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Date : 20211028


Dossier : IMM‑4365‑20

Référence : 2021 CF 1149

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 28 octobre 2021

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

KARIM BABAEI KHEIMEHSARI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision défavorable de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) rendue le 4 septembre 2020.

II. Contexte

[2] Le demandeur, monsieur Kheimehsari, est un citoyen de l’Iran âgé de 53 ans qui est né à Somehsari, en Iran. Il allègue qu’il a travaillé à titre de pilote d’hélicoptère pour le Sepah. Je constate que le demandeur utilise les termes « Sepah » (aussi appelé « Corps des Gardiens de la révolution islamique ») et « police iranienne » de façon interchangeable, mais, par souci de commodité, j’utiliserai « Sepah ». Il prétend qu’au cours de l’été 2015, son commandant lui a demandé d’aller en Syrie pour [traduction] « travailler clandestinement sous les ordres du Sepah afin d’aider le gouvernement d’al‑Assad ». Il a répondu que sa santé ne le lui permettait pas, et il n’y est pas allé. Il allègue dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) qu’il a demandé un visa de visiteur pour le Canada en septembre 2015, mais que sa demande avait été rejetée.

[3] Il a allégué qu’il lui avait été demandé à nouveau d’aller en Syrie en octobre 2016 pour prêter main‑forte aux autorités [traduction] « contre le peuple syrien », et qu’il avait refusé. Il affirme que le Sepah a fait irruption à son domicile et l’a mis en détention – plus précisément, en isolement cellulaire – pendant quelque 25 jours. Il prétend que, pendant cette période, il a été maltraité et agressé, il a reçu des menaces et il a été torturé , et il n’a été mis en liberté que lorsque la famille de son épouse a versé des pots‑de‑vin à des responsables.

[4] Le demandeur a quitté l’Iran avec l’aide de passeurs vers le 25 décembre 2016. Il a quitté son pays muni de son passeport authentique, puis s’est rendu en Turquie, au Brésil, au Venezuela, pour aboutir au Canada, plus précisément à Toronto, le 17 février 2017. Il allègue que son épouse lui a fait savoir le 25 février 2017 que le Sepah était venu à sa recherche chez lui et avait déclaré qu’il était un traître à sa patrie ayant refusé de se plier à la volonté de ses dirigeants.

[5] Par conséquent, il a demandé l’asile au motif qu’il est exposé au risque d’être persécuté par les autorités iraniennes pour avoir refusé d’obéir aux ordres d’aller travailler en Syrie.

III. Décision

[6] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger, puisqu’il n’avait pas établi le bien‑fondé de ses allégations en raison d’un manque de crédibilité.

[7] En appel, la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté l’appel interjeté par le demandeur et a confirmé la décision défavorable de la SPR. Dans son analyse indépendante, la SAR a rejeté les allégations du demandeur, a conclu que le témoignage de celui‑ci n’était pas crédible et a estimé – entre autres choses – qu’il n’était pas pilote d’hélicoptère à l’emploi du Sepah pendant la période décisive.

IV. Question en litige

[8] La question en litige en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SAR était raisonnable.

V. Norme de contrôle

[9] Comme l’a statué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 23, « [l]orsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond […] [l]’analyse a […] comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable ». C’est la présomption générale, et elle n’est pas réfutée par les faits de l’espèce. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

VI. Analyse

[10] La Cour doit examiner quatre questions secondaires pour se prononcer sur le caractère raisonnable de la décision de la SAR en l’espèce. Ces questions sont : a) la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur n’a pas établi qu’il était pilote d’hélicoptère à l’emploi du Sepah pendant la période décisive; b) le fait que la SAR a jugé que l’omission du demandeur dans son formulaire FDA minait sa crédibilité; c) la conclusion de la SAR au sujet du départ de l’Iran du demandeur; d) l’examen effectué de la décision de la SPR par la SAR.

A. Emploi au Sepah

[11] En estimant qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, son affirmation selon laquelle il était pilote d’hélicoptère à l’emploi du Sepah pendant la période au cours de laquelle (de 2015 à 2017) il a allégué avoir été persécuté.

[12] Le demandeur soutient que la SAR a omis de prendre en compte les éléments de preuve relatifs à son compte bancaire. Il affirme que ce compte montre qu’il a été payé par le Sepah, ce qui prouve qu’il a été à son emploi. De plus, il prétend que la SAR a traité de façon déraisonnable les éléments de preuve que le Sepah avait censément détruits, en précisant que cet élément n’aurait pas dû être utilisé contre lui.

[13] Le demandeur affirme que cet élément, avec les certificats et les photographies de lui en uniforme, ainsi que sa déclaration selon laquelle il avait fréquenté le collège de police (de 1986 à 1990) suffisent pour établir – selon la prépondérance des probabilités – qu’il était pilote d’hélicoptère à l’emploi du Sepah pendant la période décisive. En revanche, le défendeur soutient que l’état bancaire ne suffit pas pour établir que le demandeur a travaillé pour le Sepah pendant la période décisive, puisque les seules fois où le mot « Sepah » apparaît […] et figure aussi dans le nom de la banque, et cela ne montre pas qui le rémunérait ni pour quel travail. Il souligne qu’il incombait au demandeur de présenter des éléments de preuve pour établir ces aspects, et qu’il ne l’a pas fait – et que le même principe s’applique à la destruction des autres documents par le Sepah.

[14] J’amorce mon analyse sur cet élément en soulignant que la SAR est censée avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve dont elle disposait, qu’elle en fasse expressément mention dans ses motifs ou non. Il incombe à la partie qui prétend le contraire d’en faire la preuve (Jorfi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 365 au para 31). Le demandeur soutient que l’omission de la SAR de renvoyer expressément aux états bancaires compromettait le fondement de ses conclusions et a rendu la décision déraisonnable. Il revient au demandeur de prouver ses assertions.

[15] Je souscris à l’argument du défendeur, et je n’estime pas que l’appréciation de la SAR était déraisonnable. Il était raisonnable de la part de la SAR de ne pas mentionner un élément qui manquait de valeur probante concernant l’emploi du demandeur. L’état bancaire provient de la Banque Sepah. Il comporte peu d’autres éléments probants, outre le simple fait que le demandeur a reçu diverses sommes d’argent tous les mois pendant un an (du 16 janvier au 17 janvier); la mention [traduction] « salaire » sous la rubrique [traduction] « Détails » du document; la désignation de l’accepteur comme étant la succursale Bandar Anzali de la Banque Sepah; et l’origine du paiement (le Sepah). Il ressort de l’examen du document traduit que la SAR a traité le document de façon raisonnable étant donné l’absence de précisions sur l’emploi que fournirait normalement un talon de chèque.

[16] À première vue, on dirait que le demandeur invite la Cour à apprécier à nouveau les éléments de preuve dans l’optique des conclusions de la SAR, ce qui évidemment n’est pas mon rôle (voir, p. ex. l’arrêt Vavilov, au para 125). Plus généralement, il incombe au demandeur de présenter des éléments de preuve qui établissent le bien‑fondé de sa demande d’asile (Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1537). La SAR a estimé que le demandeur ne l’a pas fait. Le demandeur n’a fourni que des certificats datant des années 1990 et de vieilles photos de lui posant à côté d’un aéronef. Il n’a présenté à la SAR aucun autre élément de preuve de son travail pour le Sepah à titre de pilote parce que le Sepah, soutient‑il, a détruit les preuves, argument que la SAR a jugé déraisonnable. Cela est particulièrement vrai étant donné qu’il allègue avoir été persécuté pendant une période spécifique, à laquelle les éléments de preuve doivent se rapporter pour qu’ils soient utiles. Cela dit, la preuve ne doit pas seulement établir qu’il était pilote, voire pilote à l’emploi du Sepah, mais démontrer qu’il était pilote à l’emploi du Sepah pendant la période décisive. Je ne suis pas convaincue qu’un de ces éléments a été nécessairement établi par la preuve qui a été présentée, et la SAR ne l’était pas non plus. Après avoir apprécié de façon exhaustive tous les éléments de preuve (quoique sans mentionner l’état bancaire), la SAR a conclu que la preuve n’avait pas établi – selon la prépondérance des probabilités – qu’il était pilote à l’emploi du Sepah pendant la période décisive, qu’il s’était fait demander de servir en Syrie, qu’il avait refusé, et qu’il avait par conséquent été persécuté. La SAR avait le pouvoir discrétionnaire de tirer ces conclusions, et j’estime que la façon dont elle a traité l’information bancaire ne rend pas les conclusions déraisonnables.

B. Omission dans le formulaire FDA

[17] Le demandeur aborde ensuite le fait qu’il a omis de mentionner dans son formulaire FDA une visite que lui avaient rendue ses agents de persécution à la suite de sa détention de 25 jours, mais qu’il l’a mentionnée plus tard à la SPR. Il prétend que la SAR a commis une erreur en accordant une grande importance à cette omission.

[18] En somme, le demandeur a expliqué à la SPR qu’il avait été appréhendé et détenu pendant 25 jours, qu’il avait pris des dispositions pour quitter l’Iran après sa détention, et qu’après son départ, le Sepah s’était présenté à son domicile pour vérifier s’il y était. Il a soutenu devant la SPR que le Sepah était allé chez lui deux ou trois semaines après sa mise en liberté pour vérifier s’il y était, mais qu’il n’avait pas inscrit cette information dans son formulaire FDA. Il affirme que cette visite était accessoire, qu’elle n’était pas déterminante eu égard à sa demande d’asile dans son ensemble, et que la SAR lui a accordé une importance déraisonnable. Il soutient que le formulaire FDA est censé contenir tous les éléments importants se rapportant à la demande d’asile et que cet élément – une vérification de la part de ses agents de persécution – n’était pas important. Il affirme que l’accent que la SAR a mis sur cet événement avait influé sur sa prise de décision, ce qui a rendu la décision déraisonnable.

[19] Je ne souscris pas à la position du demandeur selon laquelle cette conclusion était déraisonnable. Le fait que ses agents de persécution se sont présentés chez lui – même si ce n’était que pour vérifier qu’il y était – quelques jours après qu’ils l’eurent emprisonné et torturé – constitue un événement important dans le récit du demandeur. La SAR a conclu que c’était important. J’estime que les arguments avancés par le demandeur équivalent à un désaccord avec la conclusion de la SAR à cet égard et à une demande pour que la Cour apprécie à nouveau ces éléments de preuve. L’arrêt Vavilov dit clairement qu’en contrôle judiciaire, les cours doivent s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur (paragraphe 125). J’estime que la SAR a examiné les éléments de preuve dont elle disposait, qu’elle a tiré une conclusion quant à leur importance et qu’elle a, par conséquent, établi que le demandeur n’était pas crédible. Cette conclusion était raisonnable.

C. Départ de l’Iran

[20] Le demandeur affirme que le refus de la SAR de prêter foi à son témoignage sur son départ de l’Iran était déraisonnable au motif qu’il était influencé par la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée précédemment par le tribunal (au sujet de l’omission dans le formulaire FDA). Il présente des éléments de preuve de corruption et de contrebande à la frontière iranienne et mentionne son témoignage devant la SPR (aux pages 22‑23, 36‑40 de la transcription de l’audience) pour montrer qu’il disait la vérité.

[21] Le demandeur soutient, en fait, que ce type de conclusion (bien qu’elle ne soit pas déterminante) fait ressortir la façon dont la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la SAR a influé indûment sur le traitement qu’elle a réservé au demandeur. La SAR a examiné le récit du demandeur sur son départ de l’Iran, les éléments de preuve au sujet de la fréquence du passage de clandestins aux points d’entrée et de sortie iraniens et la preuve documentaire objective. Selon la preuve documentaire objective, le passeport authentique du demandeur a été vérifié au moins une fois quand il a quitté le pays. Au vu de ces éléments contradictoires, la SAR a conclu qu’elle privilégiait la preuve objective et que celle‑ci – conjuguée au fait que le demandeur ne bénéficiait plus de la présomption de véracité – montrait qu’il avait pu quitter le pays avec son passeport authentique parce que les autorités n’étaient pas à sa recherche. Le demandeur prétend que cette conclusion a été influencée indûment par la conclusion défavorable de la SAR quant à sa crédibilité, mais le défendeur affirme que l’argument avancé par le demandeur équivaut tout simplement à une nouvelle appréciation de la preuve.

[22] S’il est vrai que l’appréciation que la SAR a faite du départ du demandeur et sa conclusion ont été largement influencées par la conclusion défavorable quant à la crédibilité qu’elle avait tirée antérieurement, la décision n’en est pas déraisonnable pour autant. Les conclusions défavorables quant à la crédibilité servent à réfuter la présomption de véracité, comme c’est le cas en l’espèce (Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 666 au para 11). Par définition, lorsque cela arrive, le demandeur ne bénéficie plus de la présomption que son témoignage sous serment est vrai. Par conséquent, la SAR avait le pouvoir discrétionnaire de privilégier la preuve documentaire objective – selon laquelle le passeport du demandeur avait fait l’objet d’au moins une vérification – par rapport au témoignage sous serment du demandeur. Quoi qu’il en soit, cet élément n’était pas déterminant, comme l’a souligné la SAR au paragraphe 34 de ses motifs.

D. Application par la SAR de la norme de contrôle de la décision correcte

[23] Enfin, le demandeur a soutenu que la SAR doit examiner les décisions de la SPR selon la norme de la décision correcte, et qu’elle ne l’a pas fait. Il est établi en droit que la SAR examine les décisions de la SPR selon la norme de la décision correcte, et cela a été reconnu par la SAR.

[24] Je ne crois pas que la SAR a appliqué la mauvaise norme de contrôle. La SAR commence par énoncer son rôle dans une révision et précise dans ses motifs qu’elle est « tenue d’examiner le dossier […] de façon indépendante et d’établir si la SPR a rendu une décision correcte ». De plus, la décision de la SAR est longue, étoffée et contient des preuves importantes de sa propre analyse indépendante (voir, par exemple, au paragraphe 27). Cela comprend notamment une conclusion où elle exprime son désaccord avec la SPR (au paragraphe 26). Par conséquent, je conclus que la SAR a examiné comme il se devait la décision de la SPR.

[25] Les parties n’ont pas proposé de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4365‑20

LA COUR DÉCLARE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4365‑20

 

INTITULÉ :

KARIM BABAEI KHEIMEHSARI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue par VIDéOCONFéRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 8 septembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

le 28 octobre 2021

 

COMPARUTIONS :

Adetayo G. Akinyemi

 

pour le demandeur

Christopher Araujo

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adetayo G. Akinyemi

Avocat

North York (Ontario)

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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