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Date : 20211022


Dossier : T‑1335‑21

Référence : 2021 CF 1127

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2021

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

TELUS COMMUNICATIONS INC.

demanderesse

et

VIDÉOTRON LTÉE, FIBRENOIRE INC., BELL MOBILITY INC., BRAGG COMMUNICATIONS INC., CITYWEST CABLE AND TELEPHONE CORP, COGECO CONNEXION INC., COMCENTRIC NETWORKING INC., ECOTEL INC., IRISTEL INC., 1085459 ONTARIO LTD. s/n KINGSTON ONLINE SERVICES, LEMALU HOLDINGS LTD., MULTIBOARD COMMUNICATIONS INC., 508896 ALBERTA LTD. s/n NETAGO, NEXICOM INC., ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC., SASKATCHEWAN TELECOMMUNICATIONS, SOGETEL INC., STAR SOLUTIONS INTERNATIONAL INC., TBAYTEL, TERRESTAR SOLUTIONS INC., THOMAS COMMUNICATIONS LTD., VALLEY FIBER LTD., et XPLORNET COMMUNICATIONS INC.

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le ministre de l’Industrie a tenu une mise aux enchères pour l’attribution de licences de spectre des radiofréquences destinées aux réseaux de téléphonie mobile de cinquième génération [5G]. Une partie du spectre était réservée aux entreprises régionales de télécommunications, afin d’accroître la concurrence du marché des services de téléphonie mobile. Vidéotron, une entreprise régionale de télécommunications, a obtenu de telles licences de spectre réservé dans l’Ouest du Canada. TELUS, une entreprise nationale de télécommunications, soutient que Vidéotron n’était pas admissible à ces licences. Elle a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre concernant l’admissibilité de Vidéotron et demande aujourd’hui la suspension de la délivrance des licences jusqu’à ce qu’un jugement final soit rendu dans le cadre du contrôle judiciaire.

[2] Je rejette la requête en suspension de TELUS. Premièrement, d’après le dossier dont dispose actuellement la Cour, les arguments de TELUS sont indéfendables et ne soulèvent pas de question sérieuse. L’affirmation de TELUS selon laquelle Vidéotron devait disposer d’une infrastructure physique dans l’Ouest du Canada pour être admissible n’est pas fondée. Le formulaire résumant l’évaluation de l’admissibilité de Vidéotron par le ministre ne soulève pas non plus de question sérieuse.

[3] Deuxièmement, TELUS n’a pas démontré qu’elle subira un préjudice irréparable si la suspension est refusée. Même si l’arrivée de Vidéotron modifiera les conditions actuelles du marché, l’obtention des licences contestées par une autre entreprise régionale aurait donné lieu aux mêmes résultats. En réalité, ce changement dans les conditions du marché est le résultat escompté de la décision du ministre de réserver une partie du spectre aux entreprises régionales. Il n’a aucun de lien de causalité avec la prétendue inadmissibilité de Vidéotron et ne constitue pas un préjudice irréparable. De plus, je ne suis pas convaincu que le préjudice invoqué soit irréversible ou qu’il ne puisse être indemnisé au moyen de dommages‑intérêts.

[4] Troisièmement, bien que chacune des parties puisse subir des inconvénients selon que la suspension est accordée ou refusée, le facteur décisif est l’intérêt qu’a le public à favoriser une plus grande concurrence sur le marché des services de téléphonie mobile. Cet intérêt public milite fortement contre la suspension.

I. Le contexte

A. Le cadre législatif

[5] La technologie de téléphonie mobile nécessite l’utilisation d’ondes électromagnétiques de différentes fréquences. Le spectre électromagnétique est une ressource publique dont l’utilisation est régie par la Loi sur la radiocommunication, LRC 1985, c R‑2 [la Loi]. L’alinéa 5(1)a) de la Loi confère au ministre de l’Industrie (qui dirige le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique ou ISDE) le pouvoir de délivrer « les licences de spectre à l’égard de l’utilisation de fréquences de radiocommunication définies dans une zone géographique déterminée, et notamment prévoir les conditions spécifiques relatives aux services pouvant être fournis par leur titulaire ». Ces licences sont nécessaires à l’exploitation de tout réseau de téléphonie mobile.

[6] D’autres aspects des services de téléphonie mobile, comme les prix et les conditions de service, sont régis par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes [le CRTC] en vertu de la Loi sur les télécommunications, LC 1993, c 38. L’article 7 de cette loi établit une politique de télécommunication dont les objectifs consistent notamment à permettre l’accès dans toutes les régions — rurales ou urbaines — à des services de télécommunication et à accroître l’efficacité et la compétitivité. Au cours des dernières années, dans le but d’atteindre ce dernier objectif, le CRTC a pris des mesures visant à favoriser une plus grande concurrence sur le marché des services de téléphonie mobile. L’une de ces mesures, que j’examine plus loin dans les présents motifs, est une politique qui autorise les « exploitants de réseau mobile virtuel » [les ERMV] à exiger que les entreprises nationales leur accordent un accès en bloc à leurs réseaux.

B. Les enchères de spectre

[7] Le paragraphe 5(1.2) de la Loi sur la radiocommunication autorise le ministre à recourir à un processus d’adjudication pour délivrer des licences de spectre. En particulier, conformément au paragraphe 5(1.4), le ministre peut établir les règles applicables au processus d’adjudication, notamment les qualités des enchérisseurs.

[8] Des licences de spectre sont attribuées pour des zones géographiques de niveau 2, 3 ou 4. Les licences de niveau 2 couvrent de grandes zones, dans certains cas une province entière. La Colombie‑Britannique, l’Alberta et le Manitoba sont notamment considérés comme des zones de niveau 2. Les zones de niveau 4 sont plus petites et peuvent correspondre à une grande ville et à ses environs (comme Vancouver) ou à une zone rurale de plus grandes dimensions (comme Grande Prairie).

[9] Au cours des dernières années, le ministre a tenu plusieurs mises aux enchères pour attribuer des parties du spectre électromagnétique. Ces mises aux enchères comprenaient des mesures dites « mesures favorables à la concurrence » visant à accroître la compétitivité sur le marché des services de téléphonie mobile : notamment les « plafonds de spectre » et les « réserves de spectre ». Un plafond de spectre est une limite de la largeur de spectre qu’un titulaire de licence unique peut détenir. Une réserve de spectre consiste à réserver une certaine partie du spectre à des entités précises. L’objectif de ces mesures est de faciliter l’entrée sur le marché des entreprises autres que les « fournisseurs nationaux de services mobiles » ou FNSM. Un FNSM est défini comme une entreprise qui détient une part du marché national supérieure à 10 %. Les FNSM sont actuellement TELUS, Bell et Rogers. L’expression « entreprise régionale », bien qu’elle ne soit pas définie, est souvent utilisée pour désigner les entreprises qui ne sont pas des FNSM.

C. La mise aux enchères du spectre de la bande de 3 500 MHz

[10] En 2014, ISDE a annoncé son intention de réattribuer la bande de 3 500 MHz, qui comprend les fréquences entre 3 475 et 3 650 MHz, aux services mobiles. On s’attend à ce que ces fréquences soient essentielles au déploiement des services mobiles de 5G au Canada. En 2019, ISDE a mené une consultation sur les principaux paramètres à prendre en considération dans la mise aux enchères de cette bande.

[11] L’une des questions soumises à la consultation était la nature des mesures favorables à la concurrence qui allaient faire partie du processus d’enchères. Plusieurs entités gouvernementales, en particulier de l’Ouest du Canada, ont généralement soutenu l’adoption de mesures favorables à la concurrence. Plusieurs entreprises régionales ont appuyé l’adoption de la combinaison d’une portion de spectre réservé et d’un plafond de spectre. Québecor, la société mère de Vidéotron, a approuvé l’utilisation d’une portion de spectre réservé, sans toutefois appuyer le recours à un plafond de spectre. Bell et TELUS ont contesté la nécessité d’adopter des mesures favorables à la concurrence; à titre subsidiaire, elles ont affirmé que seul un plafond de spectre devrait être imposé. Rogers a souscrit à l’imposition d’un plafond de spectre.

[12] En mars 2020, ISDE a publié le Cadre politique et de délivrance de licences concernant le spectre de la bande de 3 500 MHz [le Cadre politique], un document complexe qui décrit tous les aspects du processus d’enchères. Seuls les aspects pertinents sont décrits ci‑dessous.

[13] ISDE est arrivé à la conclusion que des mesures favorables à la concurrence étaient nécessaires pour les raisons suivantes :

Il existe notamment un risque que la concurrence sur le marché des services mobiles sans fil 5G souffre si les fournisseurs de services régionaux n’acquièrent pas un spectre suffisant. Dans son récent mémoire sur l’examen des services mobiles sans fil par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) en 2019, le Bureau de la concurrence a constaté que les fournisseurs nationaux de services mobiles disposent d’une puissance commerciale dans le marché de détail, ce qui se traduit par une forte concentration, un fort potentiel de rentabilité et d’importants obstacles à l’entrée sur le marché. Le Bureau de la concurrence a également constaté que dans les régions où les fournisseurs nationaux de services mobiles font face à un fournisseur de services régionaux dotés d’installations, les prix sont nettement inférieurs.

[14] En se fondant sur les observations des parties intéressées et sa propre expérience au cours des mises aux enchères précédentes, ISDE a décidé d’utiliser une réserve de spectre, et non un plafond de spectre. Par conséquent, une largeur de spectre de 50 MHz, ou environ 25 % du spectre disponible, était réservée. Le reste du spectre était « ouvert », c’est‑à‑dire que toutes les entreprises de télécommunications, y compris les entreprises nationales, pouvaient participer à leur mise aux enchères.

[15] L’autre point pertinent portait sur la définition des critères d’admissibilité aux enchères du spectre réservé. Après avoir examiné les observations des différentes parties intéressées, ISDE a défini comme suit les critères d’admissibilité au spectre réservé :

[L’admissibilité au spectre réservé est limitée] aux soumissionnaires inscrits auprès du CRTC en tant que fournisseurs dotés d’installations qui ne sont pas des fournisseurs nationaux de services mobiles et qui fournissaient activement des services de télécommunications commerciaux au grand public dans la zone de services concernée de niveau 2 à la date de la demande de participation des enchères de la bande de 3 500 MHz.

[16] Étant donné que les parties intéressées ont soulevé des questions sur certains aspects de cette définition, ISDE a fourni les précisions suivantes. Premièrement, tous les services régis par la Loi sur les télécommunications, et non seulement les services de téléphonie mobile, seraient admissibles. Deuxièmement, les précisions suivantes ont été fournies quant au sens du concept de « grand public » :

La définition de « grand public » a été soulevée comme un problème potentiel concernant les fournisseurs de services qui offrent leurs services aux industries, aux marchés verticaux, aux réseaux privés et à d’autres consommateurs « non traditionnels ». Aux fins de la présente décision, la définition de « grand public » peut comprendre les entreprises, les sociétés et les institutions, ainsi que les consommateurs résidentiels « traditionnels ». Par conséquent, les fournisseurs qui offrent activement des services de télécommunications commerciaux à l’un de ces consommateurs seront considérés comme admissibles à la portion de spectre réservé, à condition qu’ils répondent aux critères d’admissibilité supplémentaires.

[17] Il faut aussi garder à l’esprit que, même si les licences sont attribuées pour des zones de niveau 4, un enchérisseur est admissible au spectre réservé s’il offre des services dans la zone de niveau 2 qui comprend la zone de niveau 4 pour laquelle une licence est attribuée. Par exemple, un enchérisseur qui offre des services dans la zone de niveau 4 d’Edmonton serait admissible à une licence pour la zone de niveau 4 de Calgary, puisque les deux villes sont situées dans la même zone de niveau 2.

[18] Vidéotron a demandé à être admise à enchérir pour les licences de spectre réservé en Colombie‑Britannique, en Alberta et au Manitoba. (Par souci de concision, j’utilise « l’Ouest du Canada » pour désigner ces trois provinces.) Elle a affirmé qu’elle était admissible en raison des services fournis par sa filiale, Fibrenoire inc. [Fibrenoire]. Elle a fourni des documents montrant que, même si Fibrenoire n’offre pas de services aux consommateurs, elle offre divers types de services Internet et de fibre optique aux entreprises dans plusieurs villes de ces trois provinces. Sur la base des renseignements fournis, ISDE a accepté que Vidéotron soit admissible aux enchères de spectre réservé dans ces trois provinces.

[19] La mise aux enchères a eu lieu en juin et en juillet 2021. Les résultats ont été rendus publics le 29 juillet. Vidéotron a obtenu un grand nombre de licences pour des zones situées au Québec et en Ontario, principalement dans le cadre de la mise aux enchères de spectre réservé. Elles ne sont pas visées en l’espèce. De plus, elle a obtenu 69 licences en Colombie‑Britannique, 40 en Alberta et 21 au Manitoba. Toutes ces licences, sauf deux, portaient sur du spectre réservé. Les enchères ont généré des revenus de 8,91 milliards de dollars, dont environ 830 000 000 $ correspondent aux prix des licences adjugées à Vidéotron.

[20] Les participants et les observateurs de l’industrie ne s’attendaient pas à ce que Vidéotron soit en mesure d’acquérir du spectre réservé à l’extérieur du Québec et de l’Ontario. Par exemple, lors de la publication des résultats, Desjardins Marchés des capitaux a fait l’observation suivante : [TRADUCTION] « Avant de voir les résultats des enchères, nous n’étions pas convaincus que [Vidéotron] était admissible aux enchères de spectre réservé à l’extérieur de sa zone de couverture actuelle. »

[21] Le 3 août 2021, TELUS a écrit à ISDE pour exprimer son étonnement quant à l’admissibilité de Vidéotron au spectre réservé dans l’Ouest du Canada, car elle n’était au courant d’aucune activité de Vidéotron dans cette partie du pays. Elle a demandé qu’ISDE fournisse sa décision, son analyse et les preuves à l’appui concernant l’admissibilité de Vidéotron. Le 11 août 2021, ISDE a répondu que Vidéotron était devenue admissible grâce aux services fournis par sa société affiliée, Fibrenoire, un fournisseur enregistré sous le régime de la Loi sur les télécommunications. ISDE a affirmé qu’il avait la certitude que Fibrenoire fournissait des services dans les zones concernées, mais a refusé de transmettre à TELUS certaines parties de la demande de Vidéotron, car elle contenait des renseignements confidentiels, notamment le nom des clients.

[22] Le 26 août 2021, TELUS a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision d’ISDE d’admettre Vidéotron aux enchères de spectre réservé dans l’Ouest du Canada. Le 20 septembre 2021, TELUS a déposé la présente requête, alors décrite comme une requête en injonction interlocutoire, pour empêcher la délivrance des licences contestées.

[23] ISDE avait initialement l’intention de délivrer les licences le 4 octobre 2021 et a reporté la délivrance à la fin du mois d’octobre, pour des raisons qui ne sont pas liées au présent litige.

II. Analyse

[24] TELUS a d’abord demandé une injonction interlocutoire, mais décrit maintenant la réparation qu’elle sollicite comme s’apparentant davantage à une suspension d’instance visée par l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. La distinction est sans conséquence en l’espèce, car les injonctions interlocutoires et les suspensions d’instance sont régies par les mêmes principes. J’utilise donc les deux termes de façon interchangeable.

[25] L’objectif d’une suspension d’instance ou d’une injonction interlocutoire est de « “préserver” l’objet du litige de sorte qu’une réparation efficace sera possible lorsque l’affaire sera finalement jugée au fond » : Google Inc c Equustek Solutions Inc., 2017 CSC 34 au paragraphe 24, [2017] 1 RCS 824 [Google]. Pour décider s’il convient d’accorder une injonction interlocutoire ou une suspension, les tribunaux canadiens utilisent un critère à trois volets inspiré de l’arrêt American Cyanamid Co v Ethicon Ltd, [1975] AC 396, de la Chambre des lords. L’énoncé le plus connu de ce critère se trouve à la page 334 de l’arrêt RJR‑MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR], de la Cour suprême du Canada :

Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.

[26] Les deux premières étapes de l’analyse visent à évaluer le risque de préjudice pour le demandeur si l’injonction n’est pas accordée. À la troisième étape, ce risque est comparé au risque de préjudice que le défendeur subirait si l’injonction était accordée et s’il avait ensuite gain de cause sur le fond. La Cour peut aussi tenir compte du préjudice causé aux tierces parties et de l’intérêt public à cette étape : RJR, aux p 343‑347.

[27] Les trois volets du critère de l’arrêt RJR ne doivent pas être appliqués machinalement. Même s’il faut satisfaire aux trois volets, la force d’un volet peut compenser la faiblesse d’un autre : Mosaic Potash Esterhazy Limited Partnership v Potash Corporation of Saskatchewan Inc, 2011 SKCA 120 au paragraphe 26 [Mosaic Potash]; Monsanto c Canada (Santé), 2020 CF 1053 au paragraphe 50 [Monsanto]; Spencer c Canada (Procureur général), 2021 CF 361 au paragraphe 51; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 846 au paragraphe 17. En fin de compte, « [i]l s’agit essentiellement de savoir si l’octroi d’une injonction est juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire. La réponse à cette question dépendra nécessairement du contexte » : Google, au paragraphe 25.

[28] La souplesse du critère de l’arrêt RJR ne va toutefois pas jusqu’à permettre que l’injonction ou la suspension soit accordée lorsque l’un des volets du critère n’est pas respecté. Chacun des volets du critère remplit une fonction spécifique et doit être respecté : Janssen Inc c Abbvie Corporation, 2014 CAF 112 aux paragraphes 19 à 26. C’est principalement à la troisième étape de l’analyse que les facteurs concurrents peuvent être pondérés les uns par rapport aux autres.

A. La question sérieuse

[29] Passons au premier volet du cadre énoncé dans l’arrêt RJR, à savoir si la demande soulève une question sérieuse. J’explique d’abord ce que l’on entend par « question sérieuse », puis j’applique le critère aux faits de l’espèce.

1) Le critère

[30] Le premier volet du critère qui permet d’accorder une suspension ou une injonction interlocutoire consiste en un examen préliminaire du fond de l’affaire. Généralement, le demandeur n’a qu’à convaincre le juge que l’affaire soulève une question sérieuse. Le seuil à franchir est peu élevé. Il n’est pas nécessaire de démontrer que le demandeur aura probablement gain de cause. Dans l’arrêt RJR, aux pages 337 et 338, la Cour suprême a fait les remarques suivantes au sujet du premier volet du critère :

Quels sont les indicateurs d’une « question sérieuse à juger? » Il n’existe pas d’exigences particulières à remplir pour satisfaire à ce critère. Les exigences ne sont pas élevées. Le juge saisi de la requête doit faire un examen préliminaire du fond de l’affaire.

[…]

Une fois convaincu qu’une réclamation n’est ni futile ni vexatoire, le juge de la requête devra examiner les deuxièmes et troisièmes critères, même s’il est d’avis que le demandeur sera probablement débouté au procès. Il n’est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l’affaire.

[31] Il existe des raisons pratiques de ne pas faire un examen détaillé du fond de l’affaire sous‑jacente pour statuer sur une requête en injonction interlocutoire : Mosaic Potash, aux paragraphes 37 à 40. De plus, comme l’a dit la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt AC and JF v Alberta, 2021 ABCA 24 au paragraphe 30, [TRADUCTION] « [m]ême lorsque l’argumentation du demandeur est faible, il peut avoir droit à une injonction interlocutoire si les autres aspects du critère pèsent lourdement dans ce sens ».

[32] Néanmoins, ce volet du critère remplit une fonction importante et il ne faudrait pas le considérer comme une simple formalité ou un automatisme. Comme l’a dit mon collègue le juge William F. Pentney dans la décision Skibsted c Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 CF 301 au paragraphe 33 [Skibsted], « [c]e volet du critère vise à garantir qu’une activité par ailleurs légale n’est pas interrompue alors que l’action principale est totalement dépourvue de fondement, et donc vouée à l’échec ».

[33] Lorsque l’instance sous‑jacente est une demande de contrôle judiciaire, le volet du critère qui porte sur la question sérieuse doit être évalué en gardant à l’esprit que le demandeur devra démontrer, au fond, que la décision contestée est déraisonnable : Monsanto, au paragraphe 58. Par conséquent, en l’espèce, TELUS doit démontrer que le caractère raisonnable de la décision du ministre soulève une question sérieuse ou, pour le dire autrement, qu’il n’est pas frivole d’affirmer que la décision est déraisonnable. C’est au demandeur qu’incombe le fardeau de le démontrer : Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 100 [Vavilov].

[34] Dans certaines circonstances, la partie qui sollicite une suspension ou une injonction interlocutoire devra démontrer que les probabilités qu’elle obtienne gain de cause sur le fond sont élevées. Malgré les arguments de Vidéotron, ce n’est pas le cas en l’espèce. Plus particulièrement, nous ne sommes pas en présence d’une affaire qui, compte tenu des contraintes de temps, risque de ne pas être instruite au fond et où l’injonction interlocutoire « équivaudra en fait au règlement final de l’action » : RJR, à la p 338. Même si la requête de TELUS est rejetée, rien n’indique que la demande ne sera pas instruite au fond. Le simple fait que la mesure demandée à titre provisoire soit la même que celle qui est sollicitée au fond ne permet pas en soi d’exiger plus qu’une question sérieuse.

2) L’évaluation

[35] Au stade actuel de l’instance, la demande de contrôle judiciaire de TELUS ne soulève aucune question sérieuse. La manière dont TELUS a présenté les motifs au soutien de sa demande a quelque peu changé, mais ces motifs peuvent être résumés comme suit. Premièrement, TELUS affirme que pour être admissible à enchérir pour le spectre réservé, Vidéotron doit être dotée d’un réseau physique dans l’Ouest du Canada, ce qui n’est pas le cas. Deuxièmement, TELUS affirme que, à première vue, le formulaire d’évaluation de la demande de Vidéotron par ISDE montre qu’elle n’était pas admissible. Troisièmement, TELUS s’appuie sur diverses déclarations faites par Vidéotron, Fibrenoire ou des observateurs de l’industrie pour affirmer que Vidéotron n’exerce aucune activité dans l’Ouest du Canada.

[36] À mon avis, rien dans les observations de TELUS ne fait état d’un vice qui répond à la norme élevée permettant de démontrer qu’une décision est déraisonnable. Je m’empresse d’ajouter que j’en suis arrivé à cette conclusion sans porter de jugement sur une preuve contestée. Pour dire les choses simplement, d’après les éléments de preuve non contredits qui m’ont été présentés, les arguments de TELUS sont indéfendables.

[37] À ce stade‑ci, je tiens également à ajouter que les observations de TELUS ne soulèvent aucune question d’équité procédurale non assujettie à la norme de contrôle du caractère raisonnable. L’examen de l’admissibilité d’un enchérisseur au spectre réservé est un processus purement administratif. Il ne comporte pas d’audience, et les autres enchérisseurs éventuels ne sont pas des parties intéressées qui peuvent examiner les demandes de leurs concurrents et présenter des observations. Autrement dit, TELUS n’avait aucun droit de participation dans la décision d’ISDE concernant l’admissibilité de Vidéotron. De plus, à une demande d’éclaircissements, ISDE a répondu qu’il ne publierait aucun document exposant les motifs qui ont justifié l’admissibilité d’un enchérisseur au spectre réservé.

a) L’absence de réseau physique dans l’Ouest du Canada

[38] Le Cadre politique contredit carrément l’affirmation de TELUS selon laquelle Vidéotron doit être dotée d’un réseau physique dans l’Ouest du Canada pour être admissible au spectre réservé dans cette région. La définition que j’ai citée précédemment peut être déclinée en trois éléments :

1) « […] [les] entités enregistrées auprès du CRTC à titre de fournisseurs dotés d’installations […] »;

2) « […] qui ne sont pas des fournisseurs nationaux de services mobiles […] »;

3) « […] et qui fournissent activement des services de télécommunication commerciaux au grand public dans le secteur d’activité de niveau 2 pertinent […] ».

[39] TELUS reconnaît que Vidéotron et Fibrenoire remplissent la première et la deuxième conditions. Elle affirme toutefois que, pour respecter la troisième condition, un enchérisseur admissible au spectre réservé doit utiliser ses propres installations dans la zone de niveau 2 pertinente pour fournir des services de télécommunications.

[40] Il n’y a tout simplement aucune manière de concilier l’interprétation de TELUS avec le libellé du Cadre politique. Les trois conditions sont clairement disjonctives, comme en témoigne la structure du formulaire d’évaluation d’ISDE. S’il y avait un doute à cet égard, il serait dissipé par la réponse d’ISDE à une demande de précisions :

Si le demandeur n’est pas une entité affiliée d’un fournisseur national de service mobile ou qu’il n’est pas contrôlé par ce fournisseur, et qu’une ou des entités affiliées ou partenaires majoritaires de ce demandeur sont enregistrés auprès du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) à titre de fournisseurs dotés d’installations, le demandeur peut être qualifié comme soumissionnaire admissible au spectre réservé dans toutes les zones de licence où une entité affiliée ou un partenaire majoritaire offre activement des services commerciaux de télécommunications au grand public, dans la zone de service de niveau 2 pertinente, comme l’énonce la section 6.1 du Cadre politique. [Non souligné dans l’original.]

[41] TELUS soutient néanmoins que le but du spectre réservé était d’aider les petits fournisseurs à élargir leurs réseaux existants dans leurs propres zones de niveau 2, et non de permettre à des entreprises d’autres provinces, comme Vidéotron, d’entrer sur le marché. Là encore, cet argument ne s’accorde ni avec le libellé des conditions d’admissibilité aux enchères de spectre réservé ni avec les précisions fournies par ISDE. De plus, le Cadre politique ne fait pas de distinction entre les grandes et les petites entreprises régionales; il ne subordonne pas non plus l’admissibilité à l’emplacement du siège social d’une entreprise ou à d’autres facteurs semblables.

[42] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il ne suffit pas de proposer une autre interprétation des dispositions applicables lorsque l’interprétation adoptée par le décideur est raisonnable parce que manifestement compatible avec le texte et le contexte : McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 aux paragraphes 40 et 41, [2013] 3 RCS 895. TELUS n’a tout simplement pas invoqué d’argument défendable selon lequel la manière dont ISDE interprète ses propres critères est déraisonnable.

b) Le formulaire d’évaluation

[43] Selon le deuxième moyen de contestation qu’invoque TELUS, le formulaire d’évaluation d’ISDE, qu’il faut considérer comme les motifs de décision, révèle à première vue que Vidéotron n’était pas admissible. Plus précisément, TELUS soutient qu’ISDE n’a pas appliqué ses propres lignes directrices, telles qu’elles sont énoncées dans le Cadre politique, parce qu’elle n’a pas exigé de documents démontrant l’existence « du réseau de vente au détail/de distribution » de Fibrenoire. Elle soutient également que puisque les activités de Fibrenoire sont considérées comme étant celles d’un fournisseur de « services de gros », elle ne fournit pas de services directement au public.

[44] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, « les motifs écrits fournis par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection » : Vavilov, au paragraphe 91. Il faut « les interpréter de façon globale et contextuelle » : Vavilov, au paragraphe 97. Tenant compte de ces principes, j’estime que les irrégularités alléguées par TELUS ne soulèvent pas un argument sérieux qui pourrait rendre la décision déraisonnable.

[45] S’agissant de la première question, le formulaire d’évaluation montre qu’ISDE a effectué une vérification « du réseau de vente au détail/de distribution » de Fibrenoire par téléphone au lieu de s’appuyer simplement sur des documents. Je ne vois rien sur ce point qui puisse rendre la décision déraisonnable, d’autant plus que selon le formulaire d’évaluation, en ce qui concerne certains autres critères, ISDE effectue sa propre vérification, soit au moyen de sites Web ou de courriels ou par téléphone, au lieu de s’appuyer simplement sur les documents fournis par le demandeur.

[46] S’agissant de la deuxième question, le formulaire d’évaluation montre que, dans les zones de niveau 2 pertinentes de l’Ouest du Canada, Vidéotron [traduction] « fournit des services de contournement [over‑the‑top] aux entreprises par l’intermédiaire de sa filiale Fibrenoire ». Dans une autre partie du formulaire, cependant, on conclut que Vidéotron [traduction] « fournit des services Internet aux entreprises par l’intermédiaire de Fibrenoire en sa qualité de fournisseur de services de gros ». TELUS insiste sur l’emploi de l’expression « services de gros », qui indique, selon elle, que Fibrenoire fournit des services à d’autres entreprises de communications, et non directement à des clients commerciaux.

[47] En l’absence d’autres éléments, je ne puis conclure que l’emploi de cette seule expression fait naître une question sérieuse qui pourrait rendre la décision déraisonnable. Les motifs doivent être interprétés de façon globale. Dans le cas présent, ISDE a conclu que Fibrenoire offre des services aux entreprises et a déclaré Vidéotron admissible en conséquence. Nous ne savons tout simplement pas dans quel sens ISDE a utilisé l’expression « de gros ». Il se peut qu’il ait simplement voulu dire que Fibrenoire offrait des services de télécommunications en grande quantité. On ne saurait supposer qu’ISDE a utilisé cette expression d’une manière qui crée une contradiction avec d’autres parties de la décision. Un tel exercice sémantique ne crée pas une « lacune grave à un point tel » qu’elle rend la décision déraisonnable : Vavilov, au paragraphe 100.

[48] Pour tirer la conclusion qui précède, j’ai tenu compte du fait que TELUS n’a pas encore obtenu une copie non caviardée du dossier d’ISDE. Elle a l’intention de présenter une requête sur le fondement de la règle 318 pour obtenir des renseignements qui, selon Vidéotron, sont confidentiels. Je ne souhaite pas me prononcer sur le bien‑fondé de cette requête. Il se peut que, plus tard en cours d’instance, TELUS obtienne des renseignements qui révèlent des lacunes dans la décision. Je ne peux cependant pas accorder une suspension d’instance ou une injonction interlocutoire au motif que cela pourrait se produire. La question sérieuse doit être évaluée à partir de la preuve dont je dispose actuellement. À cet égard, la requête en suspension ou en injonction interlocutoire se distingue fondamentalement de la requête en radiation, pour laquelle aucune preuve n’est présentée et où les faits allégués sont tenus pour avérés à moins qu’ils ne soient manifestement absurdes ou impossibles à prouver.

[49] Dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 94, la Cour suprême du Canada dit qu’un tribunal de révision doit interpréter les motifs en fonction du « contexte de l’instance », ce qui comprend la preuve et les observations des parties. À l’audition de la présente requête, j’ai exprimé mon étonnement du fait que le dossier certifié du tribunal n’était pas encore déposé conformément à la règle 317. L’avocat du procureur général a expliqué que, même si les parties étaient déjà en possession de la plus grande partie du dossier du décideur, il attendait que la question de la confidentialité soit réglée pour le déposer. À ma demande, le lendemain de l’audience, il a déposé les parties du dossier qui ne font pas l’objet d’une revendication de confidentialité.

[50] Le dossier contient une annexe jointe à la demande de Vidéotron, qui fournit une preuve précise sur la façon dont Vidéotron répond aux critères d’admissibilité, ainsi qu’une lettre que Vidéotron a écrite en réponse à la demande de précisions d’ISDE sur certaines questions. Je n’ai pas l’intention d’analyser ces documents en profondeur. Je me contenterai de dire qu’ils contiennent un exposé complet et précis des services offerts par Fibrenoire dans l’Ouest du Canada (y compris l’installation d’équipements appartenant à Fibrenoire chez ses clients) ainsi qu’une explication de la façon dont les représentants du service à la clientèle de Fibrenoire desservent ses clients. Ces documents montrent à tout le moins que les conclusions consignées dans le formulaire d’évaluation d’ISDE étaient fondées sur des observations étoffées présentées par Vidéotron. De plus, l’affirmation de TELUS selon laquelle l’expression « de gros » signifierait que Fibrenoire n’offre des services qu’à d’autres entreprises de télécommunications est difficile à concilier avec ces documents. Je dirai simplement que je suis perplexe devant le fait que ni TELUS ni Vidéotron n’ont jugé bon d’inclure ces documents, qui étaient en leur possession, dans leurs dossiers de requête.

c) La preuve extrinsèque

[51] En plus de la preuve au dossier, TELUS s’appuie sur une preuve extrinsèque pour inférer que Vidéotron, par l’intermédiaire de Fibrenoire, n’avait pas d’activités admissibles dans l’Ouest du Canada. Or, le contrôle judiciaire repose sur le dossier dont dispose le décideur et la preuve extrinsèque est rarement admise : Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au paragraphe 86. Quoi qu’il en soit, la preuve de TELUS est trop vague pour justifier une inférence concernant les activités de Fibrenoire. Elle est tout aussi compatible avec l’inférence selon laquelle ces activités avaient une portée limitée et n’ont pas attiré l’attention d’autres participants ou observateurs de l’industrie.

[52] Par conséquent, la déclaration de M. Péladeau selon laquelle l’obtention de licences par Vidéotron était un premier pas vers une expansion hors Québec n’est pas incompatible avec le fait que Fibrenoire offrait déjà certains services spécialisés dans l’Ouest du Canada. Monsieur Péladeau faisait manifestement référence à l’expansion de Vidéotron sur le marché de la téléphonie mobile. Vidéotron n’a jamais affirmé que Fibrenoire offrait des services de téléphonie mobile. De même, les énoncés trouvés sur le site Internet de Fibrenoire ou dans un communiqué de presse de 2016, selon lesquels elle exploitait un réseau de fibre optique à Montréal, Toronto, Ottawa et Québec ne sont pas incompatibles avec le fait qu’elle offre également certains services dans les villes de l’Ouest du Canada.

[53] Le fait pour TELUS ou les observateurs de l’industrie de ne pas avoir été au courant des activités spécialisées de Fibrenoire ne permet pas de conclure que celles-ci n’existaient pas. La véritable question qui se pose est celle de savoir si le ministre pouvait déclarer Vidéotron admissible à partir du dossier dont il disposait. Le fait que Vidéotron n’ait pas demandé à être admissible au spectre réservé dans l’Ouest du Canada en 2019 lors d’une mise aux enchères semblable ne permet pas non plus de conclure qu’elle n’était pas admissible en 2021.

[54] En résumé, je conclus que, d’après la preuve au dossier, la demande de TELUS ne soulève pas de question sérieuse.

B. Le préjudice irréparable

[55] Bien que la conclusion qui précède suffise à trancher l’affaire, j’examine également la question du préjudice irréparable, vu les observations détaillées présentées par les deux parties sur le sujet. Là encore, je décris d’abord le critère et l’applique ensuite aux faits de l’affaire.

1) Le critère

[56] La prévention d’un préjudice irréparable est la raison d’être des suspensions et des injonctions interlocutoires. C’est pourquoi le demandeur doit démontrer qu’il est susceptible de subir un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée. Dans l’arrêt RJR, à la page 341, la Cour suprême du Canada a expliqué la raison d’être et le contenu du critère en ces termes :

À la présente étape, la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l’intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l’issue de la demande interlocutoire.

Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. C’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre. Des exemples du premier type sont le cas où la décision du tribunal aura pour effet de faire perdre à une partie son entreprise […]; le cas où une partie peut subir une perte commerciale permanente ou un préjudice irrémédiable à sa réputation commerciale […]; ou encore le cas où une partie peut subir une perte permanente de ressources naturelles lorsqu’une activité contestée n’est pas interdite […].

[57] Dans plusieurs arrêts, la Cour d’appel fédérale a souligné que la démonstration convaincante d’un préjudice irréparable est requise avant qu’une suspension ou qu’une injonction interlocutoire ne soit accordée. Par exemple, dans l’arrêt Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 [Glooscap], elle fait observer ce qui suit au paragraphe 31 :

Pour établir l’existence du préjudice irréparable, il faut produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé. Les hypothèses, les conjectures et les affirmations discutables non étayées par les preuves n’ont aucune valeur probante.

[58] De même, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Oshkosh Defense Canada Inc, 2018 CAF 102, elle dit au paragraphe 25 que « pour prouver qu’il y a préjudice irréparable, la partie requérante doit établir de manière détaillée et concrète qu’elle subira un préjudice réel, certain et inévitable — et non pas hypothétique et conjectural — qui ne pourra être redressé plus tard » ou, au paragraphe 30, que la partie qui présente la requête a le fardeau « de produire des éléments de preuve précis et détaillés établissant la probabilité d’un préjudice irréparable ».

[59] À l’évidence, il doit y avoir un lien de causalité entre la conduite prétendument illégale et le préjudice, même si cette exigence n’est pas toujours explicitement énoncée. Comme l’a expliqué la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Vancouver Aquarium Marine Science Centre v Charbonneau, 2017 BCCA 395 au paragraphe 66 [Vancouver Aquarium], [traduction] « la preuve doit permettre de conclure que le préjudice résulte de ce que l’on cherche à interdire au moyen de l’injonction ». Dans cette affaire, qui portait sur la violation du droit d’auteur, la cour a conclu que l’atteinte qui aurait été portée à la réputation découlait essentiellement de certaines parties d’une publication différentes de celles qui violaient prétendument le droit d’auteur du demandeur. Par conséquent, l’injonction interlocutoire a été refusée.

2) Analyse

[60] TELUS soutient que l’attribution des licences à Vidéotron entraînera un préjudice irréparable. Son argument peut être subdivisé en plusieurs éléments distincts. TELUS affirme d’abord que les licences permettront à Vidéotron de commencer à offrir des services mobiles dans l’Ouest du Canada avant qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire. Le cas échéant, Vidéotron bénéficiera d’un avantage concurrentiel indu en raison de l’escompte qu’elle a obtenu en enchérissant sur le spectre réservé. Son entrée sur le marché entraînera donc un changement dans l’état de la concurrence qui, selon TELUS, sera irréversible même si la demande de contrôle judiciaire est accueillie. TELUS ajoute que le préjudice qu’elle subira ne peut être adéquatement indemnisé au moyen de dommages‑intérêts. TELUS souligne également les diverses formes de préjudice que subiront les consommateurs ou ce qu’elle considère comme étant l’intérêt public.

[61] À mon avis, TELUS n’a pas établi l’existence d’un préjudice irréparable. Comme je l’explique plus loin, la raison la plus fondamentale qui m’amène à cette conclusion est que le préjudice invoqué ne découle pas du fait que Vidéotron a été jugée admissible à enchérir pour le spectre réservé, mais plutôt de la structure de la mise aux enchères, qui réserve une partie du spectre aux entreprises régionales. En raison de cette structure, le préjudice invoqué se produira dans tous les cas et il n’existe aucun lien de causalité entre ce préjudice et la question de l’admissibilité de Vidéotron. J’explique également pourquoi TELUS n’a pas établi les autres éléments de son argument au sujet du préjudice irréparable.

a) L’absence de lien de causalité

[62] Il importe de souligner d’emblée que TELUS ne prétend pas qu’elle aurait pu obtenir les licences contestées. Le préjudice serait plutôt l’effet que l’entrée de Vidéotron sur le marché aurait sur l’état de la concurrence. À cet égard, TELUS insiste fortement sur le fait que Vidéotron aurait bénéficié d’un escompte indu de 1,1 milliard de dollars en participant aux enchères de licences de spectre réservé, alors qu’elle n’aurait pas dû être autorisée à le faire. L’avantage indu dont jouirait Vidéotron lui permettrait d’offrir des services à bas prix, ce qui forcerait TELUS et d’autres à faire de même.

[63] Toutefois, cet « avantage », quelle que soit la façon dont on le qualifie, découle fondamentalement de la décision d’ISDE de réserver certains blocs de spectre aux entreprises régionales. L’objectif explicite était de permettre aux entreprises régionales d’acquérir une quantité de spectre à prix réduit, afin d’accroître la concurrence du marché des services mobiles. Donner un « avantage » aux entreprises régionales était considéré comme nécessaire pour assurer à celles-ci des chances égales. Le fait que les entreprises nationales sont en désaccord avec le spectre réservé et s’y sont opposées au cours du processus de consultation d’ISDE ne leur permet pas de prétendre que les conséquences voulues de cette mise en réserve constituent une forme de préjudice irréparable qu’elles pourraient éviter en s’adressant aux tribunaux.

[64] Or, c’est exactement ce que fait TELUS. Le préjudice qu’elle allègue découle de la décision de réserver du spectre aux entreprises régionales, et non du fait que Vidéotron a obtenu des licences. Autrement dit, le préjudice se serait également produit si Vidéotron n’avait pas été admissible aux enchères de spectre réservé dans l’Ouest du Canada. Vraisemblablement, d’autres entreprises régionales auraient obtenu les licences contestées et auraient bénéficié d’un avantage concurrentiel semblable. En contre‑interrogatoire, M. Edora et M. Dippon, les témoins de TELUS, ont reconnu que ces entreprises régionales auraient bénéficié du même escompte « indu » que Vidéotron et auraient été en mesure de provoquer le même type de transformation ou de perturbation du marché.

[65] En d’autres termes, il n’y a aucun lien de causalité entre le préjudice qu’invoque TELUS et l’attribution des licences à Vidéotron. Aucune suspension ou injonction ne devrait être accordée pour prévenir un préjudice qui se serait produit de toute façon.

[66] Lors de sa plaidoirie, TELUS a fait valoir que l’existence du lien de causalité en l’espèce ne saurait être établie en se demandant ce qui se serait passé dans un monde hypothétique en l’absence de la conduite illégale sur laquelle sa demande est fondée : il suffit plutôt de montrer que le préjudice se produira si la suspension est refusée. Je ne suis pas de cet avis. L’univers contrefactuel est un outil reconnu pour évaluer le lien de causalité : voir, par exemple, Snell c Farrell, [1990] 2 RCS 311 à la p 320; Monsanto Canada Inc. c Schmeiser, 2004 CSC 34 aux paragraphes 101 à 104, [2004] 1 RCS 902; Clements c Clements, 2012 CSC 32 au paragraphe 8, [2012] 2 RCS 181.

[67] En contre‑interrogatoire, les témoins de TELUS ont également affirmé que Vidéotron dispose de ressources financières, d’une expérience et d’une expertise plus vastes que celles des petits fournisseurs. C’est peut‑être vrai, mais cela n’enlève rien au fait fondamental selon lequel le préjudice invoqué par TELUS est le résultat recherché par le Cadre politique. L’obtention plus ou moins rapide ou efficace de ce résultat selon l’identité de l’enchérisseur retenu ne change rien au fait que TELUS ne peut invoquer ce résultat pour demander une suspension ou une injonction.

[68] Vidéotron a également fait valoir que l’argument de TELUS concernant le préjudice irréparable constitue une attaque indirecte du Cadre politique d’ISDE quant à la structure des enchères. TELUS n’a pas demandé le contrôle judiciaire du Cadre politique : il lui est donc interdit de le contester indirectement dans la présente instance. Comme je préfère analyser la question du point de vue de la causalité, il n’est pas nécessaire que j’examine l’argument de Vidéotron fondé sur le concept d’attaque indirecte.

b) La distorsion irréversible du marché

[69] Même si le préjudice qu’invoque TELUS était causé par l’attribution des licences contestées à Vidéotron, TELUS n’a pas établi que ce préjudice sera irréparable dans l’éventualité où la Cour accueillerait la demande de contrôle judiciaire et où Vidéotron devrait renoncer à ses licences. À cet égard, TELUS s’appuie sur le rapport d’expert de Christian Dippon, économiste, pour faire valoir que l’état du marché, y compris la distorsion causée par l’entrée de Vidéotron, est « historiquement dépendant » (path dependent) et ne peut être inversé. Selon M. Dippon, les services que Vidéotron offrira à faible coût modifieront de façon permanente les attentes des consommateurs. En d’autres termes, comme M. Dippon l’a affirmé en contre‑interrogatoire, la courbe de la demande sera transformée de façon irrévocable. Par conséquent, même si les licences de Vidéotron étaient annulées à la suite d’un jugement accueillant la présente demande de contrôle judiciaire, la concurrence ne pourrait retrouver son état actuel et TELUS subira une baisse permanente de ses revenus.

[70] Je ne souscris pas à la théorie de M. Dippon, parce qu’elle est largement fondée sur des hypothèses et que les exemples qu’il donne n’appuient pas adéquatement son raisonnement.

[71] Monsieur Dippon n’explique pas de façon convaincante comment le concept de dépendance historique s’applique au marché canadien des services de téléphonie mobile. Il ne s’appuie pas sur des résultats de recherche évalués par les pairs pour établir ce lien. Bien qu’il fasse référence à un article sur la dépendance historique écrit par l’économiste et lauréat du prix Nobel Kenneth Arrow, l’auteur de l’article fait valoir que la dépendance historique s’explique par l’immobilité relative des dépenses d’investissement, et non par les changements dans le comportement ou les attentes des consommateurs.

[72] Monsieur Dippon utilise l’exemple de Napster pour illustrer son argument. L’exploitation de ce service de partage de musique pendant environ deux ans avant qu’une ordonnance judiciaire y mette fin aurait provoqué un déclin irréversible du marché des disques compacts. Or, M. Dippon ne se fonde pas sur des recherches évaluées par les pairs pour étayer son exemple, mais plutôt sur deux articles de journaux qui ne font pas référence au concept de dépendance historique. De plus, l’impression générale que donne la lecture de ces articles est que ce sont les progrès technologiques, et non l’arrivée de Napster, qui ont rendu le déclin du disque compact inévitable.

[73] Monsieur Dippon ne fournit qu’un seul exemple concret applicable au marché canadien de services de téléphonie mobile, à savoir les forfaits de transfert de données, qui permettent aux clients de transférer leurs données inutilisées dans les données utilisables les mois suivants. À l’heure actuelle, les fournisseurs de services mobiles dans l’Ouest du Canada n’offrent pas ce type de forfait. Vidéotron, par contre, le fait au Québec. Par conséquent, si elle devait offrir ce service dans l’Ouest du Canada, TELUS et les autres entreprises de télécommunications devraient faire de même, et les consommateurs de cette région prendraient l’habitude de cette option. Monsieur Dippon soutient ensuite que si la demande de contrôle judiciaire était accueillie et que Vidéotron devait se retirer du marché, les consommateurs exigeraient tout de même les forfaits de transfert de données et l’état de la concurrence tel qu’il existait avant l’entrée de Vidéotron ne pourrait jamais être rétabli.

[74] Je comprends le modèle économique qui sous‑tend cet exemple, mais rien ne prouve que les choses se dérouleront de cette façon. Les liens dans la chaîne de causalité sont tout simplement trop nombreux pour que ce genre de raisonnement abstrait puisse établir l’existence d’un préjudice irréparable. De façon concrète, je ne vois pas pourquoi les exploitants actuels n’attendraient pas de connaître le sort du contrôle judiciaire avant d’offrir des forfaits de transfert de données ni pourquoi ils ne pourraient pas cesser de les offrir s’ils avaient imité la démarche hypothétique de Vidéotron. Les affirmations de M. Dippon sont largement hypothétiques.

[75] Plus fondamentalement, l’argument de M. Dippon repose sur l’hypothèse selon laquelle le marché est actuellement concurrentiel. C’est d’ailleurs l’opinion qu’il a exprimée dans les rapports d’experts qu’il a rédigés pour le compte de TELUS dans le cadre de la consultation menée par ISDE sur la mise aux enchères du spectre de 3 500 MHz et de la consultation menée par le CRTC sur la politique relative aux ERMV. Il s’inscrit en faux contre l’idée que le spectre réservé et la politique relative aux ERMV sont nécessaires pour accroître la concurrence sur le marché canadien des services de téléphonie mobile. Cependant, ISDE et le CRTC ont tous deux conclu le contraire et ont mis en œuvre de telles mesures, qui visent à provoquer le type de transformation de l’état du marché que M. Dippon qualifie de distorsion. Il est difficile de retenir l’opinion d’un expert fondée sur des prémisses qui ont été rejetées au moment de l’élaboration de la politique qui sous‑tend la présente affaire.

[76] TELUS invoque deux ordonnances non publiées rendues par les juges Richard Boivin et Yves de Montigny de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Bragg Communications Incorporated v British Columbia Broadband Association (dossier 19‑A‑58). Ces ordonnances suspendaient une décision du CRTC au motif qu’elle [traduction] « pourrait entraîner une distorsion permanente du marché ». Bien que TELUS m’ait fourni l’avis de requête sur lequel reposait l’une de ces ordonnances, je dispose de peu de renseignements sur la nature de la distorsion du marché invoquée et sur la preuve présentée à la Cour à ce sujet. Les brefs motifs fournis ne me permettent pas d’établir une comparaison significative avec les faits de la présente espèce. En définitive, chaque espèce doit être jugée selon les circonstances qui lui sont propres.

[77] En somme, TELUS n’a pas démontré que les effets de l’entrée de Vidéotron sur le marché des services de téléphonie mobile dans l’Ouest du Canada seront irréversibles.

c) Le caractère adéquat de l’indemnisation au moyen de dommages‑intérêts

[78] L’évaluation du caractère irréparable du préjudice qu’invoque le demandeur consiste habituellement à se demander si le préjudice peut être adéquatement indemnisé au moyen de dommages‑intérêts.

[79] La question doit être tranchée en fonction des faits de chaque espèce et de la nature précise de la demande. Néanmoins, la tendance générale des Cours fédérales est de considérer que les dommages‑intérêts peuvent indemniser adéquatement la perte de ventes ou de parts de marché. Parmi les exemples liés à l’industrie pharmaceutique, citons l’arrêt Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd. c Cutter Ltd., [1980] ACF no 203 (CAF); et la décision The Regents of University of California c I‑Med Pharma Inc, 2016 CF 606, conf par sub nom Tearlab Corporation c I‑Med Pharma Inc, 2017 CAF 8. La même idée a été appliquée au contexte des télécommunications dans la décision Telus Integrated Communications c Canada (Procureur général), 2000 CanLII 16221 au paragraphe 31.

[80] À cet égard, TELUS s’appuie sur le témoignage de M. Dippon, qui affirme qu’il est impossible de quantifier les dommages subis par TELUS puisqu’il [traduction] « n’existe aucune donnée permettant de prévoir les répercussions à long terme qu’aurait l’utilisation du spectre de la bande de 3 500 MHz par Vidéotron sur TELUS et sur l’ensemble du marché ». Monsieur Dippon semble dire qu’à l’heure actuelle, il n’est pas possible de prévoir de façon précise les dommages que subira TELUS, car les effets de l’entrée de Vidéotron sur le marché sont encore inconnus. Toutefois, là n’est pas la question. Il faut plutôt se demander si les dommages causés par cette entrée, une fois qu’elle se produira, peuvent être quantifiés. Monsieur Dippon ne se prononce pas sur cette question précise.

[81] Par conséquent, je ne suis pas convaincu de l’impossibilité d’évaluer les dommages‑intérêts sollicités par TELUS, si cela devait s’avérer nécessaire. Un tel exercice d’évaluation implique toujours une comparaison avec le monde hypothétique dans lequel la conduite illégale n’a pas eu lieu. La nature même de l’exercice comporte un certain degré d’approximation. Il n’en demeure pas moins qu’il est couramment utilisé dans les affaires de propriété intellectuelle. Aucun obstacle insurmontable n’empêche le recours à cette méthode en l’espèce.

[82] Je suis conscient que la théorie de M. Dippon est fondée non seulement sur les dommages‑intérêts pour perte de ventes, mais aussi sur les dommages‑intérêts pour la réduction du prix des ventes que TELUS conserverait. Les parties n’ont présenté aucune observation sur la question de savoir si un tel préjudice est indemnisable dans le cas où les niveaux de prix actuels ne résultent pas d’un monopole protégé par la loi, comme un brevet. Aux fins de mon analyse, je tiens pour acquis sans me prononcer sur ce point que des dommages‑intérêts peuvent être accordés dans les circonstances. Néanmoins, rien dans le témoignage de M. Dippon n’explique pourquoi la réduction des prix à la suite de l’entrée de Vidéotron sur le marché ne pourrait être mesurée.

[83] TELUS soutient également qu’elle ne peut réclamer des dommages‑intérêts à l’État pour des actes accomplis en vertu de pouvoirs conférés par la loi. Il est difficile d’évaluer cet argument en l’absence d’une action en dommages‑intérêts intentée par TELUS. Je tiens néanmoins à faire remarquer que la Cour suprême du Canada a examiné une question de compétence soulevée dans le contexte d’une demande semblable dans l’arrêt Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62, [2010] 3 RCS 585 [TeleZone]. Dans cette affaire, la Cour ne s’est pas prononcée sur le fond de la demande, mais elle a laissé entendre que TeleZone, qui a été écartée de ce qui semble avoir été l’une des premières formes de mise aux enchères de spectre, pourrait présenter une demande fondée sur l’inexécution contractuelle. À ce propos, le juge de première instance avait observé : [TRADUCTION] « Une décision dite légale, au sens que la Couronne avait le droit de la prendre, peut néanmoins constituer une rupture de contrat » : TeleZone Inc v Canada (Attorney General) (2007), 88 RJO (3e) 173 (CSJ), au paragraphe 83.

[84] Rien dans l’arrêt Paradis Honey Ltd c Canada, 2015 CAF 89, [2016] 1 RCF 446, n’étaye la thèse de TELUS selon laquelle elle ne sera pas en mesure réclamer des dommages‑intérêts. Il convient de souligner que dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a rejeté la requête en radiation de la déclaration dans laquelle des dommages‑intérêts étaient réclamés contre l’État. Les extraits cités par TELUS proviennent d’une analyse portant sur une nouvelle approche fondée sur l’application de principes de droit public en matière de dommages‑intérêts, que la Cour suprême du Canada a récemment désapprouvée : Nelson (Ville) c Marchi, 2021 CSC 41 aux paragraphes 40 et 41 [Marchi]. Ils n’enlèvent rien à la capacité de TELUS d’intenter une action pour inexécution de contrat, comme dans l’affaire TeleZone. Si TELUS voulait intenter une action en responsabilité délictuelle, il est loin d’être certain que l’État pourrait invoquer une « immunité fondée sur des considérations de politique », comme elle l’a fait dans R c Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45; voir également Marchi, aux paragraphes 50 à 59.

d) La date d’entrée de Vidéotron sur le marché

[85] Lors de l’audience, les parties ont accordé beaucoup d’attention à la question de savoir comment et quand Vidéotron pourrait entrer sur le marché si l’injonction n’est pas accordée. Cela s’explique par le fait que Vidéotron a soutenu qu’elle ne pourrait pas, de façon réaliste, entrer sur le marché et offrir des services de téléphonie mobile aux consommateurs de l’Ouest du Canada avant plusieurs mois. Par conséquent, le préjudice irréparable que subirait TELUS ne se produirait pas avant cette entrée, et l’instruction de la demande de contrôle judiciaire pourrait être accélérée de manière à ce que la décision puisse être rendue plus tôt : voir, par analogie, Skibsted, au paragraphe 60.

[86] Vu mes conclusions antérieures sur le préjudice irréparable, je n’ai pas besoin de m’étendre sur la question. Néanmoins, je ne suis pas convaincu que Vidéotron ne sera pas en mesure d’utiliser ses licences et de faire son entrée sur le marché avant qu’il ne soit statué sur la demande.

[87] Il semble assez clair que Vidéotron ne peut pas construire son propre réseau dans l’Ouest du Canada en quelques mois. Elle doit accéder au réseau de l’une des entreprises nationales. Elle peut le faire de deux façons. Premièrement, Vidéotron peut conclure une entente d’ERMV, soit en vertu d’une politique du CRTC qui exige que les entreprises nationales concluent de telles ententes, soit sur une base volontaire. Deuxièmement, Vidéotron pourrait conclure une entente de partage de réseau, en vertu de laquelle une entreprise nationale lui donnerait accès à son réseau en échange d’un accès à ses nouvelles licences. Dans les deux cas, il est impossible de savoir avec certitude combien de temps sera nécessaire pour négocier une entente et, dans le cas d’un ERMV qui relève de la politique du CRTC, combien de temps il faudra consacrer aux diverses étapes du processus réglementaire.

[88] Par conséquent, rien ne garantit que Vidéotron ne déploiera pas ses services avant qu’il ne soit statué sur la demande de contrôle judiciaire, surtout si le processus dure plusieurs mois, voire une année. Néanmoins, la question n’est pas déterminante, car j’ai conclu que TELUS ne subira aucun préjudice irréparable si l’injonction est refusée.

[89] Vidéotron propose toutefois que l’instruction de la demande soit accélérée. En réponse à une question que j’ai posée à l’audience, elle a également pris l’engagement de ne pas recruter de clients au moyen d’une entente d’ERMV imposée par le CRTC avant le 31 janvier 2022. On ne sait pas exactement si cet engagement couvre également une entente volontaire d’ERMV ou une entente de partage de réseau. Il est également peu probable que l’instruction accélérée de la demande permette à la Cour de rendre une décision avant la date mentionnée ci‑dessus. Par conséquent, l’engagement de Vidéotron ne change rien à mon évaluation.

e) Le préjudice causé aux consommateurs et à l’intérêt public

[90] Selon TELUS, les consommateurs ou l’intérêt public en général subiraient différentes formes de préjudice. Elle allègue, par exemple, que les consommateurs devraient payer des coûts irrécupérables pour changer de fournisseur si Vidéotron entrait sur le marché pour en sortir quelques mois plus tard. Elle allègue également que la concurrence de Vidéotron réduira sa marge de profit, de sorte qu’elle aura moins de capitaux à investir dans le déploiement de son réseau 5G, ce qui n’est pas dans l’intérêt public. Toutefois, dans l’arrêt Droits des voyageurs c Canada (Office des transports), 2020 CAF 92, la Cour d’appel fédérale a dit au paragraphe 30 qu’à l’examen du deuxième volet du critère énoncé dans l’arrêt RJR, « seul le préjudice subi par la partie demandant l’injonction peut être pris en compte »; voir également Glooscap, au paragraphe 33. Il ne peut être correctement pris en compte qu’aux fins du troisième volet, celui de la prépondérance des inconvénients.

3) Conclusion quant au préjudice irréparable

[91] En résumé, le préjudice qu’invoque TELUS découlerait essentiellement de la décision d’ISDE de réserver une partie du spectre aux entreprises régionales. Le préjudice se produirait même si d’autres entreprises avaient obtenu les licences contestées à la place de Vidéotron. Par conséquent, il n’existe aucun lien de causalité entre la conduite incriminée et le préjudice. En réalité, ce que TELUS décrit comme une distorsion du marché est l’effet voulu de la politique adoptée par ISDE. De plus, la preuve de TELUS ne me convainc pas de l’irréversibilité du préjudice ou de l’impossibilité de l’indemniser au moyen de dommages‑intérêts. TELUS n’a donc pas prouvé l’existence d’un préjudice irréparable.

C. La prépondérance des inconvénients

[92] Comme les premier et deuxième volets du critère de l’arrêt RJR ne sont pas respectés, il n’est pas absolument nécessaire d’examiner la prépondérance des inconvénients. Néanmoins, je ferai de brèves remarques sur ce point.

[93] Normalement, l’évaluation de la prépondérance des inconvénients commence par une comparaison du préjudice que subirait le demandeur si l’injonction était refusée et s’il avait ensuite gain de cause sur le fond, et de celui que subirait le défendeur dans le cas contraire. En l’espèce, le préjudice a théoriquement une seule origine : la clientèle que Vidéotron soustraira à TELUS. Dans le cas de TELUS, il s’agit d’une perte réelle. Dans le cas de Vidéotron, la perte correspond au fait d’être privée de la possibilité d’attirer cette clientèle si les licences sont suspendues. Comme je l’ai mentionné plus tôt, il est possible de quantifier la perte de TELUS, et il en serait de même pour celle de Vidéotron. Cependant, TELUS prétend également que l’entrée de Vidéotron sur le marché entraînerait une diminution des bénéfices réalisés sur les ventes qu’elle conserverait. Il n’y a pas de perte correspondante pour Vidéotron dans le scénario contraire. Par conséquent, à supposer que les pertes de TELUS soient indemnisables, il se pourrait que TELUS ait plus à perdre que Vidéotron.

[94] Toutefois, deux facteurs militent fortement contre l’injonction, à savoir la force de l’argumentation de TELUS et l’intérêt public. J’examine ces facteurs successivement.

1) La force de l’argumentation de TELUS

[95] Lorsque le juge peut facilement évaluer la force de l’argumentation du demandeur, il peut en tenir compte dans la prépondérance des inconvénients : Monsanto, aux paragraphes 50 et 115; Vancouver Aquarium, au paragraphe 94; Unilin Beheer BV c Triforest Inc, 2017 CF 76 au paragraphe 108. Comme l’a écrit Robert J. Sharpe dans son ouvrage qui fait autorité, Injunctions and Specific Performance (Toronto, Thomson Reuters, éditions à feuilles mobiles), au paragraphe 2.160 :

[traduction]

Il semble indéniable que l’on peut tenir compte de la probabilité que le demandeur ait gain de cause afin d’apprécier les risques relatifs de préjudice. La probabilité que le demandeur ait gain de cause ou qu’il soit débouté est liée à l’importance d’un risque de préjudice juridique qui milite en faveur d’une réparation accordée au demandeur ainsi qu’à l’importance du risque qu’une injonction empêche le défendeur de continuer à exercer ses activités légitimes. Assurément, toutes choses étant égales par ailleurs, le demandeur dont les chances d’avoir gain de cause s’élèvent à 75 % risque davantage de se voir accorder l’injonction interlocutoire qu’un demandeur qui n’a que 25 % de chances d’avoir gain de cause.

[96] Si tout cela pouvait se mesurer avec une précision mathématique, la prépondérance des inconvénients pourrait être exprimée au moyen de l’équation suivante. Une injonction interlocutoire sera accordée dans le cas suivant :

Pdem cPdéf (1 – c)

Pdem est le préjudice que subirait le demandeur si l’injonction était refusée et s’il avait ensuite gain de cause au fond, Pdéf est le préjudice que subirait le défendeur si l’injonction était accordée et s’il avait ensuite gain de cause au fond, et c représente les chances pour le demandeur d’avoir gain de cause sur le fond.

[97] J’ai déjà expliqué pourquoi j’estime que la demande de TELUS ne soulève aucune question sérieuse. Même si j’ai tort, la cause de TELUS serait néanmoins assez faible. Par conséquent, si l’on tient compte de la force de son argumentation, le préjudice potentiellement plus important de TELUS serait sensiblement réduit et pèserait donc moins lourd que la perte potentielle que subirait Vidéotron. Dans l’équation ci‑dessus, la faible probabilité que TELUS ait gain de cause diminue la valeur du côté gauche de l’équation et augmente la valeur du côté droit. Autrement dit, la faiblesse de l’argumentation de TELUS fait amplement contrepoids au préjudice supérieur auquel TELUS pourrait être exposée.

2) L’intérêt public

[98] Dans l’appréciation de la prépondérance des inconvénients, les tribunaux peuvent tenir compte de l’intérêt public : RJR, à la p 344. Bien que les deux parties puissent invoquer l’intérêt public, les autorités publiques seront généralement présumées agir dans l’intérêt public : RJR, à la p 346. Dans l’arrêt RJR, ce facteur a été décisif. Même si la Cour suprême a estimé que les fabricants de cigarettes avaient soulevé une question sérieuse concernant la validité constitutionnelle des règlements sur l’emballage des cigarettes et qu’ils avaient montré qu’ils subiraient un préjudice irréparable, elle a refusé l’injonction qu’ils demandaient parce que l’intérêt public à réduire l’incidence du tabagisme était un facteur primordial : RJR, aux p 352‑354.

[99] Lorsque le législateur a adopté l’article 7 de la Loi sur les télécommunications (auquel renvoie le paragraphe 5(1.1) de la Loi sur la radiocommunication), il a décidé que l’intérêt public en matière de télécommunications englobait les objectifs suivants :

b) permettre l’accès aux Canadiens dans toutes les régions — rurales ou urbaines — du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité;

(b) to render reliable and affordable telecommunications services of high quality accessible to Canadians in both urban and rural areas in all regions of Canada;

c) accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;

(c) to enhance the efficiency and competitiveness, at the national and international levels, of Canadian telecommunications;

[100] La réalisation de ces objectifs peut exiger une forme d’arbitrage entre les visions concurrentes des moyens nécessaires pour les atteindre. Il appartient au législateur, ou aux personnes à qui il délègue ses pouvoirs, de décider ce qui est dans l’intérêt public et comment cet intérêt doit être servi. En l’espèce, la mission a été confiée au ministre ou au CRTC, selon l’aspect de la réglementation des télécommunications en cause.

[101] Le CRTC et le ministre ont tous deux conclu que le marché des services de téléphonie mobile n’est pas concurrentiel, que les entreprises nationales exercent un pouvoir de marché et qu’il est souhaitable de mettre en œuvre des mesures visant à accroître la concurrence. Je dois tenir pour acquis que la mise en œuvre des mesures en question est dans l’intérêt public.

[102] Plus précisément, il est dans l’intérêt public de faciliter l’entrée de nouveaux fournisseurs sur le marché des services de téléphonie mobile de l’Ouest du Canada. Par conséquent, accorder la suspension demandée par TELUS irait à l’encontre de l’intérêt public. La suspension priverait la politique qui est à l’origine du spectre réservé d’une partie importante de l’effet escompté, et priverait les consommateurs de l’avantage d’une plus grande concurrence.

[103] En revanche, TELUS défend sa propre vision de l’intérêt public. Il serait contraire à l’intérêt public de permettre aux consommateurs s’abonner aux services de Vidéotron pour ensuite les forcer à supporter les coûts et les inconvénients d’un nouveau changement advenant l’annulation des licences de Vidéotron. La réduction des prix qui découlerait de l’entrée de Vidéotron sur le marché diminuerait les bénéfices de TELUS et, par conséquent, les ressources qu’elle pourrait investir dans l’expansion de son réseau, ce qui serait aussi contraire à l’intérêt public. Enfin, le thème implicite qui traverse l’argument de TELUS veut que l’« escompte indu » de 1,1 milliard de dollars accordé à Vidéotron et la distorsion du marché qui en résulte soient également contraires à l’intérêt public.

[104] Toutefois, ces arguments reviennent à contester la façon dont le ministre s’acquitte de la mission que le législateur lui a confiée et qui consiste à assurer la compétitivité et le coût abordable des services. Dans l’arrêt RJR, la Cour suprême a fait à la page 346 une mise en garde contre les dangers de se livrer à un tel exercice :

En règle générale, un tribunal ne devrait pas tenter de déterminer si l’interdiction demandée entraînerait un préjudice réel. Le faire amènerait en réalité le tribunal à examiner si le gouvernement gouverne bien, puisque l’on se trouverait implicitement à laisser entendre que l’action gouvernementale n’a pas pour effet de favoriser l’intérêt public et que l’interdiction ne causerait donc aucun préjudice à l’intérêt public.

[105] Par exemple, il peut être difficile de concilier l’intérêt public lié à la réduction des prix et l’intérêt public lié au déploiement d’un réseau de téléphonie mobile. Lorsqu’un marché n’est pas concurrentiel, le libre marché et les mesures favorables à la concurrence risquent d’être antagoniques. Il revient au ministre d’arbitrer ces intérêts contradictoires. Une requête en suspension n’est pas le forum approprié pour contester les choix du ministre.

[106] S’agissant des inconvénients pour les consommateurs, il est vrai que certains consommateurs subiront des inconvénients si la suspension n’est pas accordée et si la demande de contrôle judiciaire est accueillie, mais accorder l’injonction privera l’ensemble des consommateurs de l’Ouest du Canada des bénéfices d’une concurrence accrue.

[107] Là encore, un parallèle peut être établi avec les faits de l’affaire RJR. Les fabricants de cigarettes affirmaient que l’application immédiate du nouveau règlement sur l’emballage des cigarettes accroîtrait leurs dépenses, qu’elles pourraient ensuite reporter sur leurs clients au moyen de majorations de prix. La Cour suprême a accordé peu de poids à cet impact potentiel sur les fumeurs. Le facteur déterminant était plutôt l’intérêt public reconnu de longue date de réduire l’incidence du tabagisme.

[108] Par conséquent, s’il était nécessaire d’examiner la prépondérance des inconvénients, l’intérêt public ferait pencher la balance contre la suspension demandée par TELUS.

[109] Eu égard à l’ensemble des circonstances, je conclus qu’il est juste et équitable de rejeter la demande de suspension et de permettre à ISDE de délivrer les licences contestées.

III. Dispositif

[110] Comme aucun des trois volets du critère de l’arrêt RJR n’est respecté, la requête en suspension de TELUS sera rejetée avec dépens.

[111] Vidéotron sollicite une ordonnance prescrivant l’instruction accélérée de la demande. Cependant, la demande fait l’objet d’une gestion spéciale. La juge responsable de la gestion de l’instance est beaucoup mieux placée que moi pour décider si les délais prévus devraient être abrégés et pour établir un calendrier plus serré. Je laisserai à la juge responsable de la gestion de l’instance le soin de décider si la demande devrait faire l’objet d’une instruction accélérée et de rendre toute ordonnance nécessaire à cet égard.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1335‑21

LA COUR ORDONNE que la requête en suspension de la délivrance des licences à la défenderesse Vidéotron est rejetée avec dépens.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T‑1335‑21

 

INTITULÉ :

VIDÉOTRON LTÉE, FIBRENOIRE INC., BELL MOBILITY INC., BRAGG COMMUNICATIONS INC., CITYWEST CABLE AND TELEPHONE CORP, COGECO CONNEXION INC., COMCENTRIC NETWORKING INC., ECOTEL INC., IRISTEL INC., 1085459 ONTARIO LTD. s/n KINGSTON ONLINE SERVICES, LEMALU HOLDINGS LTD., MULTIBOARD COMMUNICATIONS INC., 508896 ALBERTA LTD. s/n NETAGO, NEXICOM INC., ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC., SASKATCHEWAN TELECOMMUNICATIONS, SOGETEL INC., STAR SOLUTIONS INTERNATIONAL INC., TBAYTEL, TERRESTAR SOLUTIONS INC., THOMAS COMMUNICATIONS LTD., VALLEY FIBER LTD., et XPLORNET COMMUNICATIONS INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 OctobrE 2021

ordONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 22 octobrE 2021

COMPARUTIONS :

Catherine Beagan Flood

Brittiny Rabinovitch

Natalie Cammarasana

Michael Ryan

POUR LA DEMANDERESSE

 

Steven Mason

Brandon Kain

James Holtom

POUR LES DÉFENDERESSES

(BELL/XPLORET COMMUNICATIONS INC.)

 

Patrick Ouellet

Laurence Ste‑Marie

Eric Meunier

Zoe Foustokjian

Charbel Abi‑Saad

POUR LES DÉFENDERESSES

(VIDÉOTRON/FIBRENOIRE)

Christian Tacit

Stewart Cattrol

POUR LA DÉFENDERESSE

(iristel inc.)

Zachary Soprovich

POUR LA DÉFENDERESSE

(LEMALU HOLDINGS INC.)

Andrew Lister

Jackson Kohne

POUR LA DÉFENDERESSE

(1085459 ONTARIO LTD.

s/n KINGSTON ONLINE SERVICES)

Scott Gibson

POUR LA DÉFENDERESSE

(terrestar solutions inc.)

J. Sanderson Graham

James Schneider

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Cabinet d’avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

MHRyan Law

POUR LA DEMANDERESSE

 

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

(BELL/XPLORET COMMUNICATIONS INC.)

Woods s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDERESSES

(VIDÉOTRON/FIBRENOIRE)

Tacit Law

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

(iristel inc.)

Duncan Craig LLP

Edmonton (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE

(LEMALU HOLDINGS INC.)

Lister‑Beaupré

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

(1085459 ONTARIO LTD.

s/n KINGSTON ONLINE SERVICES)

Terrestar Solutions inc.

Outremont (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

(TERRESTAR SOLUTIONS INC.)


Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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