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Date : 20211022


Dossier : T‑8‑18

Référence : 2021 CF 1125

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2021

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

RIGHT TO LIFE ASSOCIATION OF

TORONTO AND AREA, BLAISE ALLEYNE

ET MATTHEW BATTISTA

demandeurs

et

CANADA (MINISTRE DE L’EMPLOI,

DU DÉVELOPPEMENT DE LA MAIN‑D’ŒUVRE ET DU TRAVAIL)

défendeur

et

ACTION CANADA POUR LA SANTÉ ET LES DROITS SEXUELS ET BRITISH COLUMBIA CIVIL LIBERTIES ASSOCIATION

 

intervenantes

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, la Right to Life Association of Toronto and Area [la TRTL], son ancien président, M. Blaise Alleyne, et M. Matthew Battista, un étudiant qui espérait être réembauché par la TRTL, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du ministre de l’Emploi, du Développement de la main‑d’œuvre et du Travail [le ministre]. Celle‑ci a en effet décidé d’ajouter une attestation au nombre des conditions d’admissibilité au programme Emplois d’été Canada 2018 [le programme EÉC]. Tous les auteurs de demandes de financement étaient tenus d’attester plusieurs énoncés, notamment le fait que l’emploi et le mandat de l’organisme du demandeur sont conformes aux droits de la personne, aux droits garantis par la Charte et aux droits liés à la procréation. Comme la TRTL n’a pas rempli l’attestation, sa demande de financement n’a pas été étudiée.

[2] Au nombre des arguments qu’ils avancent, les demandeurs soutiennent que le ministre a excédé ses pouvoirs en décidant d’ajouter l’attestation, car il n’était pas autorisé à le faire par la loi habilitante et que l’attestation visait un but illégitime. Les demandeurs font aussi valoir que le ministre a agi de mauvaise foi et avec partialité en imposant la production de l’attestation pour donner suite aux plaintes d’un groupe de défense du droit à l’avortement. De plus, les demandeurs soutiennent que l’attestation porte atteinte aux droits qui leur sont garantis par les alinéas 2a) et b) ainsi que l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte] et que le ministre n’a pas réalisé une mise en balance proportionnée des droits et protections consacrés par la Charte, d’une part, et des objectifs législatifs pertinents, de l’autre.

[3] Selon les demandeurs, la décision du ministre d’ajouter l’attestation a pour effet de punir et d’exclure la TRTL et les autres groupes pro‑vie parce qu’ils s’opposent aux politiques pro‑choix du gouvernement. Ils soutiennent que le débat entourant l’avortement doit se poursuivre et que la participation de la TRTL à ce débat, par le biais des activités de sensibilisation qu’elle propose, est instructive pour le public. Or, la présente demande de contrôle judiciaire ne constitue pas un cadre approprié pour alimenter ce débat. Elle pose la question de savoir si la décision du ministre d’inclure l’attestation au nombre des conditions d’admissibilité des organismes désireux d’obtenir du financement dans le cadre du programme EÉC 2018 était raisonnable.

[4] Pour les motifs plus amplement exposés ci‑après, la demande est rejetée. En somme, je suis d’avis que la décision d’ajouter l’attestation aux conditions d’admissibilité au programme EÉC 2018 s’inscrivait dans les limites des vastes pouvoirs que confère au ministre la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 [la LMEDS, ou la Loi]. En prenant cette décision, le ministre n’a pas agi dans un but illégitime, ne s’est pas appuyé sur des considérations dénuées de pertinence et n’a pas fait montre de mauvaise foi ou de fermeture d’esprit. L’attestation est conforme aux pouvoirs conférés par la LMEDS.

[5] Je suis également d’avis que les conséquences de l’attestation touchent le droit des demandeurs à la liberté d’expression et à la liberté de religion, même si ce n’était pas là le but de cette attestation. Si j’applique le cadre établi dans l’arrêt Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12 [Doré] pour trancher la question de savoir si la restriction imposée aux droits que la Charte reconnaît aux demandeurs est le fruit d’une mise en balance proportionnée, j’arrive à la conclusion qu’il s’agit d’une restriction minimale et proportionnelle aux objectifs de la LMEDS et du programme EÉC. Il convient de souligner que le programme EÉC 2018 visait à protéger et à promouvoir les droits des bénéficiaires du programme, notamment ceux prévus par la Charte. Étant donné qu’elle témoigne d’une mise en balance proportionnée, la décision en cause est raisonnable.

I. Le contexte

A. Les parties

[6] La Right to Life Association of Toronto est un organisme de bienfaisance constitué en personne morale sous le régime de la Loi sur les personnes morales, LRO 1990, c C.38, qui exerce ses activités à Toronto et dans la région du Grand Toronto. La TRTL se décrit comme une organisation bénévole, non sectaire de défense des droits de la personne qui œuvre, par des activités de sensibilisation, au respect du caractère sacré et inviolable de la vie humaine, depuis la conception jusqu’à son terme naturel. Ses objets sont énoncés dans ses lettres patentes : défendre la dignité de la vie humaine; défendre le caractère sacré et inviolable de la vie humaine, de la conception à la mort; défendre les droits et les intérêts de l’enfant à naître; tenir des conférences, des assemblées et des débats sur des questions se rapportant à la dignité de la vie humaine, et produire de l’information ayant trait aux objets susmentionnés et la présenter aux groupes, organismes, associations ou autorités, publics ou privés.

[7] C’est le président de la TRTL de l’époque, Blaise Alleyne, qui a présenté la demande de financement au programme EÉC 2018.

[8] Au moment des faits, Matthew Battista était étudiant à l’Université de Toronto et, en 2016 et 2017, il avait occupé un emploi d’été à la TRTL. Il atteste qu’il souhaitait y travailler à nouveau à l’été 2018.

[9] En avril 2018, Action Canada pour la santé et les droits sexuels [Action Canada] a été autorisée à intervenir dans l’instance, notamment pour présenter des observations concernant les droits sexuels et les droits liés à la procréation et expliquer en quoi les activités des organisations [traduction] « anti‑choix » seraient contraires aux valeurs consacrées par la Charte.

[10] En mai 2018, la British Columbia Civil Liberties Association [la BCCLA] a été autorisée à intervenir dans l’instance uniquement pour faire état des principes constitutionnels pertinents du droit américain en matière de liberté d’expression et de religion et expliquer en quoi ces principes sont susceptibles d’avoir une incidence sur jurisprudence canadienne.

B. Le financement préalablement reçu d’EÉC par la TRTL

[11] La TRTL a demandé et obtenu du financement du programme EÉC 2016.

[12] La TRTL a également demandé un financement à hauteur de 29 184,00 $ du programme EÉC 2017. Elle a été informée par Emploi et Développement social Canada [EDSC] qu’en raison de l’insuffisance de fonds affectés à la circonscription fédérale en cause, aucun financement ne lui serait accordé. La TRTL a demandé le contrôle judiciaire de la décision relative au financement, car selon elle, la véritable raison du rejet de sa demande et de celles d’autres organisations apparentées était liée à leur position sur la question de l’avortement. L’affaire a été réglée hors cours, EDSC acceptant de verser des fonds à la TRTL. Le ministre a reconnu que la demande de financement pour l’année 2017 avait été refusée sur la base de critères qui ne figuraient ni dans le Guide du demandeur de 2017, ni dans la liste des priorités locales des députés fédéraux.

C. Le programme EÉC 2018

[13] Le programme EÉC 2018 définit cinq priorités nationales :

1) les employeurs qui ont l’intention d’embaucher des jeunes appartenant à des groupes sous‑représentés, y compris les jeunes nouveaux immigrants/réfugiés, les jeunes autochtones, les jeunes handicapés et les minorités visibles;

2) les petites entreprises, en reconnaissance de leur contribution à la création d’emplois;

3) les organismes qui offrent des possibilités aux communautés de langue officielle en situation minoritaire;

4) les organismes qui offrent des services ou du soutien à la communauté LGBTQ2;

5) les organismes qui offrent des possibilités dans les domaines des sciences, de la technologie, du génie et des mathématiques (STGM) et en technologies de l’information et des communications (TIC), particulièrement aux femmes.

[14] Le 19 décembre 2017, le ministre a publié le Guide du demandeur du programme EÉC 2018 [le Guide du demandeur]. Le Guide du demandeur précise que, pour que sa demande soit jugée complète et admissible à l’évaluation, le demandeur doit cocher une case « J’atteste » pour confirmer l’attestation des énoncés suivants [l’attestation] :

Vous avez lu et compris les Modalités de l’entente de contribution du programme Emplois d’été Canada et consulté le Guide du demandeur au besoin;

L’emploi ne serait pas créé sans l’aide financière fournie en vertu d’une entente de contribution éventuelle;

L’emploi et le mandat principal de l’organisme sont conformes aux droits de la personne au Canada, y compris les valeurs sous‑jacentes à la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que d’autres droits. Ceux‑ci incluent les droits en matière de procréation et le droit de ne pas faire l’objet de discrimination fondée sur le sexe, la religion, la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, les déficiences cognitives ou physiques, l’orientation sexuelle, ou l’identité ou l’expression de genre;

Vous disposez des pouvoirs, autorisations et approbations requises pour soumettre la demande en votre nom et au nom de l’organisme.

[Non souligné dans l’original.]

La présente demande porte uniquement sur les passages de l’attestation que j’ai soulignés.

[15] Par ailleurs, le Guide du demandeur dit ceci :

L’attestation de l’employeur pour EÉC 2018 est conforme aux droits de la personne au Canada, aux droits de la Charte et la jurisprudence qui en découle, et à l’engagement pris par le gouvernement du Canada à l’égard des droits de la personne, ce qui comprend les droits des femmes, les droits reproductifs de ces dernières ainsi que les droits des Canadiens et des Canadiennes transgenres et de genres divers.

Le gouvernement reconnaît que les droits des femmes font partie des droits de la personne, ce qui comprend les droits sexuels et reproductifs, ainsi que l’accès à des avortements sûrs et légaux.

Cette définition des droits des femmes en matière de procréation est reprise tout au long du Guide du demandeur.

[16] Dans son introduction (section 2.0), le Guide du demandeur fait les précisions suivantes :

L’initiative EÉC fait partie du programme Expérience emploi été. Elle offre des contributions salariales aux employeurs afin de créer des emplois pour les étudiants du secondaire et du postsecondaire. Cette année encore, Emplois d’été Canada accueille les demandes des petites entreprises, d’employeurs à but non lucratif, du secteur public et des organismes confessionnels qui offrent des emplois d’été de qualité aux étudiants.

[17] À la section 3.1 (« Employeurs admissibles ») du Guide du demandeur, on trouve cette remarque :

REMARQUE : Le fait qu’un organisme est affilié à une religion ne constitue pas en soi une inadmissibilité à ce programme.

[18] Le contexte entourant l’attestation et ses composantes et les objectifs qui s’y rattachent sont décrits dans une analyse raisonnée de l’orientation stratégique du programme rédigée par ESDC en 2017 afin de justifier les modifications apportées aux conditions d’admissibilité du programme Emplois d’été Canada 2018 (« Implementing Changes to Eligibility for Canada Summer Jobs 2018: Program Policy Rationale ») [le document justificatif]. En fait de contexte, ce document signale l’engagement du gouvernement à offrir des possibilités d’emplois d’été enrichissantes. Il explique également que le gouvernement a fait connaître publiquement ses priorités générales, dont font partie la promotion de la diversité et de l’inclusion, l’innovation et le développement des compétences. Puis, le document justificatif donne les précisions suivantes :

[traduction]
Le gouvernement s’est proclamé féministe et reconnaît que les droits des femmes relèvent des droits de la personne et que ces droits comprennent les droits sexuels et ceux liés à la procréation, et le droit à des avortements sûrs et légaux. Ces droits sont au cœur de la politique intérieure et étrangère du gouvernement du Canada.

En mars 2017, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, le premier ministre a annoncé qu’il comptait dépenser 650 millions de dollars dans le cadre d’une nouvelle stratégie de promotion de la santé et des droits sexuels et reproductifs à l’échelle mondiale. Ce plan triennal plan vise à financer une série de programmes mondiaux qui touchent notamment la contraception, la santé reproductive, l’accès à des avortements légaux, l’éducation sexuelle et la défense des intérêts des femmes.

Le gouvernement reconnaît que toute personne a le droit de vivre selon son identité sexuelle et d’exprimer son identité de genre comme bon lui semble, à l’abri de toute discrimination. Le gouvernement est déterminé à protéger la dignité, la sécurité et les droits des Canadiens transgenres et de diverses identités de genre.

[19] L’objectif de cette nouvelle approche consistant à exiger une attestation est :

[traduction]
[…] de veiller à ce que le financement du gouvernement ne soit pas versé à des organismes dont le mandat ou les projets pourraient ne pas être conformes aux droits de la personne, y compris aux valeurs sous‑jacentes à la [
Charte] et à la jurisprudence qui en découle. En outre, les changements permettront d’éviter que des jeunes, parfois âgés d’à peine 15 ans, soient exposés à des emplois offerts par des organismes faisant la promotion de positions allant à l’encontre des valeurs inscrites dans la [Charte] et de la jurisprudence qui en découle.

Ce changement d’approche contribue à faire en sorte que les emplois destinés aux jeunes et financés par le gouvernement du Canada se déroulent dans un environnement qui respecte les droits de tous les Canadiens.

[20] Dans un mémoire adressé au ministre en date du 1er décembre 2017 (et dont certaines parties ont été caviardées), le sous‑ministre d’EDSC expose les options étudiées et demande au ministre d’approuver l’ajout de l’attestation aux conditions d’admissibilité au financement. Parmi les considérations retenues, le sous‑ministre fait état de ce qui suit :

[traduction]
Il a été envisagé de demander aux employeurs d’attester que le projet ou l’emploi respecte les valeurs qui sous‑tendent la
Charte, ainsi que les droits et libertés de la personne en matière de procréation. Or, il ressort de consultations menées auprès du personnel de votre cabinet que la nouvelle approche souhaitée consisterait à exiger également que le mandat principal de l’organisme soit conforme aux droits de la personne, y compris aux valeurs sous‑jacentes à la Charte ainsi qu’à d’autres droits. Ces derniers comprendraient les droits liés à la procréation et l’interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe, la religion, la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, les déficiences cognitives ou physiques, l’orientation sexuelle, ou l’identité ou l’expression de genre.

L’ajout de cette nouvelle condition n’offre aucune garantie que les demandes de financement reçues proviendront uniquement d’organisations dont le mandat cadre avec les priorités gouvernementales. En revanche, elle procure au ministère un moyen supplémentaire d’écarter les organisations inadmissibles, même celles dont le projet semble, à première vue, respecter l’esprit de la Charte.

[Souligné dans l’original.]

D. La demande de financement présentée par la TRTL au programme EÉC 2018

[21] Le 20 décembre 2017, le président de la TRTL, M. Alleyne, a présenté, dans le cadre du programme EÉC 2018, une demande de financement sous forme papier. M. Alleyne n’a pas fourni l’attestation. Au lieu de cela, il a joint à la demande une lettre expliquant qu’il s’opposait à l’attestation et proposait de la remplacer par une autre attestation :

[traduction]
Notre conscience ne nous permet pas d’exprimer les mots que le ministre demande d’énoncer dans le Guide du demandeur. Nous sommes toutefois disposés à attester que « nous respectons tous les textes législatifs du Canada, y compris ceux inscrits dans la Charte et les lois sur les droits de la personne ». Nous sommes d’avis que la loi ne confère pas au ministre le pouvoir de nous obliger à faire une déclaration contraire à nos droits de conscience garantis par la Charte. Le ministre ne peut pas non plus contraindre la parole à titre de condition à la réception d’avantages financiers du gouvernement du Canada. Nous refusons respectueusement de faire une déclaration contraire à nos convictions personnelles fondamentales sur la valeur de la vie et le droit à la vie en vertu de l’article 7 de la Charte. Veuillez confirmer que vous accepterez notre demande dans laquelle la déclaration mentionnée ci‑dessus se substitue à la déclaration énoncée dans le processus de demande en ligne et dans le Guide du demandeur.

[Non souligné dans l’original.]

[22] La TRTL n’ayant pas rempli l’attestation obligatoire, la demande de financement a été jugée incomplète et n’a pas été étudiée.

[23] Le 4 janvier 2018, les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire. Ils sollicitent diverses réparations, dont l’annulation de la décision, le versement des fonds demandés et une injonction interlocutoire.

[24] Le 30 janvier 2018, la juge Martine St‑Louis a rejeté la requête en injonction interlocutoire présentée par les demandeurs en vue d’obtenir la suspension de la décision d’ajouter l’attestation comme condition du programme EÉC 2018 jusqu’à ce que la Cour statue de manière définitive sur la présente demande (Right to Life Association of Toronto and Area c Canada (Ministre de l’Emploi, du Développement de la main‑d’œuvre et du Travail), 2018 CF 102 [l’ordonnance d’injonction]).

[25] Puis, les demandeurs ont modifié leur avis de demande afin d’y ajouter certaines allégations, à savoir que la décision du ministre avait été prise de mauvaise foi, dans un but illégitime, en fonction de considérations dénuées de pertinence et de manière partiale.

II. Le survol des positions

A. La position des demandeurs

[26] Les demandeurs soutiennent que le ministre a excédé ses pouvoirs en décidant d’ajouter l’attestation et que cette décision ne se rapporte à aucun des objets de la LMEDS ou du programme EÉC, lesquels concernent uniquement l’emploi et visent, plus précisément, à offrir à tous les Canadiens des possibilités de développer des compétences. Les demandeurs soutiennent que l’attestation a plutôt été ajoutée à des fins illégales : infléchir par la contrainte les idées, l’opinion, la parole, les croyances religieuses et les convictions morales des demandeurs et groupes analogues, et agir de manière discriminatoire à leur endroit en raison de leurs croyances religieuses.

[27] Les demandeurs reconnaissent le pouvoir discrétionnaire du ministre de décider à quels groupes accorder ou ne pas accorder des fonds, mais ils soutiennent qu’elle ne peut refuser l’accès aux fonds pour des motifs liés à des croyances et des opinions.

[28] Les demandeurs prétendent que l’attestation a été ajoutée pour apaiser les groupes pro‑choix en écartant la TRTL et les groupes analogues qui défendent une position pro‑vie. Par conséquent, les demandeurs allèguent que la décision d’ajouter l’attestation a été prise de mauvaise foi, parce qu’elle l’a été dans un but illégitime ou en fonction de considérations dénuées de pertinence et qu’elle fait naître une crainte raisonnable de partialité.

[29] Les demandeurs contestent les propos du défendeur selon lesquels ils ont mal compris la nature de l’attestation. Ils soutiennent que cette attestation, qui renvoie à leur mandat principal et à leurs activités, se rapporte à leurs valeurs et à leurs convictions, lesquelles reposent sur la religion, et qu’elle les prive de la possibilité de désavouer son message de promotion des droits liés à la procréation. Les demandeurs rejettent également l’idée proposée par le défendeur lorsqu’il affirme qu’ils ne sont pas tenus de signer l’attestation s’ils ne demandent pas de financement et, d’autre part, que l’attestation ne les réduit pas au silence, puisqu’ils peuvent continuer d’exprimer leurs opinions.

[30] Selon les demandeurs, même si le ministre a ajouté l’attestation à des fins acceptables, les conséquences de l’attestation portent atteinte aux droits que leur garantit la Charte. Ils font valoir que l’attestation porte atteinte à leur liberté d’expression parce qu’elle impose un certain discours; à leur liberté de religion, parce qu’elle les oblige à abjurer leurs convictions religieuses; et à leur droit à une égale protection de la loi, parce qu’elle les traite de manière discriminatoire en les excluant du programme pour des motifs fondés sur la religion.

[31] Les demandeurs avancent que les effets attentatoires de l’attestation sur leurs droits protégés par la Charte sont tout à fait hors de proportion par rapport aux objectifs prévus par la Loi, car il leur est strictement impossible de demander du financement. Ils admettent que l’attestation a pu viser à protéger les droits d’autres personnes, mais ajoutent qu’elle ne protège pas les leurs. Selon les demandeurs, rien n’indique que le ministre a tenu compte des droits que leur reconnaît la Charte en matière de liberté de religion et d’expression, ni des moyens de parvenir à une mise en balance proportionnée de leurs droits et de ces objectifs législatifs.

[32] À titre de réparation, les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire portant que la décision du ministre d’ajouter l’attestation contrevient aux alinéas 2a) et b) et à l’article 15 et ne saurait se justifier au regard de l’article premier, et portant en outre que la décision du ministre constitue un excès de pouvoir et qu’elle a été prise de mauvaise foi et dans un but illégitime et/ou en fonction de considérations dénuées de pertinence. Les demandeurs sollicitent également l’annulation de la décision en vertu d’une ordonnance de la nature d’un certiorari, de même qu’une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre d’accorder aux demandeurs les fonds qu’ils auraient obtenus s’ils avaient rempli l’attestation.

B. La position du défendeur

[33] Le défendeur explique que le programme EÉC est un programme de financement annuel discrétionnaire dont les fonds ne suffisent pas à répondre à la demande. L’attestation avait comme finalité le respect des droits de tous les Canadiens, dont ceux consacrés par la Charte. L’attestation servait à confirmer que les principales activités de l’organisation sollicitant le financement et les emplois à financer ne portaient pas atteinte aux droits des Canadiens, notamment ceux garantis par la Charte. Le défendeur rappelle que les demandes de financement sont présentées sur une base volontaire et qu’aucun organisme ne peut prétendre à un « droit » au financement.

[34] En premier lieu, le défendeur soutient que ni M. Alleyne ni M. Battista n’ont qualité pour agir en l’espèce; seule la TRTL a qualité pour présenter la demande de contrôle judiciaire.

[35] Le défendeur souligne que suivant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour n’a pas vocation à décider si une autre approche eut été préférable, mais bien si l’approche choisie, c’est‑à‑dire la décision d’ajouter l’attestation, est raisonnable. Les objectifs et critères d’admissibilité définis pour le programme EÉC 2018 situent le contexte dans lequel doit s’inscrire le contrôle effectué selon la norme de la décision raisonnable. Selon le défendeur, les décisions de caractère politique et discrétionnaire commandent la retenue judiciaire, y compris celles ayant trait à la conception de programmes.

[36] Le défendeur soutient que l’ajout de l’attestation aux conditions d’admissibilité, qui tient de la décision de politique générale, s’inscrit dans les limites de ses pouvoirs; elle est conforme à l’objet et aux objectifs de la Loi et relève du vaste pouvoir discrétionnaire du ministre. La décision ne reposait pas sur des considérations dénuées de pertinence; elle n’a pas non plus été prise dans un but illégitime. Rien n’indique que le ministre a traité la question avec un esprit fermé.

[37] Le défendeur souligne qu’en faisant référence à la promotion d’un marché du travail favorable à l’intégration ainsi que du bien‑être et de la qualité de vie de chacun au sein de la société, le paragraphe 5(2) de la LMEDS assoit la légalité de l’attestation. Il soutient que grâce à l’attestation, le gouvernement a pu s’assurer que les fonds étaient versés uniquement aux organismes respectueux des droits de tous les Canadiens et qu’ils servaient à la promotion des objectifs législatifs : un marché du travail favorable à l’intégration et le bien‑être des personnes vulnérables et sous‑représentées au sein de la société.

[38] Le défendeur rappelle que la juge St‑Louis a conclu que le ministre jouissait d’un vaste pouvoir discrétionnaire (ordonnance d’injonction au para 17) et que le programme relevait de l’intérêt public (au para 78).

[39] Pour le cas où la Cour se pencherait sur les questions liées à la Charte, le défendeur avance que ni l’objet de l’attestation ni ses effets ne portent atteinte aux droits garantis aux demandeurs par les alinéas 2a) et b) et l’article 15. À titre subsidiaire, il fait valoir que si l’attestation a pour effet de restreindre les droits que la Charte reconnaît aux demandeurs, il s’agit d’une restriction minimale, et que la décision d’ajouter l’attestation est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte, d’une part, et des objectifs législatifs de la LMEDS et du programme EÉC, de l’autre. Or, une mise en balance proportionnée est signe que la décision est raisonnable.

[40] Le défendeur soutient que l’attestation n’a pas imposé de discours particulier, pas plus qu’il n’a obligé les demandeurs à se dire en faveur du droit à l’avortement, contrairement à ce qu’ils prétendent; il n’a pas non plus empêché les demandeurs de désavouer le message.

[41] Le défendeur conteste l’idée voulant que l’attestation ait empiété sur la liberté de religion des demandeurs. Il fait remarquer que la TRTL se décrit comme une organisation non sectaire de défense des droits de la personne, principalement active dans le domaine de la sensibilisation. Il ajoute que la TRTL n’a produit aucune preuve objective établissant que l’attestation empiétait de manière non négligeable sur sa liberté de religion.

[42] En outre, le défendeur prétend que les demandeurs ne peuvent se fonder sur l’article 15, puisque les droits qui y sont garantis appartiennent aux personnes physiques et que ni M. Alleyne ni M. Battista n’ont qualité pour faire valoir ces droits.

[43] Subsidiairement, le défendeur soutient que l’attestation n’a pas porté atteinte au droit à l’égalité de M. Alleyne ou M. Battista du fait de leur religion, et ce, pour plusieurs raisons, dont le fait qu’ils n’étaient pas tenus de remplir l’attestation à titre personnel, que la TRTL n’est pas un groupe religieux et que rien n’indique que l’attestation a un effet particulier sur eux ou qu’elle perpétue un désavantage.

[44] En ce qui concerne la réparation demandée par les demandeurs, le défendeur affirme que si une erreur est constatée, les seules réparations indiquées sont le bref de certiorari (pour annuler l’attestation) et le jugement déclaratoire. Il prétend qu’il serait inutile d’ordonner le réexamen de la décision du ministre, puisque le programme de 2018 a pris fin. De plus, il n’est pas indiqué de décerner un bref de mandamus, vu qu’il n’existe aucune obligation envers les demandeurs et que les décisions de financement sont d’ordre discrétionnaire.

C. Les intervenantes

(1) Action Canada pour la santé et les droits sexuels

[45] Action Canada est une organisation vouée à la promotion et à la défense de la santé et des droits sexuels et les droits liés à la procréation de toutes les personnes; elle s’acquitte de cette mission au moyen d’activités de représentation et d’éducation, en plus d’offrir divers services.

[46] Action Canada soutient que l’attestation remplit un objectif législatif essentiel, qui consiste notamment à améliorer le bien‑être des personnes vulnérables. L’argent ne doit pas servir à financer des activités préjudiciables et portant atteinte aux droits garantis par la Constitution, comme les droits liés à la procréation, protégés par l’article 7 de la Charte.

[47] Selon Action Canada, il est du devoir du gouvernement de faire respecter les protections accordées en matière de droits sexuels et de droits liés à la procréation au vu des engagements internationaux du Canada, dont ceux découlant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[48] Dans le cadre de son travail, Action Canada dit avoir pu constater une tendance généralisée des groupes anti‑choix à mal renseigner les femmes enceintes quant aux options qui s’offrent à elles. Action Canada soutient que certains groupes mènent des campagnes malhonnêtes et insistantes en vue d’intimider les femmes qui se renseignent sur leurs options. Or, les activités de ces groupes anti‑choix sont contraires aux valeurs consacrées par la Charte.

[49] Action Canada conteste l’argument de la TRTL selon lequel les écrits des groupes pro‑vie ne seraient pas préjudiciables aux personnes qui y sont exposées, notamment les femmes. Elle note que les personnes en situation de vulnérabilité sont sensibles aux influences.

(2) La BC Civil Liberties Association

[50] La BCCLA intervient dans l’instance dans le seul but de présenter des observations sur ce que peuvent nous apprendre les principes du droit constitutionnel américain en matière de liberté d’expression et d’expliquer en quoi ces principes peuvent influencer la jurisprudence canadienne.

[51] La BCCLA précise qu’elle ne partage pas le point de vue de la TRTL sur la question de l’accès à l’avortement; cela dit, elle s’oppose pareillement aux mesures qui entravent la liberté d’expression et l’expression pacifique d’opinions différentes.

[52] Selon la BCCLA, l’attestation est une condition obligeant les personnes qui demandent du financement à attester qu’elles adhèrent au point de vue du gouvernement. Elle explique qu’aux États‑Unis, il est arrivé que les tribunaux qualifient de violation de la liberté d’expression le fait de subordonner le versement de fonds à ce genre d’attestation, de serment ou de promesse. La BCCLA fait observer que si la Cour conclut que l’attestation a pour effet de supprimer la liberté de parole, il serait avisé qu’elle examine la jurisprudence américaine portant sur la [traduction] « doctrine des conditions inconstitutionnelles ».

[53] La BCCLA signale que, dans les arrêts R c Simmons, [1988] 2 RCS 495, 55 DLR (4th) 673 et R c Keegstra, [1990] 3 RCS 697, 114 AR 81, la Cour suprême du Canada a reconnu que la jurisprudence américaine traitant des libertés constitutionnelles pouvait offrir aux tribunaux canadiens des indications utiles, étant donné que les États‑Unis possèdent une longue expérience de ces questions. La BCCLA soutient que même si le Canada a développé depuis sa propre jurisprudence, la jurisprudence américaine peut fournir un éclairage.

[54] La BCCLA fait remarquer que la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la jurisprudence américaine traitant de l’« expression forcée » et sur ce qu’elle peut avoir de convaincant aux pages 274 à 276 de l’arrêt Lavigne c Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 RCS 211, [Lavigne], arrêt sur lequel s’appuient les demandeurs.

[55] La BCCLA cite quelques décisions des tribunaux américains et note, plus largement, que de nombreux jugements américains cadrent avec la jurisprudence canadienne portant qu’il n’existe pas de droit de recevoir des deniers publics (p. ex. Rust v Sullivan, 500 US 173 (1991)). Les gouvernements sont libres de soutenir ou de subventionner certaines opinions et d’en exclure d’autres. Cela dit, la jurisprudence américaine établit une distinction entre, d’une part, les programmes destinés à favoriser certains points de vue et, d’autre part, les conditions qui limitent la liberté d’expression pour des motifs non liés à l’objet du programme en cause (p. ex. Perry v Sindermann, 408 US 593 (1972)).

[56] De l’avis de la BCCLA, l’attestation en litige a l’apparence d’une forme d’expression forcée sans lien direct avec l’objet du financement.

[57] La BCCLA soutient qu’il est permis de rattacher une condition à l’emploi financé par la subvention, mais elle doute que l’attestation puisse viser le mandat principal d’un organisme.

III. Les questions en litige

[58] À titre préliminaire, le défendeur soulève la question de savoir si M. Alleyne et M. Battista ont qualité pour présenter la demande de contrôle judiciaire à titre personnel ou si, au contraire, il convient de considérer que la TRTL est l’unique demanderesse en l’instance, la participation de M. Alleyne devant se limiter à celle qui découle de son rôle à titre de président et de membre de l’organisation.

[59] Quant au fond de la demande, la question fondamentale est celle de savoir si la décision du ministre d’ajouter l’attestation comme nouvelle condition d’admissibilité est raisonnable. Cette question suppose d’examiner les sous‑questions suivantes :

  • La décision d’ajouter l’attestation outrepasse‑t‑elle les pouvoirs conférés par la LMEDS?
  • La décision d’ajouter l’attestation a‑t‑elle été prise de mauvaise foi, parce qu’elle l’a été dans un but illégitime ou en fonction de considérations dénuées de pertinence?
  • La décision d’ajouter l’attestation a‑t‑elle été prise de manière partiale ou avec un esprit fermé?

[60] Si la Cour devait conclure que l’attestation constitue un excès de pouvoir en fonction des arguments de droit administratif avancés, il lui faudrait alors examiner les moyens fondés sur la Charte (Taseko Mines Limited c Canada (Environnement), 2019 CAF 320 au para 105). Si elle conclut au contraire que l’objet de l’attestation ne constitue pas un excès de pouvoir, la Cour devra analyser les conséquences de l’attestation. Il lui faudra alors se demander si l’attestation touche les droits garantis aux demandeurs par les alinéas 2a) et b) et à l’article 15 de la Charte et, le cas échéant, si le ministre, en décidant d’ajouter l’attestation, a réalisé une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte, d’une part, et des objectifs de la LMEDS et du programme EÉC, de l’autre.

IV. La norme de contrôle

[61] Lors du contrôle des décisions administratives, dont celles des ministres, il faut présumer que la norme applicable est celle de la décision raisonnable, et c’est d’ailleurs cette norme de contrôle qui s’applique à la majorité des questions évoquées précédemment (Vavilov).

[62] L’arrêt Vavilov donne aux cours de révision de nombreuses indications concernant le contrôle selon la norme de la décision raisonnable; la Cour suprême du Canada y explique que la décision raisonnable est celle qui est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov aux para 85, 102, 105–110). La Cour n’évalue pas les motifs au regard d’une norme de perfection (Vavilov au para 91).

[63] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’une décision ne devait être infirmée que si elle « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » et que « [l]a cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » [non souligné dans l’original] (Vavilov au para 100).

[64] Les allégations des demandeurs ayant trait à la mauvaise foi, à la partialité et à la fermeture d’esprit sont des questions liées à l’équité procédurale qui commandent un contrôle selon la norme de la décision correcte. Comme le rappelle l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux paragraphes 54 et 55, la norme de la décision correcte tient moins de la norme de contrôle que d’une appréciation consistant à évaluer si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances.

[65] Si la Cour conclut que la décision du ministre d’ajouter l’attestation touche les droits que la Charte reconnaît aux demandeurs, elle appliquera la norme de la décision raisonnable pour déterminer si l’attestation est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte, d’une part, et des objectifs législatifs de la LMEDS et du programme EÉC, d’autre part, afin de veiller à ce que le droit ne soit pas restreint plus qu’il n’est nécessaire (Doré; École secondaire Loyola c Québec (Procureur général), 2015 CSC 12 [Loyola]). La décision qui établit un juste équilibre entre les droits et les valeurs consacrés par la Charte est une décision raisonnable.

[66] Au paragraphe 57 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a expressément déclaré qu’elle n’entend pas supplanter la norme de contrôle établie dans l’arrêt Doré.

V. Question préliminaire : M. Alleyne a qualité pour agir en raison d’un intérêt direct

[67] Le défendeur soutient que la TRTL est l’unique demanderesse ayant qualité pour agir. Selon lui, ni M. Alleyne ni M. Battista n’ont établi que l’attestation portait atteinte à leurs droits ou qu’elle leur imposait des obligations juridiques ou leur causait personnellement préjudice, de quelque manière que ce soit (Bernard c Close, 2017 CAF 52, au para 2 [Bernard]). Le défendeur ajoute qu’ils n’ont pas non plus d’intérêt véritable dans l’affaire (Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45 au para 37).

[68] Les demandeurs, eux, sont d’avis que M. Alleyne et M. Battista ont qualité pour agir en raison d’un intérêt direct, parce qu’ils ont subi un préjudice. Les demandeurs font valoir que s’il avait signé l’attestation au nom de la TRTL, M. Alleyne aurait dû attester qu’il souscrivait à une opinion qui n’était pas la sienne et était contraire à ses profondes convictions religieuses. Quant à M. Battista, les demandeurs soutiennent que l’obligation de remplir l’attestation a porté préjudice à ses possibilités d’emploi pour l’été 2018.

[69] Une personne a qualité pour contester une décision si elle est directement touchée par cette décision (paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7); si la décision a porté atteinte à ses droits, lui a imposé des obligations juridiques ou lui a causé préjudice (Bernard au para 2, citant Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c Odynsky, 2010 CAF 307 au para 58; Dow c Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2020 CF 376 au para 9).

[70] Je suis d’avis que les demandeurs ont établi la qualité de M. Alleyne pour agir en raison d’un intérêt direct. Au moment des faits, M. Alleyne était membre et président de la TRTL. Ayant présenté une demande de financement pour le compte de la TRTL, il aurait normalement dû remplir l’attestation au nom de cette dernière. Il a attesté que sa [traduction] « conscience ne [lui] permet[tait] pas de signer l’attestation ». M. Alleyne a expliqué qu’il était fidèle aux préceptes de l’Église catholique, qui nous enseignent que la vie humaine doit être respectée et protégée dès la conception. Lorsqu’il affirme que la signature ou la non‑signature de l’attestation n’a pas porté atteinte aux droits et obligations juridiques de M. Alleyne et ne lui a causé aucun préjudice à titre personnel, le défendeur passe sous silence le fait que M. Alleyne était le visage de la TRTL. L’organisme ne pouvait demander des fonds sans qu’un représentant signe l’attestation. M. Alleyne a expliqué que ni lui ni aucun autre membre de la TRTL n’était en mesure de remplir l’attestation, car tous la considéraient comme étant contraire à leurs convictions intimes. À mon avis, M. Alleyne étant le visage de la TRTL, ses opinions et convictions personnelles cadrent avec celles de l’organisation, et inversement, et le fait de signer l’attestation lui aurait causé un préjudice.

[71] Les demandeurs n’ont pas établi que M. Battista a été directement touché ou lésé par l’attestation. Bien que celui‑ci ait attesté qu’il espérait travailler pour la TRTL en 2018, comme il l’avait fait lors des étés précédents, il n’y a aucune preuve quant à la question de savoir si la TRTL pouvait compter sur d’autres fonds pour procéder à son embauche ou s’il a quand même été employé en 2018, sans égard à la question du manque de financement venant du programme EÉC. M. Battista n’avait pas à remplir l’attestation exigée des représentants de TRTL. Contrairement à M. Alleyne, il n’était ni le visage de la TRTL, ni un de ses représentants officiels.

VI. La décision d’ajouter l’attestation constituait‑elle un excès de pouvoir?

A. Les observations des demandeurs

[72] Les demandeurs affirment que l’attestation constitue un excès de pouvoir, parce que son objet n’appartient pas aux objets prévus par la LMEDS, avec lesquels il n’a aucun lien.

[73] Selon les demandeurs, le ministre a utilisé l’attestation pour tenter d’influencer le discours politique, de contraindre ou de censurer la parole, d’encadrer les croyances ou d’agir de manière discriminatoire envers eux en raison de leurs croyances religieuses. Ils soutiennent qu’il s’agit de fins inconstitutionnelles, ce qui signifie que l’attestation constitue un excès de pouvoir. (Il est question plus loin des observations des demandeurs qui sont fondées sur la Charte.)

[74] Par ailleurs, les demandeurs allèguent que l’ajout de l’attestation visait également la réalisation d’un objectif dont le ministre a fait l’annonce publiquement : refuser tous fonds aux [traduction] « organisations qui s’emploient à restreindre les droits des femmes liés à la procréation » et ainsi répondre aux exigences de la Coalition pour le droit à l’avortement au Canada [la CDAC].

B. Les observations du défendeur

[75] Le défendeur prétend que la décision d’ajouter l’attestation relève du pouvoir discrétionnaire du ministre et qu’elle est conforme à la LMEDS. Il invoque à cet égard le paragraphe 5(2) de la LMEDS, qui porte sur la promotion d’un « marché du travail […] favorable à l’intégration » et du « bien‑être des personnes au sein de la société ». Le défendeur soutient qu’en faisant en sorte que les fonds soient versés uniquement aux employeurs qui n’exercent pas de discrimination à l’embauche et ne minent pas les droits de la personne, l’attestation participe à la réalisation des objectifs de la LMEDS, qui sont de favoriser l’intégration au marché du travail, le développement social et le bien‑être, au sein de la société, de personnes vulnérables, comme les jeunes de la communauté LGBTQ2, et de certains groupes sous‑représentés, comme les femmes travaillant dans les domaines des STGM. De plus, le ministre est tenu, suivant la LMEDS, d’établir des critères qui favorisent certains demandeurs de fonds par rapport à d’autres, et ce, dans l’intérêt de l’ensemble des Canadiens.

[76] Le défendeur soutient en outre que les objectifs de l’attestation ne sont pas inconstitutionnels. Selon lui, on ne peut établir de parallèle entre l’attestation en l’espèce et la situation examinée dans l’arrêt R. c Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 RCS 295 [Big M], sur lequel s’appuie les demandeurs, car la loi en cause dans cette affaire (la Loi sur le dimanche) visait clairement à forcer l’observation d’une pratique religieuse en particulier. Au contraire, l’attestation ne vise pas à contraindre à certaines convictions religieuses, ni à mettre des mots [TRADUCTION] « dans la bouche des demandeurs », mais à faire en sorte que les emplois destinés aux jeunes et financés par le gouvernement du Canada se déroulent dans un environnement qui respecte les droits de tous les Canadiens.

[77] Le défendeur affirme qu’aucune preuve ne permet d’affirmer que la TRTL a été ciblée ou exclue. L’attestation visait des emplois et des activités, et non des valeurs et des croyances.

C. L’attestation est conforme aux pouvoirs conférés par la LMEDS

[78] Les dispositions applicables de la LMEDS sont les suivantes :

5 (1) Les attributions du ministre s’étendent d’une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement liés aux ressources humaines et au développement des compétences au Canada ou au développement social du Canada et ne ressortissant pas de droit à d’autres ministres, ministères ou organismes fédéraux.

5 (1) The Minister’s powers, duties and functions extend to and include all matters relating to human resources and skills development in Canada or the social development of Canada over which Parliament has jurisdiction and which are not by law assigned to any other Minister, department, board or agency of the Government of Canada.

 

 

(2) Ces attributions sont exercées aux fins suivantes :

(2) The Minister shall exercise the powers and perform the duties and functions

 

 

a) s’agissant des ressources humaines et du développement des compétences, en vue de rehausser le niveau de vie de tous les Canadiens et d’améliorer leur qualité de vie en faisant la promotion du développement d’une main‑d’œuvre hautement qualifiée et mobile, ainsi que d’un marché du travail efficient et favorable à l’intégration;

(a) relating to human resources and skills development with a view to improving the standard of living and quality of life of all Canadians by promoting a highly skilled and mobile workforce and an efficient and inclusive labour market; and

 

 

b) s’agissant du développement social, en vue de promouvoir le bien‑être des personnes au sein de la société et la sécurité du revenu.

(b) relating to social development with a view to promoting social well‑being and income security.

 

 

7 Le ministre peut, dans le cadre des attributions que lui confère la présente loi, concevoir et réaliser des programmes destinés à appuyer les projets ou autres activités qui contribuent au développement des ressources humaines au Canada et au développement des compétences des Canadiens, au développement social du Canada ou à la prestation de services au public, et accorder des subventions et des contributions pour appuyer ces programmes.

7 The Minister may, in exercising the powers and performing the duties and functions assigned by this Act, establish and implement programs designed to support projects or other activities that contribute to the development of the human resources of Canada and the skills of Canadians, to the social development of Canada or to service delivery to the public, and the Minister may make grants and contributions in support of the programs.

[79] Les articles 5 à 17 de la LMEDS énoncent les attributions du ministre. Les attributions générales du ministre, qui portent sur les ressources humaines, le développement des compétences et le développement social, sont définies à l’article 5. Le paragraphe 5(2), en particulier, en expose les objectifs, qui sont de « rehausser le niveau de vie de tous les Canadiens et d’améliorer leur qualité de vie en faisant la promotion du développement d’une main‑d’œuvre hautement qualifiée et mobile, ainsi que d’un marché du travail efficient et favorable à l’intégration » et de « promouvoir le bien‑être des personnes au sein de la société et la sécurité du revenu ».

[80] L’article 7 confère au ministre le pouvoir de concevoir et réaliser des programmes qui contribuent à la réalisation des objectifs énoncés dans la LMEDS, y compris des programmes de subventions et contributions comme le programme EÉC. Le programme EÉC verse des subventions aux organisations non gouvernementales qui satisfont aux critères particuliers du programme, lesquels reflètent les objectifs de la LMEDS.

[81] La lecture des débats parlementaires entourant la LMEDS nous permet d’apprendre que cette loi (à l’instar de celles qui l’ont précédée) régit un vaste éventail de programmes portant aussi bien sur le développement des compétences que sur le soutien du revenu – par exemple la pension et l’assurance‑emploi. À mon avis, il est impossible d’énoncer dans la LMEDS les objectifs précis de tous les programmes – actuels et éventuels – relevant de la compétence du ministre. Le choix d’un libellé général pour les articles 5 et 7 est une nécessité, tout comme l’adoption d’une interprétation libérale de la portée de la LMEDS et des pouvoirs que celle‑ci confère au ministre.

[82] Par ailleurs, la juge St‑Louis a conclu, au paragraphe 17 de l’ordonnance d’injonction, que la LMEDS « confère un vaste pouvoir discrétionnaire [au] ministre puisque l’article 7 ne prévoit aucune indication sur la façon dont les programmes devraient être interprétés. » Au paragraphe 77, elle fait la remarque suivante :

En vertu de l’article 7 de la loi, [le] ministre peut concevoir et réaliser des programmes destinés à appuyer des projets ou d’autres activités qui contribuent au développement des ressources humaines au Canada et au développement des compétences des Canadiens ou au développement social du Canada, et accorder des subventions et des contributions pour les appuyer. Ainsi, la loi confère un pouvoir discrétionnaire [au] ministre.

[83] Ainsi que l’a expliqué le défendeur, le programme EÉC doit composer avec une quantité de demandes de financement dont la valeur dépasse largement son budget. À chaque exercice, le ministre établit les priorités nationales et les critères d’admissibilité du programme. Pour le programme EÉC 2018, les priorités nationales étaient axées sur les femmes, la communauté LGBTQ2 et les groupes sous‑représentés. Ces priorités ont été exposées expressément dans le Guide du demandeur de 2018 et dans d’autres documents publics.

[84] Le Guide du demandeur de 2018 énumère les trois objectifs du programme : offrir des expériences de travail aux étudiants; aider des organismes, y compris ceux qui offrent d’importants services communautaires; reconnaître que les réalités, les besoins et les priorités varient grandement d’une communauté à l’autre. Puis, il ajoute : « Pour réaliser ces objectifs [d’EÉC], le gouvernement du Canada cherche à faire en sorte que les possibilités d’emploi pour les jeunes financées par le programme Emplois d’été Canada se déroulent dans un environnement qui respecte les droits de tous les Canadiens et Canadiennes. »

[85] Le Guide du demandeur précise que l’attestation est conforme à l’engagement pris par le gouvernement du Canada à l’égard des droits de la personne, ce qui comprend les droits des femmes et les droits liés à la procréation de ces dernières, dont l’accès à des avortements sûrs et légaux. Qui plus est, le document justificatif fait état des engagements du premier ministre en faveur de la promotion de programmes sur la santé et les droits sexuels et droits liés à la procréation à l’échelle mondiale.

[86] La conception d’un programme de financement discrétionnaire destiné à encourager le respect des droits des femmes, des membres de la communauté LGBTQ2 et des minorités cadre à l’évidence avec les objectifs de la LMEDS que sont la conception et la réalisation de programmes qui, conformément à l’article 7, contribuent aux objectifs généraux énoncés au paragraphe 5(2). Le programme EÉC appuie les projets qui contribuent au développement des ressources humaines et des compétences des Canadiens ainsi qu’au développement social du Canada.

[87] Compte tenu du nombre élevé de demandes reçues chaque année, du budget et du court délai prévu pour le traitement et l’approbation des demandes, l’ajout de l’attestation aux conditions d’admissibilité appartenait aux possibilités qui s’offraient au ministre.

[88] Dans son mémoire au ministre, le sous‑ministre explique que l’attestation procure [TRADUCTION] « un moyen supplémentaire d’écarter les organisations inadmissibles, même celles dont le projet semble, à première vue, respecter l’esprit de la Charte », une affirmation qui ne va pas dans le sens de la thèse des demandeurs selon laquelle le gouvernement a voulu exclure les organismes qui ne partagent pas ses opinions.

[89] Par ailleurs, s’il est concevable que les références contenues dans le Guide du demandeur quant à la nature des droits liés à la procréation aient amené les demandeurs à penser que le ministre avait ajouté l’attestation afin d’exclure les groupes pro‑vie, ce n’était pourtant pas l’objectif poursuivi.

[90] Il ressort de la preuve, notamment de l’affidavit de Rachel Wernick [l’affidavit de Mme Wernick] et d’une grande partie des pièces qui y sont jointes, que l’ajout de l’attestation aux conditions d’admissibilité du programme EÉC 2018 avait pour but de financer en priorité les groupes respectueux de certains droits, dont ceux consacrés par la Charte, et offrant des possibilités d’emplois aux membres de groupes vulnérables ou à ceux qui aident ou servent ces groupes vulnérables. Bien qu’elle ait pu avoir comme conséquence d’exclure les demandeurs, ce n’était pas son objectif.

D. L’attestation n’était pas motivée par des considérations dénuées de pertinence

[91] Le dossier montre que divers membres du public favorables à la liberté de choix, dont la CDAC, un groupe de défense du droit à l’avortement, se sont plaints au ministre du fait que des deniers publics étaient versés à des groupes pro‑vie, ce qu’ils désapprouvaient. Le dossier révèle par ailleurs qu’en réponse, les groupes pro‑vie ont également adressé leurs doléances au ministre. Qu’un ministre ou un député reçoive une plainte d’un citoyen concernant l’affectation des fonds publics n’est pas chose exceptionnelle. Or, on peut difficilement qualifier ces lettres de plainte de considérations dénuées de pertinence lorsqu’il s’agit pour le ministre d’examiner les facteurs devant servir à établir les priorités du financement et les critères d’admissibilité. Rien n’indique au demeurant que ces plaintes aient été l’unique facteur pris en compte par le ministre : la preuve montre plutôt que de nombreuses considérations ont influencé les priorités du programme, y compris les engagements internationaux du Canada et, plus généralement, les priorités stratégiques déclarées.

VII. La décision d’ajouter l’attestation a‑t‑elle été prise de mauvaise foi, parce qu’elle l’a été dans un but illégitime ou en fonction de considérations dénuées de pertinence?

A. Les observations des demandeurs

[92] Invoquant l’arrêt Roncarelli c Duplessis, [1959] RCS 121, 1959 CanLII 50, les demandeurs soutiennent que le ministre a agi de mauvaise foi, en se fondant sur des considérations dénuées de pertinence et dans un but illégitime, car l’attestation a été imposée pour apaiser la CDAC, qui partage le point de vue du gouvernement sur la question des droits liés à la procréation, de même que pour réaffirmer l’engagement idéologique du gouvernement à ne pas subordonner l’accès à l’avortement au Canada à des conditions juridiques.

[93] Les demandeurs allèguent que le ministre a dissimulé les véritables raisons de l’attestation jusqu’à ce que la Cour ordonne la communication de documents supplémentaires qui ont révélé l’existence de plaintes formulées par la CDAC et sur les réseaux sociaux.

[94] Par ailleurs, les demandeurs évoquent la participation [traduction] « inhabituelle » du cabinet du premier ministre : ils signalent à cet effet la lettre de juin 2017, dans laquelle la CDAC offrait de rencontrer le personnel du cabinet du premier ministre [le CPM], ainsi que la lettre du CPM accusant réception de l’offre.

B. Les observations du défendeur

[95] Selon le défendeur, aucune preuve ne permet d’affirmer que le ministre a agi dans un dessein illégitime ou qu’il a tenu compte de facteurs dénués de pertinence.

[96] Le défendeur fait valoir que l’examen de plaintes formulées par des membres du public – particuliers ou organisations – ayant des opinions contraires ne peut être considéré comme une démonstration de mauvaise foi, ajoutant qu’il est du devoir d’EDSC d’examiner de telles plaintes.

C. La décision d’ajouter l’attestation n’a pas été prise de mauvaise foi

[97] Dans la décision Freeman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1065 aux para 23–29, la juge Mactavish (désormais juge de la Cour d’appel fédérale) reprend les principes applicables au concept de mauvaise foi, y compris ceux que la Cour suprême du Canada a établis dans l’arrêt Roncarelli c Duplessis. Ces principes peuvent être résumés ainsi :

  • La bonne foi se présume, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi de la prouver. Pour prouver la mauvaise foi, il n’est pas nécessaire d’en fournir une preuve directe ou encore de prouver la malice ou l’intention de nuire. La mauvaise foi peut être inférée des circonstances pertinentes.
  • La bonne foi consiste à appliquer la loi d’une manière conforme à son intention et dans le but auquel elle tend, c’est‑à‑dire à agir de bonne foi dans une appréciation raisonnable de cette intention et de ce but, et non dans une intention hors de propos et pour un but étranger.
  • La bonne foi ne consiste pas à agir dans le but de punir une personne qui a exercé un droit incontestable ni à essayer arbitrairement et illégalement de dépouiller un citoyen d’un élément de son statut de citoyen.
  • La mauvaise foi peut englober les actes délibérés, les actes qui se démarquent tellement du contexte législatif dans lequel ils sont posés qu’un tribunal ne peut raisonnablement conclure qu’ils l’ont été de bonne foi, et l’insouciance ou l’indifférence grave.

[98] La décision d’ajouter l’attestation ne présente aucune des caractéristiques de la mauvaise foi, laquelle ne peut non plus être inférée des « circonstances pertinentes ».

[99] Pour reprendre ce que j’ai mentionné plus haut, l’attestation relève du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre aux termes du vaste mandat défini à l’article 5 de la LMEDS ainsi que du pouvoir du ministre de réaliser des programmes destinés à appuyer les projets qui contribuent au développement social, des ressources humaines et des compétences, conformément à l’article 7 de la LMEDS. Le ministre n’a pas agi dans un but illégitime en imposant l’attestation.

[100] Comme le signale le défendeur, le fait de veiller à diriger les fonds vers des employeurs qui se gardent de miner les droits de la personne et qui respectent les droits de tous les Canadiens est conforme aux objectifs de promotion du développement social et d’un marché du travail favorable à l’intégration et ne tient pas du dessein illégitime.

[101] Le ministre n’a pas fondé sa décision d’ajouter l’attestation sur des considérations dénuées de pertinence. L’opinion des Canadiens sur la façon d’attribuer les fonds du programme EÉC est un facteur pertinent lorsqu’il s’agit d’établir les priorités, les conditions d’admissibilité et les modalités d’application de ce programme.

[102] Le fait que le CPM a accusé réception de la lettre de la CDAC ne permet pas d’établir l’existence de mauvaise foi. Bien que la CDAC ait offert de mettre à disposition [traduction] « [son] expertise et [ses] ressources » pour aider à faire en sorte que les groupes anti‑choix ne puissent plus bénéficier de fonds publics, rien n’indique qu’une rencontre a eu lieu. Du reste, même si c’était le cas, les rencontres entre responsables politiques et lobbyistes ne sont pas la preuve qu’un processus décisionnel est entaché de mauvaise foi. Rappelons qu’à l’époque en question, le ministre a reçu des plaintes de groupes pro‑choix comme de groupes pro‑vie. Le ministre et le gouvernement étaient conscients de la polarisation du débat sur l’avortement.

VIII. La décision du ministre d’ajouter l’attestation dénote‑t‑elle la fermeture d’esprit ou suscite‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité?

A. Les observations des demandeurs

[103] Dans leur avis de demande, les demandeurs plaident l’illégalité de l’attestation imposée, invoquant plusieurs moyens fondés sur le droit administratif, dont un manquement à l’équité procédurale. Plus précisément, ils soutiennent que l’action du ministre suscite une crainte raisonnable de partialité étant donné que l’ajout de l’attestation donnait suite, à leur avis, aux plaintes provenant de la CDAC et des groupes pro‑choix.

B. Les observations du défendeur

[104] Le défendeur fait valoir, d’une part, que cette décision de caractère politique ne faisait naître aucune obligation d’équité procédurale envers les demandeurs et, de l’autre, qu’il n’y avait aucune preuve de partialité.

[105] Le défendeur soutient que le critère à appliquer pour juger d’une allégation voulant qu’un ministre ait fait preuve de partialité ou d’un manque d’impartialité en prenant une décision de nature politique est celui de l’« esprit fermé » (Pelletier c Canada (Procureur général), 2008 CAF 1 aux para 49–55 [Pelletier]). La question est donc de savoir si le ministre était fermé aux opinions contraires aux siennes.

[106] Selon le défendeur, les demandeurs n’ont fait ressortir aucun élément de preuve étayant leur allégation de partialité ou d’esprit fermé. Le ministre ajouter qu’il n’a pas fait montre de fermeture d’esprit dans son examen des plaintes portant sur la façon dont les fonds du programme EÉC avaient été affectés jusque‑là.

C. La décision du ministre d’ajouter l’attestation ne dénote pas la fermeture d’esprit

[107] Dans l’arrêt Pelletier, la Cour d’appel fédérale précise que l’obligation d’impartialité à laquelle sont astreints les ministres lorsqu’ils prennent des décisions de caractère politique et discrétionnaire correspond à la norme de l’« esprit fermé ». Au paragraphe 49, elle fait la remarque suivante :

Dans une série d’arrêts dont le dernier en lice est Cie pétrolière Impériale ltée c. Québec (Ministre de l’Environnement), [2003] 2 R.C.S. 624, la Cour suprême du Canada a clairement établi que le contenu de l’obligation d’impartialité varie selon la nature des fonctions d’un décideur administratif et de la question à résoudre. Le contenu se situe entre celui qui est exigé des tribunaux judiciaires et des tribunaux administratifs exerçant des fonctions voisines de celles des tribunaux judiciaires – c’est la crainte raisonnable de partialité – et celui qui est exigé des gestionnaires administratifs comme les ministres, appelés à remplir des fonctions discrétionnaires, à contenu politique – c’est l’esprit fermé.

[Non souligné dans l’original.]

[108] Au paragraphe 55, la Cour d’appel explique que la décision discrétionnaire à contenu politique est « astreinte, tout au plus, à la norme [d’impartialité] de l’esprit fermé ».

[109] La norme de l’« esprit fermé » est peut‑être moins exigeante que celle de la crainte de partialité, mais il s’agit néanmoins d’une norme élevée.

[110] Comme le signale le juge Brown au paragraphe 50 de la décision Ernst c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2021 CF 16 (décision qui s’applique, il est vrai, à un décideur administratif d’un autre ordre) :

[…] une allégation de partialité portée à l’encontre d’un enquêteur est une allégation grave et ne doit pas être faite à la légère. Je suis d’accord avec sa prétention. L’allégation ne peut reposer sur de simples soupçons, des conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur. Il incombe à l’auteur de l’allégation de prouver l’existence de partialité ou d’une crainte raisonnable de partialité : Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 [le juge Létourneau], au para 8, et Hughes c Canada (Procureur général), 2010 CF 837 [la juge Mactavish, désormais juge à la Cour d’appel fédérale] au para 21.

[111] Que l’on applique le critère de l’esprit fermé ou celui de la crainte raisonnable de partialité, les demandeurs ne sont pas parvenus à satisfaire à cette norme élevée exigeant qu’ils étayent leur grave allégation en prouvant l’existence de partialité.

[112] D’après la preuve au dossier, la décision du ministre d’imposer l’attestation n’est pas le produit d’un esprit fermé à l’opinion des groupes pro‑vie et réceptif uniquement au point de vue de la CDAC et des autres groupes de défense du droit à l’avortement, contrairement à ce que prétendent les demandeurs. La décision a été prise en fonction de plusieurs considérations, dont l’actuelle politique nationale officielle du gouvernement et ses engagements internationaux en matière de droits de la personne, d’égalité des sexes, de droits liés à la procréation et de droits des personnes LGBTQ2. Ce constat est confirmé par le Guide du demandeur, par le document justificatif et par plusieurs autres documents issus de discussions au sein d’EDSC et au Parlement, documents qui sont évoqués dans l’affidavit de Mme Wernick auquel ils sont joints.

D. Les demandeurs n’ont établi l’existence d’aucun autre manquement à l’équité procédurale

[113] L’allégation générale de manquement à l’équité procédurale que les demandeurs ont formulée sans donner d’autres précisions est sans fondement.

[114] Dans la décision Fédération canado‑arabe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1283 [Fédération canado‑arabe], conf par 2015 CAF 168, le juge Zinn a conclu qu’aucune obligation d’équité procédurale ne s’applique relativement à la décision de ne pas renouveler un accord de financement. Au paragraphe 38 de la décision, il a énoncé ce qui suit :

[] Enfin, le fait d’accorder des droits procéduraux dans ce qui [n’]est, pour l’essentiel, qu’un contexte strictement commercial occasionnerait un fardeau excessif pour le ministre, en particulier lorsque la fenêtre pour rendre une décision est étroite et qu’il y a de plus grandes considérations en matière de politique publique que le ministre doit soupeser. Dans un tel contexte, les droits des parties sont mieux protégés par l’appréciation d’une cour de révision quant au caractère raisonnable de la décision, et non par le développement de droits procéduraux lorsqu’il n’y en a aucun qui existe par ailleurs.

[115] En l’espèce, la question est de savoir si une obligation d’équité procédurale naît, non pas du refus d’accorder du financement, mais plutôt de la décision, à caractère politique, d’imposer l’attestation. Puisque la Cour a statué, dans la décision Fédération canado‑arabe, que le ministre n’était tenu à aucune obligation d’équité procédurale envers un demandeur relativement au refus de renouveler un accord de financement, il faut conclure qu’une décision de politique générale consistant à concevoir un programme et à en établir les critères d’octroi de l’aide financière n’emportera aucune obligation d’équité procédurale envers l’éventuel demandeur. De plus, l’application des facteurs de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193, qui sont pertinents pour établir s’il existe une obligation d’équité procédurale, ne permet pas de conclure à l’existence d’une obligation générale d’équité procédurale envers les demandeurs eu égard à la décision d’ajouter l’attestation.

IX. L’attestation touche‑t‑elle les droits reconnus aux demandeurs par les alinéas 2a) et b) et l’article 15 de la Charte? Le cas échéant, est‑elle le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits et protections constitutionnels en cause, d’une part, et des objectifs de la LMEDS et du programme EÉC, de l’autre?

A. Les observations des demandeurs

[116] Les demandeurs prétendent que, même si l’objet de l’attestation n’était pas inconstitutionnel, celle‑ci a eu sur leur droit à la liberté d’expression et de religion et leur droit à l’égalité, qui leur sont garantis par la Charte, des effets attentatoires importants et hors de proportion par rapport aux objectifs prévus par la Loi.

[117] Les demandeurs soutiennent que l’attestation représente une forme d’expression forcée contraire à l’alinéa 2b) de la Charte. Citant les facteurs énoncés dans l’arrêt Lavigne, ils font valoir que l’attestation oblige la TRTL et M. Alleyne à déclarer qu’ils partagent le point de vue des défenseurs de la liberté de choix pour avoir droit au même traitement qu’eux, qu’ils doivent adhérer publiquement à un message de défense de l’avortement et qu’ils n’ont pas la possibilité de désavouer ce message.

[118] En outre, les demandeurs avancent que l’attestation impose une croyance religieuse du fait qu’elle les oblige à fournir une attestation contraire à leurs convictions et leur conscience religieuses, ce qui est contraire à l’alinéa 2a) de la Charte. Ils affirment que leur adhésion aux idées pro‑vie, qui est sincère, a un lien avec la religion et que l’attestation empiète de manière non négligeable sur leur liberté de religion. Les demandeurs se réfèrent à l’affidavit du Pr John Berkman, qui explique que la croyance dans le caractère sacré de la vie tire son fondement des traditions catholiques.

[119] Les demandeurs soutiennent que la TRTL est un organisme dont la vocation est à la fois éducative et confessionnelle; elle est investie d’une mission de sensibilisation et de défense du caractère sacré de la vie. Ils ajoutent que l’évocation du [traduction] « caractère sacré de la vie » dans ses lettres patentes est une référence évidente à ses croyances religieuses. Ainsi, selon eux, la TRTL et ses membres ne peuvent attester de croyance opposée.

[120] Les demandeurs contestent l’idée que ces violations de la Charte sont justifiables, puisque rien n’oblige a priori la TRTL à faire une demande d’aide financière. Ils invoquent un arrêt de la Cour suprême des États‑Unis, Perry v Sindermann, portant que malgré l’absence de tout droit à une prestation gouvernementale, il est contraire à la Constitution de ce pays de refuser une telle prestation pour des motifs liés à l’expression d’une croyance particulière.

[121] Les demandeurs font également valoir que l’attestation entraîne de la discrimination fondée sur la religion, ce qui contrevient à l’article 15 de la Charte. Ils prétendent que l’attestation établit, entre MM. Alleyne et Battista, d’un côté, et tous les autres, une distinction fondée sur leurs croyances religieuses et leur appartenance à un groupe dont les croyances religieuses l’empêchent et empêchent ses membres de produire cette attestation. Les demandeurs ajoutent que l’attestation a un effet discriminatoire parce qu’elle désavantage MM. Alleyne et Battista. L’organisation de M. Alleyne, la TRTL, a vu sa demande de financement écartée, parce que lui‑même n’a pu attester une opinion contraire à ses croyances religieuses. M. Battista a été privé d’une possibilité d’emploi.

[122] De plus, les demandeurs soutiennent que cette distinction perpétue un désavantage, notamment en entretenant des stéréotypes au sujet de leur organisation et des groupes pro‑vie en général. Ils renvoient à l’affidavit dans lequel M. Alleyne déclare avoir été victime de harcèlement et de voies de fait. D’ailleurs, ils prétendent qu’ils n’ont pas à présenter d’éléments de preuve d’un type particulier pour établir l’existence d’un désavantage (Fraser c Canada (PG), 2020 CSC 28 aux para 57–59 [Fraser]).

[123] Au dire des demandeurs, l’attestation leur refuse intégralement le bénéfice du programme EÉC — qui se veut selon eux un programme d’application générale – sans prévoir de mesures d’accommodement. Ils ajoutent que cela a sur leur liberté d’expression et de religion et sur leur droit à l’égalité des effets délétères qui sont hors de proportion par rapport aux éventuels effets salutaires de la réalisation par le ministre des objectifs prévus par la Loi.

B. Les observations du défendeur

[124] Selon le défendeur, les demandeurs n’ont pas établi que l’attestation impose un certain discours, qu’elle porte atteinte à la liberté de religion ou qu’elle leur réserve un traitement discriminatoire en raison de leur religion ou d’un autre motif de distinction interdit. À titre subsidiaire, il fait valoir que si les droits que la Charte garantit aux demandeurs ont été touchés, l’attestation opère néanmoins un juste équilibre entre les droits en cause protégés par la Charte, d’une part, et les objectifs de la LMEDS et du programme EÉC 2018, d’autre part.

[125] Le défendeur prétend que l’attestation n’a rien à voir avec les croyances et les valeurs d’une organisation. Il rappelle que l’erreur d’interprétation des demandeurs ne peut servir à asseoir une déclaration d’inconstitutionnalité. Selon lui, l’attestation sert uniquement à confirmer que les principales activités et les emplois d’un demandeur d’aide financière ne visent pas à miner les droits de la personne, et ce, afin de s’assurer que les organisations bénéficiaires respectent les droits de tous les Canadiens. Le défendeur affirme que l’attestation n’oblige pas la TRTL à déclarer qu’elle est favorable au libre choix.

[126] En ce qui concerne la liberté d’expression protégée à l’alinéa 2b), le défendeur prétend que l’attestation n’associe pas la TRTL à un message que rejette l’organisation. Il rappelle les propos de M. Alleyne, selon lesquels la TRTL adhère au principe consistant à faire respecter la loi et la Charte.

[127] Le défendeur soutient que les facteurs énoncés dans l’arrêt Lavigne n’interviennent pas en l’espèce. Il n’existe pas de droit au financement, pas d’obligation de demander une aide financière et, partant, pas d’obligation de fournir l’attestation. Le défendeur souligne que la TRTL n’a pas produit d’attestation; il s’ensuit qu’aucun discours n’a été obtenu de force de la TRTL ou encore, de M. Alleyne à titre personnel. De plus, la TRTL a eu la possibilité de désavouer l’attestation ou ce qu’elle en comprenait. Ni la TRTL ni M. Alleyne n’ont été empêchés d’exprimer leur position pro‑vie et d’ailleurs, ils continuent de le faire.

[128] En ce qui concerne de la liberté de religion protégée à l’alinéa 2a), le défendeur prétend que l’attestation n’a pas créé de distinction fondée sur la religion ni exclu les groupes religieux du processus de demande de financement.

[129] Il prétend également que les demandeurs n’ont pas démontré que la TRTL est un groupe ou un organisme religieux.

[130] Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas produit de preuve objective pour étayer leur affirmation selon laquelle l’attestation avait entravé de manière non négligeable l’observance d’une croyance sincère ayant un lien avec la religion. Or, ils ne peuvent se contenter de s’appuyer sur des impressions et des conjectures. Le défendeur souligne que la TRTL est libre d’exprimer et de mettre en pratique ses convictions religieuses et qu’elle continue de le faire.

[131] En ce qui concerne l’allégation des demandeurs voulant qu’ils aient fait l’objet de discrimination fondée sur la religion en violation de l’article 15, le défendeur fait remarquer, premièrement, que les droits à l’égalité sont garantis uniquement aux personnes physiques. Il réitère que les droits personnels de M. Alleyne et M. Battista n’ont pas été touchés.

[132] Deuxièmement, le défendeur prétend que la TRTL n’est pas un organisme religieux, puisqu’elle se décrit elle‑même comme une [traduction] « organisation non sectaire de défense des droits de la personne » investie d’une mission de sensibilisation et de promotion des positions pro‑vie. Selon le défendeur, le fait de défendre des positions pro‑vie ne correspond à aucun motif illicite — énuméré ou analogue – de discrimination.

[133] Troisièmement, le défendeur fait valoir que l’attestation n’a pas créé de distinction fondée sur la religion ni exclu les groupes religieux du processus de demande de financement. Il renvoie au passage du Guide du demandeur de 2018 dans lequel il est précisé que l’affiliation religieuse d’un organisme ne constitue pas un motif d’inadmissibilité au programme.

[134] Quatrièmement, le défendeur affirme que les demandeurs n’ont produit aucune preuve objective tendant à démontrer que l’attestation avait porté atteinte aux droits à l’égalité de M. Alleyne ou de M. Battista. Contrairement à ce qui est exigé au paragraphe 50 de l’arrêt Fraser, les demandeurs n’ont pas démontré que l’attestation créait une distinction fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue, et que cette distinction, en leur imposant un fardeau ou en leur refusant un avantage, avait pour effet de perpétuer le désavantage.

[135] Le défendeur soutient que même si on considère la TRTL comme un groupe religieux et que M. Alleyne et M. Battista appartiennent à ce groupe, les demandeurs n’ont pas prouvé que l’attestation avait sur eux un effet particulier. Au contraire, ils se contentent de supposer que la capacité de la TRTL d’offrir des possibilités d’emplois serait limitée si on lui refusait une aide publique pour financer deux emplois d’été pour étudiants.

[136] À l’inverse des demandeurs, qui prétendent que l’arrêt Fraser les dispense de la nécessité de présenter des éléments de preuve d’un type particulier pour établir l’existence d’un désavantage, le défendeur soutient qu’ils sont tenus de produire une preuve suffisante.

[137] En ce qui concerne la question de la proportionnalité, le défendeur soutient que si l’attestation restreignait les droits garantis par la Charte aux demandeurs, l’atteinte était minimale et raisonnable, car elle était le fruit d’une mise en balance proportionnée des protections constitutionnelles en jeu et des objectifs de la LMEDS et du programme EÉC.

[138] Le défendeur soutient que le ministre est parvenu à établir un juste équilibre entre la liberté d’expression et de religion, d’une part, et de l’autre, l’objectif de promotion de l’égalité des sexes, et ce, en axant l’objet de l’attestation sur les activités principales de l’organisme, plutôt que sur ses croyances et ses valeurs. Il ajoute que les droits garantis par la Charte et les droits de la personne, notamment l’égalité des sexes et, en priorité, les droits de la communauté LGBTQ2, sont l’assise sur laquelle reposent les objectifs du programme EÉC 2018 et l’attestation. Le défendeur explique que le pouvoir des femmes de disposer librement de leur corps est une composante essentielle de l’égalité des sexes; que pour disposer librement de son corps, une femme doit pouvoir jouir de droits en matière de procréation, et que parmi ces droits figure le droit à des avortements sûrs et légaux. Les organisations qui s’emploient à faire reculer le droit des femmes à l’avortement causent du tort à ces dernières et à la société. Financer les organismes qui veulent la restriction de l’accès à l’avortement reviendrait à donner une légitimité à ce type d’activités.

[139] Le défendeur cite le témoignage de la Pre Amy Kaler, qui a confirmé l’importance du pouvoir des femmes de disposer librement de leur corps dans la réalisation de l’égalité des sexes et du droit de participer pleinement à la société. Il cite également le témoignage du Pr Barry Adam, qui a confirmé que la discrimination en emploi avait des conséquences néfastes pour les jeunes de la communauté LGBTQ2. Selon le défendeur, cela confirme, avec d’autres éléments de preuve, le caractère raisonnable de la décision à caractère politique du ministre d’introduire l’attestation et de l’exercice de mise en balance des droits en cause protégés par la Charte et des objectifs de l’attestation.

C. La restriction des droits garantis aux demandeurs par la Charte est le fruit d’une mise en balance proportionnée de ces droits et des objectifs prévus par la Loi; la décision d’ajouter l’attestation était raisonnable

(1) Vue d’ensemble

[140] L’objet de l’attestation n’excède pas le cadre des pouvoirs conférés par la LMEDS. L’attestation ne vise pas à empiéter sur les droits garantis par la Charte, mais bien à promouvoir de façon générale les droits et valeurs consacrés par la Charte et les droits de la personne.

[141] Cela dit, je suis d’avis que les effets de l’attestation empiètent sur les droits garantis aux demandeurs par les alinéas 2a) et b). En revanche, ses effets ne mettent pas en cause leur droit à l’égalité reconnu à l’article 15. Je suis également d’avis que la décision d’ajouter l’attestation est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte, d’une part et, d’autre part, des objectifs de la LMEDS et du programme EÉC 2018, lequel vise à protéger et promouvoir les droits et valeurs consacrés par la Charte. S’il est vrai qu’on peut difficilement parvenir à une parfaite proportionnalité, il ressort néanmoins du dossier que la décision d’ajouter l’attestation a été prise en tenant compte d’une multitude de facteurs, y compris ses effets sur les groupes confessionnels et pro‑vie. Certes, le ministre aurait pu arrêter son choix sur d’autres moyens de rehausser les critères d’admissibilité, mais l’attestation était une solution raisonnable qui visait à mettre en valeur les priorités de financement et les objectifs généraux du programme EÉC tout en atténuant ses effets attentatoires sur certains demandeurs éventuels. La décision à caractère politique du ministre commande la retenue et je n’ai aucune raison d’intervenir. Le caractère proportionné de la mise en balance témoigne d’une décision raisonnable.

(2) La liberté de religion garantie par l’alinéa 2a) est en jeu

[142] La Cour suprême a réaffirmé le critère servant à établir si le droit garanti par l’alinéa 2a) est en jeu dans l’arrêt Law Society of British Columbia c Trinity Western University, 2018 CSC 32 :

[62] La Cour a adopté une interprétation large et téléologique à l’égard de la liberté de religion garantie par la Charte. Cette liberté englobe « le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement des croyances religieuses sans crainte d’empêchement ou de représailles et le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation » (R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, p. 336).

[63] L’alinéa 2a) de la Charte est restreint lorsque le demandeur démontre deux choses : premièrement, qu’il croit sincèrement à une pratique ou à une croyance ayant un lien avec la religion, et, deuxièmement, que la conduite qu’il reproche à l’État limite d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de se conformer à cette pratique ou croyance (Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 65; Ktunaxa Nation c. Colombie‑Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, [2017] 2 R.C.S. 386, par. 68). Si, selon ce critère, l’al. 2a) n’est pas en cause, il n’y a rien à mettre en balance.

[143] Dans l’arrêt Loyola, la Cour suprême a confirmé, aux paragraphes 91 et 92 des motifs concordants, que les organismes peuvent invoquer l’alinéa 2a), parce que la liberté de religion « comporte une dimension à la fois individuelle et collective ».

[144] M. Alleyne confirme que ses croyances religieuses sont sincères et qu’il lui est impossible, en toute conscience et du fait de sa religion, de cautionner le droit à l’avortement. M. Alleyne affirme que ses propres opinions sur le caractère sacré de la vie, celles des membres de la TRTL et le mandat et les principales activités de l’organisation sont ancrées dans les enseignements de l’Église catholique. Dans son affidavit, le Pr Berkman explique en quoi le catholicisme incarne, met en pratique et défend le principe du caractère sacré de la vie.

[145] Bien que la TRTL se définisse comme étant une organisation non sectaire et essentiellement pro‑vie, son mandat et ses valeurs ont un lien avec la religion.

[146] En ce qui concerne l’observation du défendeur selon laquelle les demandeurs n’ont pas produit de preuve objective d’une entrave non négligeable à la liberté de religion, je suis d’avis que l’affidavit dans lequel M. Alleyne déclare, en qualité de président de la TRTL et au nom de cette dernière, qu’il lui était impossible de cocher les cases de l’attestation sans trahir ses convictions morales et religieuses personnelles au sujet de l’avortement ou les croyances fondamentales de la TRTL constitue une preuve suffisante. Certes, la TRTL n’avait aucune obligation de solliciter du financement auprès du programme EÉC, mais elle souhaitait le faire. Fournir l’attestation serait une atteinte, voire même en totale opposition, aux croyances religieuses servant d’inspiration au mandat et aux activités de la TRTL et aux croyances religieuses de M. Alleyne. L’attestation entrave la capacité de M. Alleyne d’agir conformément à ses croyances. Il ne pouvait adopter une position contraire sans entacher sa crédibilité ou heurter ses principes moraux.

[147] Même si la TRTL et M. Alleyne peuvent continuer, de façon générale, de pratiquer leur religion et de faire connaître leurs croyances religieuses, l’interprétation libérale accordée à la notion de liberté de religion incite à conclure qu’il y a eu entrave à la capacité des demandeurs d’agir conformément à leurs croyances religieuses, bien que cette entrave se soit manifestée dans le cadre limité de la présentation d’une demande d’aide financière auprès du programme EÉC 2018.

(3) La liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) est en jeu

[148] La liberté d’expression garantit à chacun le droit de s’exprimer et de ne pas être contraint de s’exprimer (Banque Nationale du Canada c Union internationale des employés de commerce, [1984] 1 RCS 269, à la p 296, 1984 CanLII 2).

[149] Dans l’arrêt Irwin Toy Ltd c Québec (Procureur général), [1989] 1 RCS 927, 1989 CanLII 87 [Irwin Toy], la Cour suprême du Canada a conclu que pour évaluer si une loi porte atteinte à la liberté d’expression, il faut, dans un premier temps, établir si l’activité en cause relève du champ des activités protégées par la liberté d’expression, et ensuite, si l’objet ou l’effet de la loi en question restreint l’expression.

[150] L’attestation est une forme d’expression comportant un contenu expressif (à savoir, le respect des droits liés à la procréation, y compris l’accès à l’avortement) et peut être considérée comme une forme d’expression forcée, puisque les demandeurs doivent souscrire au message, à défaut de quoi leur demande d’aide financière ne sera pas considérée. Même si l’attestation ne visait pas à imposer un discours ou à contraindre la parole, elle a eu sur les demandeurs un effet s’apparentant à une forme d’expression forcée. Les demandeurs ont bien compris le message. Dans le Guide du demandeur, il est maintes fois répété que les droits liés à la procréation comprennent le droit à des avortements sûrs et légaux.

[151] Les parties conviennent de la pertinence des facteurs énoncés dans l’arrêt Lavigne – identification au message aux yeux du public et impossibilité de désavouer ce message – pour ce qui est de trancher la question de savoir si l’expression forcée constitue une violation de l’alinéa 2b).

[152] À la page 267 de l’arrêt Lavigne, la juge Wilson conclut que l’arrêt Irwin Toy s’applique à la question de l’expression forcée, ou imposée. Sur ce point, elle fait l’observation suivante :

[…] Si l’objet que poursuivait le gouvernement était de faire dire des choses particulières au demandeur, pour formuler métaphoriquement l’allégation faite en l’espèce, l’action servant à réaliser cet objet est contraire à l’al. 2b). Si, par contre, l’objet du gouvernement était autre, mais que son action a eu pour effet de violer le droit du demandeur à la liberté d’expression, le demandeur doit encore montrer que cet effet justifie la désapprobation constitutionnelle. Il me semble donc que la méthode d’interprétation établie dans l’arrêt Irwin Toy se prête aisément à l’analyse des demandes fondées sur l’expression imposée et je vais la suivre en examinant l’application de l’al. 2b) en l’espèce.

[153] Sur la question de la capacité de désavouer l’expression forcée, la juge Wilson donne les précisions qui suivent aux pages 279 et 280 :

Ces décisions [des tribunaux américains] mises à part, je suis d’avis qu’en principe les questions de l’identification aux yeux du public et de la possibilité de désavouer doivent être prises en considération dans l’examen fondé sur l’al. 2b). Je ne formule qu’une réserve : il faut examiner avec soin la question de savoir si une personne a vraiment la possibilité de désavouer. La possibilité doit être réelle et nous ne devons pas être trop prompts à attribuer à des personnes des possibilités et des capacités qu’elles n’ont pas vraiment. Cela mis à part, je suis en faveur de l’inclusion de ces facteurs parce que tous deux visent à préserver et à favoriser l’objectif fondamental de la garantie reconnue à l’al. 2b), qui est d’assurer à chacun la possibilité réelle de s’exprimer. Si une loi ne prive pas vraiment une personne de la capacité de dire son opinion ou ne l’associe pas effectivement à un message qu’elle désapprouve, il est difficile de voir comment elle est privée de son droit de rechercher la vérité, de jouer un rôle dans la collectivité ou de se réaliser.

[154] Comme le souligne le défendeur, nul n’était tenu de fournir l’attestation, puisque personne n’était forcé de présenter une demande de financement. Cela dit, tous les demandeurs qui ont effectivement demandé une aide financière ont eu à produire l’attestation. L’expérience de la TRTL montre que la règle ne souffrait aucune exception et qu’il n’était pas non plus possible de souscrire à un message subsidiaire.

[155] Par ailleurs, comme le signale le défendeur, les demandeurs qui produisaient l’attestation étaient libres d’exprimer leur point de vue sur d’autres tribunes, peu importe la teneur de ce point de vue et ce qui le distinguait du message de l’attestation. Or, en pratique, si une organisation exprimait une vue contraire, son honnêteté et sa crédibilité seraient mises à mal. Même si la TRTL pouvait dénoncer publiquement la position pro‑choix et qu’elle le fait, en plus de continuer à diffuser et défendre publiquement des messages pro‑vie, il lui était de toute façon impossible, en pratique, de fournir l’attestation sans nuire à sa crédibilité, car elle aurait été associée à l’idée que le respect des droits liés à la procréation suppose de garantir un accès à des avortements sûrs et légaux, un message qu’elle n’approuve pas. En pareille situation, il faut considérer que la TRTL n’aurait pas véritablement pu désavouer l’attestation.

[156] Je conclus, suivant une interprétation large de l’alinéa 2b), que l’attestation empiète sur le droit des demandeurs à la liberté d’expression. Bien que les demandeurs soient par ailleurs libres d’exprimer leurs opinions pro‑vie et de s’opposer à l’avortement, ils étaient tenus, pour être admissibles à une aide financière du programme EÉC 2018 de produire l’attestation (en plus de satisfaire à plusieurs autres conditions).

(4) Les droits à l’égalité garantis par l’article 15 ne sont pas en jeu

[157] Dans l’arrêt Fraser, la Cour suprême du Canada a rappelé le critère à appliquer à l’égard des allégations fondées sur l’article 15. Au paragraphe 27, elle donne des indications sur la façon de procéder et sur la nature de la preuve dont les tribunaux peuvent tenir compte :

Pour prouver une violation prima facie du par. 15(1), le demandeur doit démontrer que la loi contestée ou l’acte de l’État :

crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue;

impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage.

(Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, [2018] 1 R.C.S. 464, par. 25; Centrale des syndicats du Québec c. Québec (Procureure générale), [2018] 1 R.C.S. 522, par. 22.)

[158] Au paragraphe 81, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

En résumé, donc, la première étape de l’analyse relative à l’art. 15 vise à établir que la loi impose un traitement différent sur la base de motifs protégés, soit explicitement soit par un effet préjudiciable. À la deuxième étape, la Cour doit se demander si la loi a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage (Alliance, par. 25).

[159] Rappelons que, suivant la position des demandeurs, l’attestation créerait, eu égard aux membres de la TRTL, dont M. Alleyne, une distinction fondée sur leur croyance dans le caractère sacré de la vie, laquelle est ancrée dans des croyances religieuses sincères et jouit donc de la protection conférée par l’article 15.

[160] À mon sens, le droit à l’égalité de M. Alleyne n’est pas en cause.

[161] Bien que la TRTL se définisse par divers attributs, il s’agit essentiellement d’un groupe pro‑vie. M. Alleyne atteste que la TRTL est une organisation bénévole, non sectaire de défense des droits de la personne qui est investie d’une mission de sensibilisation aux enjeux pro‑vie, dont elle s’acquitte au moyen d’activités éducationnelles et de diffusion de connaissances. Je reconnais que le message ou le mandat de la TRTL est axé sur la défense du caractère sacré de la vie, depuis la conception jusqu’au décès. Comme l’explique le Pr Berkman, cette vision prend sa source dans le catholicisme. Le mandat de la TRTL et les valeurs qui la sous‑tendent ont un lien avec la religion. Toutefois, je suis d’avis que la TRTL ne devrait pas être décrite comme étant une organisation principalement religieuse.

[162] Le fait de défendre des positions pro‑vie ou d’appartenir à un groupe pro‑vie ne correspond à aucun motif énuméré ou analogue appelant la protection de l’article 15.

[163] Selon moi, il convient de qualifier la TRTL d’organisation hybride, puisque son mandat de défense de la position pro‑vie a un lien avec la religion. Dans la mesure où cette définition permet d’alléguer l’existence de discrimination fondée sur la religion, il faut ensuite se demander si l’attestation a un effet disproportionné sur les membres de ce groupe (Fraser au para 52).

[164] L’attestation ne vise pas à créer une distinction fondée sur la religion. Rien ne fait obstacle, du point de vue de la religion, à l’admissibilité des groupes religieux ou confessionnels à l’aide financière offerte dans le cadre du programme EÉC. Le Guide du demandeur précise en effet que « les églises, les organismes religieux et confessionnels » sont admissibles et que le « fait qu’un organisme est affilié à une religion ne constitue pas en soi une inadmissibilité à ce programme ». De plus, EDSC a produit des renseignements complémentaires, dont certains ont été communiqués directement aux demandeurs, et ces renseignements présentent plusieurs cas hypothétiques où des groupes confessionnels seraient admissibles s’ils remplissaient l’attestation.

[165] S’il est vrai que certains groupes religieux ou confessionnels ont pu être en mesure de demander du financement et de fournir l’attestation sans trahir leurs croyances, les demandeurs font valoir que leurs membres ne pouvaient pas faire une telle chose, parce que leurs opinions pro‑vie reposent sur leurs croyances religieuses. Selon eux, si on considère le cas de M. Alleyne du point de vue de son appartenance à la TRTL, l’attestation a pour effet ou conséquence de créer une distinction fondée sur la religion, car M. Alleyne ne pouvait pas signer l’attestation au nom de la TRTL; par conséquent, la demande de financement de cette dernière n’a pas pu être examinée. Les membres de la TRTL, y compris M. Alleyne, ont pu être indirectement touchés, quoique de façon très limitée, par l’impossibilité pour la TRTL de présenter une demande d’aide financière.

[166] La preuve démontre que M. Alleyne se définit comme membre d’un groupe dont la croyance dans le caractère sacré de la vie, d’origine religieuse, l’empêche de signer l’attestation. Il s’ensuit que le groupe auquel il appartient ne peut être admissible au financement offert dans le cadre du programme EÉC. La mesure peut donc avoir un effet particulier sur les intéressés du fait de leur religion. Toutefois, en supposant qu’il s’agisse d’un effet particulier attribuable à la religion, les demandeurs n’ont pas établi que l’attestation perpétue ou accentue le désavantage subi par M. Alleyne et les autres membres de ce groupe religieux.

[167] Or, l’existence d’une distinction ou d’une différence de traitement ne suffit pas pour étayer une allégation fondée sur l’article 15. Les demandeurs doivent également démontrer que cette distinction a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage. Comme le fait observer la Cour suprême au paragraphe 76 de l’arrêt Fraser :

Cela nous amène à la deuxième étape de l’analyse relative à l’art. 15 : la question de savoir si la loi a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage (Alliance, par. 25). Cet examen se déroule habituellement de la même façon dans les cas d’effet distinct et de discrimination explicite. Il n’existe pas de « modèle rigide » de facteurs pertinents à prendre en considération dans cette analyse (Québec c. A, par. 331, citant Withler, par. 66). L’objectif est d’examiner l’effet du préjudice causé au groupe touché. Le préjudice peut inclure [traduction] « une exclusion ou un désavantage économique, une exclusion sociale […] des préjudices psychologiques […] des préjudices physiques […], [ou] une exclusion politique », et il doit être examiné à la lumière des désavantages systémiques ou historiques auxquels fait face le groupe de demandeurs (Sheppard (2010), p. 62‑63 (soulignement supprimé)).

[168] Les demandeurs n’ont pas établi que l’attestation a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage pour M. Alleyne en sa qualité de membre d’un groupe religieux, la TRTL, si on examine ce désavantage à la lumière des désavantages systémiques ou historiques.

[169] Aux paragraphes 56 à 61 de l’arrêt Fraser, la Cour suprême du Canada décrit les types d’éléments de preuve qui peuvent se révéler utiles pour prouver qu’une loi (ou une autre mesure de l’État, comme le programme EÉC) a un effet disproportionné sur un groupe protégé. Au paragraphe 56, elle note que le premier type porte sur la situation du groupe de demandeurs et le deuxième, sur les conséquences de la loi ou de l’action de l’État. Aux paragraphes 60 et 61, elle ajoute qu’idéalement, les allégations de discrimination par suite d’un effet préjudiciable seront étayées par des éléments de preuve des deux types, mais que cela n’est pas nécessaire dans tous les cas, par exemple lorsque l’effet est visible et immédiat.

[170] Certes, les demandeurs affirment que, selon l’arrêt Fraser, ils n’ont pas à fournir de preuve d’un type particulier pour établir la perpétuation d’un désavantage et qu’il leur suffit de présenter une preuve anecdotique qui leur est personnelle, mais le fait est qu’ils n’ont pas produit de preuve – ou alors, seulement une preuve insuffisante — de l’existence d’un préjudice ou encore, des désavantages systémiques ou historiques qu’ils ont à subir en tant que groupe religieux ou qui sont fondés sur la religion et qui, d’autre part, seraient exacerbés par cette attestation.

[171] Comme le fait remarquer le défendeur, bien que la TRTL affirme que le groupe est stigmatisé en tant que groupe pro‑vie, la preuve de l’existence d’un désavantage est insuffisante, et il y a absence de preuve de l’existence d’un désavantage par rapport au programme EÉC ou à d’autres formes de financement gouvernemental.

[172] Les voies de fait subies par M. Alleyne sont certes condamnables, mais cela ne suffit pas à démontrer que M. Alleyne a subi un désavantage en tant que membre d’un groupe religieux, et ne démontre aucunement que le groupe ou lui‑même a été désavantagé dans l’attribution de fonds provenant de programmes gouvernementaux. La thèse des demandeurs voulant que la TRTL ait été stigmatisée pour avoir fait la promotion du caractère sacré de la vie n’établit pas à ma satisfaction l’existence d’un désavantage systémique ou historique que l’ajout de l’attestation aux conditions du programme EÉC 2018 aurait pour effet de perpétuer.

[173] La mesure a eu sur M. Alleyne et la TRTL un effet limité, soit celui de les priver de l’examen de la demande présentée par la TRTL en vue d’obtenir une aide financière ponctuelle du programme EÉC 2018. Les droits à l’égalité de M. Alleyne n’ont été touchés d’aucune autre façon.

(5) La proportionnalité

[174] Puisque la Cour conclut que les droits garantis aux demandeurs par les alinéas 2a) et b) sont en cause, l’étape suivante de l’analyse consiste à établir si la décision d’ajouter l’attestation est le fruit d’une mise en balance proportionnée des restrictions imposées à ces droits garantis par la Charte et des objectifs de la LMEDS, conformément au cadre établi dans l’arrêt Doré.

[175] Dans l’arrêt Doré, la Cour suprême du Canada décrit en ces termes l’exercice de mise en balance auquel le décideur doit se livrer — et le rôle de la Cour au stade du contrôle judiciaire :

[56] Ensuite, le décideur doit se demander comment protéger au mieux la valeur en jeu consacrée par la Charte compte tenu des objectifs visés par la loi. Cette réflexion constitue l’essence même de l’analyse de la proportionnalité et exige que le décideur mette en balance la gravité de l’atteinte à la valeur protégée par la Charte, d’une part, et les objectifs que vise la loi, d’autre part. C’est à cette étape que le rôle de la révision judiciaire visant à juger du caractère raisonnable de la décision s’apparente à celui de l’analyse effectuée dans le contexte de l’application du test de l’arrêt Oakes. Comme la Cour l’a reconnu dans RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 160, « les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur » lorsqu’ils procèdent à une mise en balance au regard de la Charte et il sera satisfait au test de proportionnalité si la mesure « se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables ». Il en est de même dans le contexte de la révision d’une décision administrative pour en évaluer le caractère raisonnable où il convient de faire preuve d’une certaine déférence à l’endroit des décideurs à condition que la décision, comme l’affirme la Cour dans Dunsmuir, « [appartienne] aux issues possibles acceptables » (par. 47).

[57] Dans le contexte d’une révision judiciaire, il s’agit donc de déterminer si – en évaluant l’incidence de la protection pertinente offerte par la Charte et compte tenu de la nature de la décision et des contextes légal et factuel – la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte. Comme le juge LeBel l’a souligné dans Multani, lorsqu’une cour est appelée à réviser une décision administrative qui met en jeu les droits protégés par la Charte, « [l]a question se réduit à un problème de proportionnalité » (par. 155) et requiert d’intégrer l’« esprit » de l’article premier dans la révision judiciaire. Même si cette révision judiciaire est menée selon le cadre d’analyse du droit administratif, il existe néanmoins une harmonie conceptuelle entre l’examen du caractère raisonnable et le cadre d’analyse préconisé dans Oakes puisque les deux démarches supposent de donner une marge d’appréciation aux organes administratifs ou législatifs ou de faire preuve de déférence à leur égard lors de la mise en balance des valeurs consacrées par la Charte, d’une part, et les objectifs plus larges, d’autre part.

[176] Dans l’arrêt Loyola, la Cour suprême du Canada reprend et applique le cadre défini dans l’arrêt Doré et note, au paragraphe 41, que l’analyse décrite dans cet arrêt constitue un exercice hautement contextuel.

[177] Je résumerais ainsi les indications données par les arrêts Doré et Loyola quant au rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire :

  • Lors du contrôle judiciaire, la Cour se demande si le décideur a suivi la démarche décrite dans l’arrêt Doré, ou en d’autres termes, si sa décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte, en tenant compte des effets sur les personnes touchées ainsi que de la nature de la décision et des contextes législatif et factuel.
  • Une mise en balance est proportionnée si elle donne effet autant que possible aux protections en cause conférées par la Charte. Cela signifie également, si on examine la situation sous l’angle opposé, que l’on doit restreindre les droits en cause protégés par la Charte aussi peu que raisonnablement possible compte tenu des objectifs de la loi (cette analyse reprend le volet de l’atteinte minimale, issu du critère établi dans l’arrêt Oakes).
  • Il peut y avoir plusieurs issues proportionnées. Il faut accorder au décideur une « marge d’appréciation » ou faire preuve de déférence à son égard lors de la mise en balance des valeurs consacrées par la Charte et des objectifs plus larges.

[178] Dans l’affaire qui nous occupe, la LMEDS vise la réalisation de programmes destinés à appuyer des projets contribuant au développement des ressources humaines, au développement des compétences, au développement social et à la prestation de services (article 7) en vue de rehausser le niveau de vie de tous les Canadiens et d’améliorer leur qualité de vie en faisant la promotion, entre autres, d’un marché du travail favorable à l’intégration, du bien‑être des personnes au sein de la société et de la sécurité du revenu (article 5). Comme je l’ai déjà mentionné, le ministre jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire en matière de conception et de réalisation de programmes comme le programme EÉC. L’objectif du programme EÉC est d’assurer la protection des droits de la personne et des droits reconnus par la Charte aux bénéficiaires du programme, y compris les employeurs et les jeunes employés pour l’été et ceux qu’ils servent.

[179] Il ressort du dossier, et en particulier de l’affidavit de Mme Wernick et des pièces qui y sont jointes, que le ministre a examiné les effets de la mesure sur les droits garantis par la Charte des personnes qui sollicitent une aide financière auprès du programme, et notamment sur les groupes pro‑vie, religieux et confessionnels, en tenant compte des objectifs de la LMEDS et du programme EÉC 2018. Dans son affidavit, Mme Wernick retrace le processus suivi pour l’élaboration du programme EÉC 2018 et l’inclusion de l’attestation. Elle y décrit le programme EÉC 2018, ses objectifs, son budget, la répartition des fonds en fonction des circonscriptions électorales, la nécessité de prévoir des critères annuellement et la réflexion ayant abouti à la décision du ministre d’ajouter l’attestation. Mme Wernick a aussi joint en annexe à son affidavit plusieurs documents relatifs au programme, dont une trousse d’information préparée à l’intention des députés fédéraux, la liste des organismes financés par le programme en 2017, le Guide du demandeur de 2018 et les versions des années précédentes et enfin, les communiqués de presse traitant du programme.

[180] Mme Wernick explique aussi que le programme EÉC est un programme annuel discrétionnaire. Tous les ans, le ministre décide si le programme sera offert. Les priorités, conditions d’admissibilité et critères d’évaluation de ce programme sont énoncés dans le Guide du demandeur. L’édition de 2018 du Guide du demandeur expose les cinq priorités nationales soutenues par le programme EÉC : les petites entreprises; les organismes qui ont l’intention d’embaucher des jeunes appartenant à des groupes sous‑représentés; les organismes qui offrent des services et/ou soutiennent la communauté LGBTQ2; les organismes qui soutiennent les femmes travaillant dans les domaines des STGM, et les organismes qui offrent des possibilités aux communautés de langue officielle en situation minoritaire.

[181] Mme Wernick explique qu’en 2017, des membres du public se sont plaints au ministre du fait qu’une partie des fonds alloués au programme EÉC avait été versée à des organismes dont on disait qu’ils portaient atteinte aux droits reproductifs des femmes et limitaient la participation des jeunes de la communauté LGBTQ2. Mme Wernick a produit plusieurs pièces étayant ces plaintes. Elle ajoute qu’en raison de ces plaintes venant du public et du fait que le programme EÉC avait comme objectif d’accorder la priorité aux initiatives bénéficiant aux jeunes aux prises avec des obstacles à l’emploi, EDSC a cherché des moyens d’éviter que ces jeunes bénéficiaires du programme se trouvent à travailler au sein d’organismes qui ne respectent pas les valeurs consacrées par la Charte et les droits de la personne. Le ministère a étudié trois options pour l’ajout d’une nouvelle condition d’admissibilité : passer en revue chaque demande présentée au programme EÉC pour juger si la nouvelle condition d’admissibilité était remplie; exiger que chaque député fédéral atteste que les possibilités d’emploi offertes dans sa circonscription électorale respectent cette condition d’admissibilité; exiger que le demandeur de fonds atteste qu’il remplit la condition d’admissibilité.

[182] Mme Wernick ajoute qu’il a été recommandé au ministre d’exiger que les demandeurs fournissent une attestation, ce que le ministre a approuvé. Elle précise que le nombre élevé de demandes reçues et le très court délai prévu pour l’évaluation de chaque demande ont été des facteurs importants dans le choix d’imposer l’obligation au demandeur à la toute première étape du processus, à titre de condition préalable au financement.

[183] Mme Wernick explique également qu’EDSC a tenu compte de la nécessité de respecter la liberté d’expression et la liberté de religion et a prédit qu’il était possible que certaines organisations religieuses s’excluent d’elles‑mêmes du programme EÉC en dépit du fait qu’elles répondaient aux conditions d’admissibilité. C’est d’ailleurs pour pallier ce problème que le Guide du demandeur a précisé que le « fait qu’un organisme soit affilié à une religion ne constitue pas en soi une inadmissibilité au programme ».

[184] La description que fait Mme Wernick du processus d’élaboration du programme EÉC 2018 permet de conclure que le ministre s’est demandé quel était le meilleur moyen de protéger les droits de certains demandeurs éventuels au regard d’éventuelles restrictions. La remarque du Guide du demandeur confirmant l’admissibilité des groupes confessionnels et les exemples hypothétiques de bénéficiaires cités, dont faisaient partie les groupes pro‑vie, révèlent que le ministre a cherché à atténuer l’effet de la mesure en expliquant de quelle manière ces groupes pouvaient maintenir leur admissibilité. Qui plus est, l’attestation même visait à faire en sorte que les organismes bénéficiaires d’aide financière respectent les droits et valeurs consacrés par la Charte, afin que les droits du plus grand nombre – les employeurs, les titulaires d’emplois d’été et la clientèle des projets financés – soient respectés et soutenus.

[185] Comme nous l’indiquent les arrêts Doré et Loyola, il faut examiner l’effet de la restriction sur les droits et valeurs consacrés par la Charte en tenant compte du contexte factuel pertinent. En l’espèce, l’un de ces éléments de contexte concerne le fait que le programme EÉC est un programme annuel discrétionnaire dont les fonds, année après année, ne suffisent pas à répondre à la demande. EDSC dispose d’un mois pour évaluer des milliers de demandes (environ 42 500 en 2018). La LMEDS confère au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de concevoir le programme et d’en établir les priorités, les conditions et les modalités d’application. Dans le document justificatif rédigé relativement à l’attestation, il est écrit que [TRADUCTION] « ce changement contribue à ce que les emplois destinés aux jeunes [. . .] se déroulent dans un environnement qui respecte les droits de tous les Canadiens. » La décision d’ajouter l’attestation — laquelle visait à assurer la prise en compte des priorités et le respect des droits des bénéficiaires du programme, notamment ceux garantis par la Charte — à l’issue de l’étude d’autres solutions et de l’examen des droits en jeu protégés par la Charte, est le fruit d’une mise en balance proportionnée.

[186] Les demandeurs soutiennent que l’atteinte à leurs droits n’a pas été minimale, puisqu’ils ont été entièrement exclus du programme de financement, mais le financement en cause ne visait en réalité que l’été 2018. Qui plus est, l’obtention d’une aide financière par la TRTL n’était pas une certitude, vu les autres critères d’admissibilité, les priorités déclarées et les clientèles cibles. À l’évidence, l’attestation et les autres critères d’admissibilité supposaient que, d’entrée de jeu, les demandes de financement de certains groupes ne seraient pas considérées pour un financement au titre du programme.

[187] À mon sens, l’atteinte aux droits que garantit la Charte à la TRTL était minimale; il s’agissait d’un effet ponctuel touchant la possibilité — et non la certitude – d’obtenir des fonds en 2018. Même si la demande de financement de la TRTL avait été étudiée en dépit de l’absence d’attestation, plusieurs autres critères devaient être remplis et en outre, l’édition de 2018 du programme énonçait d’autres priorités qui ne semblaient pas correspondre au mandat ou aux activités de l’organisation.

[188] Les demandeurs font remarquer que l’attestation, si elle visait à protéger les droits des autres, n’a en revanche pas protégé les leurs. Or, c’est le propre de tout exercice de mise en balance. L’analyse exposée dans l’arrêt Doré reconnaît que les droits ne sont pas absolus : il est donc parfois inévitable que les droits des uns aient dans une certaine mesure à céder le pas aux droits des autres.

[189] La LMEDS et le programme EÉC 2018 avaient des objectifs généraux destinés à favoriser le respect des droits garantis par la Charte et des droits de la personne de chacun. L’atteinte aux droits des demandeurs garantis par la Charte était minimale et s’est limitée à les priver de l’accès à une éventuelle aide financière pour l’une des années du programme. Ces droits n’ont été touchés d’aucune autre façon; les demandeurs continuent de pouvoir pratiquer librement leur religion et d’exercer leur liberté d’expression pour promouvoir leurs idées, qu’elles tirent ou non leur source de la religion, et ce, sans entrave.

[190] Par rapport à l’objectif important de créer un marché du travail favorable à l’intégration en assurant la protection des droits des femmes, des membres de la communauté LGBTQ2 et des minorités, et en faisant en sorte, plus généralement, que les organismes bénéficiaires de fonds respectent les droits garantis par la Charte et les droits de la personne, dont ceux qui sont liés à la procréation, l’atteinte minimale aux droits des demandeurs garantis par les alinéas 2a) et b), dans le cadre limité d’une demande de financement, est le fruit d’une mise en balance proportionnée de ces protections et des objectifs de la Loi. La décision du ministre est raisonnable.

X. Conclusion

[191] Conformément aux constatations qui précèdent, l’attestation procédait d’une décision à caractère politique raisonnable et relevait du pouvoir conféré au ministre par la LMEDS. La décision d’ajouter l’attestation n’a pas été prise avec un esprit fermé, dans un but illégitime ou en fonction de considérations dénuées de pertinence.

[192] L’attestation a eu pour effet de restreindre les droits des demandeurs à la liberté de religion et à la protection contre l’expression forcée, mais il s’agissait d’une atteinte minimale limitée au contexte de la présentation d’une demande de financement au programme EÉC 2018. La restriction des droits garantis aux demandeurs par la Charte est le fruit d’une mise en balance proportionnée de ces droits et des objectifs prévus par la LMEDS et le programme EÉC.

[193] Sur la question des dépens, je prends note du fait que les parties entendent présenter des observations conjointes dans les 30 jours suivant le prononcé de la présente décision.


JUGEMENT dans le dossier T‑8‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties devront présenter des observations conjointes sur la question des dépens dans les 30 jours suivant le prononcé du présent jugement. À défaut, elles demanderont la tenue d’une conférence de gestion de l’instance en vue d’établir l’échéancier de présentation de leurs observations respectives.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

[M. Deslippes]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T‑8‑18

 

INTITULÉ :

RIGHT TO LIFE ASSOCIATION OF TORONTO AND AREA, BLAISE ALLEYNE ET MATTHEW BATTISTA c CANADA (MINISTRE DE L’EMPLOI, DU DÉVELOPPEMENT DE LA MAIN‑D’ŒUVRE ET DU TRAVAIL)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 juin 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 octobre 2021

 

COMPARUTIONS :

Carol Crosson et Gerald Chipeur

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Kerry Boyd, Jennifer Lee et Keelan Sinnott

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

David Yazbeck et Karen Sisson

 

POUR L’INTERVENANTE, ACTION CANADA

 

Paul Champ

 

POUR L’INTERVENANTE, LA BCCLA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Crosson Constitutional Law

Airdrie (Alberta)

Miller Thompson S.E.N.C.R.L, s.r.l.

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTERVENANTE, ACTION CANADA

 

Champ & Associates

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTERVENANTE, LA BCCLA

 

 

 

 

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