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Date : 20211021


Dossier : IMM-4570-20

Référence : 2021 CF 1121

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

OKECHUKU UGWU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Okechuku Ugwu, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (l’agent) a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

[2] Le demandeur soutient qu’il risquerait d’être persécuté par le groupe militant Boko Haram en raison de sa religion chrétienne s’il retournait au Nigéria.

[3] Pour les motifs suivants, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable. L’agent a conclu que le demandeur n’a présenté aucune nouvelle preuve pour étayer le risque auquel il serait exposé personnellement en retournant au Nigéria, et qu’il n’a pas réfuté la conclusion de la SPR selon laquelle il dispose d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) au Nigéria. Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Faits

A. Le demandeur

[4] Le demandeur est un citoyen nigérien de 39 ans. En avril 2017, il est venu au Canada et a demandé l’asile au motif qu’il craignait d’être tué par des membres du groupe militant Boko Haram parce qu’il est chrétien.

[5] Dans le cadre de sa demande d’asile, le demandeur a affirmé que plusieurs membres de sa famille ont été tués par le groupe militant Boko Haram entre 2013 et 2015, y compris sa sœur et sa fiancée.

B. Décisions d’immigration antérieures

[6] Le 16 mai 2018, le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile du demandeur. La SPR s’est dite préoccupée par les allégations du demandeur selon lesquelles il a été persécuté par Boko Haram. En particulier, la SPR a mis en doute la crédibilité des éléments suivants :

  • a) L’omission du demandeur d’expliquer pourquoi il a quitté sa maison familiale située dans une région chrétienne du Nigéria pour ouvrir un magasin de musique chrétienne dans une région à majorité musulmane;

  • b) La description que le demandeur a fournie de son expérience d’une attaque à Baga en 2015, dans laquelle il a expliqué avoir été ciblé par, pensait‑il, Boko Haram pendant qu’il faisait jouer de la musique chrétienne à haut volume dans son magasin;

  • c) Le décès de la sœur du demandeur et le peu d’éléments de preuve corroborant les événements ayant mené à son décès présumé;

  • d) Les certificats de décès de la sœur et de la fiancée du demandeur présentés par celui‑ci.

[7] La SPR a également conclu que le demandeur dispose d’une PRI viable à Nsukka, dans l’État d’Enugu, où il est né et a vécu presque toute sa vie. Selon la conclusion de la SPR, la preuve démontrait que les opérations de Boko Haram sont circonscrites au nord‑est du Nigéria et que le demandeur serait loin du territoire contesté et du conflit s’il déménageait dans sa maison ancestrale. La SPR a conclu qu’il n’existe aucune preuve fiable selon laquelle Boko Haram continuerait à rechercher le demandeur ou à le prendre pour cible. La SPR a aussi conclu qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur puisse déménager dans une région majoritairement chrétienne et, de la même façon, continuer à exploiter son petit commerce.

[8] Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés (la SAR). Le 27 juillet 2018, la SAR a rejeté l’appel pour défaut de mise en état.

C. Décision faisant l’objet du contrôle

[9] Le 17 septembre 2019, le demandeur a présenté une demande d’ERAR au motif qu’il serait en danger au Nigéria parce qu’il est chrétien et qu’il risquerait d’être persécuté par le groupe militant Boko Haram du fait de sa religion s’il rentrait au pays.

[10] Les éléments de preuve présentés à l’appui de la demande d’ERAR comprenaient une déclaration écrite non signée du demandeur, une évaluation psychosociale de la clinique Mount Carmel datée du 10 juillet 2017, une copie de la carte d’identité du demandeur provenant du diocèse catholique de l’État de Borno, ainsi que divers articles au sujet de la situation au Nigéria.

[11] Dans sa lettre datée du 23 avril 2020, l’agent a rejeté la demande d’ERAR du demandeur au motif qu’il n’avait pas présenté une preuve suffisante pour s’acquitter du fardeau d’établir qu’il s’exposerait à davantage qu’une simple possibilité de persécution au sens de l’article 96 de la LIPR à son retour au Nigéria, et qu’il n’a pas non plus démontré qu’il serait vraisemblablement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au sens de l’article 97 de la LIPR.

[12] L’agent a conclu que le demandeur n’a présenté aucune nouvelle preuve relative aux risques associés à son retour au Nigéria. L’agent a souligné que le demandeur répétait, dans sa déclaration écrite, les mêmes risques et allégations au sujet de Boko Haram que ceux qu’il avait présentés à la SPR et qui avaient été rejetés parce qu’ils n’étaient pas crédibles. En outre, l’agent a établi que l’évaluation psychosociale ne constituait pas une nouvelle preuve puisqu’elle datait du 10 juillet 2017 et n’avait pas été présentée à la SPR le 16 mai 2018 lorsque cette dernière a tranché la cause du demandeur.

[13] L’agent a conclu que les articles portant sur la situation au pays traitent des risques auxquels l’ensemble des Nigériens sont exposés plutôt que des risques propres au demandeur. L’agent a souligné que le demandeur n’a présenté aucune preuve documentaire établissant que les attaques qui se sont produites étaient attribuables à la discrimination ou à la haine générée par sa foi chrétienne, et il a conclu que la discrimination subie par le demandeur n’équivaut pas à de la persécution.

[14] En outre, l’agent a conclu que le demandeur n’a présenté aucune preuve relative aux nouveaux risques associés à son retour au Nigéria et qu’il n’a pas réfuté la conclusion de la SPR selon laquelle il dispose d’une PRI au Nigéria dans sa ville natale ou une région majoritairement chrétienne.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[15] La seule question en l’espèce est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[16] Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord. Il est bien établi qu’une décision relative à l’ERAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 361 (CanLII) au para 55; Figurado c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347 (CanLII); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux paras 10, 16‑17).

[17] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable commande la retenue, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit déterminer si la décision qui fait l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). La décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85).

[18] La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont disposait le décideur et de l’incidence de la décision sur ceux qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[19] Pour qu’une décision soit déraisonnable, le demandeur doit établir que celle-ci comporte des lacunes qui sont suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait (Vavilov, au para 125).

IV. Analyse

A. Possibilité de refuge intérieur viable

[20] L’agent a conclu que le demandeur n’a pas réfuté la conclusion de la SPR selon laquelle il disposait d’une PRI au Nigéria dans sa ville natale de Nsukka ou dans une région majoritairement chrétienne.

[21] Le demandeur fait valoir que l’endroit proposé comme PRI doit être un lieu géographique précis (Valdez Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 387 au para 17, citant Rabbani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 47 (CF 1re inst) au para 16). Il soutient que la SPR n’a pas conclu qu’il disposait d’une PRI dans toutes les villes à majorité chrétienne du Nigéria, mais uniquement que Nsukka constituait une PRI.

[22] Pourtant, la SPR et l’agent ont expressément conclu que le demandeur disposait d’une PRI viable dans sa ville natale de Nsukka, où il est né et a vécu presque toute sa vie. Le demandeur admet que la SPR a tiré cette conclusion, mais conteste la référence aux [traduction] « autres régions majoritairement chrétiennes ». La SPR a affirmé ce qui suit lorsqu’elle a examiné la PRI du demandeur à Nsukka, située dans une région majoritairement chrétienne :

[traduction]

[13] À la lumière de la preuve dont il dispose, le tribunal conclut qu’il est objectivement raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles propres au demandeur, que ce dernier cherche refuge à Nsukka, Enugu, pour les motifs qui suivent. Le demandeur est natif de l’État d’Enugu. De plus, il est né et a vécu presque toute sa vie à Nsukka. Il est parvenu à déménager dans une région musulmane, à y ouvrir un magasin chrétien et, selon ses dires, à prospérer. Je m’attendrais raisonnablement à ce qu’il soit en mesure de déménager dans une région à majorité chrétienne et, de la même façon, continuer à exploiter son petit commerce.

[23] La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur pourrait déménager dans une [traduction] « région majoritairement chrétienne » en plus de l’endroit expressément proposé comme PRI ne mine pas la conclusion relative à la PRI elle‑même.

[24] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les arguments du demandeur sur cette question incitent la Cour à faire prévaloir la forme sur le fond plutôt qu’à se pencher sur la décision dans son ensemble afin d’établir son caractère raisonnable (Reci c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 833 au para 30).

[25] Dans l’arrêt Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16789 (CAF) (Ranganathan), la Cour d’appel fédérale affirme que la barre est très haute pour les demandeurs d’asile qui souhaitent démontrer qu’il leur serait déraisonnable de chercher et d’obtenir la protection contre la persécution dans une autre partie du pays. En particulier, la Cour d’appel fédérale souligne ce qui suit au paragraphe 15 :

[Lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable,] [i]l ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions.

[26] Je conclus que l’agent a raisonnablement conclu que le demandeur n’a pas réfuté la conclusion de la SPR relative à la PRI et qu’il n’a présenté aucune preuve adéquate afin de satisfaire au seuil élevé établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ranganathan pour montrer en quoi il lui serait impossible de déménager dans l’endroit proposé comme PRI.

B. Appréciation de la preuve

[27] Pour réfuter une décision rendue par la SPR au sujet de la question de la protection au sens des articles 96 ou 97 de la LIPR, les nouveaux éléments de preuve doivent démontrer « que le demandeur sera exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision » (Escalona Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379 (Perez), au para 5).

[28] À l’appui de sa demande d’ERAR, le demandeur a présenté une évaluation psychosociale de la clinique Mount Carmel, une déclaration écrite ainsi que plusieurs articles portant sur la situation au Nigéria.

[29] Dans les motifs de la décision, l’agent affirme que [traduction] « le demandeur n’a présenté aucune “nouvelle” preuve ni aucun nouveau risque associé à son retour au Nigéria ». Le demandeur soutient que la déclaration de l’agent laisse entendre que celui‑ci ne disposait d’aucune nouvelle preuve lorsqu’il a examiné la demande d’ERAR.

[30] Le demandeur soutient en outre que les nouveaux éléments de preuve présentés montrent une autre facette du risque antérieur et que l’agent n’a pas dûment examiné le risque supplémentaire auquel il serait exposé à Nsukka. Il fait notamment valoir que davantage de poids aurait dû être accordé à l’avis aux voyageurs du gouvernement du Canada présenté dans le cadre de la demande d’ERAR, qui fait état de terrorisme, de criminalité, d’affrontements entre communautés, d’attaques armées et d’enlèvements. Le demandeur soutient que les affrontements entre communautés font partie du type de violence qu’il craint et que cela comprend la violence entre chrétiens et non‑chrétiens.

[31] Lorsqu’on examine la page de la décision de la SPR qui contient ces termes ainsi que la décision de l’agent dans son ensemble, il est clair que ce dernier n’affirmait pas littéralement que le demandeur n’avait présenté aucune preuve en plus de celle dont disposait la SPR. L’agent s’est penché sur la preuve présentée par le demandeur pour parvenir à la conclusion raisonnable selon laquelle la preuve et les nouvelles allégations du demandeur à l’égard des risques auxquels il serait exposé en tant que chrétien dans l’endroit proposé comme PRI ne se rapportaient pas à un « risque nouveau, différent ou supplémentaire » (Perez, au para 5) qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision.

[32] En fait, la SPR a examiné en détail l’allégation relative au risque dans sa décision. Dans ses motifs expliquant pourquoi la preuve du demandeur ne soulève pas l’existence d’un risque dans l’endroit proposé comme PRI, la SPR a écrit que les activités de Boko Haram sont circonscrites au nord-est du Nigéria, loin de Nsukka, la ville proposée comme PRI, et qu’il n’existe aucune preuve fiable laissant entendre que Boko Haram continuerait à chercher ou à cibler le demandeur.

[33] L’évaluation psychosociale présentée par le demandeur était datée du 10 juillet 2017. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi l’évaluation n’avait pas été rendue accessible au cours de l’audience devant la SPR. Selon moi, l’agent a raisonnablement conclu qu’étant donné que la SPR a tranché la cause du demandeur le 16 mai 2018, l’évaluation psychosociale n’est pas une preuve [traduction] « nouvelle » puisqu’elle a été réalisée avant l’audience devant la SPR et qu’elle était facilement accessible à ce moment‑là.

[34] En ce qui concerne la déclaration écrite du demandeur, je conclus que l’agent a raisonnablement conclu que le demandeur a simplement répété les risques qui avaient déjà été rejetés par la SPR – en particulier à l’égard de la crédibilité de sa déclaration au sujet des attaques de Boko Haram et de la preuve relative aux décès de sa sœur et de sa fiancée. Cette conclusion est raisonnable et compatible avec la jurisprudence (Perez, au para 5).

[35] Les articles au sujet de la situation au Nigéria présentés par le demandeur donnent des exemples de menaces et d’attaques contre des chrétiens dans des régions majoritairement musulmanes contrôlées par Boko Haram ou les pasteurs fulani. La documentation fait aussi état d’attaques terroristes menées contre le grand public, de manifestations entre musulmans et chrétiens ayant donné lieu à des confrontations violentes, ainsi que d’actes de violence et d’autres crimes commis contre des pasteurs chrétiens dans le nord à majorité musulmane.

[36] Le demandeur soutient en outre que l’agent a commis une erreur en concluant que la SPR l’a jugé non crédible. Le demandeur fait valoir que les conclusions de la SPR en matière de crédibilité n’étaient pas explicites, et il cite la décision Zaytoun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 939 (Zaytoun) pour affirmer que des préoccupations exprimées à l’égard de la crédibilité d’une demande n’équivalent pas à un rejet catégorique de la crédibilité du demandeur. Dans la décision Zaytoun, la Cour affirme que la SPR « doit formuler des conclusions défavorables quant à la crédibilité en termes clairs et explicites » (au para 7, citant Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1991] ACF n228 (CAF)).

[37] Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel, compte tenu de l’expertise de la SPR et du fait qu’elle est la mieux placée pour évaluer le témoignage d’un demandeur, ses conclusions en matière de crédibilité commandent la retenue. La Cour a exprimé l’avis suivant au paragraphe 15 de la décision Ikeme c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 21 :

La Cour ne doit pas intervenir à la légère sur les conclusions de la SAR et de la SPR à l’égard de la crédibilité, qui se situe au cœur de leur compétence (Yan v. Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FC 146, au paragraphe 18).

C. Confusion entre les critères prévus aux articles 96 et 97 de la LIPR

[38] Le demandeur fait valoir que l’agent a confondu les critères prévus aux articles 96 et 97 de la LIPR. Il soutient qu’il est nécessaire d’établir l’existence d’un risque personnalisé dans le contexte d’une demande déposée sur le fondement de l’article 97 de la LIPR, mais pas dans le cas de l’article 96 de la LIPR. Le demandeur affirme qu’il invoque un risque au titre de l’article 96 de la LIPR au motif qu’il craint avec raison d’être persécuté aux endroits proposés comme PRI en raison de sa religion chrétienne, et fait valoir que l’agent n’a pas évalué si la preuve générale relative au risque auquel sont exposés les chrétiens dans les endroits proposés comme PRI s’applique au demandeur.

[39] Le demandeur a cité la décision Fodor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 218 (Fodor) pour faire valoir que la preuve concernant le risque auquel sont exposées les personnes se trouvant dans une situation similaire est suffisante pour établir l’existence d’un risque au sens de l’article 96 de la LIPR. Le juge McHaffie compare les articles 96 et 97 de la LIPR aux paragraphes 19 et 20 de la décision Fodor :

[19] La Cour d’appel fédérale reconnaît depuis longtemps qu’une personne qui demande l’asile à titre de réfugié au sens de la Convention a) n’a pas besoin de démontrer qu’elle a été persécutée personnellement dans le passé; b) peut démontrer qu’elle craint d’être persécutée au moyen d’éléments de preuve sur le traitement réservé aux personnes se trouvant dans une situation similaire à la sienne dans son pays de nationalité; et c) n’a pas besoin de démontrer qu’elle s’expose à un risque plus grand par rapport aux autres personnes dans son pays ou aux autres membres de son groupe : Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 250, 1990 CanLII 7978 (CAF), aux par. 17‑19.

[…]

[20] L’article 97, par contre, prévoit que le demandeur d’asile doit être personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. L’article 97 rejette explicitement les risques généralisés auxquels s’exposent les autres personnes dans le pays : LIPR, sous‑alinéa 97(1)b)(ii). La distinction importante entre ces dispositions est donc que l’article 97 prévoit que le risque doit être propre au demandeur d’asile, c’est‑à‑dire que les autres personnes vivant dans ce pays n’y sont pas exposées, tandis que l’article 96 prévoit que l’asile peut être accordé s’il existe un risque généralisé en lien avec l’un des motifs prévus dans la Convention qui est applicable au demandeur d’asile : Salibian, aux par. 18‑19; Somasundaram, au par. 24; Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808, aux par. 21‑22.

[40] Je conclus que l’agent a dûment examiné les questions de savoir si la preuve montrait que le demandeur lui‑même craint avec raison d’être persécuté et si la preuve générale qu’il a présentée s’applique de manière suffisante à sa situation personnelle. Le paragraphe 38 de la décision Fodor appuie le caractère raisonnable de l’analyse de l’agent :

[38] Dans le cadre d’une demande d’asile présentée au titre de l’article 96, il incombe au demandeur d’asile de démontrer que sa crainte de persécution est fondée. Lorsque le demandeur d’asile s’appuie sur des éléments de preuve généraux concernant des personnes dans une situation semblable, il doit montrer que ces éléments de preuve sont pertinents en ce qui le concerne, c’est‑à‑dire que sa situation est suffisamment similaire à celle des personnes dont il est question dans les éléments de preuve. Dans ce cas, […] les éléments de preuve « généraux » deviennent « propres » au demandeur d’asile, du fait que ce dernier a démontré que les éléments de preuve s’appliquent à sa situation […] Je suis donc d’accord avec le ministre pour dire que la simple utilisation de l’expression « propre à » (ou « personnalisé » ou « individualisé ») n’indique pas à elle seule que les critères prévus aux articles 96 et 97 ont été combinés (Renvois omis, non souligné dans l’original).

[41] Le demandeur soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle les articles au sujet des attaques menées contre des chrétiens dans l’État d’Enugu sont [traduction] « de nature générale et abordent des risquent auxquels tous les Nigériens sont exposés » est une interprétation erronée des articles, qui traitent précisément de l’État d’Enugu et des chrétiens comme lui. Le demandeur renvoie notamment au cartable national de documentation (CND) pour le Nigéria publié le 9 avril 2020, soit le plus récent à la date où la décision relative à l’ERAR a été rendue. Le CND comprend un rapport de 2019 du Département d’État des États‑Unis qui, selon le demandeur, fait état d’importantes violences entre chrétiens et musulmans à l’échelle du Nigéria et dans l’État d’Enugu en particulier. Le rapport énonce expressément ce qui suit :

[traduction]

En août [2018], 200 prêtres catholiques ont marché dans les rues de la ville d’Enugu pour protester contre l’insécurité et ce qu’ils considéraient comme des « attaques menées contre des chrétiens par des pasteurs fulani. »

[42] Le défendeur fait valoir que les observations du demandeur constituent une interprétation erronée du passage et du rapport duquel il est tiré. Selon lui, le passage montre qu’en 2018, un groupe de prêtres a manifesté contre l’insécurité en général ainsi qu’un nombre inconnu [traduction] « d’attaques menées contre des chrétiens par des pasteurs fulani » pendant une période indéterminée et à un endroit inconnu. L’agent reconnaît dans sa décision les renseignements sur la situation au pays qui montrent que des prêtres ont été enlevés et assassinés au Nigéria, mais signale que le demandeur n’est pas prêtre et [traduction] « n’a pas démontré qu’il est davantage qu’un croyant chrétien ».

[43] Même si le demandeur soutient qu’il a bel et bien affirmé être davantage qu’un simple croyant chrétien, il n’indique pas ce à quoi il s’identifie et ne présente aucune preuve à l’appui de cette affirmation. S’il soutient être davantage qu’un simple croyant chrétien uniquement parce qu’il vendait de la musique chrétienne dans son magasin, les renseignements présentés sur la situation au pays ne montrent pas qu’une personne vendant de la musique chrétienne dans son commerce serait considérée comme davantage qu’un simple croyant chrétien.

[44] Je conclus que l’agent a raisonnablement conclu, à la lumière de la preuve dont il disposait, que le demandeur n’a pas montré qu’il est davantage qu’un croyant chrétien.

V. Conclusion

[45] Je conclus que la décision de l’agent est raisonnable et je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[46] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4570-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4570-20

 

INTITULÉ :

OKECHUKU UGWU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR vidÉconfÉrence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 21 OCTOBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Samantha Gergely

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

pour le défendeur

 

 

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