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Date : 20211022


Dossier : T-1734-18

Référence : 2021 CF 1126

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2021

En présence de l’honorable monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

PAUL HUGENS DENIS

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] En septembre 2018, le demandeur, Paul Hugens Denis, dépose une déclaration contre le Procureur général du Canada [PGC] qu’il tient responsable de ce qu’il allègue être des fautes de la part de certains préposés à l’emploi de Service correctionnel Canada [SCC] et de qui il réclame le paiement de dommages-intérêts généraux, ainsi que des dommages punitifs et exemplaires.

[2] M. Denis était à toutes époques pertinentes du présent litige assujetti au régime prescrit par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi], notamment en tant que délinquant à contrôler, objet d’une ordonnance de surveillance de longue durée [OSLD] en vertu du paragraphe 753.3(1) du Code criminel, LRC 1985, c C-46.

[3] M. Denis allègue que deux préposés de SCC, soit Stéphanie Dufour, une agente de libération conditionnelle [ALC], et Carl Madore, le gestionnaire de Mme Dufour, auraient commis les fautes suivantes à son endroit lorsque sa surveillance de longue durée a été suspendue le 18 février 2016 :

  • 1) Les préposés auraient recueilli de la preuve en violation de son droit contre les fouilles abusives et de son droit à l’assistance d’un avocat, lesquels sont prévus à l’article 8 et à l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11[la Charte];

  • 2) Il aurait été arbitrairement détenu et illégalement arrêté par les préposés, sans l’avoir informé des motifs de son arrestation et malgré la protection offerte par les articles 7, 9 et 10a) de la Charte; et

  • 3) Les préposés auraient agi de manière insultante, abusive, malveillante et oppressive, augmentant ses sentiments de détresse, d’humiliation, d’indignation et d’anxiété.

II. Intitulé de la cause

[4] Avant d’examiner à fond ces allégations, il convient de disposer d’une question préliminaire se rapportant à l’intitulé de la cause.

[5] Le PGC a été nommé à titre de défendeur. Toutefois, une procédure engagée devant cette Cour contre la Couronne sous forme d’action à raison d’un délit commis par un de ses fonctionnaires doit être prise contre Sa Majesté la Reine : Vancouver Island Peace Society c Canada, [1994] 1 CF 102, appel rejeté [1995] 179 NR 106 (CAF). En conséquence, l’intitulé est modifié pour substituer Sa Majesté la Reine à titre de défenderesse. Cette modification prend effet immédiatement.

III. Le système correctionnel fédéral

[6] Pour bien situer les faits dans leur contexte, il est utile de résumer brièvement le mode de fonctionnement du système correctionnel fédéral et la mise en liberté sous conditions d’un délinquant à contrôler.

[7] Le système correctionnel fédéral se compose de SCC, de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [CLCC] et du Bureau de l’enquêteur correctionnel. Ce dernier n’est pas impliqué dans ce litige.

[8] La Loi porte le fondement législatif de SCC (partie I) et de la CLCC (partie II). Elle énonce leurs responsabilités respectives et les principes qui doivent guider leurs actions, et prévoit les définitions et les règles d’application des libérations sous condition, de même que les règles de sécurité pour les délinquants à risque élevé.

[9] L’objet de la Loi vise à contribuer au maintien d’une société juste, pacifique et sécuritaire en équilibrant l’exécution des peines imposées par les tribunaux, la réadaptation des délinquants et leur réinsertion sociale en tant que citoyens respectueux des lois.

[10] Le SCC est responsable d’administrer les peines d’emprisonnement de deux ans ou plus imposées par les tribunaux, de la gestion d’établissements correctionnels et de la surveillance des délinquants en liberté sous condition dans la collectivité. Le responsable de SCC est le commissaire, qui relève du ministre de la Sécurité publique du Canada. La Loi prévoit un pouvoir discrétionnaire en vertu de directives du commissaire. Les directives doivent toutefois respecter les paramètres de la Charte et de la Loi.

[11] La CLCC est un tribunal administratif indépendant qui, en tant que partie intégrante du système de justice pénale canadien, prend des décisions sur la mise en liberté sous condition et la suspension du casier et formule des recommandations en matière de clémence. Celle-ci est dirigée par un président.

[12] Le SCC gère 14 centres correctionnels communautaires [CCC] au pays, visant à offrir un milieu de vie structuré et une surveillance minutieuse aux délinquants libérés sous condition. Les actions que peuvent poser les représentants et les ALC de SCC en matière de surveillance d’un délinquant à contrôler se retrouvent au Code criminel et dans la Loi.

[13] Un CCC s’apparente à un pénitencier à sécurité minimale se trouvant au sein de la collectivité en ce sens qu’il offre un milieu de vie structuré avec une surveillance 24 heures sur 24 dans les aires de vie. Des rondes de sécurité et des fouilles de personnes et de chambres sont effectuées régulièrement, et tout objet entrant est contrôlé.

[14] Les délinquants qui résident en CCC sont soumis à un horaire strict, chaque entrée et sortie étant consignée dans un registre. Ils sont par ailleurs tenus d’informer les commissionnaires de tous leurs déplacements afin que leur ALC puisse effectuer une surveillance de leurs activités en tout temps.

[15] Afin d’assurer le respect par le délinquant des conditions de l’OSLD, des mécanismes administratifs et criminels viennent encadrer et limiter la liberté résiduelle du délinquant surveillé aux termes d’une OSLD.

[16] Tout d’abord, le paragraphe 134.2(1) de la Loi prévoit que le délinquant doit observer les consignes que lui donne son ALC, un membre de la CLCC, ou la personne que le président ou le commissaire désigne nommément ou par indication de son poste en vue de prévenir la violation des conditions imposées ou de protéger la société. Par ailleurs, le paragraphe 753.3(1) du Code criminel prévoit que le délinquant qui, sans excuse raisonnable, omet ou refuse de se conformer à une OSLD à laquelle il est soumis est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.

[17] En cas d’inobservation d’une condition découlant de l’OSLD, la surveillance du délinquant en communauté peut être suspendue par le SCC et le délinquant peut alors être réincarcéré pour une période maximale de 90 jours. Dans ce genre de cas, un mandat de suspension de la mise en liberté est émis. S’en suivra une entrevue post-suspension afin d’informer le délinquant des motifs de la suspension et lui donner l’opportunité d’expliquer sa conduite.

[18] Finalement, si le SCC décide de ne pas annuler la suspension, le dossier pourra être renvoyé pour examen devant la CLCC. Le SCC transmet alors à la CLCC une « Évaluation en vue d’une décision » dont les éléments non confidentiels sont communiqués au délinquant. Ce dernier peut alors faire des représentations écrites et demander d’être rencontré en personne par la CLCC.

[19] Une fois saisie du dossier, la CLCC examine le dossier et, avant l’expiration de la période maximale de 90 jours, elle peut soit annuler la suspension si elle est d’avis que le risque de récidive avant l’expiration de cette période n’est pas élevé, soit recommander le dépôt d’une dénonciation imputant au délinquant l’infraction visée à l’article 753.3 du Code criminel, si elle est d’avis qu’aucun programme de surveillance ne peut adéquatement protéger la société contre le risque de récidive et que, selon toute apparence, les conditions de la surveillance n’ont pas été observées.

[20] Lorsque la CLCC recommande d’entreprendre une poursuite criminelle, la recommandation est acheminée au procureur général de la province où l’inobservation des conditions de surveillance a été constatée. La présomption d’innocence et le fardeau de preuve applicable en matière criminelle s’applique à une telle poursuite, le cas échéant.

[21] La décision de la CLCC de maintenir une suspension et, le cas échéant, de recommander le dépôt d’une poursuite criminelle peut faire l’objet d’un appel devant la section d’appel de la CLCC. Cet appel peut lui-même faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant cette Cour.

[22] Le paragraphe 134.1(3) de la Loi spécifie qu’il incombe à la CLCC de fixer les conditions particulières de l’OSLD. Ces conditions se greffent aux conditions générales prévues par le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, lesquelles s’appliquent avec les adaptations nécessaires.

IV. Contexte factuel

[23] L’instruction du procès s’est déroulé de manière virtuelle par le biais de la plateforme Zoom. J’ai entendu les témoignages de trois témoins, M. Denis, Mme Dufour et M. Madore.

[24] M. Denis a témoigné sur son expérience en tant que délinquant libéré sous condition et sous OLSD assigné à une résidence au CCC Sherbrooke, ainsi que sur les évènements qui ont mené à la suspension de sa libération en février 2016.

[25] Mme Dufour a témoigné de son rôle en tant qu’ALC au CCC Sherbrooke, ainsi que de ses interactions avec M. Denis. Elle a également présenté sa version des discussions qu’elle a tenues avec M. Denis les 17 et 18 février 2016, ainsi qu’avec M. Madore, avant et après l’émission du mandat de suspension.

[26] M. Madore a témoigné plus généralement sur le cadre législatif et fonctionnel dans lequel le CCC Sherbrooke et ses employés opèrent, plus précisément sur les pouvoirs des ALC et des responsabilités des délinquants. Il a également témoigné de son implication dans les évènements du 18 février 2016, incluant la décision d’émettre le mandat de suspension.

[27] En dépit du grand nombre de documents présentés à l’audience et de trois journées complètes de témoignages, les faits pertinents donnant lieu au présent litige sont peu contestés. Les témoignages divergent principalement sur deux seuls points, soit sur la question à savoir si M. Denis a donné son consentement libre et éclairé à la requête de Mme Dufour d’ouvrir une session Facebook et de lui donner accès à son compte, ce qu’il qualifie de « fouille sans mandat », et la question à savoir si Mme Dufour a commis une faute en continuant à recueillir de la preuve une fois que l’inobservation par M. Denis des conditions de surveillance a été constatée, en violation de son droit contre les fouilles abusives et son droit à l’assistance d’un avocat.

[28] Les faits peuvent être résumés comme suit.

[29] Le 19 février 2014, M. Denis est trouvé coupable de voies de fait causant des lésions corporelles pour avoir poignardé une personne qui lui devait de l’argent.

[30] Le 1er décembre 2014, il reçoit une sentence de 10 mois et 15 jours en lien avec cette condamnation par la juge Geneviève Graton de la Cour du Québec. Il est alors déclaré délinquant à contrôler, la Cour lui imposant une OSLD : Hugens Denis c La Reine, CQ, dossier 500-01-087657-133, le 1er décembre 2014.

[31] Avant de déclarer M. Denis un délinquant à contrôler, la juge Graton a passé en revue son passé criminel déjà chargé, ainsi que son dossier qui démontre qu’il a été libéré sous condition à plusieurs reprises et qu’il lui est arrivé de contrevenir à ses conditions. Elle prend note des déclarations contradictoires passées de M. Denis au sujet de son passé criminel, son sens de l’autocritique déficient et le risque élevé de récidive violente.

[32] Un rapport psychologique au sujet de la réintégration éventuelle en communauté de M. Denis fait conclure à la juge Graton que « ses occupations et son budget devraient se mériter une attention particulière compte tenu de ses valeurs antisociales, du danger associé à son oisiveté et de son attrait pour le luxe, voire même du sentiment de panique associé à ses difficultés financières » et que son cas justifie « un encadrement serré et des conditions très sévères dont le non-respect implique des conséquences immédiates ».

[33] Le 29 juin 2015, M. Denis signe un certificat de libération dans lequel il atteste comprendre et accepter les conditions imposées par l’OSLD. En plus d’une condition de résidence au CCC Sherbrooke, située au centre-ville de Montréal, M. Denis doit respecter un couvre-feu ; éviter toute consommation de drogues et d’alcool ; et éviter toute fréquentation non fortuite avec des personnes qu’il sait ou qu’il a raison de croire avaient un casier judiciaire, ou qui étaient impliquées dans des activités criminelles ou des gangs de rues. Plusieurs de ses conditions lui étaient déjà familières.

[34] M. Madore explique lors de son témoignage que l’Équipe de gestion des cas [ÉGC] du CCC Sherbrooke comporte les ALC et leur gestionnaire. La collaboration et la transparence entre un délinquant et un ALC sont des éléments clés de la vérification du respect des conditions de l’OSLD.

« La collaboration c’est très important dans le cadre d’une surveillance. D’ailleurs dans les vingt-quatre premières heures suivant la remise en liberté d’un délinquant il y a un processus qui s’enclenche qui s’appelle le processus d’entrevue initiale. Le processus est détaillé à la directive du Commissaire 715-1. De façon simple, ce processus-là c’est la rencontre entre l’agent de libération conditionnelle et son libéré et l’agent explique […], il révise avec lui minutieusement ses conditions spéciales, ses conditions usuelles ou automatiques […]. Il révise avec lui aussi la décision de la Commission de Libération Conditionnelle et les justifications des conditions qui lui ont été posées. Il va lui expliquer entre autres la fréquence à laquelle ils devront se rencontrer minimalement.

[…]

Il va aussi être informé qu’il s’expose à des sanctions dont la plus grave est la suspension si jamais il ne se conforme pas à ses exigences de surveillances […].

D’ailleurs, sur le certificat de libération on peut voir là, il y a un passage avant les conditions spéciales où c’est clairement indiqué là que la collaboration et le respect des conditions spéciales est attendu. »

[35] Le certificat de surveillance de longue durée émit le 29 janvier 2016 et les notes d’intervention au sujet de M. Denis provenant du système d’intervention du Système de gestion de délinquants, du 18 février 2016 au 29 septembre 2016, qui réitèrent l’importance de la collaboration, corroborent bien le témoignage de M. Madore.

[36] Le 4 août 2015, M. Denis est arrêté et réincarcéré une première fois alors qu’on allègue qu’il aurait adopté un comportement intimidant envers divers intervenants du CCC Sherbrooke. Il retrouve sa liberté le 15 octobre 2015, signant un nouveau certificat de libération détaillant les conditions auxquelles il était assujetti. Dans le cadre de son OSLD, la CLCC impose à M. Denis une condition spéciale d’informer sans délai son ALC de tout changement de sa situation domestique ou financière.

[37] Par la suite, M. Denis rencontre Mme Dufour environ une fois par semaine lors de réunions planifiées au CCC Sherbrooke. Lors de celles-ci, M. Denis est tenu de fournir tous documents et informations demandés par Mme Dufour en lien avec ses conditions de libération.

[38] Au mois de février 2016, M. Denis occupe deux emplois à raison de 40 heures par semaine chacun, soit au restaurant La Socca [La Socca] et à l’entreprise Zuo Modern Canada [Zuo]. En sus de ces rencontres planifiées, Mme Dufour effectue aussi des visites impromptues à ses lieux de travail.

[39] En début février, M. Denis rencontre son patron chez Zuo pour discuter la possibilité de contracter un prêt de 1 500 $. Selon M. Denis, cette discussion a eu lieu soit une ou deux semaines avant qu’il signe le contrat de prêt le 16 février 2016. Il retourne chez l’employeur le lendemain matin pour récupérer le chèque. Après avoir encaissé le chèque au Money Mart, M. Denis dépense les sommes reçues pour payer la facture de téléphone de sa conjointe et pour l’aider avec son loyer.

[40] M. Denis remet le reçu de prêt au CCC le 17 février 2016, sans toutefois en discuter avec qui que ce soit. Le reçu indique qu’il avait contracté un prêt de 1 500 $ la veille à un taux d’intérêt de 24% payable sur demande.

[41] Le 18 février 2016, Mme Dufour convoque M. Denis à son bureau pour discuter des circonstances entourant le prêt. Interrogé à ce sujet, M. Denis admet avoir effectué l’emprunt et avoir délibérément omis d’en discuter avec elle parce qu’il « ne voulait pas avoir un débat là-dessus ». M. Denis explique qu’il avait agi ainsi par crainte que Mme Dufour ne l’empêche de contracter le prêt.

[42] M. Denis insiste qu’il n’y avait pas eu de changement dans sa situation financière qui nécessitait une divulgation jusqu’à ce qu’il signe le contrat de prêt. Selon lui, il s’est conformé à la condition de divulguer le changement sans délai.

[43] M. Denis admet qu’il n’a pas fait part de son intention de contracter un prêt à Mme Dufour avant sa rencontre avec elle le 18 février. De plus, il convient qu’il n’y a aucune indication dans les registres contemporains des allées et venues du CCC Sherbrooke pour la journée du 17 février signalant son intention d’aller chercher un chèque de prêt chez Zuo ou d’aller au Money Mart.

[44] La preuve révèle que M. Denis aurait pu à n’importe quel moment aviser Mme Dufour de la situation le 16 février, en la rejoignant par son cellulaire et, en cas d’indisponibilité, en laissant un message avec un commissionnaire ou communiquer avec un autre représentant de SCC. Il aurait par ailleurs pu rencontrer Mme Dufour en personne avant de quitter le CCC le matin du 17 février.

[45] À la lumière des explications fournies par M. Denis, Mme Dufour quitte son bureau pour rencontrer son gestionnaire, M. Madore, afin de décider si M. Denis avait enfreint sa condition de divulgation sans délai de tout changement dans sa situation financière.

[46] M. Madore décide que le fait que M. Denis ait admis avoir évité de discuter du prêt ou de la dette encourue avec Mme Dufour avant de dépenser l’argent est un facteur déterminant pour conclure au bris de sa condition usuelle. Cependant, après avoir examiné les différents facteurs de risque, M. Madore décide que la libération de M. Denis ne serait pas suspendue pour ce bris, mais que des vérifications supplémentaires devraient être effectuées auprès de l’employeur Zuo. M. Denis devra aussi soumettre un budget à Mme Dufour pour démontrer comment il allait rembourser cette nouvelle dette ainsi que ses autres dettes totalisant environ 3 000 $.

[47] Mme Dufour retourne dans son bureau pour informer M. Denis de la décision de M. Madore. Par la suite, la discussion s’oriente sur la demande de M. Denis d’achat d’un cellulaire, notamment un téléphone intelligent.

[48] Il ne s’agissait pas de la première demande formulée par M. Denis à cet égard. Plus de six demandes avaient été refusées dans les semaines précédentes parce que M. Denis n’avait pas d’emploi ou les moyens financiers pour se payer un cellulaire.

[49] Mme Dufour indique à M. Denis qu’elle veut bien autoriser sa demande, mais qu’il faut en premier que M. Denis calcule la façon de payer ses dettes. Elle lui mentionne qu’une fois que la demande sera approuvée officiellement, certaines contraintes s’y rattacheraient tenant compte de sa condition de non-fréquentation, y compris la vérification de ses relevés d’appels et messages textes, et l’accès à ses comptes de réseaux sociaux, s’il y a.

[50] Interrogé par Mme Dufour sur sa présence sur les réseaux sociaux, M. Denis indique avoir un compte Facebook. Il l’avise qu’il considère la vérification de son compte exagéré puisqu’il n’est pas en mesure de savoir si une personne sur Facebook avait un casier criminel et qu’il n’avait pas l’intention de commencer à leur demander.

[51] Les deux témoins ne s’entendent pas sur la suite des choses.

[52] M. Denis déclare qu’il aurait subi une pression de Mme Dufour pour lui donner accès à son compte Facebook. Il affirme qu’il a demandé à deux reprises pourquoi elle voulait qu’il entre son mot de passe. Selon lui, elle aurait simplement répondu : « Je suis ton agente et je te le demande. » M. Denis témoigne qu’il n’a pas eu d’échanges avec Mme Dufour au sujet de ses communications Facebook lorsqu’elle a navigué sur le site de son compte Facebook. Il aurait plutôt été invité à sortir de la salle à compter de ce moment.

[53] Pour sa part, Mme Dufour déclare qu’elle a expliqué à M. Denis l’importance d’avoir accès à son compte Facebook « parce qu’un contact est un contact que ce soit sur Facebook ou en personne. » Elle affirme qu’elle lui a demandé si elle pouvait aller sur le site pour vérifier avec qui il discutait.

[54] Mme Dufour déclare que M. Denis a répondu « oui » sans hésitation. M. Denis a alors entré son mot de passe et son courriel pour avoir accès à son compte Facebook. Par ailleurs, Mme Dufour affirme que M. Denis était présent lorsqu’elle a consulté la page Facebook, lui offrant des explications en temps réel au sujet des communications Facebook problématiques.

[55] Mme Dufour témoigne qu’elle a pris connaissance de deux conversations dans lesquelles M. Denis avait envoyé et/ou reçu des messages Facebook de personnes détenus ou ex-détenus. M. Denis aurait demandé à l’un d’eux de lui envoyer son numéro de téléphone. Cet individu a répondu : « out in four months — I’ll reach out as soon as I touch road » [TRADUCTION] « je sors dans quatre mois — je te contacte dès que je décampe ». Dans l’autre conversation, M. Denis aurait écrit à un autre individu : « Toi t out cuz? » [TRADUCTION] « Toi t’es sorti mon pote? » et l’individu lui a répondu : « Yup been 8 months » [TRADUCTION] « Ouaip ça fait 8 mois ».

[56] Mme Dufour témoigne qu’elle a cherché des explications de M. Denis. Il lui aurait répondu qu’il n’avait pas tenu ces conversations lui-même, expliquant qu’il n’était pas le seul à connaitre ses identifiants de connexion ni à accéder à son compte Facebook. Il informe Mme Dufour que de toute façon, il ne croyait pas pouvoir contrevenir à ses conditions en tenant des conversations sur Facebook.

[57] Selon Mme Dufour, c’est à ce moment qu’elle a demandé à M. Denis de quitter son bureau et d’attendre dans le couloir. Mme Dufour consulte de nouveau M. Madore, cette fois-ci au sujet des messages Facebook.

[58] M. Madore convient d’émettre un mandat de suspension, d’arrestation et de réincarcération de M. Denis, en raison d’un bris allégué de sa condition de non-fréquentation. Le mandat, émis en vertu de l’article 135.1 de la Loi, vise un renvoi pour décision devant la CLCC. L’ÉGC contacte par la suite le Service de Police de la Ville de Montréal [SPVM] afin d’appréhender M. Denis.

[59] Mme Dufour déclare qu’elle est retournée à son bureau pour rencontrer M. Denis en attente de l’arrivée du SPVM. Selon Mme Dufour, elle ne l’informe pas du bris de condition, de l’émission du mandat par l’ÉGC, ou de l’arrivée imminente du SPVM pour des raisons de sécurité. Quelques minutes plus tard, M. Denis est appréhendé à l’arrivée de la police et subséquemment réincarcéré.

[60] Suite à l’arrestation, M. Madore et Mme Dufour considèrent s’il y aurait possibilité d’annuler la suspension plutôt que renvoyer le dossier à la CLCC. Le 3 mars 2016, Mme Dufour et une de ses collègues téléphonent M. Denis pour discuter des évènements. Suite à la revue du dossier, l’ÉGC recommande à la CLCC de déposer une dénonciation au Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec [DPCPQ], imputant à M. Denis l’infraction envisagée par le paragraphe 753.3(1) du Code criminel.

[61] Le 8 avril 2016, la CLCC accepte la recommandation de l’ÉGC quant au dépôt d’une dénonciation au DPCPQ. M. Denis n’interjette pas appel de cette décision. Un procureur du DPCPQ dépose par la suite une accusation criminelle contre M. Denis en vertu du paragraphe 753.3(1) du Code criminel.

[62] L’enquête sur la remise en liberté de M. Denis a lieu le 20 mai 2016. Il est libéré sous caution le 26 mai 2016, et libéré le 29 septembre 2016.

V. Les questions en litige

[63] Les questions à trancher sont les suivantes :

(1) Les membres de l’ÉGC ont-ils violé un droit de M. Denis protégé par la Charte?

(2) Les membres de l’ÉGC ont-ils agi de manière insultante, abusive, malveillante et oppressive à l’endroit de M. Denis?

(3) Si oui, existe-t-il un lien de causalité entre la violation ou les agissements et les dommages réclamés?

(4) Dans l’affirmative, quel est le montant des dommages auquel M. Denis a droit?

VI. Analyse

[64] Pour avoir gain de cause en l’espèce, il appartenait à M. Denis de prouver sur la balance des probabilités ou par prépondérance de la preuve la justesse de ses prétentions. Non seulement devait-il établir que ses droits ont été violés, mais de plus démontrer qu’il a subi des dommages en conséquence d’une faute des préposés de SCC. Pour les motifs suivants, je conclus qu’il n’a pas réussi à décharger le fardeau qui lui incombait.

A. Crédibilité des témoins

[65] Tel que le reconnaissent les procureurs des deux parties, le tout se résume à une question de crédibilité des témoignages rendus, notamment par rapport aux évènements du 18 février 2016, alors que M. Denis demande la permission à son ALC de se procurer un cellulaire. Mme Dufour réagit à la demande en indiquant qu’elle l’autoriserait sous réserve de vérification des revenus de M. Denis, ainsi que de ses registres d’appel et ses comptes de réseaux sociaux. Elle l’interroge quant à sa présence sur les réseaux sociaux et apprend qu’il a un compte Facebook. Selon Mme Dufour, M. Denis accepte, sans hésitation, sa requête d’accès à son compte Facebook pour vérifier ses fréquentations.

[66] M. Denis prétend qu’il n’a pas fourni un véritable consentement éclairé. Mme Dufour aurait plutôt fait pression sur lui pour qu’il ouvre une session Facebook à l’aide de son nom d’utilisateur et son mot de passe. De plus, il insiste que la fouille de son compte Facebook a été effectuée en son absence. Cette version des faits est niée par Mme Dufour.

[67] Face à des versions contradictoires sur les évènements en litige, je dois évaluer la fiabilité et la crédibilité de ces deux témoins en examinant la preuve dans son ensemble.

[68] Je ne dispose d’aucune raison de douter du témoignage de Mme Dufour. Elle dépose les faits qui se sont produits de façon claire et cohérente sur chacun des points litigieux. Malgré le temps qui s’est écoulé entre les évènements et son témoignage, c’est de manière spontanée, précise et chronologique que cette dernière rapporte les faits qui se sont produits. Sa version est fréquemment corroborée par des notes contemporaines, voire le témoignage de M. Denis lui-même.

[69] En aucun temps, Mme Dufour ne cherche à accabler M. Denis. Au contraire, elle rapporte ses propos et ses réactions de manière neutre et impartiale. De plus, sa version demeure la même au fil du temps, elle ne se contredit pas. Je considère donc le récit de Mme Dufour fiable et digne de confiance.

[70] Quant à M. Denis, il y a plusieurs raisons de douter de la fiabilité et de l’exactitude de son témoignage.

[71] Tout d’abord, la preuve de M. Denis repose sur son seul témoignage qui n’est aucunement corroboré.

[72] Deuxièmement, M. Denis n’a pas pris la peine d’examiner de près les procédures et pièces au dossier avant de témoigner. Son témoignage était de ce fait flou, imprécis, défensif et truffé de trous de mémoire, de contradictions et d’invraisemblances.

[73] Dans le meilleur des scénarios, le témoignage de M. Denis peut s’expliquer par l’effet normal du passage du temps sur la mémoire. Cela dit, sa mémoire de certains détails fondamentaux sur lesquels il a insisté lors de son interrogatoire en chef, et qui sont au cœur de son action lui faisait souvent défaut durant son contre-interrogatoire, notamment lorsqu’il a été confronté à des preuves qui rendaient sa version des faits peu plausibles en ce qui concerne ses allées et venues et ses interactions les 16, 17 et 18 février 2016.

[74] Troisièmement, M. Denis a intérêt à donner une version qui lui soit favorable. Si ce seul facteur ne permet pas d’écarter l’intégralité de son témoignage, cela m’incite toutefois à prendre son témoignage avec beaucoup de prudence, surtout lorsqu’il porte sur les faits qui sont à la base même de sa réclamation. En d’autres termes, il a possiblement de bonnes raisons de mentir.

[75] Quatrièmement, malgré des directives claires et répétées au cours des années, le fait que M. Denis continue à justifier son interprétation restrictive et autosuffisante de la portée des conditions usuelles et spéciales de son OSLD, à jeter le blâme sur les autres et à minimiser sa responsabilité quant aux communications Facebook identifiées par Mme Dufour, mine sa crédibilité.

[76] Pour ces motifs, lorsque les éléments de preuve sont contradictoires, je préfère la version des faits de Mme Dufour.

B. Les membres de l’ÉGC ont-ils violé un droit de M. Denis protégé par la Charte?

[77] M. Denis prétend que les préposés de SCC ont recueilli la preuve établissant son bris des conditions de surveillance en le brimant de son droit contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives prévu à l’article 8 de la Charte, et de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit, prévu à l’alinéa 10b) de la Charte. De plus, Mme Dufour aurait continué à l’interroger après l’émission du mandat et à naviguer le compte Facebook en attendant l’arrivée du SPVM.

[78] Une preuve prépondérante révèle que M. Denis a volontairement, et en toute connaissance de cause, donné accès à son compte Facebook à Mme Dufour, sans doute dans l’espoir d’obtenir un cellulaire et sans avoir envisagé que ses communications Facebook révèleraient des contacts avec des personnes criminalisées.

[79] On ne peut ignorer le contexte dans lequel la requête d’accès au compte Facebook a été faite. Les cellulaires sont des biens contrôlés en CCC que les délinquants ne peuvent ni posséder, ni utiliser, sauf avec une permission d’un ALC. Lors de la rencontre du 18 février 2016, c’était la septième fois que M. Denis demandait la permission de se procurer un cellulaire.

[80] M. Denis a admis en contre-interrogatoire qu’avant d’entrer son nom d’utilisateur et son mot de passe, Mme Dufour cherchait à savoir si ses amis Facebook avaient des casiers judiciaires, et s’il utilisait Facebook pour communiquer avec eux. M. Denis a répondu qu’il avait trop d’amis Facebook pour commencer à les passer en revue pour déterminer si l’un d’entre eux avait possiblement un casier judiciaire.

[81] Je conclus que M. Denis savait pertinemment qu’une vérification de son compte Facebook serait requise avant que sa demande puisse être autorisée. Bien qu’il ait trouvé cette exigence exagérée, le choix d’acquiescer à la requête de Mme Dufour était le sien. La preuve établit que c’est la coopération entière de M. Denis qui a permis à Mme Dufour d’accéder à son compte Facebook.

[82] Pour conclure, je ne crois pas la version de M. Denis selon laquelle Mme Dufour l’aurait contraint à lui donner accès à son compte Facebook. Lors de son témoignage, M. Denis a lui-même reconnu que Mme Dufour s’est adressée à lui poliment, en disant : « OK, j’aimerais ça que tu log in, s’il te plaît. » Il ne s’agit pas ici de contrainte exercée par Mme Dufour à l’égard de M. Denis, mais d’un simple suivi à sa demande, qu’il a bel et bien accepté sans réserve.

[83] À mon avis, il n’y a pas de fondement factuel supportant les allégations de M. Denis relativement à la Charte. La preuve démontre que M. Denis a donné un consentement libre et éclairé afin que Mme Dufour puisse vérifier son compte Facebook. Elle agissait dans le cadre de ses fonctions, de manière raisonnable et de bonne foi.

[84] De plus, les témoignages entendus permettent de croire que M. Denis, malgré ses dénégations, est demeuré volontairement dans le bureau de Mme Dufour pour répondre à ses questions pendant une quinzaine de minutes.

[85] La preuve démontre que M. Denis a accepté de collaborer avec Mme Dufour dans toutes ses démarches. Le témoignage de celui-ci établit clairement qu’il voulait à tout prix obtenir un cellulaire. En l’espèce, M. Denis n’était ni arrêté, ni détenu. En effet, ce dernier était libre de ses mouvements et pouvait quitter le bureau de Mme Dufour comme bon lui semblait.

[86] Je conclus que Mme Dufour se devait de vérifier le respect des conditions usuelles et spéciales ayant tout juste d’apprendre que M. Denis utilisait un réseau social. M. Denis savait sûrement qu’un manque de transparence ne serait pas productif, tant pour sa demande de cellulaire que pour sa surveillance en général.

[87] D’ailleurs, si M. Denis avait refusé de collaborer avec Mme Dufour, l’empêchant de vérifier le respect de certaines conditions, ce manque de transparence aurait eu des conséquences de toute façon.

[88] Une fouille, perquisition ou saisie effectuée avec consentement ne constitue pas une « fouille, perquisition ou saisie » visée par la Charte. En l’espèce, il n’est pas question d’une fouille abusive ou d’une situation requérant l’assistance d’un avocat puisque le libre consentement de M. Denis équivaut à une renonciation aux droits que l’article 8 de la Charte garantis, et ce même s’il avait pu raisonnablement s’attendre au respect de sa vie privée dans les circonstances, ce qui n’est pas le cas.

[89] Comme l’a bien exprimé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Weatherall c Canada (Procureur général),[1993] 2 RCS 872, à la page 877 :

L’emprisonnement implique nécessairement de la surveillance, des fouilles et des vérifications. On s’attend à ce que l’intérieur d’une cellule de prison soit visible et requière une surveillance. Dans un pénitencier, la fouille par palpation, le dénombrement et la ronde éclair sont tous des pratiques nécessaires pour assurer la sécurité de l’établissement, du public et, en fait, des détenus eux-mêmes. L’intimité dont jouit le détenu dans ce contexte est considérablement réduite et il ne peut donc s’attendre raisonnablement à ce que sa vie privée soit respectée dans le cadre de ces pratiques. … Comme il n’y a aucune attente raisonnable à ce que la vie privée soit respectée, l’art. 8 de la Charte n’est pas mis en jeu, ni d’ailleurs l’art. 7.

[90] L’avocate de M. Denis prétend que son client était détenu à partir du moment où Mme Dufour est revenue de sa rencontre avec M. Madore et l’a informé qu’il serait arrêté. Elle soutient qu’au lieu d’aviser M. Denis de la raison de sa détention et de son droit de contacter un avocat, Mme Dufour a utilisé un stratagème pour brimer ses droits. De plus, elle soutient que lorsque M. Denis a été ramené dans le bureau de Mme Dufour, cette dernière aurait continué à lui poser des questions concernant ses contacts Facebook en contravention de son droit au silence.

[91] L’argument soulevé par l’avocate de M. Denis n’est pourtant nullement étayé par la preuve. Mme Dufour a témoigné qu’elle n’a aucun souvenir d’avoir interrogé M. Denis lorsqu’il est retourné à son bureau. Quant à M. Denis, il confirme que Mme Dufour lui a seulement informé qu’elle avait revu les conversations Facebook avec son gestionnaire et que sa libération allait être suspendue. Il dit alors avoir été bouche bée, qu’il n’y a eu aucune discussion avec Mme Dufour, et que la police est arrivée peu de temps après pour l’arrêter.

[92] L’exercice d’un pouvoir décisionnel doit être fondé sur des éléments de preuve fiables et vérifiables. De plus, il est bien établi que les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel :  Mackay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357 aux pages 361 et 262.

[93] En l’absence de faits précis, clairs, concrets et convaincants, M. Denis ne satisfait pas son fardeau d’établir une violation d’un droit quelconque garanti par la Charte ou le préjudice qu’il prétend subir.

C. Les membres de l’ÉGC ont-ils agi de manière insultante, abusive, malveillante et oppressive à l’endroit de M. Denis?

[94] M. Denis soutient par ailleurs que les préposés de SCC ont agi de manière abusive à son endroit. Je ne vois toutefois rien dans la conduite de Mme Dufour ou de M. Madore qui puisse constituer une conduite inappropriée et donner ouverture à leur responsabilité à cet égard.

[95] Bien au contraire, la preuve révèle que les deux préposés étaient toujours courtois et respectueux envers M. Denis. À titre d’exemple, Mme Dufour a constaté que M. Denis avait enfreint sa condition de divulgation sans délai de tout changement dans sa situation financière. L’ÉCG a tout de même décidé que la libération de M. Denis ne serait pas suspendue pour ce bris après avoir examiné les différents facteurs de risque. Mme Dufour s’est aussi montrée ouverte à sa demande de cellulaire.

D. Existe-t-il un lien de causalité entre la violation ou les agissements et les dommages réclamés?

[96] Eu égard des conclusions ci-dessus, il n’est pas nécessaire de s’attarder sur les autres questions soulevées par M. Denis.

[97] Toutefois, je tiens à souligner que M. Denis a été réincarcéré suite à la suspension de son OSLD et que cette suspension a été prolongée le 8 avril 2016 uniquement en raison de la décision de la CLCC. Comme les membres de la CLCC bénéficient d’une immunité pour les actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions, et vu l’absence d’allégations qu’un membre de la CLCC aurait agi de mauvaise foi, M. Denis ne peut réclamer de la défenderesse des dommages pour son incarcération pour la période suivant le 8 avril 2016.

[98] De plus, il n’y a aucune indication que des préposés de la défenderesse se soient ingérés dans le processus criminel. La défenderesse ne saurait donc être tenue responsable de dommages en relation avec sa mise en accusation ou sa détention par les autorités provinciales.

VII. Conclusion

[99] Je conclus que les allégations de violations de l’article 8 et l’alinéa 10b) de la Charte sont sans fondement. Je suis aussi d’avis que les allégations de violation des articles 7 et 9 et de l’alinéa 10a) de la Charte sont également sans fondement.

[100] J’estime que M. Denis ne s’est pas déchargé du fardeau de la preuve et l’action doit donc être rejetée.

VIII. Dépens

[101] Les parties m’ont demandé de différer ma décision sur les dépens. Si elles ne peuvent s’entendre à ce sujet, elles devront soumettre leurs observations écrites d’au plus dix pages, la défenderesse devant déposer ses observations dans les 30 jours suivant la présente décision; et à moins de directive contraire, M. Denis devra déposer ses observations écrites dans les 14 jours suivants.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1734-18

LA COUR STATUE que :

  1. L’action du demandeur est rejetée.

  2. L’intitulé de la cause est modifié pour retirer le Procureur général du Canada et substituer Sa Majesté la Reine à titre de défenderesse.

  3. La question des dépens est prise en délibéré et sera traitée conformément aux motifs du jugement.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1734-18

INTITULÉ :

PAUL HUGENS DENIS c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 17, 18, 19 MAI 2021 ET 11 juin 2021

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :

LE 22 OCTOBRE 2021

COMPARUTIONS :

Diane Condo

Pour le demandeur

Vincent Veilleux

Patrick Visintini

Pour LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Condo Law Office

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour LA DÉFENDERESSE

 

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