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Date : 20211021

Dossier : T-685-19

Référence : 2021 CF 1115

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2021

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU MANITOBA

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ONTARIO,

PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SASKATCHEWAN,

PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

défendeurs

et

ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS

intervenante

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une contestation fondée sur des motifs de droit administratif de la décision par laquelle le gouverneur en conseil (le Cabinet fédéral) a ajouté le Manitoba à la liste des provinces figurant à l’annexe 1 de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, LC 2018, c 12, art 186 (la LTPGES ou la Loi). L’affaire a été instruite avant la publication de l’arrêt Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11 (Renvois relatifs à la LTPGES), rendu par la Cour suprême du Canada, mais n’a pas encore été tranchée, puisque la Cour a donné aux parties l’occasion de présenter des observations supplémentaires. Dans l’arrêt Renvois relatifs à la LTPGES, publié le 25 mars 2021, la Cour suprême a confirmé que la Loi était constitutionnelle et que le Parlement avait compétence pour légiférer à l’égard de matières d’intérêt national pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada (le pouvoir POBG) en vertu de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[2] Dans le cadre de la présente demande, le Manitoba sollicite le contrôle judiciaire du décret C.P. 2019‑218 par lequel a été pris le Règlement modifiant la partie 1 de l’annexe 1 et l’annexe 2 de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, DORS/2019‑79 (le Règlement modifiant la partie 1), qui ajoute le Manitoba à la liste des provinces où s’applique la redevance sur les combustibles prévue à la partie 1 de la LTPGES. La demanderesse sollicite une ordonnance déclarant nuls ou illégaux le décret C.P. 2019‑218 et le Règlement modifiant la partie 1.

[3] La demanderesse fait valoir que le gouverneur en conseil a agi de façon déraisonnable et arbitraire lorsqu’il a intégré le Manitoba au décret C.P. 2019‑218 et au Règlement modifiant la partie 1en:

  • (i) imposant un filet de sécurité pour la redevance sur les combustibles dans certaines provinces alors qu’il a autorisé d’autres provinces et territoires à mettre en place des plans de tarification des gaz à effet de serre (les GES) qui sont moins rigoureux que les normes minimales de tarification établies par le modèle pour la tarification du carbone; et

  • (ii) imposant un filet de sécurité pour la redevance sur les combustibles au Manitoba sans tenir compte de la rigueur du régime de tarification du carbone proposé par la province en ce qui concerne la réduction des émissions de GES.

[4] Autrement dit, la demanderesse conteste les deux décisions par lesquelles le gouverneur en conseil a ajouté le Manitoba à la partie 1 de l’annexe 1 de la Loi et qui ont fait en sorte que la redevance sur les combustibles prévue à la partie 1 de la Loi s’applique à la province. Dans son avis de demande, le Manitoba a contesté seulement le Règlement modifiant la partie 1, et non le Décret modifiant la partie 2, mais il a mentionné les deux dans ses observations écrites et orales. La demanderesse affirme que sa contestation s’applique également à la décision par laquelle le gouverneur en conseil a ajouté le Manitoba à la liste des provinces de l’annexe 1 auxquelles s’applique la partie 2 de la Loi, à savoir le système de tarification fondé sur le rendement (le STFR) au titre du filet de sécurité fédéral et la partie 2 ordonnance (DORS/2018-212). Ainsi, les deux décisions seront traitées.

[5] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II. Les faits

A. Le contexte de la LTPGES

[6] Les parties ne contestent pas que les changements climatiques constituent un [traduction] « grave problème mondial » et une [traduction] « menace urgente pour l’humanité » qui [traduction] « se concrétise à l’heure actuelle et a des conséquences réelles sur la vie des gens partout au Canada et dans le monde », comme l’indique leur mémoires dans la présente affaire. L’existence de cette menace a récemment été reconnue par deux cours d’appel provinciales dans des renvois relatifs à la LTPGES (voir Reference re Greenhouse Gas Pollution Pricing Act, 2019 ONCA 544, aux paras 6‑21 (le Renvoi de l’Ontario) et Reference re Greenhouse Gas Pollution Pricing Act, 2019 SKCA 40, aux paras 14‑17 (le Renvoi de la Saskatchewan)) ainsi que par la Cour suprême (voir l’arrêt Renvois relatifs à la LTPGES, aux paras 7‑12). Dans son rapport publié le 8 août 2019, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (le GIEC) des Nations Unies a fait ressortir cette menace.

[7] Les relevés climatiques démontrent que les concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone (CO2), le GES le plus abondant découlant des activités humaines, sont plus élevées aujourd’hui qu’à n’importe quel autre moment au cours du dernier million d’années et qu’elles continuent d’augmenter. Le GIEC a conclu que les émissions de GES attribuables aux activités humaines (émissions anthropiques) doivent diminuer rapidement d’ici 2030 et atteindre la « carboneutralité » vers 2050 pour éviter que les changements climatiques aient des conséquences beaucoup plus dévastatrices. Voici quelques‑unes des répercussions actuelles et prévues des changements climatiques au Canada :

  • changements dans les phénomènes météorologiques extrêmes, comme des périodes de sécheresse, des inondations, l’allongement de la saison des feux et l’augmentation de la fréquence et de la gravité des canicules, ce qui causent des maladies et entraînent des décès;
  • dégradation des ressources en sol et en eau;
  • expansion de la portée de maladies à transmission vectorielle potentiellement mortelles comme la maladie de Lyme et le virus du Nil occidental; et
  • fonte du pergélisol dans l’Arctique canadien, ce qui fragilisera les infrastructures (fondations) et les routes d’hiver et mettra en péril le mode de vie, la sécurité et les conditions de vie des peuples autochtones du Nord du Canada.

B. Les obligations internationales du Canada en matière de changements climatiques

[8] En 1992, les préoccupations internationales émergentes concernant les risques associés aux changements climatiques causés par les émissions de GES ont conduit à l’adoption de la Convention‑cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (la CCNUCC). L’objectif de la CCNUCC est de « stabiliser […] les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » (art 2). Pour atteindre cet objectif, un organe décisionnel, appelé Conférence des Parties, a été créé sous le régime de la convention. Tous les États parties à la CCNUCC sont représentés à la Conférence des Parties, qui supervise la mise en œuvre de la convention et prend les décisions [traduction] « nécessaires à l’atteinte de ses objectifs ».

[9] Le Canada a signé et ratifié la CCNUCC en décembre 1992. La convention est entrée en vigueur à l’échelle nationale et internationale le 21 mars 1994. À titre de signataire de la CCNUCC, le Canada s’est engagé à l’échelle internationale à réduire ses émissions de GES.

[10] En décembre 2015, la Conférence des Parties a adopté l’Accord de Paris, dont les signataires s’engageaient à renforcer la réponse mondiale à la menace des changements climatiques en « [c]ontenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels » (art 2, para 1a), art 4). Les signataires ont reconnu ce qui suit :

[L]les changements climatiques représentent une menace immédiate et potentiellement irréversible pour les sociétés humaines et la planète et [ils] nécessitent donc la coopération la plus large possible de tous les pays ainsi que leur participation dans le cadre d’une riposte internationale efficace et appropriée, en vue d’accélérer la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre[.]

Affidavit de Moffet, pièce M (Accord de Paris), dossier des défendeurs, vol 2 à la p 464.

[11] Le Canada a ratifié l’Accord de Paris le 5 octobre 2016, après avoir consulté les provinces.

[12] L’Accord de Paris exige de ses signataires qu’ils établissent et communiquent des contributions déterminées au niveau national pour la réduction des émissions mondiales de GES, et qu’ils rendent compte de ces contributions. Le Canada avait communiqué sa contribution prévue avant de ratifier l’Accord. De fait, le 15 mai 2015, le Canada avait annoncé qu’il voulait réduire d’ici 2030 ses émissions de GES de 30 % par rapport aux niveaux de 2005. Lorsque le Canada est devenu partie à l’Accord, il a confirmé cette cible. Avec les autres États parties, le Canada doit communiquer sa prochaine cible, plus ambitieuse celle‑là, d’ici 2025.

[13] En application des directives de la CCNUCC pour la notification des inventaires, le Canada est tenu de produire des rapports annuels sur l’inventaire des GES. Le Rapport d’inventaire national de 2019 du Canada fait état des estimations des émissions du Canada entre 1990 et 2017 et montre que les émissions de GES au pays, en 2017, avaient diminuées de 2 % par rapport aux niveaux de 2005.

[14] Entre 2005 et 2017, les émissions de GES ont augmenté en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, à Terre‑Neuve‑et‑Labrador et au Nunavut, mais elles ont diminué dans toutes les autres provinces et territoires. L’Alberta et la Saskatchewan sont les provinces qui ont connu la plus forte augmentation en pourcentage, et elles ont été les plus grandes émettrices de GES au cours de la période visée. Les émissions en Ontario ont diminué de 22 % au cours de la période, principalement en raison de la fermeture de centrales électriques alimentées au charbon.

C. La Déclaration de Vancouver

[15] Avant que le Canada signe l’Accord de Paris, le premier ministre Justin Trudeau a rencontré tous les premiers ministres provinciaux et territoriaux à Vancouver pour discuter des mesures de lutte contre les changements climatiques. Collectivement, les premiers ministres se sont engagés à mettre en œuvre des politiques d’atténuation des GES pour atteindre la cible fixée par le Canada dans le cadre de l’Accord de Paris. À cette fin, le 3 mars 2016, les premiers ministres ont conclu la Déclaration de Vancouver sur la croissance propre et les changements climatiques (la Déclaration de Vancouver).

[16] Les signataires de la Déclaration de Vancouver se sont engagés à mettre en œuvre des politiques d’atténuation des émissions de GES de façon à atteindre la cible du Canada pour 2030, soit une réduction de 30 % des émissions de GES par rapport aux niveaux de 2005. Les premiers ministres ont convenu de travailler ensemble à l’élaboration d’un cadre pancanadien intégré sur la croissance propre et les changements climatiques.

[17] La Déclaration de Vancouver traduit l’intention des signataires de donner aux législatures des provinces et des territoires la marge de manœuvre législative nécessaire pour concevoir leurs propres politiques visant à atteindre les cibles de réduction des émissions.

[18] Quatre groupes de travail mixtes fédéraux‑provinciaux‑territoriaux ont été créés sous le régime de la Déclaration de Vancouver, dont le Groupe de travail sur les mécanismes d’instauration d’un prix sur le carbone. Le mandat de ce groupe était de « fourni[r] un rapport énonçant différentes options concernant le rôle des mécanismes d’instauration d’un prix sur le carbone dans l’atteinte des objectifs de réduction des émissions du Canada, y compris différentes options de conception, en tenant compte des systèmes provinciaux et territoriaux prévus et existants ».

[19] Le rapport final du Groupe de travail repose sur un consensus entre tous les participants. Les éléments importants du rapport final comprennent les suivants :

  • de nombreux experts considèrent la tarification du carbone comme un outil de politique nécessaire pour réduire de manière efficace les émissions de GES, ce qui signifie qu’il existe un lien direct entre la tarification du carbone et la réduction des émissions de GES : rapport final, à la p 6 (section 1.3);
  • les gouvernements provinciaux ont conçu différents mécanismes de tarification du carbone, qu’ils soient explicites (p. ex. taxe sur le carbone ou système de plafonnement et d’échange) ou implicites (p. ex. plafonds sur les émissions, fermeture de centrales électriques alimentées au charbon, normes de portefeuille d’énergie renouvelable et autres mesures réglementaires) : rapport final, à la p 3;
  • la modélisation de la tarification du carbone a montré qu’une tarification généralisée du carbone au Canada permettrait de réduire considérablement les émissions de GES à l’échelle nationale; et;
  • si l’on veut comparer la rigueur des mécanismes de tarification du carbone, « il n’y a pas d’option se démarquant clairement comme étant la meilleure » : rapport final, à la p 3.

[20] Le Manitoba souligne que l’un des autres groupes de travail créés sous le régime de la Déclaration de Vancouver, le Groupe de travail sur les possibilités d’atténuation spécifiques, devait se pencher sur d’autres options permettant d’atteindre des cibles ambitieuses de réduction des émissions de GES dans certains secteurs, y compris la façon dont ces mesures d’atténuation pourraient interagir avec les régimes de tarification du carbone. Dans son rapport, le Groupe a affirmé que, même si la tarification du carbone était généralement considérée comme l’un des outils de politique les plus efficaces pour réduire les émissions de GES, d’autres outils de politique (p. ex. les règlements) pourraient être créés pour obtenir des résultats semblables à ceux de la tarification du carbone.

D. L’Approche pancanadienne pour une tarification de la pollution par le carbone

[21] Le 3 octobre 2016, le Canada a annoncé l’approche qu’il allait adopter pour la tarification du carbone en publiant l’Approche pancanadienne pour une tarification de la pollution par le carbone (l’Approche pancanadienne), un document fondé sur les recommandations finales du Groupe de travail sur les mécanismes d’instauration d’un prix sur le carbone.

[22] Plutôt que d’imposer un système unique de tarification du carbone dans l’ensemble du pays (y compris dans les quatre provinces alors dotées d’un système, soit la Colombie‑Britannique, l’Alberta, l’Ontario et le Québec), l’Approche pancanadienne définissait un engagement à garantir une approche cohérente de la tarification du carbone partout au Canada qui tenait compte des politiques de tarification du carbone déjà mises en œuvre ou en cours d’élaboration par les provinces et les territoires.

[23] L’Approche pancanadienne et son document d’accompagnement présentaient le modèle pancanadien pour la tarification du carbone (le modèle) et ses principes sous‑jacents. Selon les défendeurs en l’espèce, le modèle [traduction] « fournit une orientation sur l’ensemble des critères de tarification rigoureuse du carbone adoptés par le gouvernement du Canada, y compris l’accroissement de la rigueur prévue par la loi ».

[24] Le modèle prévoit également que le gouvernement du Canada mettra en œuvre à l’échelle nationale un système explicite de tarification du carbone fondé sur les tarifs à titre de « filet de sécurité » (le filet de sécurité). Le filet de sécurité serait appliqué dans les ressorts qui ne mettraient pas en place un système qui respecte au moins les critères du modèle, ou encore dans toute province ou tout territoire qui en ferait la demande. Le filet de sécurité serait aussi appliqué pour « compléter » les systèmes provinciaux et territoriaux qui ne respectent pas les critères du modèle, par exemple, en élargissant les sources visées par un système provincial ou territorial ou en haussant le prix des émissions.

E. Le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques

[25] Le 9 décembre 2016, les premiers ministres ont adopté le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques (le Cadre pancanadien). Le Cadre pancanadien est un accord conclu par les premiers ministres et par lequel le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux du Canada s’engagent à prendre des mesures pour réduire les émissions de GES. Il a été élaboré par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux, en collaboration avec les peuples autochtones, les entreprises et les organismes non gouvernementaux.

[26] La tarification de la pollution causée par le carbone est l’un des quatre principaux piliers du Cadre pancanadien. Les autres piliers sont les suivants : 1) des mesures complémentaires de lutte contre les changements climatiques pour réduire les émissions dans l’ensemble de l’économie ; 2) des mesures nous permettant de nous adapter et de développer une résilience aux changements climatiques; et 3) des mesures pour accélérer l’innovation et appuyer les technologies propres et la création d’emplois.

[27] On trouve à l’annexe 1 du Cadre pancanadien un modèle fédéral de tarification de la pollution par le carbone. Ce modèle comprend les éléments suivants :

  • · portée commune : la tarification s’appliquera à un ensemble vaste et commun de sources d’émissions de GES;

  • · deux systèmes : les administrations peuvent mettre en place i) un système explicite fondé sur les tarifs (p. ex. une taxe sur le carbone) ou ii) un système de plafonnement et d’échange;

  • · accroissement de la rigueur prévue par la loi, en se fondant sur l’établissement de modèles, afin de contribuer à l’atteinte de la cible nationale et de garantir la stabilité du marché :

    • o le prix minimum pour les systèmes explicites fondés sur les tarifs doit être de 10 $ la tonne de CO2 en 2018 et augmenter de 10 $ par année jusqu’à atteindre 50 $ la tonne en 2022,

    • o les systèmes de plafonnement et d’échange doivent i) fixer une cible de réduction des émissions de GES d’au moins 30 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030 et ii) réduire les plafonds annuels qui correspondent à la réduction prévue des émissions résultant de la tarification du carbone dans les systèmes fondés sur les tarifs.

[28] Le 9 décembre 2016, les trois territoires et huit provinces ont adopté le Cadre pancanadien. Seuls le Manitoba et la Saskatchewan ne l’ont pas fait. Le Manitoba a adopté le Cadre pancanadien le ou vers le 23 février 2018, mais a expressément rejeté le barème de tarification établi dans le modèle au motif qu’il ne reflétait pas l’engagement du gouvernement du Canada à offrir une marge de manœuvre aux provinces pour l’élaboration de leurs propres politiques.

F. Les documents d’orientation supplémentaires sur le modèle produit avant l’adoption de la Loi

[29] En août et en décembre 2017, le gouvernement du Canada a publié deux nouveaux documents à propos du Cadre pancanadien : les Directives concernant le modèle pancanadien de tarification de la pollution par le carbone, et un manuel intitulé Document d’orientation de référence supplémentaire. L’objectif de ces documents était de fournir d’autres directives sur le modèle de tarification de la pollution par le carbone pour appuyer les efforts déployés par les gouvernements afin de mettre en place une tarification de la pollution par le carbone dans l’ensemble du Canada en 2018. Ils visaient aussi à clarifier 1) la portée des émissions de GES à laquelle devrait s’appliquer la tarification du carbone, 2) l’accroissement de la rigueur prévue par la loi, tant pour les systèmes explicites fondés sur les tarifs que pour les systèmes de plafonnement et d’échange, et 3) l’approche à adopter pour réaliser un examen plus approfondi.

[30] À la fin de 2017, le ministre fédéral des Finances et la ministre de l’Environnement et du Changement climatique ont écrit à leurs homologues provinciaux. La lettre décrivait le processus que le gouvernement fédéral allait suivre pour évaluer si les plans de tarification provinciaux respectaient le modèle, ainsi que les prochaines étapes à suivre à compter de janvier 2018 pour la tarification du carbone.

G. La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre

[31] La LTPGES a été adoptée le 21 juin 2018, lorsque la Loi no 1 d’exécution du budget de 2018, LC 2018, c 12, dans laquelle elle était incluse, a reçu la sanction royale.

[32] Les défendeurs affirment que l’objectif du législateur avec l’adoption de la Loi était de réduire les émissions de GES à l’échelle du Canada en encourageant les changements de comportement. Pour appuyer son affirmation, il a cité des éléments de preuve comme les comptes rendus des Débats de la Chambre des communes et des comités parlementaires, ainsi que le témoignage de la ministre de l’Environnement et du Changement climatique devant le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

[33] Selon les défendeurs [traduction] « la Loi confère les pouvoirs permettant de veiller à ce qu’une tarification du carbone conforme aux critères de rigueur du modèle soit appliquée de façon générale dans l’ensemble du Canada, et elle fournit le cadre juridique du système de filet de sécurité fédéral sur la tarification du carbone ».

[34] La LTPGES exige que toutes les provinces et tous les territoires canadiens adoptent un texte législatif sur la réduction des émissions annuelles de GES qui respecte les normes de rigueur énoncées dans le modèle fédéral. Selon le modèle, toutes les provinces et tous les territoires canadiens sont tenus de tarifer leurs émissions au taux de 10 $ la tonne de CO2 en 2018, de 20 $ la tonne en 2019 et de 50 $ la tonne en 2022.

[35] La LTPGES ne prescrit aucune méthode pour la réduction des émissions de GES. Le choix du processus d’élaboration des textes législatifs est laissé aux provinces et aux territoires. Toutefois, les parties 1 et 2 de l’annexe 1 de la Loi imposent un « filet de sécurité » aux provinces et aux territoires qui adoptent un texte législatif sur la réduction des émissions de GES qui ne respecte pas les normes fédérales de rigueur établies dans le modèle. Si le texte législatif d’une province ou d’un territoire ne respecte pas les exigences de rigueur du modèle, le gouverneur en conseil peut assujettir cette province ou ce territoire à la LTPGES en l’ajoutant aux parties 1 et 2 de l’annexe 1 de la Loi.

[36] La Loi est divisée en deux parties. La partie 1 met en place la redevance sur les combustibles, tandis que la partie 2 fournit un cadre pour le STFR et fixe la redevance pour les émissions excédentaires des grands émetteurs industriels. L’une ou l’autre des parties peut s’appliquer en tout ou en partie à n’importe quelle province figurant dans la liste du gouverneur en conseil qui se trouve à l’annexe 1. Conjointement, les parties 1 et 2 de la Loi fournissent un système de tarification des émissions de GES attribuables à un large éventail de sources différentes.

[37] Les parties 1 et 2 de la Loi s’appliquent dans trois scénarios : premièrement, lorsqu’une province ou un territoire le demande; deuxièmement, dans une province ou un territoire qui adopte un texte législatif sur la réduction des émissions de GES qui ne respecte pas les exigences de rigueur du modèle, comme le prévoient les articles 166 et 189 de la Loi; et, troisièmement, pour « compléter » les textes législatifs sur la réduction des émissions de GES qui ne respectent pas le modèle, par exemple, en élargissant leur application à des sources de combustible supplémentaires.

[38] Les articles 166 et 189 de la Loi confèrent au gouverneur en conseil le pouvoir d’ajouter des provinces ou des territoires aux parties 1 et 2 de l’annexe 1 de la Loi, c’est-à-dire aux listes des administrations non fédérales assujetties à la Loi. Le gouverneur en conseil doit prendre les décisions relatives à l’assujettissement « [a]fin d’assurer au Canada une application étendue d’une tarification des émissions de gaz à effet de serre à des niveaux que le gouverneur en conseil estime appropriés » : Loi, arts 166(2) et 189(1). Suivant la Loi, le gouverneur en conseil « tient compte avant tout de la rigueur des mécanismes provinciaux de tarification des émissions de gaz à effet de serre » : Loi, arts 166(3) et 189(2).

[39] Les parties 1 et 2 s’appliquent de la manière décrite ci‑dessous. La partie 1 crée une redevance sur les combustibles qui émettent des GES et qui sont produits, livrés ou utilisés dans une « province assujettie », transportés dans une province assujettie à partir d’un autre endroit au Canada, ou importés au Canada à un endroit situé dans une province assujettie. Les combustibles et les taux des redevances qui y sont associés sont énoncés à l’annexe 2 de la Loi. Le taux des redevances pour chaque combustible est de 20 $ la tonne de CO2 émise par combustible en 2019, et passe à 50 $ la tonne en 2022, conformément à la trajectoire des tarifs du modèle pour les systèmes explicites fondés sur les tarifs. La partie 1 s’applique « le plus souvent » aux producteurs ou aux distributeurs en gros de combustibles. Le gouvernement du Canada prévoit que les importateurs, les producteurs et les distributeurs auxquels s’applique la partie 1 transmettront les coûts aux consommateurs, mais la Loi ne les oblige pas à le faire.

[40] Certains combustibles et certaines utilisations sont exemptés de la redevance sur les combustibles, comme l’essence et le diesel utilisés pour l’agriculture. Les installations industrielles assujetties au STFR sont exemptées de la redevance sur les combustibles parce que leurs émissions excédentaires de GES sont tarifées sous le régime de la partie 2.

[41] La partie 2 de la Loi énonce les principaux pouvoirs relatifs au STFR pour les émissions de GES des grandes installations industrielles. Il s’applique aux « installations assujetties » et établit les exigences en matière d’enregistrement et de production de rapports sur les émissions. Les installations assujetties sont tenues de déterminer la quantité de GES qu’elles émettent et de la comparer à la limite d’émissions fixée par la loi. Les installations assujetties doivent verser une compensation pour la portion de leurs émissions de GES qui dépasse la limite applicable fixée pour leur industrie ou activité particulière. Les normes fondées sur le rendement représentent un pourcentage de la quantité moyenne de GES émise par les installations menant une activité particulière. L’annexe 3 énumère les GES auxquels s’applique la partie 2, tels qu’ils sont définis dans la CCNUCC, et leur potentiel de réchauffement planétaire. Les taux des redevances pour émissions excédentaires sont énoncés à l’annexe 4 de la Loi, et ils sont équivalents aux taux progressifs des redevances sur les combustibles figurant à l’annexe 2 de la Loi.

[42] La partie 2 permet aux installations assujetties auxquelles elle s’applique d’obtenir ou de conserver des « crédits » si leurs émissions annuelles de GES sont inférieures à la limite d’émissions fixée par la loi. Dans un tel cas, l’installation peut recevoir des crédits excédentaires qu’elle peut utiliser pour remplir ses obligations de conformité futures, ou vendre à d’autres installations visées par règlement. Ce système est conçu pour inciter les installations assujetties à réduire leurs émissions de façon continue. En revanche, si les émissions d’une installation assujettie dépassent la limite d’émissions fixée par la loi au cours d’une année donnée, l’installation peut compenser ces émissions excédentaires de trois façons : elle peut 1) soumettre les crédits excédentaires qu’elle a obtenus par le passé ou qu’elle a acquis auprès d’autres installations ; 2) soumettre d’autres crédits réglementaires qu’elle a acquis ; ou 3) payer une redevance pour émissions excédentaires. Au bout du compte, avec ce système, plus les émissions d’une installation assujettie dépassent la limite d’émissions, plus cette installation devra payer, alors que plus ses émissions sont en deçà de la limite réglementaire, plus cela lui rapportera puisqu’elle pourra vendre ses crédits.

[43] Selon les défendeurs, le cadre de la partie 2 de la Loi vise à créer un incitatif financier et à réduire les conséquences de la concurrence et le risque de fuite de carbone pour les industries dont le commerce comporte des aspects transfrontaliers. Les défendeurs soutiennent que le STFR de la partie 2 est conçu pour compléter le système de redevance sur les combustibles de la partie 1 puisqu’il exempte les installations assujetties du versement de la redevance sur les combustibles et exige plutôt qu’elles versent une compensation pour émissions excédentaires calculée sous la forme d’un pourcentage de la quantité de GES émise en moyenne par les installations menant une activité particulière (p. ex. la production d’un produit).

H. Le plan du Manitoba pour la réduction des émissions de GES

[44] Le Manitoba a rendu public son Plan vert et climatique, intitulé A Made-in-Manitoba Climate and Green Plan (le Plan du Manitoba), le 27 octobre 2017, et il a adopté la Loi sur le Plan vert et climatique, CPLM, c C134, le 8 novembre 2018.

[45] Le Plan du Manitoba était un modèle hybride qui consistait en une taxe sur le carbone de 25 $ la tonne de 2018 à 2022 et en un STFR pour les grands émetteurs industriels. Il comprenait aussi d’autres initiatives visant à réduire les émissions de GES, en plus de la tarification du carbone.

[46] Le Manitoba souligne que sa taxe sur le carbone (25 $ la tonne de 2018 à 2022) était plus élevée que celle prévue dans le modèle fédéral pour les années 2018 et 2019. Pour les années ultérieures, le prix du carbone du Manitoba aurait été inférieur à celui du modèle, qui exige une augmentation de la tarification rigoureuse, les prix devant passer à 30 $ la tonne en 2020, à 40 $ la tonne en 2021 et à 50 $ la tonne en 2022.

[47] Selon le Manitoba, le fait de fixer la taxe à 25 $ la tonne plutôt que de suivre le modèle fédéral reflète deux caractéristiques importantes de son profil d’émissions. Premièrement, la province produit environ 99 % de son électricité à partir de sources renouvelables non émettrices, comme l’hydroélectricité. Par conséquent, elle peut difficilement réduire ses émissions de GES dans le secteur de l’énergie. Cependant, le Manitoba compte la plus grande proportion d’émissions d’origine agricole au Canada, principalement attribuables à des processus biologiques. Ces processus ne sont pas assujettis à la tarification du carbone prévue dans la LTPGES, pas plus que les combustibles agricoles utilisés en agriculture. La tarification du carbone au Manitoba couvrirait donc moins d’émissions que dans les autres provinces et pourrait ne pas lui permettre de réduire ses émissions de GES de la même façon.

[48] Le Manitoba a souligné avoir investi des [traduction] « milliards de dollars » dans la création d’un réseau hydroélectrique propre, de sorte que la tarification à la hausse du carbone aurait une incidence négligeable sur ses émissions de GES. Compte tenu du profil d’émissions de la province, la politique fédérale ne serait pas adaptée à sa situation.

[49] Le Manitoba affirme avoir effectué une modélisation indépendante, qui a montré que son Plan (la taxe sur le carbone de 25 $ la tonne combinée au STFR pour les grands émetteurs industriels) lui aurait permis de réduire ses émissions de GES de 80 000 tonnes de plus que ce que prévoit le modèle fédéral pour la période de 2018 à 2022. En outre, son Plan aurait eu moins de répercussions sur son PIB que le modèle fédéral. La modélisation a révélé que les options permettant de réduire les émissions de carbone de manière rentable s’arrêtent en deçà de 30 $ la tonne et que, au‑delà de ce tarif, les coûts pour les consommateurs augmentent rapidement tandis que les émissions supplémentaires de GES [traduction]« chutent ».

[50] Les défendeurs contestent certaines des affirmations factuelles de la demanderesse au sujet de son Plan vert et climatique, en particulier en ce qui concerne son efficacité. Les défendeurs affirment que la description que la demanderesse fait de son Plan est erronée à trois égards.

[51] Premièrement, le Manitoba a retiré son plan en octobre 2018. On peut soutenir que l’efficacité d’un plan ayant été retiré n’est pas pertinente au regard des questions que la Cour doit trancher.

[52] Deuxièmement, le Manitoba s’appuie sur une mauvaise interprétation de sa propre preuve. La province affirme que son Plan aurait permis de réduire ses émissions de GES de 80 000 tonnes de plus que ce que prévoit le modèle fédéral pour la période de 2018 à 2022. Cependant, dans le rapport que le Manitoba a lui‑même présenté au gouvernement du Canada, il est indiqué que, dans le cadre de son modèle, un [traduction] « tarif de 50 $ la tonne de carbone en 2022 [le tarif minimum établi par le modèle pour 2022] entraînerait une réduction des émissions supplémentaires d’un peu plus de 76 000 tonnes d’équivalent CO2 »: Federal Benchmark Assessment Report (avec la pièce jointe A‑5), à la p 521. En outre, les objectifs de l’Accord de Paris sont des objectifs annuels, et non cumulatifs. La preuve du Manitoba démontre que son Plan aurait entraîné, en 2022, une réduction des émissions de 76 000 tonnes d’équivalent CO2 de moins que la réduction prévue dans le modèle.

[53] Troisièmement, le Manitoba n’est pas en voie de réduire ses émissions de GES de 30 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030, comme l’exige le Cadre pancanadien. Qu’on applique le Plan du Manitoba ou le filet de sécurité fédéral, les prévisions d’émissions annuelles de GES de la province pour 2022 sont supérieures à ses émissions en 2005. En 2005, les émissions de GES du Manitoba s’élevaient à 20,1 tonnes métriques d’équivalent CO2. En 2017, ses émissions avaient augmenté et s’élevaient à 21,7 tonnes métriques d’équivalent CO2. Les défendeurs font valoir que l’objectif du Manitoba est de réduire ses émissions de GES d’une tonne métrique d’équivalent CO2 au total pour la période de 2018 à 2022 par rapport aux émissions de GES qui auraient été produites en l’absence de mesures supplémentaires de réduction des émissions de GES, et non de les réduire chaque année. Selon les analyses comparatives du Manitoba, ses émissions annuelles seraient passées à 22,5815 tonnes métriques d’équivalent CO2 en 2022 avec son Plan, comparativement à 22,5052 tonnes métriques d’équivalent CO2 avec le filet de sécurité fédéral. Dans l’un ou l’autre des scénarios, les émissions annuelles de GES du Manitoba en 2022 seront supérieures à celles de 2005. Le Manitoba est donc loin de pouvoir réduire ses émissions d’ici 2030 au niveau requis par le Cadre pancanadien.

I. Le retrait du régime de tarification du carbone proposé par le Manitoba

[54] Le 27 octobre 2017, le jour où le Manitoba a publié son Plan, Catherine McKenna, alors ministre de l’Environnement et du Changement climatique (ECCC), a écrit dans un message public sur Facebook que le prix du carbone proposé par le Manitoba, soit 25 $ la tonne, respecterait la norme fédérale établie dans le modèle pour les deux premières années (2018 et 2019), mais qu’il ne la respecterait plus après 2019.

[55] Dans une lettre datée du 22 février 2018 et adressée à la ministre manitobaine R. Squires, l’ancienne ministre McKenna a réitéré sa position selon laquelle la taxe sur le carbone de 25 $ la tonne proposée par le Manitoba devrait être renforcée pour respecter le modèle fédéral après 2019.

[56] Le 3 octobre 2018, le premier ministre du Manitoba a informé l’Assemblée législative que le gouvernement allait retirer sa proposition de taxe sur le carbone et de STFR.

[57] Le Manitoba affirme que le retrait du plan de tarification du carbone proposé s’est produit après que la province a demandé au gouvernement du Canada de lui garantir que le filet de sécurité ne lui serait pas imposé, ce que le gouvernement du Canada a refusé de faire, malgré les déclarations de la province selon lesquelles son Plan devait lui permettre de [traduction] « réduire les émissions de GES au Manitoba de 80 000 tonnes de plus que la cible fixée par le modèle fédéral ». Selon le Manitoba, la décision du premier ministre de retirer le plan de tarification du carbone proposé était motivée par la volonté d’éviter que le gouvernement du Canada « complète » ce plan au moyen d’une deuxième taxe dans la province.

[58] En réponse à l’affirmation du Manitoba selon laquelle le Canada a refusé de confirmer que son plan de tarification du carbone proposé respectait le modèle fédéral, les défendeurs soulignent que ni la publication sur Facebook ni la lettre de l’ancienne ministre ne constituent la décision en cause dans la présente demande, puisque le ministre n’est pas le gouverneur en conseil chargé d’évaluer la rigueur des mécanismes de tarification provinciaux aux termes de la Loi.

J. L’examen fédéral des systèmes provinciaux de tarification du carbone et la mise en œuvre de la LTPGES au Manitoba

[59] Le 30 avril 2018, le gouvernement du Canada a publié les Résultats estimés du système fédéral de tarification de la pollution par le carbone, une analyse fondée sur un scénario dans lequel le filet de sécurité fédéral s’appliquait dans les ressorts qui n’avaient pas de système de tarification, et sur les systèmes existants toujours en vigueur en Colombie‑Britannique, en Alberta, en Ontario et au Québec. Selon cette analyse, les systèmes de tarification du carbone dans l’ensemble du Canada permettraient d’atteindre une réduction des émissions de GES de 80 à 90 tonnes métriques d’équivalent CO2 par année à l’échelle nationale d’ici 2022. L’objectif du Canada dans le cadre de l’Accord de Paris est une réduction de 205 tonnes métriques d’équivalent CO2 d’ici 2030, soit une réduction de 30 % par rapport aux niveaux de 2005. En 2017, les émissions de GES du Canada ont diminué de 2 % par rapport à 2005.

[60] À l’automne 2018, ECCC a effectué ses premières évaluations de la rigueur des systèmes provinciaux de tarification du carbone existants et proposés au moyen des critères de rigueur du modèle et des deux documents d’orientation supplémentaires sur le modèle.

[61] Le 23 octobre 2018, les résultats des évaluations initiales de la rigueur faites par le gouverneur en conseil ont été annoncés. Le STFR imposé au titre de la partie 2 de la Loi devait s’appliquer au Manitoba et dans quatre autres provinces (en Ontario, au Nouveau‑Brunswick, à l’Île‑du‑Prince‑Édouard et en partie en Saskatchewan) à compter du 1er janvier 2019. La redevance sur les combustibles prévue à la partie 1 de la Loi devait quant à elle s’appliquer au Manitoba et dans trois autres provinces (en Ontario, au Nouveau‑Brunswick et en Saskatchewan) dès le 1er avril 2019. Les parties 1 et 2 de la Loi devaient commencer à s’appliquer au Yukon et au Nunavut le 1er juillet 2019.

[62] Le 18 octobre 2018, soit une semaine avant l’annonce des résultats des évaluations de la rigueur des systèmes provinciaux, le gouverneur en conseil a publié un décret modifiant l’annexe 1 de la Loi par l’ajout du Manitoba et de plusieurs autres provinces et territoires à la liste des provinces assujetties à la partie 2 (le STFR). Selon le décret, la partie 2 de la Loi s’appliquait aux installations industrielles du Manitoba. Le gouverneur en conseil a publié un Résumé de l’étude d’impact de la réglementation pour accompagner le décret 2018‑1292.

[63] Le 25 mars 2019, le gouverneur en conseil a pris le Règlement modifiant la partie 1 au moyen du décret C.P. 2019‑218. Il s’agit de la décision en cause dans la présente demande. Le Règlement modifiant la partie 1 a été publié dans la Gazette du Canada le 3 avril 2019. Aux termes du Règlement, le Manitoba et d’autres provinces et territoires ont été ajoutés à la liste des administrations assujetties à la redevance sur les combustibles prévue à la partie 1 de la Loi, à compter du 1er avril 2019.

[64] Le gouverneur en conseil a conclu que les parties 1 et 2 de la Loi s’appliquaient au Manitoba parce que, depuis l’annonce faite le 3 octobre 2018 par le premier ministre, le Manitoba n’avait plus de système de tarification pouvant faire l’objet d’une évaluation au moyen des critères de rigueur du modèle.

K. L’historique des procédures

[65] La demanderesse a initialement soulevé deux questions dans sa demande de contrôle judiciaire. La première portait sur la constitutionnalité de la Loi. La seconde était la contestation fondée sur des motifs de droit administratif de la décision par laquelle le gouverneur en conseil a assujetti le Manitoba aux parties 1 et 2 de la Loi. La demande de contrôle judiciaire a été déposée le 24 avril 2019.

[66] Simultanément, les gouvernements de l’Ontario, de la Saskatchewan et de l’Alberta ont contesté la constitutionnalité de la Loi au moyen d’un renvoi à leur cour d’appel respective. Ces renvois ont donné lieu à trois arrêts : le Renvoi de la Saskatchewan, rendu le 3 mai 2019 ; le Renvoi de l’Ontario, rendu le 28 juin 2019 ; et l’arrêt Reference re: Greenhouse Gas Pollution Pricing Act, 2020 ABCA 74, rendu le 24 février 2020. Les cours d’appel de l’Ontario et de la Saskatchewan ont conclu que la Loi était constitutionnelle, tandis que la Cour d’appel de l’Alberta a conclu qu’elle était inconstitutionnelle.

[67] La Cour suprême du Canada a accordé aux gouvernements de la Saskatchewan et de l’Ontario l’autorisation d’interjeter appel des décisions le 23 août et le 10 septembre 2019, respectivement. L’Alberta a par la suite elle aussi obtenu l’autorisation d’en appeler. Les trois affaires devaient être entendues ensemble en mars 2020. Cependant, en raison de la pandémie de COVID‑19, l’audience a été ajournée et l’affaire a été instruite en septembre 2020.

[68] Compte tenu du litige constitutionnel dont la Cour suprême était saisie, le défendeur en l’espèce a déposé une requête contestée au titre de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, pour faire suspendre la demande de contrôle judiciaire jusqu’à ce que la Cour suprême rende sa décision. La requête a été rejetée en décembre 2019.

[69] En janvier 2020, les défendeurs ont proposé que le contrôle judiciaire soit scindé de telle façon que la Cour ne se pencherait que sur les questions de droit administratif et non sur la question de la constitutionnalité de la Loi. La demanderesse s’est fermement opposée à cette proposition. Une audience devait avoir lieu en décembre 2020 pour l’examen des deux questions en litige.

[70] Le 9 novembre 2020, la demanderesse a écrit à la Cour pour l’informer que les trois gouvernements qui devaient intervenir (l’Ontario, la Saskatchewan et l’Alberta) ne souhaitaient plus participer à l’audience. En outre, la demanderesse a proposé que l’audience porte uniquement sur les questions de droit administratif puisque l’arrêt de la Cour suprême lierait de toute évidence la Cour sur les questions de droit constitutionnel.

[71] En décembre 2020, une audience sur les motifs de droit administratif a eu lieu devant la Cour. Y ont participé la demanderesse, les défendeurs et la seule intervenante encore au dossier, l’Assemblée des Premières Nations.

[72] La Cour suprême a rendu son arrêt sur les trois renvois provinciaux en mars 2021 Les six juges majoritaires ont conclu que la LTPGES était constitutionnelle et que le Parlement avait compétence pour adopter la Loi en tant que matière d’intérêt national en vertu de la disposition de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui l’habilite à faire des lois pour « la paix, l’ordre et le bon gouvernement ». Ils ont conclu que le caractère véritable de la Loi était « l’établissement de normes nationales minimales de tarification rigoureuse des GES en vue de réduire les émissions de ces gaz » (au para 80).

[73] Les juges majoritaires ont souligné que toute décision relative à l’évaluation de la rigueur des mécanismes provinciaux de tarification est susceptible de contrôle judiciaire afin de s’assurer que le gouverneur en conseil a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière qui est compatible avec l’objet de la Loi et qui respecte les limites énoncées aux articles 166 et 189 : Renvois relatifs à la LTPGES, au para 73.

[74] Compte tenu de l’arrêt de la Cour suprême et en réponse à une demande de renseignements de la Cour, les parties ont demandé qu’on leur accorde la possibilité de présenter des observations écrites supplémentaires et ont proposé un calendrier qui a été approuvé. Conformément au calendrier, la demanderesse et la défenderesse ont présenté des observations écrites portant sur l’arrêt de la Cour suprême le 28 mai 2021 et le 30 juin 2021, respectivement. L’intervenante, l’Association des Premières Nations, n’a pas présenté d’observations supplémentaires.

III. Les questions en litige

[75] Ayant examiné les observations des parties, je suis d’avis que la présente affaire soulève les questions de droit administratif suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable ?

  2. Était-il raisonnable de la part du gouverneur en conseil de modifier l’annexe 1 de la Loi pour inclure le Manitoba dans la liste des provinces et territoires assujettis aux parties 1 et 2 de la Loi ?

  3. 3. Les décisions contestées contreviennent-elles au pouvoir POBG? En particulier, vont-elles à l’encontre du principe, s’il en est, selon lequel les lois adoptées en vertu du pouvoir POBG doivent imposer des normes nationales uniformes dans l’ensemble du Canada ?

IV. Les dispositions législatives applicables

[76] Des extraits de la loi applicable figurent à l’annexe A.

V. Analyse

Question no 1 : La norme de contrôle

[77] La demanderesse soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Les défendeurs et l’intervenante soutiennent que c’est plutôt la norme de la décision raisonnable qui s’applique. À mon avis, les deux normes s’appliquent.

[78] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 SCC 65 au para 30 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer à la plupart des questions examinées dans le cadre d’un contrôle judiciaire et que cette présomption permet d’éviter toute immixtion injustifiée dans l’exercice par le décideur administratif de ses fonctions. Lorsqu’elle a fourni des éclaircissements au sujet du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour suprême n’a pas modifié le droit applicable à l’examen de la législation déléguée. Elle a confirmé qu’il s’agit essentiellement d’une question d’interprétation législative et consiste à savoir si le règlement est incompatible avec l’objectif de sa loi habilitante ou encore [s]’il déborde le cadre du mandat prévu par la Loi : Vavilov, aux paras 111 et 143-144. Suivant le droit en vigueur, une contestation constitutionnelle est assujettie au contrôle selon la norme de la décision correcte : Katz Group Canada Inc c Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64 aux paras 24-28 [Katz]. L’arrêt Vavilov n’a rien changé à cela : aux paras 55-56.

[79] De façon générale, les parties conviennent que l’arrêt Vavilov n’a pas modifié le cadre applicable au contrôle judiciaire de l’exercice d’un pouvoir de législation déléguée et que ce cadre s’applique en l’espèce. Cependant, elles ne s’entendent pas sur la nature de la question en litige.

[80] Le Manitoba est d’avis que le pouvoir discrétionnaire conféré au gouverneur en conseil par les articles 166 et 189 de la Loi, qui lui permet d’assujettir les provinces au filet de sécurité fédéral prévu par la Loi, est restreint par les limites constitutionnelles du pouvoir POBG. Ainsi, le gouverneur en conseil [traduction] « ne peut exercer son pouvoir d’une façon qui entraîne l’application d’une norme nationale minimale de tarification du carbone qui n’est pas uniforme dans l’ensemble du pays ». La question de savoir si le gouverneur en conseil a exercé son pouvoir délégué d’une manière qui outrepasse les limites du pouvoir POBG est une question constitutionnelle qui est assujettie, suivant l’arrêt Vavilov, à la norme de la décision correcte.

[81] Les défendeurs, pour leur part, soutiennent que la demanderesse a plaidé les questions de droit administratif comme des questions liées à la compétence, en ce sens qu’elle a posé la question de savoir si le gouverneur en conseil avait outrepassé son pouvoir ou agit de façon déraisonnable en interprétant et en évaluation la rigueur aux termes de la Loi. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a expressément écarté l’application de la norme de la décision correcte aux questions liées à la compétence : aux paras 66-67. La norme de la décision raisonnable est donc présumée s’appliquer.

[82] L’intervenante, l’Assemblée des Premières Nations, fait remarquer que, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a indiqué clairement que la norme de la décision raisonnable permet aux tribunaux d’être en mesure d’accomplir leur devoir constitutionnel de veiller à ce que les organismes administratifs agissent dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés sans qu’il soit nécessaire de procéder à un examen préliminaire pour établir si l’interprétation soulève une question touchant à la compétence et nécessite un contrôle selon la norme de la décision correcte : Vavilov, aux paras 66-67.

[83] De façon générale, les arguments du Manitoba portent sur la question de savoir si l’interprétation par le gouverneur en conseil de l’étendue des pouvoirs que lui confère la Loi était légitime, et s’ils devraient être évalués en fonction de la norme de la décision raisonnable : Vavilov, aux paras 23, 48, et 65-67. Or, l’argument du Manitoba selon lequel les décisions contestées montrent que la norme nationale minimale de tarification rigoureuse n’a pas été appliquée uniformément au regard des plans provinciaux de réduction des émissions de GES, ce qui va à l’encontre du pouvoir POBG, porte sur une question constitutionnelle, qui doit fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : Vavilov, aux paras 55-57.

Question no 2 : Les décisions contestées sont-elles raisonnables ?

(1) Les observations de la demanderesse

[84] Le Manitoba soutient que le gouverneur en conseil a outrepassé sa compétence et a agi de façon déraisonnable et arbitraire en n’appliquant pas uniformément dans l’ensemble du Canada une norme nationale minimale de tarification du carbone. Il soulève deux motifs subsidiaires à l’appui de sa contestation de la décision du gouverneur en conseil.

[85] Premièrement, le Manitoba fait valoir que son plan de tarification des GES aurait mené à une réduction cumulative des émissions de GES plus importante que le modèle fédéral sur la période quinquennale s’étalant de 2018 à 2022. Ainsi, le fait de juger que la taxe sur le carbone proposée par le Manitoba n’était pas assez rigoureuse va à l’encontre de l’objet fondamental de la LTPGES, qui consiste à réduire les émissions de GES.

[86] Deuxièmement, le gouverneur en conseil a agi de façon déraisonnable et arbitraire en évaluant différemment, d’une province ou d’un territoire à un autre, les exigences de rigueur de la LTPGES. Le Manitoba fait valoir que le gouverneur en conseil a assujetti le Manitoba au filet de sécurité tout en permettant à d’autres provinces et territoires de mettre en œuvre des plans de tarification des GES moins rigoureux que la norme minimale de tarification établie dans le modèle. Il allègue que, bien que le gouverneur en conseil affirme qu’il évalue toujours la rigueur en fonction du modèle, ses évaluations montrent qu’il a choisi de ne pas ajouter certaines provinces à la liste prévue à l’annexe 1 alors que le régime qu’elles proposaient ne répondait pas aux critères du modèle. Le gouverneur en conseil a par conséquent outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi, qui exige qu’il applique une norme de rigueur uniforme, et a miné l’objet fondamental de la Loi.

[87] Le premier motif invoqué par le Manitoba pour faire valoir le caractère déraisonnable de la décision du gouverneur en conseil porte sur l’effet cumulatif de son régime de réduction des émissions de GES proposé. À son avis, le gouverneur en conseil a agi de façon déraisonnable en faisant reposer son évaluation de la rigueur sur la question de savoir si le plan de réduction du carbone du Manitoba prévoyait une augmentation graduelle des cibles de réduction annuelle des émissions de GES, comme le modèle, alors qu’il aurait dû évaluer la réduction cumulative des émissions qui pourrait découler du plan de réduction du carbone au cours de la période quinquennale visée. Les émissions de GES ne sont pas produites en une seule année ; elles s’accumulent au fil du temps. Étant donné que l’objectif ultime de la Loi est la réduction des émissions de GES, il est absurde de conclure que le plan proposé par une province n’est pas suffisamment rigoureux alors qu’il permet de réduire les émissions de GES à un taux supérieur au modèle, et ce, même si c’est sur une base cumulative et non annuelle. Le gouverneur en conseil devait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les articles 166 et 189 en tenant compte des résultats, et non uniquement en fonction de la question de savoir si le plan proposé prévoit une augmentation annuelle et graduelle des cibles de réduction des GES, comme le modèle.

[88] Selon la demanderesse, ce qu’il faut se demander, c’est dans quelle mesure le régime provincial prévoit réduire les émissions de GES comparativement au modèle fédéral. Si la réduction réelle ou projetée des émissions de GES est égale ou supérieure à la réduction prévue par le modèle, le plan provincial doit nécessairement être suffisamment rigoureux.

[89] Le Manitoba fait valoir que l’arrêt Renvois relatifs à la LTPGES appuie cette interprétation de l’exigence de rigueur. Étant donné l’objet de la Loi, la question clé est de savoir si les mécanismes de tarification provinciaux faisant l’objet d’un examen permettront d’obtenir des résultats suffisants qui aideront le Canada à atteindre ses cibles nationales de réduction des émissions de GES : voir Renvois relatifs à la LTPGES, aux para 81, 178-179, 182, 202 et 206.

[90] En outre, le gouverneur en conseil a omis de tenir compte de certains éléments de preuve pertinents montrant que le Plan du Manitoba permettrait de réduire davantage les émissions de carbone que le filet de sécurité fédéral. De fait, le Manitoba a réalisé une modélisation indépendante de l’efficacité de son plan, qui a révélé que, pour la période s’étalant de 2018 à 2022, la réduction cumulative des émissions de GES projetée était plus importante que la réduction prévue par le filet de sécurité. Le gouverneur en conseil a évalué la rigueur de façon déraisonnable en se fondant uniquement sur le prix unitaire, [traduction] « sans tenir compte de la réduction réelle ou projetée des émissions de GES que le plan de tarification du Manitoba entraînerait ».

[91] De l’avis du Manitoba, une interprétation de l’exigence de rigueur qui est fondée sur les résultats, et non uniquement sur le prix, est conforme au libellé, au contexte et à l’objet de la Loi. Le Manitoba fait remarquer que le législateur aurait pu prévoir expressément le prix du carbone et son augmentation. Il ne l’a pas fait. Le législateur a plutôt préféré laisser au gouverneur en conseil le soin de déterminer si les plans proposés sont suffisamment rigoureux. La Déclaration de Vancouver, l’une des ententes fondamentales qui sous-tendent la Loi, ne prescrit pas de tarif précis. Le Manitoba a répété la conclusion tirée par le Groupe de travail sur les mécanismes d’instauration d’un prix sur le carbone, selon laquelle les possibilités de réduction des émissions de GES ne sont pas les mêmes dans toutes les régions du Canada, de sorte que la réduction des émissions de GES variera significativement d’une province à l’autre en réponse à un prix donné.

[92] Le deuxième motif invoqué par le Manitoba pour faire valoir le caractère déraisonnable de la décision du gouverneur en conseil porte sur l’application de l’exigence de rigueur par le gouverneur en conseil dans le contexte des évaluations qu’il a effectuées en octobre 2018. Le Manitoba est d’avis que le gouverneur en conseil a évalué l’exigence de rigueur différemment d’une province ou d’un territoire à l’autre. Cette façon de faire était déraisonnable, parce que l’objet de la Loi, qui consiste à réduire les émissions de GES par l’établissement d’un « plancher » à respecter en ce qui a trait à la réduction des émissions de GES, exige que le gouverneur en conseil interprète le terme « rigueur » et qu’il applique l’exigence de rigueur [traduction] « d’une manière uniforme et impartiale » dans l’ensemble du Canada. Selon le Manitoba, le gouverneur en conseil a assujetti certaines provinces à un filet de sécurité qui est plus rigoureux que le mécanisme proposé par d’autres provinces, qui ne sont pas assujetties au filet de sécurité. De plus, il est arbitraire que le modèle prévoit expressément le prix du carbone lié aux combustibles utilisés pour le chauffage domestique, dans le domaine de l’aviation et dans les installations pétrolières et gazières. Il est également arbitraire pour le gouverneur en conseil d’imposer cette tarification dans certains ressorts, tout en permettant à d’autres ressorts de soustraire ces sources de leur système de tarification.

[93] Pour étayer sa thèse selon laquelle le gouverneur en conseil a interprété et appliqué de façon arbitraire le terme « rigueur » utilisé aux paragraphes 166(3) et 189(2) de la Loi, le Manitoba s’appuie sur les éléments de preuve relatifs à l’évaluation de la rigueur menée à l’égard des plans proposés par l’Alberta, Terre‑Neuve‑et‑Labrador, l’Île‑du‑Prince‑Édouard, la Nouvelle‑Écosse, le Québec, la Colombie‑Britannique et les territoires.

[94] Le Manitoba soutient que le terme « rigueur » utilisé aux paragraphes 166(2) et 189(2) de la Loi se rapporte aux résultats. Il importe peu qu’une province ou un territoire impose une tarification croissante du carbone, dans la mesure où les résultats sont suffisants. Par exemple, en ce qui concerne les systèmes de plafonnement et d’échange, la Loi ne prescrit pas le prix du carbone. Elle exige simplement que la réduction des émissions projetée soit égale ou supérieure à la cible de réduction de 30 % du Canada pour 2030 et qu’il y ait une réduction des plafonds annuels qui correspondent, au minimum, à la réduction des émissions de GES prévue résultant de la tarification du carbone dans les systèmes explicites fondés sur les tarifs. Le Manitoba fait valoir que son interprétation de la rigueur concorde avec celle qu’a adoptée la Cour d’appel de la Saskatchewan, qui a déclaré que la notion de rigueur vise non seulement la redevance par unité d’émission de GES, mais aussi la portée ou l’étendue de l’application de la redevance eu égard aux combustibles et activités auxquels elle s’applique : Renvoi de la Saskatchewan, au para 139 (le juge en chef Richards).

(2) Les observations des défendeurs

[95] Les défendeurs soutiennent que les décisions contestées sont raisonnables, parce que le Manitoba a retiré son système de tarification proposé. Les défendeurs présentent trois arguments principaux en ce qui a trait au caractère raisonnable.

[96] Premièrement, le gouverneur en conseil a décidé d’assujettir le Manitoba au filet de sécurité que prévoit la LTPGES, parce que le Manitoba a retiré son régime proposé de tarification du carbone avant que le gouverneur en conseil procède à l’évaluation de sa rigueur. Le Manitoba a manifesté l’intention de retirer son plan le 3 octobre 2018, soit avant que le gouverneur en conseil se prononce sur sa rigueur. Le Décret modifiant la partie 2, par lequel le gouverneur en conseil a déclaré que le STFR s’appliquait au Manitoba à titre de filet de sécurité, a été pris le 19 octobre 2018. Le Règlement modifiant la partie 1 a été adopté le 3 avril 2019. Au moment où le gouverneur en conseil a effectué son évaluation de la rigueur, le Manitoba n’avait donc aucun texte législatif sur la tarification du carbone pouvant faire l’objet d’une évaluation. Étant donné que le Manitoba avait retiré son plan de tarification du carbone proposé, la décision d’ajouter le Manitoba à la liste était raisonnable, peu importe la norme de rigueur appliquée.

[97] Le Manitoba cherche à se fonder sur une lettre envoyée par l’ancienne ministre de l’Environnement et du Changement climatique à son homologue provinciale au Manitoba, dans laquelle elle affirmait que le Plan du Manitoba n’était pas suffisamment rigoureux. C’est le gouverneur en conseil, et non le ministre, qui a le pouvoir de modifier l’annexe 1 de la Loi. Les déclarations publiques du ministre ne peuvent donc pas lier le gouverneur en conseil dans ce cas : Apotex Inc c Canada (Procureur général), [2000] 4 CF 264 aux paras 17-19.

[98] Deuxièmement, même si l’ancien plan de réduction des émissions de GES du Manitoba était pertinent, ce que le Canada refuse d’admettre, il ne satisfait pas aux exigences de rigueur du modèle. L’affirmation du Manitoba selon laquelle son plan est efficace compte tenu des exigences de rigueur du modèle [traduction] « est fondée sur une lecture incomplète de ses propres éléments de preuve ». L’opinion du Manitoba sur l’efficacité de son plan repose sur une évaluation cumulative de la réduction de ses émissions de carbone entre 2018 et 2022. Or, les objectifs de l’Accord de Paris sont annuels et non cumulatifs. Si on l’évalue sur une base annuelle, le Plan du Manitoba aboutirait à 76 000 tonnes d’équivalent CO2 de plus en 2022 que le modèle fédéral. Ainsi, même si le gouverneur en conseil devait évaluer le plan que le Manitoba a retiré, celui-ci n’aurait pas répondu aux exigences de rigueur que le gouverneur en conseil était tenu d’appliquer au titre des articles 166 et 189.

[99] Troisièmement, le gouverneur en conseil a interprété raisonnablement le terme « rigueur » utilisé aux paragraphes 166(3) et 189(2) de la Loi. Bien interprétée, la Loi donne à penser que l’exigence de rigueur doit être interprétée comme une tarification du carbone qui augmente au fil du temps. Le dossier de preuve (extrinsèque et législative) établit que le gouverneur en conseil a évalué la rigueur en fonction du modèle : voir le Décret modifiant la partie 2, Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, aux pp 3761, 3763-3764 et, 3774-3776, annexe A du Canada (Lois et règlements), onglet 8. Le modèle [traduction] « donne effet à la norme légale » en précisant les éléments qui sont nécessaires pour que le gouverneur en conseil juge qu’un régime provincial est suffisamment rigoureux. La norme légale s’applique à toutes les provinces, en tout temps. Le gouverneur en conseil ajoute les provinces à l’annexe de la Loi si leurs mécanismes de tarification ne sont pas suffisamment rigoureux comparativement au modèle.

[100] Le Canada s’appuie sur l’historique législatif du paragraphe 166(3), sur le préambule de la Loi et sur le modèle pour affirmer que la « rigueur » se rapporte aux exigences de rigueur du modèle :

[traduction]

  • Le REIR qui accompagne le décret DORS/2018-212 (le Décret modifiant la partie 2) comprend une rubrique qui explique comment les systèmes provinciaux ont été évalués en fonction des exigences de rigueur du modèle : mémoire des faits et du droit des défendeurs, au para 120.

  • L’historique législatif du paragraphe 166(3) comprend une étude du projet de loi en comité où il est expliqué que la modification proposée au paragraphe 166(3) vise à faire de la rigueur le facteur principal que doit évaluer le gouverneur en conseil. Il ressort clairement de cet historique législatif que le terme « rigueur » doit être interprété dans le contexte des documents d’orientation supplémentaires sur le modèle qui ont été publiés au milieu et à la fin de 2017, du Cadre pancanadien et des communications envoyées par les anciens ministres Morneau (Finances) et McKenna (ECCC) à leurs homologues provinciaux : mémoire des faits et du droit des défendeurs, au para 122, citant FINA, no 157 (23 mai 2018), aux pp 12-14, recueil de jurisprudence et de doctrine du Canada, onglet 47. Ces documents d’orientation supplémentaires définissent ainsi la notion de rigueur :

    • o Approche pancanadienne pour une tarification de la pollution par le carbone, document daté du 3 octobre 2016 : « La hausse du prix du carbone devrait se faire de façon prévisible et graduelle afin de limiter les répercussions économiques ». Le « modèle pancanadien pour la tarification du carbone [vise à] veiller à ce que la tarification du carbone s’applique à un vaste ensemble de sources d’émissions partout au Canada, avec une rigueur qui augmente au fil du temps » (non souligné dans l’original).« Pour les administrations ayant mis en œuvre un système explicite fondé sur les tarifs, le prix du carbone devrait être établi à un minimum de 10 $/tonne en 2018, et augmenter de 10 $/an jusqu’à atteindre 50 $/tonne en 2022 » : affidavit de Cunningham, pièce 4, dossier de requête de la demanderesse, vol 1, aux pp 189-193.

    • o Directives concernant le modèle pancanadien de tarification de la pollution par le carbone, document daté d’août 2017: À la rubrique « Accroissement de la rigueur prévue par la loi », il est indiqué : « Pour les administrations ayant mis en œuvre un système explicite fondé sur les tarifs, le prix du carbone devrait être établi à un minimum de 10 $/tonne en 2018, et augmenter de 10 $/an jusqu’à atteindre 50 $/tonne en 2022 » : affidavit de Cunningham, pièce 9, dossier de requête de la demanderesse, vol 2, à la p 328.

    • o Document d’orientation de référence supplémentaire, datédu 20 décembre 2017 : À la rubrique « Autres directives pour la section du modèle sur l’« accroissement de la rigueur prévue par la loi » en ce qui concerne l’exigence de réduction supplémentaire (applicables aux systèmes fondés sur la tarification explicite et aux systèmes de plafonnement et d’échange) », il est indiqué :« Les systèmes de tarification du carbone devraient être conçus de manière à permettre des réductions supplémentaires d’émissions de GES entre 2018 et 2022 au moyen d’un signal-prix clair qui découle du niveau auquel sont fixés les plafonds ou d’un prix explicite sur le carbone, ce qui signifie qu’un nombre moindre d’émissions n’aurait pu se produire sans la mise en place d’un système de tarification du carbone » : affidavit de Cunningham, pièce 9, dossier de requête de la demanderesse, vol 2, à la p 333.

  • Le préambule de la Loi énonce « qu’une tarification progressive des émissions de gaz à effet de serre est un moyen approprié et efficace d’encourager [l]es changements de comportement » : mémoire des faits et du droit des défendeurs, au para 123 (c’est le Canada qui souligne).

  • Il ressort clairement du libellé du modèle qu’on s’attend à ce que les plans provinciaux qui sont jugés suffisamment rigoureux en ce qui a trait à la réduction des émissions de carbone prévoient une augmentation graduelle d’année en année : mémoire des faits et du droit des défendeurs, au para 122.

[101] L’interprétation de l’exigence de rigueur par le gouverneur en conseil concorde donc avec le libellé, le contexte et l’objet de la Loi. De plus, en l’absence d’une loi provinciale, et à plus forte raison en l’absence d’une loi qui prévoit une augmentation graduelle de la rigueur conformément aux exigences de la Loi, il était raisonnable pour le gouverneur en conseil de décider que le filet de sécurité devrait s’appliquer au Manitoba.

[102] Enfin, le Canada fait valoir que le fait qu’il y a des différences entre les systèmes de tarification provinciaux ne signifie pas nécessairement que le gouverneur en conseil a évalué la rigueur de façon arbitraire. Au contraire, [traduction] « dans le contexte technique et complexe de la tarification du carbone, pourvu que les systèmes provinciaux soient comparables en termes de rigueur, la Loi atteint le degré d’« uniformité » requis en vertu du pouvoir POBG ». L’évaluation de la rigueur d’un système provincial de tarification du carbone nécessite une analyse complexe. Aucun élément de preuve se rapportant à l’analyse qui aurait été effectuée pour chaque système provincial n’a été présenté à la Cour. En revanche, le Manitoba [traduction] « a procédé à une comparaison méticuleuse de certains de ces systèmes et a relevé des différences au regard de certains détails, qui ont été pris hors contexte ». De plus, son analyse est fondée sur une [traduction] « lecture sélective de la preuve intrinsèque et extrinsèque ».

[103] Dans son interprétation de l’évaluation de la rigueur effectuée par le gouverneur en conseil, le Manitoba confond également le modèle fédéral et le filet de sécurité fédéral. Le Manitoba affirme que les régimes de tarification du carbone de l’Alberta, de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, de la Nouvelle‑Écosse et du Québec [traduction] « ne sont pas aussi rigoureux que le modèle » , alors que le gouverneur en conseil les a considérés comme suffisamment rigoureux dans le cadre des évaluations qu’il a menées en octobre 2018. Le Canada soutient que les éléments de preuve que le Manitoba a cités à cet égard (dossier du Manitoba, vol 3, onglet 5, Williams, aux paras 20-61 et 835-844, en particulier les paras 24, 28, 36, 39, 42 et 43) comparent ces systèmes provinciaux au filet de sécurité, et non au modèle.

[104] Le filet de sécurité et le modèle sont deux choses différentes. Le filet de sécurité est un système de tarification qui répond aux exigences de rigueur du modèle. Cependant, les exigences de rigueur auxquelles les provinces et les territoires doivent répondre sont celles qui sont énoncées dans le modèle. Le gouverneur en conseil n’a pas appliqué le filet de sécurité dans certaines provinces, parce que celles-ci se sont dotées d’un système qui respecte, en tout ou en partie, le modèle : voir le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation accompagnant le Décret modifiant la partie 2, annexe A du Canada (Lois et règlements), onglet 8, aux pp 3774-3776, annexe 2, tableau 1.

(3) Les observations de l’intervenante

[105] L’Association des Premières Nations soutient que la décision du gouverneur en conseil était [traduction] « manifestement raisonnable » étant donné que le Manitoba a retiré son plan proposé avant que le gouverneur en conseil effectue son évaluation de la rigueur. Pour veiller à ce que la tarification des émissions de GES soit appliquée uniformément dans l’ensemble du Canada, comme l’exige la Loi, le gouverneur en conseil a été contraint d’ajouter le Manitoba à la liste des provinces assujetties au filet de sécurité. Dans ce contexte factuel, la rigueur du Plan du Manitoba, qui a été retiré, n’avait aucune importance au regard de la décision du gouverneur en conseil, puisqu’il n’existait plus comme texte législatif proposé.

[106] L’Association des Premières Nations fait également valoir que le gouverneur en conseil n’a pas agi de façon arbitraire ou déraisonnable ni outrepassé son pouvoir délégué en appliquant inégalement le modèle fédéral. L’Association des Premières Nations souligne que l’évaluation de la rigueur des systèmes de tarification des émissions de GES proposés par les provinces est une tâche complexe et [traduction] « monumentale » et qu’aucun élément de preuve n’a été présenté à la Cour à cet égard.

(4) La réplique de la demanderesse

[107] La demanderesse a indiqué ce qui suit dans sa réplique :

  • · Le Canada soutient que la décision du gouverneur en conseil était raisonnable, parce que, au moment où l’évaluation de la rigueur a été effectuée, le Manitoba avait déjà retiré son projet de texte législatif sur la réduction du carbone. Selon le Manitoba, cet argument ne tient pas compte de la teneur des communications reçues de la ministre de l’Environnement et du Changement climatique, selon lesquelles le plan de tarification du carbone qu’il proposait était inadéquat;

  • · Le Canada souligne que la preuve montre que le Plan du Manitoba aurait entraîné une réduction des émissions de GES de 76 000 tonnes de moins que le plan fédéral en 2022. Or, le Canada ne tient pas compte de la modélisation effectuée par le Manitoba, qui montre que, entre 2018 et 2022, le Plan du Manitoba aurait entraîné une réduction cumulative des émissions de GES plus importante que le filet de sécurité. Les changements climatiques ne sont pas attribuables aux émissions de GES sur une seule année ; c’est leur accumulation au fil du temps qui pose problème. Il était déraisonnable pour le gouverneur en conseil de ne pas tenir compte des éléments de preuve importants relatifs à la modélisation qui a été effectuée et de l’efficacité du Plan du Manitoba sur une base cumulative;

  • · En ce qui a trait à l’allégation du Canada selon laquelle le Manitoba a confondu le modèle fédéral et le filet de sécurité, le dossier montre que les systèmes de tarification de l’Alberta, de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, de la Nouvelle‑Écosse et du Québec non seulement diffèrent du filet de sécurité fédéral, mais ne répondent pas non plus aux exigences du modèle. Par exemple, le modèle exige que la tarification du carbone s’applique essentiellement aux mêmes sources que la taxe sur le carbone de la Colombie‑Britannique : affidavit de Cunningham, aux paras 256 et 327-328. Or, le Canada ne nie pas que les exemptions que prévoit l’Alberta pour les installations pétrolières et gazières n’existent pas dans le système de la Colombie-Britannique. De l’avis du Manitoba, [traduction] « le fait que gouverneur en conseil a approuvé ces plans provinciaux même s’ils ne répondent pas aux [critères du] modèle ne doit pas être balayé du revers de la main simplement parce que d’autres éléments de ces plans étaient peut-être adéquats ».

(5) Analyse

[108] En vertu du paragraphe 166(2) de la Loi, le gouverneur en conseil peut, par règlement, modifier la partie 1 de l’annexe 1 « notamment en ajoutant, supprimant, modifiant ou remplaçant un élément ou un tableau ». Les règlements peuvent faire la distinction entre des catégories, des provinces, des installations, des activités et des combustibles : art 166(1)e).

[109] Le paragraphe 166(2) prévoit que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements « [a]fin d’assurer l’application étendue au Canada d’une tarification des émissions de [GES] à des niveaux que le gouverneur en conseil considère appropriés ». Le paragraphe 166(3) dispose que, pour la prise de règlements en application du paragraphe 166(2), le gouverneur en conseil « tient compte avant tout de la rigueur des systèmes provinciaux de tarification des émissions de gaz à effet de serre ».

[110] La barre pour faire annuler un règlement contesté au motif qu’il est incompatible avec l’objet de sa loi habilitante est haute, et ce, pour trois raisons.

[111] Premièrement, les règlements jouissent d’une présomption de validité. Il incombe à celui qui conteste un règlement de démontrer que celui-ci est invalide, plutôt qu’à l’organisme réglementaire d’en justifier la validité. De plus, la présomption favorise une méthode d’interprétation qui « concilie le règlement avec sa loi habilitante de sorte que, dans la mesure du possible, le règlement puisse être interprété d’une manière qui le rend intra vires » : Katz, au para 25, citant Donald J.M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol 3 (feuilles mobiles), 15:3200 et 15:3230.

[112] Deuxièmement, il convient de donner au règlement contesté et à sa loi habilitante une « interprétation téléologique large [...] compatible avec l’approche générale adoptée par la Cour [suprême] en matière d’interprétation législative » : Katz, au para 26.

[113] Troisièmement, l’analyse doit se limiter à l’évaluation de l’exercice d’interprétation législative. L’analyse ne s’attache pas aux considérations sous-jacentes d’ordre politique, économique ou social qui ont mené à l’adoption du règlement, ni à la recherche par les gouvernements de leur propre intérêt. La question de savoir si le règlement permettra d’atteindre les objectifs visés par la loi n’est pas non plus pertinente dans le contexte de l’analyse : Katz, au para 28. Autrement dit, « [l]es raisons qui ont motivé la prise du règlement ne sont pas pertinentes » : Katz, au para 27, citant Ontario Federation of Anglers & Hunters v Ontario (Ministry of Natural Resources) (2002), 211 DLR (4th) 741.

[114] Le gouverneur en conseil n’a pas motivé sa décision d’adopter le Règlement modifiant la partie 1 et le Décret modifiant la partie 2. En l’absence de motifs, la cour de révision doit examiner le dossier dans son ensemble pour comprendre la décision : Vavilov, au para 137. En l’espèce, le dossier inclut (i) le libellé des dispositions attributives de pouvoir ; (ii) leur contexte; (iii) leur historique législatif; et (iv) l’objet de la Loi.

[115] Dans la présente affaire, le libellé des dispositions attributives de pouvoir est très large. Dans les cas où l’interprétation que le décideur donne de ses pouvoirs fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, un texte législatif formulé en termes précis ou étroits aura forcément pour effet de restreindre les interprétations raisonnables que le décideur peut retenir : Vavilov, au para 68. À l’inverse, l’utilisation de termes non limitatifs élargit le pouvoir discrétionnaire du décideur.

[116] La Loi ne définit pas le terme « rigueur ». Le juge en chef Wagner, au nom de la majorité, s’est penché sur cette question au paragraphe 73 de l’arrêt Renvois relatifs à la LTPGES :

Il convient de souligner que la LTPGES ne définit pas le mot « rigueur » utilisé aux art. 166 et 189. Mais cela ne signifie pas que le pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil en matière d’assujettissement est [traduction] « illimité et entièrement subjectif » : motifs de la Cour d’appel de l’Alberta, par. 221. Au contraire, le pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil est limité à la fois par l’objet de la LTPGES et par les indications précises énoncées dans la loi à cet égard relativement aux décisions d’assujettissement : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté [et] de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 SCC 65, par. 108; Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 SCC 64, [2013] 3 S.C.R. 810, par. 24. En particulier, le pouvoir discrétionnaire d’assujettir une province ou un territoire doit être exercé d’une manière compatible avec l’objet de la loi, qui consiste à réduire les émissions de GES par leur tarification. De plus, toute décision du gouverneur en conseil en matière d’assujettissement doit respecter la prescription particulière portant que l’assujettissement vise à assurer l’application étendue de la tarification des émissions au Canada, et tenir compte avant tout de la rigueur des mécanismes provinciaux existants de tarification des émissions de GES : préambule, par. 16, et art. 166 et 189. En outre, comme la LTPGES prescrit une norme juridique applicable pour évaluer les mécanismes provinciaux et territoriaux, toute décision du gouverneur en conseil à cet égard peut être contrôlée judiciairement afin de s’assurer qu’elle est compatible avec l’objet de la LTPGES et respecte les limites précises énoncées aux par. 166(2) et (3) et aux par. 189(1) et (2). En d’autres mots, bien que le gouverneur en conseil possède un pouvoir discrétionnaire considérable en matière d’assujettissement, ce pouvoir discrétionnaire est néanmoins limité, en ce qu’il doit être exercé conformément à l’objet pour lequel il a été conféré. En conséquence, le gouverneur en conseil ne dispose certainement pas d’une « “discrétion« » absolue et sans entraves » : Vavilov, par. 108, citant Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, p. 140.

[117] Lorsqu’un terme n’est pas défini dans la loi, les tribunaux se tournent généralement en premier lieu vers les dictionnaires pour en circonscrire le sens. Le Petit Robert définit le mot « rigueur » ainsi : « Exactitude, précision, logique inflexible. » Il définit l’adjectif « rigoureux » ainsi : « D’une exactitude inflexible et stricte. [...] [Q]ui est mené avec la plus grande rigueur, la plus grande précision. »

[118] Compte tenu du dossier, j’accepte l’argument des défendeurs selon lequel le gouverneur en conseil a interprété le mot « rigueur » comme signifiant que les systèmes provinciaux devaient répondre aux normes de rigueur énoncées dans le modèle fédéral. Dans le modèle, un système rigoureux en est un qui impose un tarif minimum de 10 $ par tonne d’émissions de carbone excédentaires en 2018, la tarification augmentant de façon graduelle chaque année. En imposant cette norme nationale minimale, le gouvernement a créé un seuil minimal ou un « plancher » à respecter en matière de tarification rigoureuse du carbone dans toutes les provinces et territoires du Canada, et a ainsi réglé la question de la fuite de carbone d’un ressort à un autre.

[119] Les défendeurs ont présenté des éléments de preuve convaincants établissant que l’intention du législateur était qu’un système provincial rigoureux en soit un qui prévoie une tarification du carbone augmentant graduellement au fil du temps, le point de départ étant un tarif de 10 $ par tonne d’émissions de carbone excédentaires en 2018. Ces éléments de preuve comprennent le préambule de la Loi, les Résumé d’étude d’impact de la réglementation qui explique de quelle façon la rigueur des systèmes provinciaux doit être évaluée en fonction des critères du modèle, et les deux documents d’orientation supplémentaires sur le modèle publiés par le gouvernement du Canada en août et en décembre 2017.

[120] Cette interprétation de la rigueur est raisonnable à la lumière du libellé, du contexte et de l’objet de la Loi. Elle concorde avec l’objet de la Loi, qui consiste à établir des normes nationales minimales en matière de réduction des émissions de GES, dans le but de réduire les émissions de GES à l’échelle nationale. Elle concorde aussi avec les pouvoirs conférés au gouverneur en conseil par les paragraphes 166(3) et 189(2) de la Loi.

[121] En application de la norme de contrôle de la décision raisonnable, le juge chargé de se prononcer sur un règlement contesté lors d’un contrôle judiciaire ne devrait pas toucher à l’interprétation qu’a donnée le décideur aux dispositions lui attribuant des pouvoirs, à moins qu’il puisse être démontré que cette interprétation est déraisonnable. La demanderesse n’a pas démontré que c’était le cas en l’espèce.

[122] Compte tenu du dossier dont dispose la Cour, la conclusion du gouverneur en conseil, au terme de son évaluation, selon laquelle le Plan du Manitoba n’était pas suffisamment rigoureux était également raisonnable. Il en est ainsi parce que le 3 octobre 2018, soit vingt jours avant que le gouverneur en conseil annonce les résultats de son évaluation de la rigueur menée sous le régime de la partie 2 de la Loi, le premier ministre du Manitoba a retiré son plan proposé de réduction des émissions de GES. Ainsi, le jour où le gouverneur en conseil a commencé son évaluation de la rigueur pour le Manitoba, il n’y avait aucun régime en place à évaluer. Il importe peu que le plan ait été retiré apparemment en réponse aux commentaires attribués à la ministre fédérale de l’époque. Dans le présent contexte, la conclusion du gouverneur en conseil selon laquelle la non-existence d’un régime de tarification du carbone au Manitoba ne respectait pas le modèle était raisonnable.

(6) Question no 3 : Les décisions contestées contreviennent-elles au pouvoir POBG? En particulier, vont-elles à l’encontre du principe, s’il en est, selon lequel les lois adoptées en vertu du pouvoir POBG doivent imposer des normes nationales uniformes dans l’ensemble du Canada ?

[123] Comme je l’ai déjà mentionné, la norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision correcte.

[124] Le Manitoba soutient que les décisions contestées contreviennent au principe selon lequel, en vertu du pouvoir POBG, la Loi doit imposer des normes nationales minimales en matière de réduction des émissions de GES qui sont uniformes dans l’ensemble du Canada. Il prétend que les décisions contestées montrent que le gouverneur en conseil a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon arbitraire pour imposer de façon inégale au Canada le filet de sécurité relatif aux redevances sur les combustibles, peu importe la conformité d’une province ou d’un territoire aux normes minimales du modèle, ce qui mine l’exigence d’uniformité qui sous-tend le pouvoir POBG.

[125] Le Manitoba reconnaît que l’alinéa 166(1)e) de la Loi confère certains pouvoirs au gouverneur en conseil. Cette disposition est ainsi libellée :

166 (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

e) faire la distinction entre des catégories de personnes, des provinces, des zones, des installations, des biens, des activités, des combustibles, des substances, des matières ou des choses; […]

[126] Malgré ce libellé non limitatif, le Manitoba soutient que la Loi ne peut pas être interprétée comme permettant au gouverneur en conseil d’appliquer une norme de rigueur différente d’une province à l’autre, car l’objet de la Loi s’en trouverait miné.

[127] Les défendeurs font valoir que les décisions contestées n’outrepassent pas le pouvoir POBG, parce que ce pouvoir n’exige pas que le gouverneur en conseil impose la même norme de rigueur à toutes les provinces qu’il évalue au titre des articles 166 et 189 de la Loi. Les systèmes de tarification du carbone des provinces n’ont pas à être [traduction] « strictement uniformes » pour qu’ils soient considérés comme établissant des normes nationales minimales permettant de réduire les émissions de GES dans l’ensemble du pays ou d’atteindre les objectifs nationaux de la Loi. La norme nationale minimale imposée par la Loi est que les systèmes de tarification des provinces soient suffisamment rigoureux. C’est tout ce qu’il faut pour satisfaire à l’exigence d’uniformité associée au pouvoir POBG.

[128] Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que, bien que le pouvoir POBG impose effectivement une exigence d’uniformité, la Loi satisfait à cette exigence en imposant des normes nationales minimales uniformes en matière de réduction des émissions de GES qui satisfont au critère de la rigueur au sens des articles 166 et 189 de la Loi. La norme, telle qu’elle est énoncée dans le modèle fédéral, consiste à imposer un tarif minimum de 10 $ par tonne d’émissions de carbone excédentaires en 2018, puis à augmenter le tarif graduellement, d’une année à l’autre.

[129] La Loi permet d’atteindre le degré d’uniformité exigé par le pouvoir POBG, que les plans provinciaux soient suffisamment rigoureux ou non, mais il met en œuvre cette norme de rigueur uniforme en appliquant le filet de sécurité, au besoin. Dans la mesure où le gouverneur en conseil a appliqué les mêmes paramètres de rigueur dans l’évaluation des projets de loi provinciaux qu’il a effectuée en vertu de la Loi, il n’y a aucun vice constitutionnel en ce qui a trait au pouvoir POBG.

[130] Je suis également d’accord avec les défendeurs pour dire que l’argument du Manitoba selon lequel le gouverneur en conseil a évalué la rigueur de façon arbitraire est fondé sur une compréhension erronée de la preuve. Dans ses arguments, la demanderesse a constamment mêlé le modèle et le filet de sécurité dans le contexte de son évaluation des décisions prises par le gouverneur en conseil à l’égard des provinces et des territoires. La norme nationale minimale qui s’applique aux textes législatifs sur la réduction des émissions de carbone est la norme énoncée dans le modèle. Le filet de sécurité est tout simplement un exemple d’un régime de tarification qui est conforme au modèle. Le modèle n’exige pas que tous les régimes provinciaux soient identiques. De fait, il peut y avoir des différences importantes entre les plans adoptés.

[131] Aucun élément de preuve ou argument convaincant n’a été présenté à la Cour pour établir que le gouverneur en conseil a interprété la norme de rigueur de façon arbitraire ou qu’il l’a appliquée de manière inégale dans le cadre des évaluations qu’il a menées en octobre 2018 en vertu des articles 166 et 189.

VI. Conclusion

[132] Je suis convaincu que le gouverneur en conseil a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément à l’objet de la Loi et aux limites énoncées aux articles 166 et 189. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire n’était pas « illimité et entièrement subjectif ». Les décisions contestées étaient conformes à l’objet de la Loi, qui consiste à réduire les émissions de GES par leur tarification. L’ajout du Manitoba à la liste respectait l’objet de la Loi et la prescription portant que l’assujettissement vise à assurer l’application étendue de la tarification des émissions au Canada. Au moment où la décision d’assujettissement a été prise, il n’existait au Manitoba aucun mécanisme de tarification des émissions de GES pouvant faire l’objet d’une évaluation.

VII. Les dépens

[133] Le Canada sollicite ses dépens, fixés à 10 000 $. Il fait valoir que l’insistance du Manitoba pour que les questions constitutionnelles soient débattues devant notre Cour alors que la Cour suprême était saisie du Renvois relatifs à la LTPGES, a occasionné une quantité importante de travail additionnel, de nature très complexe.

[134] Je conviens avec le Canada que les actes du Manitoba, qui a insisté – jusqu’à un mois avant l’audience – pour que la contestation constitutionnelle suive son cours, ont imposé un fardeau inutile aux défendeurs. Le Canada a droit à ses dépens, qui seront taxés suivant le barème ordinaire, pour le travail additionnel que la présente affaire a occasionné. Pour le reste, les parties assument leurs propres dépens.


 

JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-685-19

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande avec dépens en faveur des défendeurs, taxés selon le barème ordinaire, pour le travail supplémentaire qui a été nécessaire pour se préparer à l’audience sur les questions constitutionnelles.

blank

« Richard G. Mosley »

blank

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-685-19

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU MANITOBA c GOUVERNEUR EN CONSEIL et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ONTARIO, PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SASKATCHEWAN, PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA et ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À oTTAWA ET AU MANITOBA

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 DÉCEMBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 21 Octobre 2021

COMPARUTIONS :

Michael Conner

POUR LA DEMANDERESSE

Neil Goodridge

Sharlene Telles-Langdon

POUR LES DÉFENDEURS

Stuart Wuttke

POUR L’INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Justice Manitoba

Winnipeg (Manitoba)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LES DÉFENDEURS

Assemblée des Premières Nations

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTERVENANTE

 

ANNEXE : DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES /

APPENDIX: RELEVANT PROVISIONS

Règlements

Regulations

166 (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

166 (1) The Governor in Council may make regulations

a) prendre toute mesure d’ordre réglementaire prévue par la présente partie;

(a) prescribing anything that, by this Part, is to be prescribed or is to be determined or regulated by regulation;

b) obliger une personne à communiquer des renseignements, notamment ses nom, adresse, numéro d’inscription ou toute information liée à la partie 2 pouvant être requise pour se conformer à la présente partie, à une catégorie de personnes tenue de produire une déclaration les renfermant;

(b) requiring any person to provide any information, including the person’s name, address, registration number or any information relating to Part 2 that may be required to comply with this Part, to any class of persons required to make a return containing that information;

c) obliger une personne à aviser le ministre de son numéro d’assurance sociale;

(c) requiring any person to provide the Minister with the person’s Social Insurance Number;

d) obliger une catégorie de personnes à produire les déclarations relatives à toute catégorie de renseignements nécessaires à l’application ou à l’exécution de la présente partie;

(d) requiring any class of persons to make returns respecting any class of information required in connection with the administration or enforcement of this Part;

e) faire la distinction entre des catégories de personnes, des provinces, des zones, des installations, des biens, des activités, des combustibles, des substances, des matières ou des choses;

(e) distinguishing among any class of persons, provinces, areas, facilities, property, activities, fuels, substances, materials or things; and

f) prendre toute mesure d’application de la présente partie.

(f) generally to carry out the purposes and provisions of this Part.

Modifications à la partie 1 de l’annexe 1

Amendments to Part 1 of Schedule 1

(2) Afin d’assurer l’application étendue au Canada d’une tarification des émissions de gaz à effet de serre à des niveaux que le gouverneur en conseil considère appropriés, celui-ci peut, par règlement, modifier la partie 1 de l’annexe 1, notamment en ajoutant, supprimant, modifiant ou remplaçant un élément ou un tableau.

(2) For the purpose of ensuring that the pricing of greenhouse gas emissions is applied broadly in Canada at levels that the Governor in Council considers appropriate, the Governor in Council may, by regulation, amend Part 1 of Schedule 1, including by adding, deleting, varying or replacing any item or table.

Facteurs

Factors

(3) Pour la prise de règlements en application du paragraphe (2), le gouverneur en conseil tient compte avant tout de la rigueur des systèmes provinciaux de tarification des émissions de gaz à effet de serre.

(3) In making a regulation under subsection (2), the Governor in Council shall take into account, as the primary factor, the stringency of provincial pricing mechanisms for greenhouse gas emissions.

Modifications à l’annexe

Amendments to Schedule 2

(4) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, modifier l’annexe 2 relativement à l’application de la redevance sur les combustibles en application de la présente partie, notamment en ajoutant, supprimant, modifiant ou remplaçant un tableau.

(4) The Governor in Council may, by regulation, amend Schedule 2 respecting the application of the fuel charge under this Part including by adding, deleting, varying or replacing a table.

Effet

Effect

(5) Les règlements pris en application de la présente partie ont effet à compter de leur publication dans la Gazette du Canada ou après s’ils le prévoient. Un règlement peut toutefois avoir un effet rétroactif, s’il comporte une disposition en ce sens, dans les cas suivants :

 

(5) A regulation made under this Part is to have effect from the date it is published in the Canada Gazette or at such time thereafter as may be specified in the regulation, unless the regulation provides otherwise and

 

a) il n’augmente pas le fardeau de redevance;

(a) has a non-tightening effect only;

b) il corrige une disposition ambiguë ou erronée, non conforme à un objet de la présente partie;

(b) corrects an ambiguous or deficient enactment that was not in accordance with the objects of this Part;

c) il procède d’une modification de la présente partie applicable avant qu’il ne soit publié dans la Gazette du Canada;

(c) is consequential on an amendment to this Part that is applicable before the date the regulation is published in the Canada Gazette;

d) il vise les règles prévues à l’alinéa 168(2)f);

(d) is in respect of rules described in paragraph 168(2)(f); or

e) il met en œuvre une mesure annoncée publiquement, auquel cas, si aucun des alinéas a) à d) ne s’applique par ailleurs, il ne peut avoir d’effet avant la date où la mesure est ainsi annoncée.

(e) gives effect to a public announcement, in which case the regulation must not, except if any of paragraphs (a) to (d) apply, have effect before the date the announcement was made.

Décrets et règlements

Order and Regulations

Modification de la partie 2 de l’annexe 1

Amendments to Part 2 of Schedule 1

189 (1) Afin d’assurer au Canada une application étendue d’une tarification des émissions de gaz à effet de serre à des niveaux que le gouverneur en conseil estime appropriés, celui-ci peut, par décret, modifier la partie 2 de l’annexe 1 par adjonction, suppression ou modification du nom d’une province ou de la description d’une zone.

189 (1) For the purpose of ensuring that the pricing of greenhouse gas emissions is applied broadly in Canada at levels that the Governor in Council considers appropriate, the Governor in Council may, by order, amend Part 2 of Schedule 1 by adding, deleting or amending the name of a province or the description of an area.

Facteurs

Factors

(2) Pour la prise d’un décret en vertu du paragraphe (1), le gouverneur en conseil tient compte avant tout de la rigueur des mécanismes provinciaux de tarification des émissions de gaz à effet de serre.

(2) In making an order under subsection (1), the Governor in Council shall take into account, as the primary factor, the stringency of provincial pricing mechanisms for greenhouse gas emissions.

Zone économique exclusive et plateau continental

Exclusive economic zone and continental shelf

(3) Il est entendu qu’une zone visée au paragraphe (1) peut inclure toute partie de la zone économique exclusive du Canada ou du plateau continental canadien.

(3) For greater certainty, an area referred to in subsection (1) may include a part of the exclusive economic zone of Canada or the continental shelf of Canada.

 

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