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                                                                                                         Date : 20040621

                                                                                                   Dossier : T-2079-03

                                                                                          Référence : 2004 CF 884

ENTRE :

                           LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES

RESSOURCES HUMAINES

                                                                                                                  demandeur

                                                                 et

                                               INGVAR MYRHEIM

                                                                                                                   défendeur

Que la transcription révisée ci-jointe des motifs de l'ordonnance que j'ai prononcés à l'audience, tenue à Edmonton (Alberta), le 3 juin 2004, soit déposée conformément à l'article 51 de la Loi sur les Cours fédérales.

Carolyn A. Layden-Stevenson

        Juge

Ottawa (Ontario)

Le 21 juin 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a, LL.L.


                                                                 T-2079-03

         COUR FÉDÉRALE                           [2004 CF 884]

ENTRE :                                                    

         MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

                                                                                                                   demandeur

                       et

       INGVAR MYRHEIM

                                                                          défendeur

-----------------------------

Audience tenue devant Mme la juge Layden-Stevenson, à la Cour fédérale, 10060, avenue Jasper, 5e étage, Edmonton (Alberta) le 3 juin 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

COMPARUTIONS :

M. Mathieu                                                        pour le demandeur

(personne n'a comparu)                                     pour le défendeur

        

                                     Chantal St. Jean, sténographe judiciaire                         -------------------------------

              Digi-Tran Inc.

    408, 15e Avenue Nord-Est

   Calgary (Alberta) T2E 1H4

          Par : Janice Horne


MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON : Le ministre du Développement des Ressources humaines, que j'appellerai désormais « le ministre » a présenté une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 7 octobre 2003 par le Tribunal de révision en matière de sécurité de la vieillesse à la suite d'une audience tenue à Edmonton (Alberta) le 18 juin 2003.

Le défendeur, M. Myrheim, n'a pas déposé de dossier du défendeur, comme l'exigeait l'article 310 des Règles de la Cour fédérale (1998) et il n'a pas comparu à l'audience.

L'article 38 des Règles prévoit que la Cour peut procéder en l'absence d'une partie si elle estime que l'avis de l'audience lui a été donné en conformité avec les Règles.

En l'espèce, l'ordonnance fixant la date de l'audience a été expédiée à la dernière adresse connue de M. Myrheim, mais elle a été retournée au greffe de la Cour. Le personnel du greffe a tenté sans succès de téléphoner à M. Myrheim et de trouver une nouvelle adresse et/ou numéro de téléphone.

Dans le cadre de ces démarches, le personnel du greffe a communiqué avec le demandeur pour vérifier si le ministère du Développement des ressources humaines (le Ministère) connaissait l'adresse actuelle de M. Myrheim. Le Ministère avait effectivement reçu une nouvelle adresse et un nouveau numéro de téléphone. Après avoir composé le nouveau numéro et avoir été acheminé à une messagerie vocale, le personnel du greffe a laissé un message vocal détaillé et a transmis la convocation à l'audience à la nouvelle adresse.


Le 7 mai 2004, le défendeur a communiqué avec le greffe par téléphone pour informer son personnel qu'il n'avait pas l'intention de se présenter à l'audience. À ma demande, le greffe a communiqué de nouveau avec M. Myrheim par téléphone pour lui demander s'il souhaitait participer à l'audience par voie de conférence téléphonique au lieu de se présenter en personne. Il a décliné cette offre.

Dans l'arrêt Aubut c. Ministre du Revenu national, (1990), 126 N.R. 381 (C.A.F.), autorisation de former un pourvoi refusée à (1991), 134 N.R. 239n (C.S.C.), la Cour a jugé que, lorsqu'une partie fait défaut de comparaître à l'audience, la seule obligation de la Cour est de déterminer si cette partie avait été avisée de la date et du lieu de la séance. Je suis convaincue que M. Myrheim en a été informé et je vais donc procéder en son absence.

Voici un bref rappel des faits. M. Myrheim s'est présenté au bureau du ministère à Edmonton le 22 août 2000 pour soumettre une demande de prestations de RPC et Sécurité de la vieillesse, que j'appellerai désormais prestations de la SV. Il était sur le point d'atteindre 65 ans, en mai 2001. Il n'était pas sûr de prendre sa retraite parce que sa compagnie lui offrait de continuer à travailler.

Il ressort du dossier que M. Myrheim affirmait avoir, peu de temps après, communiqué avec un agent du Ministère par téléphone pour faire connaître son désir que ses prestations de la SV soient retenues. Suivant M. Myrheim, l'agent à qui il a parlé lui a dit que toute l'affaire pouvait se régler au téléphone. La demande n'a jamais été confirmée par écrit et rien n'a été consigné au dossier du Ministère au sujet de cette demande. Les deux demandes ont été traitées et le versement des prestations de la SV devait commencer le 1er juin 2001.


Le 4 décembre 2000, M. Myrheim a envoyé une lettre indiquant qu'il voulait retarder la date du début du versement des prestations du RPC parce qu'il avait l'intention de continuer à travailler après la date prévue de sa retraite, c'est-à-dire le 31 décembre 2000. Il a vraisemblablement commencé à toucher ses prestations du RPC le 1er juin 2001, ainsi que les prestations de la SV, immédiatement après son 65e anniversaire de naissance.

Le ministre explique que le 23 mai 2001, M. Myrheim a demandé que ses prestations de juin 2001 soient retenues pour être appliquées comme déduction de son impôt sur le revenu. On nous a renvoyé à un affichage détaillé de la SV (page 112 du dossier du demandeur) qui est loin d'être détaillé. Les pièces auxquelles on m'a référée ne permettent pas, selon moi, de conclure que cette demande a été formulée.

Il est clair cependant que les prestations de juin 2001 ont été retenues et que les prestations ultérieures ont également été retenues. Entre juillet 2001 et juin 2002, certaines sommes d'argent ont été retenues à titre de récupération des prestations, alors que certaines autres ont été déduites aux fins de l'impôt sur le revenu.

À partir de juillet 2002, toutes les prestations ont été retenues en vertu d'un mécanisme de récupération des prestations. Le dossier ne me permet pas de connaître les montants en jeu, mais avant l'audience, l'avocat avait réussi à obtenir ces renseignements, ce qui m'a permis d'être éclairée à ce sujet. Bien que ces renseignements soient fort utiles, cette façon de procéder place à toutes fins utiles l'avocat dans la position inconfortable de témoigner. Pire encore, l'avocat se retrouve sans un dossier assez complet pour pouvoir plaider sur le fond de la demande.


En bref, M. Myrheim n'a jamais reçu de prestations de la SV, que ce soit sous forme de chèques ou sous forme de dépôt direct. Le Ministère affirme qu'on lui a remis une lettre d'approbation, des lettres expliquant la récupération des prestations et des feuillets T4A. Aucune de ces pièces n'a été versée au dossier. Les lettres versées au dossier sont des formules générales en blanc, et le seul indice qui existe au sujet des retenues fiscales est l'affichage détaillé de la SV susmentionné, qui offre peu d'indices ou d'éclaircissements, et une lettre qui porte la date du 29 avril 2003, soit longtemps après que M. Myrheim eut commencé à exprimer ses doléances.

Le 3 septembre 2002, M. Myrheim a soumis une demande de prestations de la SV qui a été refusée au motif qu'il recevait déjà des prestations de la SV. Après révision, cette décision a été confirmée au motif qu'il n'y avait aucune trace de demande de retrait de la demande visant à obtenir que le versement des prestations commence en juin 2001.

Saisi de l'appel interjeté par M. Myrheim en vertu de l'article 28 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, le Tribunal s'est vu forcé de choisir entre, d'une part, une personne parfaitement crédible qui semblait avoir un souvenir net des faits et, d'autre part, l'absence de négation descriptive au dossier. Le Tribunal n'a trouvé aucune raison de mettre en doute sa parole ou la validité de son témoignage. Le Tribunal a fait droit à l'appel et a conclu, et je cite :

[TRADUCTION] « La demande d'août 2000 est considérée comme ayant été retirée par M. Myrheim. En conséquence, sa demande de septembre 2002 est accueillie. Les versements commenceront en janvier 2003. »


Suivant le ministre, le Tribunal n'avait pas compétence pour rendre cette décision. Il affirme que la compétence du Tribunal est circonscrite par les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur la sécurité de la vieillesse et le Régime de pensions du Canada. Aux termes des articles 27.1 et 28 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, le Tribunal peut réviser la décision de refus ou de liquidation de prestations prise par le ministre.

Le ministre maintient que rien dans la Loi ne permet à quelqu'un de soumettre une demande sans lui donner suite. Une fois que sa demande a été approuvée, le pensionné peut demander par écrit au Ministère de cesser de payer la pension. Le ministre doit approuver cette demande. La cessation rétroactive ne serait pas possible. Si le pensionné souhaite une reprise des versements, il doit en faire la demande par écrit.

Le ministre signale que l'article 32 de la Loi donne au ministre le pouvoir de prendre des mesures correctives s'il est convaincu qu'une personne s'est vu refuser tout ou partie d'une prestation à laquelle elle avait droit par suite d'un avis erroné ou d'une erreur administrative survenus dans le cadre de la Loi. Une fois prise, cette décision ne peut être révisée que par la Cour fédérale. Comme le grief formulé par M. Myrheim découlait d'un présumé avis erroné ou d'une présumée erreur administrative, le Tribunal aurait dû se déclarer incompétent.

La question à trancher est celle de savoir si le Tribunal était incompétent pour rendre la décision. La norme de contrôle est donc celle de la décision correcte (United Taxi Drivers' Fellowship of Southern Alberta c. Calgary, 2004 CSC 19).


Il est incontestable que ce que M. Myrheim reproche au ministre c'est d'avoir commis une erreur administrative. Il est par ailleurs incontestable, à mon avis, que l'arrêt que la Cour d'appel fédérale a rendu dans l'affaire Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Tucker, 2003 CAF 278 règle toute la question.

L'arrêt Tucker a été rendu le 23 juin 2003, c'est-à-dire cinq jours après que le Tribunal eut instruit le présent appel, mais plus de trois mois avant qu'il ne rende sa décision. Le juge Décary, qui a rédigé la décision unanime de la Cour d'appel, dit, aux paragraphes 11 et 12 de l'arrêt Tucker :

                                    11. À mon avis, le raisonnement tenu dans l'arrêt Pincombe s'applique à l'égard d'une décision prise aux termes de l'article 32 de la Loi. Le même raisonnement doit également s'appliquer aux décisions prises aux termes de l'alinéa 37(4)d). Ces dispositions accordent un redressement à la personne qui a reçu à tort une prestation, en raison d'un avis erroné ou d'une erreur administrative. La décision de ne pas exiger le remboursement d'un versement excédentaire (ou de ne pas verser un montant qui aurait dû l'être) effectué à la suite d'un avis erroné n'est pas une décision « de refus ou de liquidation de la prestation » au sens du paragraphe 27.1(1). La Loi (tout comme le Régime de pensions à l'époque de l'arrêt Pincombe) ne prévoit aucun autre droit d'appel pour ce genre de décision. Par conséquent, le juge de première instance a commis une erreur lorsqu'il a refusé d'appliquer l'arrêt Pincombe.


                                    12. Je ferais donc droit à l'appel pour le motif que le tribunal de révision n'avait pas le pouvoir d'entendre l'appel de la décision du ministre interjeté aux termes de l'alinéa 37(4)d), ni celui de procéder au remboursement, total ou partiel, des versements excédentaires.

Dans le jugement Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Mitchell, 2004 CF 437, la juge Dawson a dit - et je fais miens ses propos :

La décision de la Cour d'appel fédérale lie la Cour et je ne puis différencier la présente affaire de l'affaire Tucker. Par voie de conséquence, la décision du tribunal de révision doit être annulée au motif qu'il n'avait pas le pouvoir d'accorder le redressement visé à l'article 32 de la Loi.

Pareillement, rien ne me permet d'établir une distinction entre la présente espèce et l'affaire Mitchell. Je tiens toutefois à préciser qu'à l'instar de Mme la juge Dawson, je ne suis pas convaincue que le ministre a jamais prétendu prendre, en vertu de l'article 32, une décision touchant M. Myrheim.

Depuis le début, M. Myrheim reproche au ministre d'avoir commis une erreur administrative, mais, comme l'arrêt Tucker n'avait pas encore été rendu, les représentants du ministre ont estimé qu'il s'agissait d'une plainte fondée sur l'article 28 de la Loi et non une plainte visée par l'article 32. Lorsque M. Myrheim s'est plaint pour la première fois du refus de sa demande lors de la conversation téléphonique du 23 septembre 2002, il aurait précisé ce qui suit, selon les notes de l'agent dont voici un extrait :


[TRADUCTION] Il a déclaré qu'il n'avait pas été informé qu'il ne pourrait pas soumettre une nouvelle demande plus tard.

Il a expliqué qu'il avait rencontré quelqu'un lorsqu'il avait rédigé sa première demande et que rien de tout cela n'avait été porté à son attention.

Il a expliqué que lorsqu'il avait téléphoné, il ne voulait pas sa pension.

Dans la lettre que le Ministère a adressée le même jour, il était précisé que le ministre réviserait la décision si de nouvelles observations lui étaient soumises. Il semble que le Ministère ait estimé qu'il s'agissait d'une demande de révision fondée sur le paragraphe 27(1) pour des raisons pratiques (les modèles de lettres sont conformes aux exigences de l'article 29 du Règlement) et parce que le Tribunal en était saisi.

On trouve la déclaration suivante dans la lettre que M. Myrheim a écrite en réponse le 1er octobre 2002 :

[TRADUCTION] « J'estime que ce n'est pas moi qui ai commis cette erreur, mais bien votre ministère » .

Il semble que ces propos n'ont incité personne à consulter le libellé de l'article 32. Dans sa réponse du 28 octobre 2002, le ministre déclare plutôt ce qui suit :

[TRADUCTION] Il vous est loisible d'interjeter appel de cette décision devant un tribunal de révision.


Devant le Tribunal, le ministre a précisé que ce droit d'appel était prévu à l'article 28.

Dans sa lettre du 2 novembre 2002, M. Myrheim a laissé entendre non seulement que le bureau d'Edmonton avait commis une erreur lors du traitement de la demande, mais aussi que l'agent à qui il avait parlé lui avait donné un avis erroné.

Malgré tout, dans ses observations du 6 février 2003, le ministre ne fait aucune allusion à une possible erreur administrative. C'est seulement lors de l'instruction de l'appel qu'on a mentionné pour la première fois l'article 32. Le président a demandé qu'un représentant du ministre examine le dossier pour vérifier s'il contenait une erreur administrative au sens de l'article 32 de la Loi. Le représentant du ministre a fait savoir qu'il n'y avait rien au dossier qui permettait de penser qu'une erreur administrative avait été commise.

On peut à tout le moins concevoir que, si le ministre n'avait pas adopté ce point de vue, le Tribunal se serait peut-être déclaré incompétent. Au lieu de cela, le Tribunal s'est trouvé confronté à une situation dans laquelle le ministre affirmait énergiquement que l'article 32 ne s'appliquait pas.

Avant l'audience, l'avocat du ministre avait reconnu l'existence de ces problèmes et m'avait informé qu'il avait déjà recommandé à ceux qui lui donnaient des directives qu'on examine le cas de M. Myrheim à la lumière de l'article 32 de la Loi.


L'avocat s'est engagé devant la Cour à chercher à s'assurer qu'une décision soit prise en vertu de l'article 32. À titre subsidiaire, l'avocat s'est engagé à demander des instructions au sujet de la question du consentement à une prorogation du délai imparti à M. Myrheim pour présenter une demande de contrôle judiciaire dans le cas peu probable où le ministre adopterait le point de vue qu'une décision a été prise en vertu de l'article 32.

En pareil cas, une telle demande devrait être portée à mon attention pour que je la tranche, étant donné que je connais bien les faits et les circonstances de l'espèce et que, comme l'a signalé la juge Dawson, cette mesure est conforme à l'économie judiciaire.

La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie et la décision du Tribunal de révision en matière de sécurité de la vieillesse sera annulée au motif que le Tribunal n'avait pas compétence pour la rendre.

Conformément à la demande du ministre, aucuns dépens ne seront adjugés. Une ordonnance sera rendue en conséquence et mes motifs seront transcrits par la sténographe judiciaire, dont la transcription sera certifiée conformément à la Loi sur les Cours fédérales pour être ensuite distribuée aux parties.

--- Clôture des débats


Certification de la sténographe officielle

Je certifie par les présentes que ce qui précède est une transcription aussi fidèle et exacte que possible des débats en l'espèce.

___________________

Janice Horne, sténographe officielle


                                                 COUR FÉDÉRALE

                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-2079-03

INTITULÉ :                                              MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

c. INGVAR MYRHEIM

LIEU DE L'AUDIENCE :                        EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 3 JUIN 2004

TRANSCRIPTION DES MOTIFS

DE L'ORDONNANCE DE Mme LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                             LE 21 JUIN 2004

COMPARUTIONS:

Michel Mathieu                                            pour le demandeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg                                        pour le demandeur

Sous-procureur général du Canada


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