Règlement sur la citoyenneté.

Je ne suis pas convaincu que l’adoption a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant.

Je ne suis pas convaincu non plus que l’adoption a été faite d’une façon qui n’a pas eu pour effet de contourner les exigences du droit applicable aux adoptions internationales.

Par conséquent, vous n’avez pas réussi à démontrer que vous satisfaites aux conditions pour l’attribution de la citoyenneté canadienne, et la demande est refusée.

A. L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale?

[15] M. Cruz soutient que le comportement de l’agent a créé une attente légitime selon laquelle il serait informé à l’avance de tout refus et que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en omettant de donner un tel avis : Kandiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1096 au para 25.

[16] M. Cruz concède que, à la date du refus, il n’avait pas fourni les documents suivants demandés dans la lettre d’équité procédurale de mai 2016 :

  • le rapport sur l’étude du milieu familial du Manitoba;

  • la lettre de non-opposition/l’avis d’approbation du Manitoba;

  • le certificat de conformité d’adoption internationale délivré par l’ICAB.

[17] Cependant, l’agent avait précédemment accepté des documents communiqués tardivement et avait consenti à ce que la demande demeure en suspens pendant une longue période. M. Cruz fait valoir que, dans les circonstances, la conduite de l’agent a suscité une attente légitime selon laquelle l’agent ne rejetterait pas la demande sans donner une autre occasion de soumettre les documents manquants avant une date donnée. M. Cruz affirme que l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté vise à s’assurer que les familles « se constitu[ent] le plus facilement et le plus rapidement possible », et que des protections procédurales rigoureuses sont requises : Bhagria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1015 au para 60.

[18] Le défendeur soutient qu’une attente légitime doit découler de la conduite du décideur ou d’un autre acteur compétent, et non des hypothèses ou des convictions du demandeur. Si un organisme public « a fait des déclarations au sujet des procédures qu’il suivrait pour rendre une décision en particulier, ou s’il a constamment suivi dans le passé [...] certaines pratiques procédurales », cela pourrait susciter une attente légitime selon laquelle cette procédure sera suivie dans l’avenir : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 94 [Agraira]. La pratique ou la conduite qui auraient suscité une attente raisonnable doivent être claires, nettes et explicites : Agraira, au para 95, citant Donald JM Brown et John M Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §7:1710.

[19] Le défendeur fait valoir que rien dans la conduite de l’agent n’a suscité une attente légitime selon laquelle l’agent enverrait une autre lettre et donnerait une autre occasion d’envoyer les documents avant de se prononcer sur la demande. Le défendeur soutient que le fait que l’agent a accepté les documents après le délai de 30 jours dans la lettre de mai 2016 n’équivaut pas à une déclaration « claire, nette et explicite » selon laquelle M. Cruz disposerait d’un délai illimité pour soumettre les documents manquants, ou qu’il recevrait un préavis avant qu’une décision ne soit rendue.

[20] Je ne suis pas convaincue que l’agent a manqué à l’équité procédurale.

[21] Dans sa lettre datée du 30 mai 2016, l’agent a précisé les documents requis pour trancher la demande de citoyenneté présentée au nom de la fille adoptive de M. Cruz. M. Cruz a envoyé un premier ensemble de documents le 27 juin 2016. D’après les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), l’agent a reçu ces documents le 4 juillet 2016, et, après avoir noté que quatre documents n’avaient pas été fournis, il a communiqué par téléphone avec Mme Cruz. Selon les notes consignées dans le SMGC, l’agent a expliqué les documents demandés, et Mme Cruz a mentionné qu’elle et son mari [traduction] « avaient déjà communiqué avec les autorités compétentes du Manitoba et l’ICAB concernant les documents manquants ».

[22] En août 2016, M. Cruz a envoyé l’un des quatre documents manquants, soit le rapport d’étude sur l’enfant du DSWD. Aucun document des autorités du Manitoba ou de l’ICAB n’a été soumis.

[23] L’entrée suivante dans les notes consignées dans le SMGC date du 30 mai 2019. Elle indique que trois documents n’ont pas été soumis et que la demande a été rejetée.

[24] Je conviens avec le défendeur que la conduite de l’agent n’a pas suscité une attente légitime selon laquelle l’agent aviserait M. Cruz avant de rendre une décision ou lui donnerait une autre occasion de soumettre les documents manquants avant une date donnée. En acceptant des documents communiqués tardivement et en permettant que la demande demeure en suspens pendant une longue période, l’agent n’a pas fait de déclaration claire, nette ou explicite selon laquelle la demande de citoyenneté serait effectivement mise en suspens jusqu’à ce que M. Cruz soumette tous les documents manquants ou jusqu’à ce qu’il soit avisé par l’agent que la demande serait rejetée à l’expiration d’un certain délai si les documents n’étaient pas fournis.

[25] Dans ses lettres envoyées à l’ambassade canadienne en juin et en août 2016, M. Cruz a expliqué qu’il cherchait à obtenir les documents manquants et qu’il avait besoin d’un délai supplémentaire. Lors d’un appel téléphonique en juillet 2016, Mme Cruz a dit à l’agent que son mari et elle avaient communiqué avec les autorités du Manitoba et l’ICAB au sujet des documents manquants. À la lumière de ces communications, je conviens que la conduite de l’agent a suscité une attente légitime selon laquelle l’agent accorderait le délai nécessaire à M. Cruz pour envoyer les documents manquants. J’estime que c’est ce qu’a fait l’agent. La preuve ne permet pas d’établir qu’un délai de trois ans était insuffisant pour obtenir les documents demandés.

[26] M. Cruz affirme qu’il cherchait activement, avant le refus, à obtenir les documents manquants avec le concours des autorités manitobaines. À cet égard, M. Cruz a joint à son affidavit une lettre datée du 22 décembre 2017 des Services à l’enfant et à la famille du Manitoba demandant à l’ICAB de déterminer l’admissibilité de l’enfant à l’adoption, ainsi qu’une réponse datée du 4 janvier 2018 de l’ICAB indiquant que toute adoption qui retirerait un enfant de son pays de résidence doit d’abord faire l’objet d’une demande présentée à l’ICAB. Les lettres ne permettent pas d’établir que M. et Mme Cruz ont cherché activement à obtenir les documents manquants à la suite des communications avec l’agent. La preuve par affidavit ne permet pas d’établir que M. Cruz n’aurait pas pu obtenir les documents nécessaires dans un délai de trois ans en faisant preuve de diligence raisonnable ou que des facteurs indépendants de sa volonté l’empêchaient de les obtenir. De plus, M. Cruz n’a pas informé l’ambassade canadienne de ses efforts pour obtenir les documents ou de quelque difficulté que ce soit à les obtenir. Dans son affidavit, il déclare que sa femme et lui [traduction] « pensaient [qu’ils] ne dev[aient] pas communiquer avec les autorités en matière de citoyenneté, sauf pour fournir les documents qu’elles demandaient »; toutefois, l’affidavit n’explique pas pourquoi ils étaient de cet avis. Dans ses observations de vive voix, M. Cruz a affirmé que l’ambassade canadienne décourage les communications, sauf lorsque vient le temps de fournir des documents, mais cette affirmation n’est pas étayée par la preuve.

[27] En conclusion, je ne suis pas convaincue que la conduite de l’agent a suscité une attente légitime selon laquelle la demande de citoyenneté serait effectivement mise en suspens ou que M. et Mme Cruz disposeraient d’un délai illimité pour soumettre les documents manquants, à moins d’avis contraire de l’agent. M. et Mme Cruz ont peut-être présumé ou pensé à tort que la demande était mise en suspens; cependant, cette présomption ou cette croyance n’ont pas découlé raisonnablement de la conduite de l’agent. Même si la conduite de l’agent avait suscité une attente légitime selon laquelle M. et Mme Cruz disposeraient d’un délai suffisant pour soumettre les documents manquants, je ne suis pas convaincue qu’un délai de trois ans était insuffisant. L’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale.

B. La décision de l’agent est-elle raisonnable?

[28] M. Cruz fait valoir que la décision de l’agent est déraisonnable parce que la lettre de refus n’explique pas pourquoi la demande de citoyenneté ne satisfait pas aux conditions énoncées aux alinéas 5.1(1)c) et 5.1(1)c.1) de la Loi sur la citoyenneté. Il affirme que le motif fourni à l’appui du refus, consigné dans les notes du SMGC, était que la demande ne satisfait pas aux conditions parce que M. et Mme Cruz étaient des résidents du Canada au moment de l’adoption :

[traduction]

À la lumière des documents au dossier, je suis convaincu que les adoptants étaient des résidents du Canada au moment de l’adoption. Par conséquent, les alinéas 5.1(1)c) et c.1) de la Loi sur la citoyenneté n’ont pas été respectés. La demande est rejetée.

[29] M. Cruz soutient que l’explication ci-dessus est incompréhensible et erronée. Il affirme que, bien que les notes consignées dans le SMGC indiquent qu’il n’avait pas soumis certains documents, les notes et la lettre de refus de l’agent n’expliquent pas pourquoi ces documents étaient exigés ou en quoi l’omission de les fournir a permis de conclure que les alinéas 5.1(1)c) et 5.1(1)c.1) de la Loi sur la citoyenneté n’ont pas été respectés. Il soutient donc que les motifs de l’agent ne sont ni transparents ni intelligibles et que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle.

[30] Le défendeur fait valoir que M. Cruz interprète mal les motifs de l’agent, et je suis du même avis.

[31] Tant la lettre de refus que l’entrée expliquant le refus dans le SMGC indiquent clairement que la demande a été rejetée parce que les conditions énoncées aux alinéas 5.1(1)c) et 5.1(1)c.1) de la Loi sur la citoyenneté n’ont pas été remplies. L’entrée dans le SMGC est ainsi libellée :

[traduction]

Dans une lettre de mai 2016, le parent adoptif a été informé des documents à fournir pour respecter l’alinéa 5.1(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Après la réception de certains des documents demandés, le parent adoptif a reçu un appel téléphonique au cours duquel il a été avisé des autres documents à fournir. En août 2016, le parent adoptif a soumis le rapport d’étude sur l’enfant du DSWD. Je note que les documents suivants n’ont toujours pas été reçus : le rapport sur l’étude du milieu familial du Manitoba, la lettre de non-opposition/l’avis d’approbation du Manitoba et le certificat de conformité d’adoption internationale délivré par l’ICAB. À la lumière des documents au dossier, je suis convaincu que les adoptants étaient des résidents du Canada au moment de l’adoption. Par conséquent, les alinéas 5.1(1)c) et c.1) de la Loi sur la citoyenneté n’ont pas été respectés. La demande est rejetée. La version définitive de la lettre de refus a été rédigée et envoyée.

[32] Le renvoi à la résidence des parents adoptifs n’est ni inintelligible ni erroné. Selon l’alinéa 5.1(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, il doit être démontré que l’adoption a été faite conformément au droit du pays de résidence des parents adoptifs. En tant que résident canadien, M. Cruz devait fournir la preuve que l’adoption a été faite conformément au droit du Canada.

[33] Je ne suis pas convaincue que l’agent a omis d’expliquer adéquatement les motifs sous-tendant le refus de la demande de citoyenneté. Selon les alinéas 5.1(1)c) et 5.1(1)c.1) de la Loi sur la citoyenneté, M. Cruz devait démontrer que l’adoption de sa fille (i) a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption (les Philippines) et du pays de résidence de l’adoptant (le Canada), et (ii) qu’elle a été faite d’une façon qui n’a pas eu pour effet de contourner les exigences du droit applicable aux adoptions internationales. Dans sa lettre du 30 mai 2016, l’agent a énoncé les éléments de preuve documentaires dont il avait besoin à cet égard, et après n’avoir reçu qu’une partie des documents, l’agent a effectué un suivi et a expliqué les documents qui avaient été demandés. D’après la lettre et l’appel téléphonique de suivi de l’agent, M. et Mme Cruz savaient qu’ils avaient besoin de l’approbation des autorités compétentes du Manitoba et de l’ICAB des Philippines. En juillet 2016, ils ont dit à l’agent qu’ils avaient déjà communiqué avec ces organismes et qu’ils soumettraient les documents dès qu’ils les recevraient. Aucun document des autorités du Manitoba ou de l’ICAB n’a été soumis.

[34] Les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection (Vavilov, au para 91) et doivent être interprétés en fonction de l’historique et du contexte de l’instance (Vavilov, aux para 91 et 94). Lorsqu’elles sont interprétées en fonction de l’historique et du contexte de la demande de citoyenneté canadienne, la lettre de refus et les notes consignées dans le SMGC expliquent clairement les motifs du refus.

[35] Les motifs de l’agent étaient justifiés, transparents et intelligibles, et M. Cruz n’a pas démontré que l’agent avait commis une erreur susceptible de contrôle qui rendrait sa décision déraisonnable.

V. Conclusion

[36] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale et sa décision est raisonnable.

[37] Aucune partie n’a proposé de question à certifier et j’estime que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier T-1449-1

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1449-19

 

INTITULÉ :

JONARD CAPINPIN CRUZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 juillet 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 octobre 2021

 

COMPARUTIONS :

Nalini Reddy

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Cynthia Lau

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pitblado LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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