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Date : 20211026


Dossier : IMM-2671-20

Référence : 2021 CF 1140

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2021

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

ABDI RAHMAN KASSIM MOHAMUD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas (l’agent) du Haut-commissariat du Canada à Nairobi, au Kenya, a rejeté la demande de permis d’études du demandeur, M. Mohamud (le demandeur), au motif qu’il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour.

II. Contexte

[2] Le demandeur, un citoyen de l’Ouganda, est âgé de 24 ans. Il a obtenu un diplôme d’études secondaires en 2010, et un baccalauréat en administration des affaires (comptabilité) de l’Université arabe ouverte en Égypte, en 2012. Il a ensuite travaillé en tant que comptable et il occupe actuellement un poste de comptable principal chez ISAB International Limited, un cabinet spécialisé en ressources humaines. Le demandeur veut étudier au Canada afin d’obtenir un diplôme en comptabilité qui fera avancer sa carrière en comptabilité en Ouganda et parce que, selon ses dires, son employeur [traduction] « songe à étendre ses activités en Europe et en Amérique du Nord ».

[3] Lorsqu’il a présenté sa demande de permis d’études, le demandeur voulait suivre un programme menant à l’obtention d’un diplôme du Collège Seneca qui devait commencer en mai 2020 et se terminer en décembre 2021. Il a présenté sa demande le ou vers le 28 février 2020, accompagnée d’une preuve des ressources financières que son père mettait à sa disposition pour ses études au Canada, et d’un dépôt pour ses frais de scolarité.

III. Décision

[4] Après avoir examiné la demande de permis d’études du demandeur et les documents déposés à l’appui, l’agent a rejeté la demande au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] ou du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. Plus particulièrement, il a rejeté la demande parce qu’il ne pensait pas que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR. Cette conclusion était fondée sur : 1) les liens familiaux du demandeur au Canada et dans son pays de résidence; 2) l’objectif du séjour du demandeur; 3) la situation d’emploi actuelle du demandeur.

[5] Il ressort des notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) que l’agent a, entre autres facteurs, considéré ce qui suit :

· le faible revenu du demandeur;

· le demandeur détient déjà un diplôme universitaire dans le même domaine;

· la raison qu’il donne pour suivre ce cours – il souhaite accroître ses possibilités d’emploi dans son pays de citoyenneté – est peu convaincante;

· il a peu de liens familiaux et économiques dans son pays de citoyenneté (Ouganda), ce qui lui donnerait peu de raisons de quitter le Canada.

IV. Questions en litige

[6] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale?
  2. La décision de l’agent est‑elle raisonnable?

V. Norme de contrôle

[7] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Comme il est énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, la norme qui est présumée s’appliquer au contrôle sur le fond d’une décision administrative est celle de la décision raisonnable, et aucune circonstance justifiant de déroger à cette présomption n’existe en l’espèce.

[8] Comme l’a écrit le juge Montigny de la Cour d’appel dans l’arrêt Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35 :

Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir […] n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de [la Cour d’appel fédérale], selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte […] l’équité procédurale concerne la manière avec laquelle une décision a été rendue, plutôt que l’essence de la décision […] Ce qui importe, en fin de compte, c’est de savoir si l’équité procédurale a été respectée ou non.

Aucune des parties dans la présente affaire n’a présenté d’observations sur la norme de contrôle applicable à l’obligation d’équité procédurale. J’examinerai donc si les règles de l’équité procédurale ont été respectées en fonction d’une norme qui s’apparente à celle de la décision correcte.

VI. Analyse

[9] Le demandeur a fourni dans son affidavit des éléments de preuve dont l’agent ne disposait pas. Par exemple, il affirme qu’il est un enfant unique (para 3), renseignement qui n’a pas été présenté à l’agent. Je ne tiendrai pas compte des éléments de preuve dont ne disposait pas l’agent. Il est bien établi en droit que le contrôle judiciaire doit être fondé sur les éléments de preuve dont le décisionnaire était saisi (Fabiano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1260). La Cour doit contrôler la décision de l’agent au regard des faits dont disposait ce dernier et non pas en fonction des faits nouveaux présentés dans l’affidavit du demandeur.

A. L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale?

[10] En ce qui concerne la question de l’équité procédurale, le demandeur fait valoir qu’il aurait dû avoir la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent, et il cite la décision Yuan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1356, à l’appui de la proposition selon laquelle l’agent des visas est tenu d’offrir au demandeur une telle possibilité. La Cour présente de façon plus exhaustive cette obligation dans la décision Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 [Patel]; j’en parlerai donc dans mon analyse ci‑après.

[11] Le demandeur reconnaît que le degré d’équité procédurale auquel ont droit les demandeurs de visa et de permis d’études se situe à l’extrémité inférieure du spectre, mais il fait valoir que l’agent aurait dû lui faire part des préoccupations qu’il avait au sujet de sa crédibilité (à tout le moins, par écrit). Je conviens que le degré d’équité procédurale se situe à l’extrémité inférieure du spectre. La Cour a en effet déjà conclu que « les protections procédurales exigées par l'obligation d'équité devraient être assouplies pour le traitement des demandes de permis de séjour pour étudiant par les agents des visas à l'étranger » (Li c Canada (MCI), 2001 CFPI 791 au para 50). Toutefois, je ne peux pas dire qu’en l’espèce l’agent a tiré des conclusions au sujet de la crédibilité.

[12] Le demandeur cite longuement à cet égard les observations formulées par le juge Diner dans la décision Patel , et l’extrait qu’il cite confirme que, si l’agent des visas a non pas des préoccupations au sujet de la crédibilité, mais plutôt des réserves quant à la preuve ou au caractère suffisant des documents à l’appui, il n’est alors pas tenu d’en informer le demandeur. Il fait valoir que l’agent avait en main sa lettre et sa demande dans lesquelles il explique pourquoi il veut étudier au Canada et affirme, prétend‑il, qu’il retournera en Ouganda après ses études. Le demandeur soutient que, compte tenu des préoccupations qu’il avait, l’agent aurait dû l’interroger, ou [traduction] « à tout le moins lui envoyer une lettre d’équité procédurale ». Selon lui, en ne le faisant pas, l’agent a manqué à l’équité procédurale.

[13] La décision Patel ne fait pas autorité à l’égard du principe invoqué par le demandeur. Même s’il est vrai que, dans l’affaire Patel, l’agent a tiré une conclusion en matière de crédibilité et que le juge Diner a estimé que le demandeur aurait dû avoir la possibilité d’y répondre, il reste que la conclusion selon laquelle le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée n’était pas celle qui touchait à la crédibilité dans cette affaire. L’agent a plutôt conclu que le demandeur n’était pas un véritable étudiant. Au paragraphe 10 de la décision, le juge Diner écrit : « En l’espèce, l’agent a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de M. Patel […] lorsqu’il a conclu qu’il n’était pas un véritable étudiant ». C’est sur le fondement de cette conclusion que le juge Diner a conclu que l’équité procédurale exigeait que le demandeur soit informé des préoccupations de l’agent.

[14] Par ailleurs, en l’espèce, les véritables préoccupations de l’agent concernent le caractère suffisant de la preuve présentée par le demandeur et non sa crédibilité. Comme l’indique le passage de la décision Patel cité par le demandeur lui-même, « les agents des visas ne sont pas tenus d’informer les demandeurs des réserves qu’ils ont quant au caractère suffisant de la preuve ou des documents à l’appui ». Il est reconnu dans la jurisprudence (voir Musasiwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 617 aux para 12, 13, 19; D’Almeida c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 308) qu’il est souvent difficile de distinguer le caractère suffisant de la preuve présentée par un demandeur et sa crédibilité. Toutefois, j’estime que la conclusion de l’agent en l’espèce, soit que le demandeur ne quittera pas le Canada à la fin de son séjour, concerne le caractère suffisant de la preuve du demandeur et non pas la crédibilité du demandeur. Bien que le demandeur ait affirmé qu’il n’avait pas l’intention de rester au Canada après la fin de son séjour autorisé, la preuve qu’il a fournie à l’appui de cette affirmation n’était guère convaincante – de l’avis de l’agent. Il a déclaré que ses parents vivaient en Ouganda et qu’il avait l’intention de [traduction] « retourner chez lui après la fin de ses études ».

[15] L’agent ne remet pas en question la crédibilité de cette preuve, mais il la juge plutôt insuffisante pour établir qu’il est probable que le demandeur quitte le Canada. Dans ses motifs, il conclut que le demandeur a, [traduction] « de façon générale, de faibles liens familiaux et économiques dans son pays de citoyenneté », et non qu’il n’a pas de liens économiques ou familiaux. L’agent conclut non pas que le demandeur ment au sujet de la présence de ses parents en Ouganda, mais plutôt que, dans le spectre des liens possibles avec le pays, la preuve qu’il a présentée est faible. Cette conclusion ne porte pas sur la crédibilité de la preuve, mais sur son caractère suffisant et, pour cette raison, le demandeur n’était pas en droit d’être informé des préoccupations soulevées par l’agent (Patel, au para 10).

[16] En tant qu’étranger, le demandeur a l’obligation de démontrer, avant de pouvoir obtenir un permis d’études, qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable, comme il est clairement prévu au paragraphe 216(1) du RIPR. Je conviens avec le défendeur que, puisque cette disposition est publique, l’agent n’était pas tenu d’informer le demandeur de cette obligation.

[17] J’estime que le demandeur a eu droit au degré d’équité procédurale prescrit et que, par conséquent, la conclusion de l’agent selon laquelle il ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée est déterminante.

B. La décision de l’agent est‑elle raisonnable?

[18] Le demandeur affirme que l’agent a commis une erreur en concluant qu’il ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour autorisé et que cette décision est par conséquent déraisonnable. Il soutient que l’agent n’a pas tenu compte, ou s’est trompé dans la façon dont il a tenu compte, de nombreux éléments, notamment 1) il n’a pas tenu compte des liens du demandeur avec l’Ouganda (ses parents); 2) il a commis une erreur en estimant que l’absence d’antécédents de voyage du demandeur jouait contre lui; 3) il n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle le demandeur entendait retourner en Ouganda après avoir obtenu de son diplôme. Le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte des liens familiaux qu’il a en Ouganda et que les notes entrées dans le SMGC à cet égard étaient incompréhensibles.

[19] Ces prétentions ne sont pas étayées par la preuve. L’agent n’a tout simplement pas expressément mentionné la présence des parents du demandeur en Ouganda. Toutefois, l’agent n’était pas tenu de le faire pour que sa décision soit raisonnable. Au paragraphe 301 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême enseigne que « les décideurs administratifs ne sont pas tenus d’examiner et de commenter dans leurs motifs chaque argument soulevé par les parties ». Ce qu’il faut en fait, c’est qu’il soit possible de dégager le raisonnement qui a mené à la décision, et que celle‑ci soit fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle soit justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 102, 85 et 101). En l’espèce, l’agent était de toute évidence conscient du fait que le demandeur avait quelques liens en Ouganda, mais ce dernier n’avait pas fourni de renseignements détaillés sur ces liens familiaux. Cela est attesté par le fait que l’agent a estimé que le demandeur avait [traduction] « peu de liens familiaux », et non aucun lien familial, dans son pays de citoyenneté. Cette preuve n’est pas contradictoire, à la différence de l’affaire Kavugho-Mission c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 597, puisqu’il s’agit d’une simple affirmation sur les liens familiaux du demandeur qui, selon l’agent, étaient faibles. Conclure autrement équivaudrait à apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas l’objet du contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125).

[20] Pour ce qui est des antécédents de voyage du demandeur, l’agent ne semble pas avoir considéré que ce facteur jouait de façon importante contre le demandeur. Il a plutôt simplement fait ce constat dans le cadre de son analyse globale, ce qui ne rend pas la décision déraisonnable.

[21] J’applique une analyse semblable à celle des liens familiaux du demandeur à l’argument voulant que ce dernier ait l’intention de retourner en Ouganda afin (comme il le dit dans sa lettre de motivation) d’y poursuivre sa carrière en comptabilité et tirer profit de l’[traduction] « […] avantage concurrentiel qu’il aura sur ses pairs qui ont acquis des compétences semblables dans son pays d’origine ». L’agent n’a pas écarté cette information, mais il s’en est plutôt servi dans le cadre de son analyse globale. Je répète qu’il n’était pas tenu de mentionner expressément cette lettre. Il ressort des motifs de l’agent que ce dernier a considéré que le demandeur occupait déjà un emploi nécessitant un diplôme en comptabilité et qu’il a tenu compte de l’ affirmation selon laquelle le programme d’études qu’il entendait suivre l’aiderait dans son emploi. On peut lire que la [traduction] « raison [que le demandeur] donne pour suivre ce cours, soit d’accroître ses possibilités d’emploi dans son pays de citoyenneté, était peu convaincante ». Encore une fois, le mot « peu » indique que l’agent a examiné ce facteur et qu’il a conclu que l’explication était faible. Le fait que le demandeur est déjà titulaire d’un diplôme en comptabilité et qu’il travaille déjà dans le domaine, mais qu’il veut quand même obtenir un autre diplôme en comptabilité a joué un rôle dans le raisonnement de l’agent. J’estime que cette conclusion est raisonnable.

[22] L’argument du demandeur peut se résumer essentiellement à l’affirmation selon laquelle la conclusion de l’agent, soit que le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, était déraisonnable vu les faits et la preuve au dossier. Sur le fond, cet argument revient à dire que l’agent a mal apprécié la preuve et qu’il a omis de mentionner certains éléments de preuve en particulier. Se livrer à un tel examen n’est pas l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Les cours de révision doivent « s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » (Vavilov, au para 125). En fait, dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100). L’arrêt Vavilov établit clairement qu’une cour de révision ne doit pas se demander quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, mais elle doit plutôt évaluer si la décision – et les motifs sur laquelle elle est fondée – est comprise dans l’éventail des conclusions qui s’offrait au décideur. En l’espèce, je conclus que la décision était raisonnable.

[23] Les parties n’ont présenté aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2671-20

LA COUR STATUE :

  1. Je rejette la demande;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2671-20

 

INTITULÉ :

ABDI RAHMAN KASSIM MOHAMUD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 7 septembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 OCTOBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Saidaltaf Patel

 

Pour le demandeur

Asha Gafar

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SP Law Office A PC

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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