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Date : 20211015


Dossier : IMM-2616-21

Référence : 2021 CF 1083

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2021

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

CLIFFORD WESTWOOD DRAKES

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Clifford Westwood Drakes [le demandeur] était étudiant étranger au Canadian Southern Baptist Seminary and College [le séminaire], en Alberta. À la fin de ses études, il a déposé une demande de permis de travail postdiplôme [le permis de travail], le 13 mars 2021.

[2] Aux termes d’une décision rendue le 9 avril 2021 [la décision], un agent d’immigration a refusé la demande qu’avait déposée le demandeur dans le cadre du Programme de permis de travail postdiplôme [le PPTPD]. L’agent a conclu que le demandeur avait omis de respecter les exigences énoncées au sous‑alinéa 205c)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, [le RIPR] parce qu’il avait poursuivi des études à temps partiel, ce qui outrepassait l’exception autorisée d’études à temps partiel au cours de la dernière session d’études.

[3] Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soutient que la décision de l’agent est déraisonnable, car celui‑ci a omis de tenir compte du fait que son congé d’études, approuvé par l’établissement d’enseignement, constituait une exception à l’exigence de conserver un statut d’étudiant à temps plein pour tous les trimestres du programme d’études. Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’accueille la demande et renvoie l’affaire aux fins de réexamen par un autre agent d’immigration.

II. Contexte

A. Contexte factuel

[4] De septembre 2016 à décembre 2020, le demandeur était étudiant au séminaire dans le cadre du programme de baccalauréat en ministère chrétien. Il a demandé un congé autorisé pour la session de printemps 2018 en raison de difficultés financières. Le séminaire le lui a accordé. Le demandeur a poursuivi ses études à temps partiel pendant cette session et a terminé un seul cours.

[5] À l’appui de sa demande de permis de travail, il a fourni une lettre provenant du séminaire, datée du 9 février 2021, confirmant qu’il avait fait une demande de congé autorisé, laquelle lui avait été accordée, pour la session de printemps 2018, qu’il avait poursuivi ses études à temps partiel uniquement pendant cette session, et qu’il avait terminé ses études avant le 31 décembre 2020. La lettre indiquait également que le demandeur avait déposé une demande auprès d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] en vue de prolonger son permis d’études, laquelle avait été accordée : son permis d’études avait été prolongé jusqu’au 31 août 2021.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[6] Dans la lettre de décision, l’agent a souligné que le demandeur avait omis de respecter la politique ci‑après :

[TRADUCTION]

Au Canada, les étudiants étrangers sont admissibles à un permis de travail postdiplôme seulement s’ils ont maintenu leur statut d’étudiant à temps plein au pays pendant chaque session d’études et ont terminé un programme d’études d’une durée d’au moins huit mois :

  • dans une université, un collège communautaire, un CEGEP,

  • une école publique de métier ou une école technique, ou

  • un établissement d’enseignement privé autorisé à décerner des diplômes en vertu d’une loi provinciale.

[7] Dans le système mondial de gestion des cas, les notes de l’agent, lesquelles constituent les motifs de la décision, étaient brèves. Les notes révèlent que le permis de travail du demandeur a été refusé parce que celui‑ci était aux études à temps partiel à la session de printemps 2017-2018 [TRADUCTION] « ce qui outrepassait l’exception autorisée d’études à temps partiel au cours de la dernière session d’études ». Les notes indiquent en outre qu’à la session de printemps 2017‑2018 le demandeur s’était inscrit à un seul cours, ce qui lui avait valu trois crédits pour cette session.

III. Question en litige

[8] L’unique question à trancher dans la présente affaire est de savoir si la décision de l’agent était raisonnable et tenait compte des faits et de la loi.

IV. Analyse

A. Norme de contrôle

[9] Les parties s’entendent sur le fait que la norme de contrôle qui s’applique à la décision de fond de l’agent est celle de la norme de la décision raisonnable, aux termes du cadre d’analyse révisé de la Cour suprême du Canada, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[10] La norme de la décision raisonnable nécessite une forme de contrôle axée sur la déférence, mais rigoureuse : Vavilov, aux para 12‑13, 75, 85. La cour de révision doit déterminer si la décision présente les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. La cour de révision se charge d’examiner le raisonnement suivi et le résultat de la décision du décideur, en s’abstenant de trancher elle‑même la question en litige : Vavilov, au para 83. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

B. Cadre réglementaire et lignes directrices applicables au PPTPD

[11] Le sous‑alinéa 205c)(ii) du RIPR prévoit qu’un permis de travail peut être délivré à un étranger si le travail pour lequel le permis est demandé est « désigné par le ministre comme travail pouvant être exercé par des étrangers » selon le critère qu’« un accès limité au marché du travail au Canada est justifiable pour des raisons d’intérêt public en rapport avec la compétitivité des établissements universitaires ou de l’économie du Canada ».

[12] En vertu de ce cadre général, le PPTPD a été créé pour permettre aux étudiants étrangers de présenter une demande de permis de travail, pourvu qu’ils répondent à certains critères d’admissibilité. Ces critères d’admissibilité sont décrits en détail dans le site Web d’IRCC, sous le titre : Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, « Critères d’admissibilité au permis de travail postdiplôme » [les lignes directrices applicables au PPTPD].

[13] Selon les lignes directrices applicables au PPTPD, pour obtenir un permis de travail, le demandeur doit avoir maintenu « son statut d’étudiant à temps plein [au Canada] pendant chacune des sessions du ou des programmes d’études qu’il a terminés et soumis dans le cadre de sa demande de permis de travail postdiplôme » [souligné dans l’original]. Il est possible de faire exception à cette règle uniquement dans les circonstances suivantes :

  1. la prise d’un congé d’études;

  2. la dernière session d’études.

[14] En ce qui concerne la dernière session d’études, les lignes directrices applicables au PPTPD permettent aux étudiants d’avoir le statut d’étudiant à temps partiel et de demeurer admissibles au PPTPD.

[15] En ce qui concerne la prise d’un congé d’études, les lignes directrices applicables au PPTPD visent les étudiants prenant congé de leurs études en cours de programme, mais je remarque qu’il n’est nullement précisé que ce congé puisse seulement être pris pendant la dernière session d’études. Pour être admissibles au PPTPD, les étudiants prenant congé doivent être inscrits à l’établissement d’enseignement désigné [l’EED], le demeurer, et suivre activement leur cours ou leur programme d’études. En particulier, les lignes directrices applicables au PPTPD énoncent ce qui suit :

Si l’agent estime que l’étudiant a poursuivi activement ses études pendant son congé, celui‑ci peut encore être admissible au Programme de permis de travail postdiplôme (PPTPD).

S’il est établi que l’étudiant ne s’est pas conformé aux conditions de son permis d’études, on peut lui interdire de présenter une demande de permis de travail postdiplôme pendant 6 mois à partir de la date de cessation de son emploi ou de ses études sans autorisation, conformément au sous‑alinéa R200(3)e)(i).

[Non souligné dans l’original.]

[16] En outre, les étudiants étrangers doivent respecter les exigences ayant trait à leurs permis d’études aux termes des lignes directrices applicables aux permis d’études d’IRCC, que l’on trouve en ligne sur la page d’Immigration, Réfugié et Citoyenneté Canada, intitulée « Permis d’études : Évaluation des conditions liées à un permis d’études ». Entre autres exigences, tous les titulaires d’un permis d’études doivent activement suivre un cours ou un programme d’études. Les étudiants doivent généralement maintenir leur statut d’étudiants à temps partiel auprès de leur établissement d’enseignement pour être considérés comme poursuivant activement leurs études. Si un étudiant est en congé, pour qu’il soit réputé poursuivre activement ses études, un tel congé ne doit pas dépasser 150 jours à compter de la date du début du congé, et le congé doit avoir été autorisé par l’EED.

C. La décision de l’agent était‑elle déraisonnable?

[17] Les deux parties soutiennent que l’agent était censé suivre les lignes directrices applicables au PPTPD et les lignes directrices applicables aux permis d’études. Les parties s’entendent également pour dire que les lignes directrices applicables au PPTPD fournissent des critères d’admissibilité découlant du pouvoir que la loi confère à l’agent en vertu du sous‑alinéa 205c)(ii) du RIPR.

[18] Le demandeur soutient que les lignes directrices applicables au PPTPD permettent aux étudiants de prendre un congé autorisé de leurs études s’ils continuent de respecter les conditions liées à leur permis d’études, conformément au paragraphe 220.1(1) du RIPR. Le demandeur fait valoir qu’il a maintenu son statut d’étudiant à temps plein, sauf au cours de la session de printemps 2018 pour laquelle il avait obtenu un congé autorisé du séminaire. Il soutient également qu’il a entrepris des études à temps partiel pendant son congé autorisé afin de respecter les lignes directrices applicables aux permis d’études, selon lesquelles il est tenu de poursuivre activement ses études.

[19] En revanche, le défendeur soutient que le statut d’étudiant à temps partiel du demandeur ne constitue pas une exception aux lignes directrices applicables au PPTPD. Le défendeur soutient que l’exception au maintien d’études à temps plein ne s’applique que si un étudiant est aux études à temps partiel pendant sa dernière session d’études, et que le congé du demandeur n’a pas eu lieu pendant sa dernière session d’études. Il fait valoir également que le demandeur n’a pas réellement pris congé, car il était étudiant à temps partiel pendant la session de printemps 2018.

[20] En invoquant des précédents, le défendeur soutient qu’IRCC doit appliquer les lignes directrices applicables au PPTPD de façon stricte et qu’il ne dispose pas du pouvoir discrétionnaire qui lui permettrait de faire fi des exigences obligatoires qui y sont prescrites : Osahor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 666, au para 14.

[21] Je conviens que l’agent était légalement autorisé à suivre les lignes directrices applicables au PPTPD et ne disposait pas du pouvoir discrétionnaire d’en écarter les exigences. En l’espèce, j’estime cependant que l’agent a omis d’examiner si le congé autorisé du demandeur pour la session de printemps 2018 constituait une exception valable à l’exigence de conserver un statut d’études à temps plein.

[22] Comme il a été mentionné précédemment, la décision elle‑même renvoyait simplement aux critères en vertu desquels un étudiant est admissible à l’obtention d’un permis de travail seulement s’il a « maintenu son statut d’étudiant à temps plein [au Canada] pendant chacune des sessions du ou des programmes d’études ». Les notes apportent d’autres précisions sur la décision de l’agent en indiquant que le demandeur avait poursuivi des études à temps partiel pendant la session de printemps 2017‑2018 [TRADUCTION] « ce qui outrepassait l’exception autorisée d’études à temps partiel au cours de la dernière session d’études ». Ni la décision ni les notes n’indiquent que les études à temps partiel ont été suivies en vertu d’un congé autorisé ayant été accordé par le séminaire.

[23] Le défendeur soutient que les agents ne sont pas tenus de préciser chaque élément de leur raisonnement. Le défendeur fait également valoir que le relevé de notes du demandeur indiquant la poursuite d’études à temps partiel au printemps 2018 faisait partie des documents qui ont été pris en considération par l’agent. Il est bien établi en droit qu’est réfutable la présomption voulant qu’un décideur ait pris en compte tous les éléments de preuve, et, lorsque les éléments de preuve en question présentent une force probante, la Cour peut tirer une conclusion erronée du fait que le décideur a omis de les mentionner. Plus la preuve qui n’a pas été mentionnée est importante, plus la Cour sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait sans tenir compte de cette preuve : Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 ACF 1425, [1998] CanLII 8667 (CF), aux para 15, 17.

[24] En l’espèce, étant donné que l’agent a omis de mentionner un élément de preuve crucial, soit le congé autorisé ayant été accordé par le séminaire, j’estime que l’agent n’a jamais tenu compte du fait que le demandeur avait poursuivi des études à temps partiel comme l’exige un congé autorisé. Plutôt, l’agent s’est uniquement concentré sur le fait que les études à temps partiel n’avaient pas eu lieu au cours de la dernière session. En effet, l’agent n’a tenu compte que d’une des deux exceptions possibles au critère des études à temps plein et a fermé les yeux sur l’exception qui s’appliquait directement aux circonstances du demandeur.

[25] Le défendeur met en doute le fait même que le demandeur ait pris un congé, étant donné que ce dernier s’est inscrit à des études à temps partiel pendant la session pour laquelle il avait demandé congé. Selon moi, cet argument n’est pas convaincant, car les lignes directrices applicables au PPTPD ne comportent aucune définition du terme « congé ». En fait, tant les lignes directrices applicables au PPTPD que les lignes directrices applicables aux permis d’études exigent des étudiants en congé qu’ils « suiv[ent] activement leur cours ou leur programme d’études ». Cela tend à renforcer l’argument du demandeur, selon lequel le fait d’entreprendre des études à temps partiel pendant un congé n’invalide pas l’autorisation visant ce congé.

[26] En l’espèce, soit l’agent a omis de tenir compte de la lettre provenant du séminaire, qui confirmait que le demandeur s’était vu accorder un congé autorisé pour la session de printemps 2018, soit il n’a tout simplement pas tenu compte du fait que les études à temps partiel avaient été suivies pendant un congé autorisé. D’une façon comme de l’autre, il était déraisonnable de la part de l’agent de ne pas tenir compte des études à temps partiel du demandeur dans le contexte d’un congé autorisé, lequel est visé par l’une des exceptions au critère relatif aux études à temps plein, ce qui le rendait admissible à l’obtention d’un permis de travail en vertu des lignes directrices applicables au PPTPD.

[27] Compte tenu de ce qui précède, j’annule la décision de l’agent et renvoie l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit prise par un autre agent.

V. Conclusion

[28] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[29] Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et je constate que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2616‑21

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie.

  2. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est annulée et l’affaire est renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit prise par un autre décideur.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2616‑21

 

INTITULÉ :

CLIFFORD WESTWOOD DRAKES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 OCTOBRE 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT


ET JUGEMENT :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 OCTOBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Stanley Leo

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rupinder Gosal

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stanley Leo

Lowe and Company

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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