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Date : 20050609

Dossier : IMM-4814-04

Référence : 2005 CF 824

Ottawa (Ontario), le jeudi 9 juin 2005

EN PRÉSENCE de madame la juge Dawson

ENTRE :

                                                           JOUMANA NADDAF

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON


[1]                Joumana Naddaf est citoyenne du Liban et titulaire d'une carte de résidente aux États-Unis qui lui a été délivrée en 1996 et expire en 2006. Mme Naddaf a deux filles, âgées respectivement de 12 et 13 ans, qui ont la citoyenneté américaine. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Naddaf conteste la décision d'une agente d'immigration qui a rejeté sa demande parce qu'il n'y avait pas de motifs d'ordre humanitaire suffisants pour la dispenser de l'obligation de faire sa demande de résidence permanente au Canada depuis l'étranger.

[2]                Mme Naddaf est venue au Canada avec ses deux filles en provenance des États-Unis dans le but d'échapper à son mari violent et abusif. Son mari est mort subitement pendant qu'elle se trouvait au Canada.

[3]                En rejetant la demande de Mme Naddaf fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, l'agente d'immigration a écrit ce qui suit dans la partie de ses notes intitulées « Décision et motifs » :

[traduction] Après avoir examiné les autres circonstances dans le cas de Mme Naddaf, je ne suis pas convaincue qu'elle subirait un préjudice indu ou disproportionné si elle était renvoyée aux États-Unis. Mme Naddaf était dans une situation difficile lorsqu'elle est arrivée au Canada et elle a eu l'occasion d'y refaire ses forces. La cause de sa situation difficile n'existe plus. Son ex-mari lui a laissé un soutien grâce à la sécurité sociale - une pension - et ses enfants sont les héritiers de ses biens immobiliers dont l'adresse indique qu'ils se trouvent au Michigan. Elle peut trouver aux États-Unis, comme au Canada, tout ce qui est indispensable à sa sécurité et à celle de ses enfants.

Mme Naddaf a déclaré qu'elle souhaite avant tout rester avec sa famille au Canada. Son statut de résidente permanente aux États-Unis est valide jusqu'en 2006 et ses enfants ont la citoyenneté américaine. Il existe pour elle de nombreuses possibilités, dont celle de vivre à proximité de sa famille et de faire des séjours au Canada. Mme Naddaf a eu la possibilité d'acquérir une expérience précieuse sur le marché du travail qui lui sera utile dans l'avenir.

[4]                Dans sa plaidoirie, l'avocate de Mme Naddaf s'en est tenue à deux questions : premièrement, l'agente d'immigration a-t-elle conclu à tort que Mme Naddaf pouvait retourner aux États-Unis et, par conséquent, a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte des difficultés auxquelles Mme Naddaf et ses enfants devraient faire face si elles étaient renvoyées au Liban; et, deuxièmement, l'agente d'immigration a-t-elle mal évalué l'intérêt supérieur des enfants?


[5]                Les parties reconnaissent que la norme de contrôle applicable à la décision d'un agent d'immigration examinant si les motifs d'ordre humanitaire sont suffisants est celle du caractère raisonnable simpliciter. Ainsi, dans la mesure où l'agent tient compte des facteurs pertinents et écarte les facteurs non pertinents, la Cour n'a pas à s'immiscer dans l'appréciation qu'il fait de l'importance à accorder aux différents facteurs. Cela dit, les motifs de l'agent doivent pouvoir résister à un examen assez poussé. En conséquence, le tribunal saisi du contrôle doit se demander si la décision repose sur des motifs qui, à leur tour, sont étayés par des éléments de preuve valables. Il doit également être convaincu que les conclusions tirées par l'agent à partir de la preuve ont un fondement logique. Voir l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, paragraphe 63.

[6]                En ce qui concerne la première question soulevée par Mme Naddaf, il importe de signaler que l'agente d'immigration n'a pas examiné expressément dans ses notes (qui constituent ses motifs) si Mme Naddaf avait le droit de rentrer aux États-Unis et d'y rester.


[7]                La preuve concernant la question de savoir quels renseignements Mme Naddaf a fournis à l'agente d'immigration au sujet de sa capacité de retourner aux États-Unis est contestée. Mme Naddaf jure avoir informé l'agente, au cours d'une conversation téléphonique, qu'elle avait perdu son statut de résidente permanente aux États-Unis et, après cette conversation, lui avoir envoyé par télécopieur un extrait tiré d'un site Web du gouvernement américain indiquant ce qui suit :

[traduction] Une personne est présumée avoir renoncé à son statut de résident permanent dans les cas suivants :

·      Elle s'est installée dans un autre pays avec l'intention d'y vivre en permanence.

·      Elle est restée à l'extérieur des É.-U. pendant plus d'un an sans obtenir de permis de rentrée ou de visa de retour pour résident permanent. Toutefois, toute absence des É.-U., même si elle est inférieure à un an, peut être prise en considération pour déterminer si elle a renoncé à son statut.

·      Elle est restée à l'extérieur des É.-U. pendant plus de deux ans après la délivrance d'un permis de rentrée sans obtenir de visa de retour pour résident permanent. Toutefois, toute absence des É.-U., même si elle est inférieure à un an, peut être prise en considération pour déterminer si elle a renoncé à son statut.

·      Elle a omis de produire des déclarations de revenus pendant qu'elle résidait à l'extérieur des É.-U.

·      Dans ses déclarations de revenus, elle déclare être un « non-immigrant » .

[8]                L'agente d'immigration jure que Mme Naddaf lui a dit, lors de leur conversation téléphonique, qu'elle était toujours « résidente » des États-Unis et que ce statut était valide jusqu'en 2006.

[9]                Le dossier certifié du tribunal montre bien que Mme Naddaf a envoyé par télécopieur à l'agente d'immigration le document cité précédemment et que l'agente l'a reçu.

[10]            Chacune des déposantes a été contre-interrogée sur son affidavit.

[11]            À mon avis, il est inutile, pour les motifs qui suivent, de trancher le différend qui oppose les déposantes quant à ce que chacune d'entre elles se rappelle de leur conversation téléphonique :

a)          l'agente d'immigration a admis en contre-interrogatoire qu'elle savait :


(i)          que le droit américain est semblable au droit canadien en ce qui concerne le maintien du statut de résident permanent et que l'entrée au pays peut être accordée ou non au titulaire d'une carte de résident permanent par ailleurs valide;

(ii)         qu'en vertu du droit canadien, le simple fait qu'une personne soit titulaire d'une carte de résident permanent n'est pas déterminant quant à son droit d'entrer au Canada après une absence prolongée;

b)          l'agente a reçu le document télécopié qui indiquait qu'on peut considérer qu'une personne est présumée avoir renoncé à son statut de résident permanent aux États-Unis si, notamment, cette personne s'est installée dans un autre pays avec l'intention d'y vivre en permanence, elle est restée à l'extérieur des États-Unis pendant plus d'un an sans obtenir de permis de rentrée ou de visa de résident permanent, ou elle est restée à l'extérieur des États-Unis pendant plus de deux ans après la délivrance d'un permis de rentrée sans obtenir de visa de retour pour résident permanent.

[12]            À mon avis, une fois que l'agente d'immigration savait que :

·            la possession d'une carte non expirée de résident aux États-Unis n'habilitait pas, en soi, Mme Naddaf à rentrer et à rester aux États-Unis;

·            Mme Naddaf était arrivée au Canada en 2000 et y avait demandé en 2002 le statut de résidente permanente;

·            Mme Naddaf était restée à l'extérieur des États-Unis pendant plus d'un an,


il lui incombait d'aborder expressément dans ses motifs les raisons pour lesquelles elle concluait que Mme Naddaf avait le droit de rentrer aux États-Unis et d'y rester. Sans un tel examen, il était illogique pour l'agente de conclure que Mme Naddaf n'aurait pas à subir un préjudice indu ou disproportionné si elle devait être renvoyée aux États-Unis. Un tel manque de logique de la part de l'agente est assimilable à une erreur susceptible de contrôle.

[13]            Pour tirer cette conclusion, j'ai examiné l'argument du ministre voulant qu'il incombe au demandeur de soumettre à l'agent d'immigration tous les renseignements pertinents. C'est indubitablement le cas mais, en l'espèce, j'estime que Mme Naddaf a fourni à l'agente d'immigration assez de renseignements pour obliger celle-ci à porter son attention sur la question du droit de rentrée et du statut de résident permanent aux États-Unis.

[14]            J'ai également tenu compte de l'affirmation faite par l'agente d'immigration dans son affidavit, savoir [traduction] « J'ai examiné l'argument de la demanderesse suivant lequel elle avait perdu son statut de résidente aux États-Unis et je l'ai rejeté parce que la preuve produite n'était pas suffisante pour me convaincre qu'elle avait perdu ce statut » . Je ne peux toutefois pas conclure, à partir des notes prises par l'agente, qu'elle a effectivement examiné la question importante que constitue le droit de Mme Naddaf de retourner aux États-Unis. J'estime que les notes de l'agente sont plus précises que son affidavit ultérieur parce qu'elles ont été prises après l'examen qu'elle a fait du dossier et au moment de sa décision.

[15]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Il est inutile que j'examine, et je ne le ferai pas, si l'évaluation faite par l'agente d'immigration de l'intérêt supérieur des enfants était suffisante.

[16]            Les avocates ont soutenu que la question que j'ai jugé déterminante ne soulevait aucune question devant être certifiée et je suis d'accord avec elles. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

[17]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision rendue par l'agente d'immigration le 20 avril 2004 est annulée.


2.          La demande est renvoyée pour nouvelle décision par un autre agent d'immigration.

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-4814-04

INTITULÉ :                                                    JOUMANA NADDAF c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 19 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    MADAME LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                  LE 9 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Chantal Desloges                                               POUR LA DEMANDERESSE

Bridget O'Leary                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green & Spiegel                                                POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR


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