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Date : 20211004


Dossier : IMM‑2246‑20

Référence : 2021 CF 1027

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2021

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

YUNYING HE

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Yunying He (Mme He) s’est vu à deux reprises refuser un permis de travail et un visa de résident temporaire pour venir au Canada afin de travailler comme gardienne d’enfants dans une famille composée de deux enfants d’âge scolaire. Dans les deux cas, sa demande a été refusée pour les mêmes motifs : i) elle n’avait pas convaincu l’agent qu’elle quitterait le Canada au moment voulu; ii) elle n’avait pas démontré qu’elle possédait les compétences requises pour l’emploi de gardienne qu’elle souhaitait exercer.

[2] La présente demande de contrôle judiciaire concerne le second refus de sa demande. Mme He soutient que l’agent a introduit de manière déraisonnable des exigences en matière d’expérience de travail et des qualifications requises au‑delà de celles inhérentes à l’offre d’emploi et qu’il n’a fourni aucune explication pour conclure qu’elle risquait de prolonger son séjour sans autorisation ou n’était pas en mesure d’exécuter le travail qu’elle convoitait. Pour les motifs exposés ci‑après, je reconnais que la décision de l’agent est déraisonnable pour les deux raisons soulevées par la demanderesse.

[3] Mme He a également allégué un manquement à l’équité procédurale était donné que l’agent a refusé de tenir compte des documents qu’elle a tenté de déposer en réponse à une lettre relative à l’équité procédurale. Comme je conviens que la décision de l’agent est déraisonnable, même sans les documents supplémentaires que la demanderesse a tenté de déposer en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, je n’ai pas à examiner la question de l’équité procédurale et je m’abstiendrai donc de le faire.

II. Contexte factuel

[4] Mme He a reçu une offre d’emploi pour dispenser des services de garde d’enfants à domicile dans une famille de Vancouver composée de deux enfants d’âge scolaire, lesquels étaient âgés respectivement de 10 ans et 12 ans au moment de l’offre d’emploi. L’emploi consistait à aider la famille à s’occuper des deux enfants les jours d’école.

[5] En mai 2018, Emploi et Développement social Canada (EDSC)/Service Canada (SC) a approuvé la demande d’étude d’impact sur le marché du travail (l’EIMT) de la famille qui avait offert à Mme He le poste de gardienne dans le groupe de base 4411 « Gardiens/gardiennes d’enfants en milieu familial » au sens de la Classification nationale des professions (la CNP).

[6] Mme He a présenté une demande de permis de travail et de visa de résident temporaire (VRT) en août 2018. La demande a été refusée en avril 2019 (le premier refus). Le fondement du refus est résumé ainsi dans les notes de l’agent :

[traduction]

Après un examen minutieux de tous les renseignements dont je dispose, je ne suis pas convaincu que la cliente a démontré une expérience de travail suffisante pour appuyer sa capacité d’exécuter les fonctions du poste au Canada et je ne suis pas non plus convaincu que le principal objectif de la cliente au Canada n’est pas de chercher à être admise au Canada pour y rester pour d’autres raisons. Demande refusée.

[7] Mme He a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la première décision de refus. La Cour a accueilli la demande d’autorisation. L’audience du contrôle judiciaire n’a pas eu lieu, car les parties ont convenu d’annuler la première décision de refus et de la renvoyer à un autre agent pour nouvel examen. La demande de contrôle judiciaire a donc été abandonnée le 21 novembre 2019.

[8] Le 3 décembre 2019, Mme He a reçu une lettre relative à l’équité procédurale de la part de l’agent qui examinait sa demande en vue de rendre une nouvelle décision. La lettre relative à l’équité procédurale exposait les mêmes préoccupations que celles qui avaient été à l’origine du premier refus, à savoir :

[traduction]

Je ne suis pas convaincu que votre expérience et vos compétences sont suffisantes pour exécuter les fonctions requises dans le cadre de l’emploi qui vous est offert au Canada… étant donné les raisons économiques qui pourraient vous inciter à rester au Canada, je ne suis également pas convaincu que vous êtes une véritable travailleuse temporaire qui quittera le Canada à la fin du séjour autorisé.

[9] La lettre relative à l’équité procédurale a été envoyée à la représentante inscrite au dossier de Mme He. Celle‑ci ne représentait plus Mme He, mais le cabinet où elle travaillait continuait de la représenter. Mme He, au moyen de son compte de courrier électronique personnel, a déposé une réponse et d’autres documents sur la nature du programme de formation qu’elle a suivi. L’agent a répondu que les documents ne pouvaient être acceptés, car ils avaient été envoyés par l’intermédiaire d’une adresse électronique non autorisée.

[10] L’avocate de la demanderesse, qui l’avait représentée lors de la demande de contrôle judiciaire précédente qui avait été réglée, a écrit à l’avocat du défendeur inscrit au dossier de demande de contrôle judiciaire de la première décision de refus. Dans sa lettre, l’avocate de Mme He a fait savoir que l’agent chargé de rendre une nouvelle décision dans le dossier, qu’ils avaient convenu de régler le mois précédent, soulevait les mêmes questions que celles à l’origine du premier refus. L’avocat du défendeur a répondu que cette lettre avait été transmise à la « cliente ».

[11] L’agent a envoyé de nouveau la lettre relative à l’équité procédurale à l’adresse électronique de l’ancienne avocate de Mme He et aucune autre observation n’a été déposée.

[12] Le 13 mars 2020, l’agent a refusé la demande de Mme He au motif qu’elle n’avait ni démontré qu’elle pouvait exercer le rôle de gardienne d’enfants qu’elle souhaitait obtenir ni qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[13] Comme je l’ai indiqué ci‑dessus, je n’examinerai pas l’argument de la demanderesse relatif à l’équité procédurale et, en tant que tel, les seules questions soulevées dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire concernent les conclusions de l’agent selon lesquelles i) Mme He n’avait pas démontré qu’elle pouvait exécuter le travail qu’elle souhaitait obtenir et ii) Mme He risquait de prolonger son séjour sans autorisation.

[14] Dans mon examen de la décision de l’agent, j’appliquerai la norme de contrôle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de contrôle applicable est présumée être celle de la décision raisonnable lorsqu’une cour contrôle une décision administrative au fond. Aucune des circonstances justifiant de déroger à cette présomption ne s’applique en l’espèce.

IV. Analyse

[15] L’article 179 et le paragraphe 200(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) sont les principales dispositions législatives qui régissent le pouvoir d’un agent des visas de délivrer un VRT et un permis de travail demandés par un étranger avant son entrée au Canada. Un agent peut refuser une demande s’il est convaincu que le demandeur ne quittera pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée (art 179b) et 200(1)b) du Règlement). L’agent est tenu de refuser une demande de permis de travail lorsqu’il a « des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé » (art 200(3) du Règlement).

[16] Le refus en l’espèce est fondé sur les deux motifs susmentionnés — le risque de prolongation du séjour sans autorisation et l’aptitude à exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé. L’analyse de l’agent sur l’aptitude à exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé s’est limitée à ce qui suit :

[traduction]

À la date de dépôt de la présente demande, hormis le stage dans une maternelle, la seule expérience professionnelle connexe de la demanderesse à celle d’une gardienne à domicile est d’avoir été gardienne pendant quatre mois de déc. 2017 à mars 2018.

En fonction des renseignements dont je dispose, je ne suis pas convaincu que la demanderesse a démontré qu’elle possède des compétences suffisantes pour exécuter les fonctions requises dans le cadre de l’offre d’emploi au Cda. Des doutes ont été soulevés et la demanderesse a eu l’occasion d’y répondre. Cependant, elle a laissé passer l’occasion en ne répondant pas à la lettre relative à l’équité procédurale.

Je ne suis pas convaincu que la demanderesse satisfait aux exigences de délivrance d’un permis de travail à titre de gardienne à domicile.

Sur la question de la prolongation du séjour sans autorisation, l’agent a écrit simplement ceci : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme il est prévu au paragraphe 200(1) du RIPR compte tenu de l’objet de votre visite. »

[17] L’agent a exposé les deux motifs de refus (le risque de prolongation du séjour sans autorisation et l’aptitude à exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé), mais n’a pas expliqué ce qui justifie la conclusion qu’il a tirée concernant les deux motifs. En ce qui concerne le premier motif, l’agent a énuméré les expériences de Mme He et a conclu qu’elle n’avait pas les [traduction] « compétences nécessaires » pour exécuter les fonctions requises dans le cadre de l’emploi qui lui était offert au Canada, mais il n’a pas expliqué en quoi l’expérience de Mme He était insuffisante étant donné qu’elle dépasse ce qui est demandé dans le certificat d’EIMT et la description du rôle établie dans la CNP. En ce qui concerne le second motif, à savoir le risque de prolongation du séjour sans autorisation, l’agent n’a fourni aucune explication sur la manière dont il est parvenu à sa conclusion.

[18] Les demandeurs doivent comprendre les raisons pour lesquelles leur demande est refusée et le raisonnement du décideur pour parvenir à sa conclusion. La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 13, a décrit la norme de la décision raisonnable comme un type de contrôle qui appelle la retenue, mais qui demeure « rigoureux », et dont l’analyse a pour point de départ les motifs du décideur. La Cour a expliqué que les décideurs administratifs, dans l’exercice du pouvoir public, doivent veiller à ce que leurs décisions soient « justifié[es], intelligible[s] et transparent[es] non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov au para 95). Les motifs doivent être adaptés en faisant ressortir qu’ils sont justifiés « au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents » (Vavilov au para 105)

[19] Pour évaluer le caractère raisonnable d’une décision, il faut tenir compte du contexte institutionnel dans lequel elle a été prise. Au paragraphe 103 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a conclu qu’« il [faut] interpréter des motifs écrits eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (voir également Vavilov, au para 91).

[20] Les motifs d’une décision concernant une demande de permis de travail et de VRT n’ont pas à être détaillés, mais la décision de l’agent doit être transparente, justifiée et intelligible. Il doit y avoir une « analyse rationnelle » de sorte que la personne concernée par la décision puisse en comprendre le fondement (Vavilov, au para 103).

A. L’aptitude à exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé

[21] Mme He a joint les éléments suivants à sa demande de VRT et de permis de travail :

  • - une preuve d’achèvement de ses études secondaires

  • - une preuve de l’obtention d’un diplôme de baccalauréat en marketing

  • - une preuve d’un emploi dans une banque pendant trois ans

  • - une preuve d’un emploi comme préposée à l’entretien ménager

  • - une note de 5 à l’examen d’anglais

  • - une preuve d’achèvement d’un programme de formation en garde d’enfants

  • - des lettres de recommandation concernant un poste en garde d’enfants

  • - des lettres de recommandation concernant sa formation en garde d’enfants

  • - les notes qu’elle a obtenues dans le cadre du programme de formation de six mois en garde d’enfants

  • - une preuve d’achèvement d’un cours sur l’alimentation des enfants

[22] L’agent n’a pas contesté l’authenticité de la formation ou de l’expérience de Mme He; il n’a pas non plus contesté l’authenticité de l’offre d’emploi faite à Mme He. Le seul élément permettant de conclure qu’il existait des motifs raisonnables de croire que Mme He ne pouvait pas exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé était l’opinion de l’agent lui‑même selon laquelle l’expérience et la formation de Mme He étaient insuffisantes. L’agent n’a pas expliqué pourquoi il les jugeait insuffisantes par rapport aux fonctions du poste ni par rapport aux exigences établies par l’employeur ou dans le profil de la CNP.

[23] En fait, l’agent n’a fait aucune référence aux fonctions concrètes du poste pour décider de passer outre à l’opinion de l’employeur selon laquelle Mme He possède les qualifications requises pour le poste. Les fonctions énumérées dans le contrat de travail se limitaient à préparer le petit‑déjeuner, le repas du midi, les collations après l’école et le souper pour deux enfants, conduire les enfants à l’école, aller les y chercher, les emmener aux cours de l’après‑midi, laver la vaisselle et les chambres des enfants, et probablement faire la lessive. L’agent n’explique pas comment il est parvenu à la conclusion que Mme He n’a pas suffisamment d’expérience pour être en mesure d’exercer ce rôle, compte tenu de son expérience de la garde d’enfants, de ses références de travail en garde d’enfants, de sa formation en garde d’enfants et de son expérience en entretien ménager.

[24] L’agent n’a pas non plus fait référence aux exigences du poste énoncées dans le certificat de l’EIMT ou dans la description de la CNP 4411 — une gardienne d’enfants dans une résidence privée. L’obtention d’un diplôme d’études secondaires était une exigence du poste, tout comme la capacité de communiquer en anglais à l’oral et à l’écrit. Aucune autre exigence ne figurait dans le certificat de l’EIMT ou le profil de la CNP pour le poste ou l’offre d’emploi. Les qualifications de Mme He en matière d’éducation et d’expérience dépassent clairement les exigences du poste.

[25] La Cour a conclu dans différentes affaires qu’il était déraisonnable pour les agents d’introduire, sans explication, des exigences quant aux qualifications qui n’étaient pas considérées comme nécessaires par l’employeur. Dans la décision Portillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 866, le juge Russel a expliqué que :

[56] […] l’agent n’était pas en mesure d’évaluer leur qualification et leur expérience, ou a importé de façon déraisonnable des qualités requises que les employeurs ne jugeaient pas nécessaires pour l’emploi en question. Il n’est pas contesté que des emplois ont été offerts aux demandeurs dans le cadre d’un processus de recrutement organisé pour le compte de McDonald’s, et que les offres d’emploi ont été faites sur la foi des curriculum vitæ des demandeurs, des entrevues qu’ils avaient passées et de l’expérience qu’ils avaient indiquée. McDonald’s était entièrement satisfaite de tous les aspects de leurs demandes et leur a offert des emplois. Au vu de ces faits, il était totalement déraisonnable pour l’agent de dire qu’il n’était pas sûr que les demandeurs respectaient les exigences quand l’employeur, lui, en était certain. Comme l’agent n’explique pas pourquoi il a décidé de passer outre à l’opinion de l’employeur sur la question de la qualification, cet aspect des décisions est déraisonnable.

[26] Dans la décision Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 954, qui porte également sur le permis de travail d’une gardienne d’enfants, la juge McVeigh a conclu que « [l]e fait que l’agent n’ait pas fourni d’explication sur la question des qualifications est une erreur susceptible de contrôle » (au para 29). Dans la décision Sibal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 159, la juge Elliott, concernant le permis de travail d’une gardienne d’enfants, a également conclu qu’il était déraisonnable pour l’agent d’exiger des qualifications supplémentaires qui ne figuraient pas dans le profil de la CNP ni dans le certificat d’EIMT :

[43] La conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’est pas en mesure de démontrer qu’elle remplit adéquatement les conditions d’accès à la profession pour son emploi potentiel est déraisonnable, étant donné qu’elle ne reposait sur aucun fondement probatoire et que le dossier ne contient aucune exigence, hormis celle de la réussite des études secondaires.

[27] Le défendeur a fait valoir que les agents ont le pouvoir de rejeter une demande de permis de travail même en cas d’approbation de la demande d’EIMT. Leur pouvoir n’est pas contesté. Le Règlement prévoit que les agents sont tenus de refuser une demande de permis de travail lorsqu’ils ont « des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé » (art 200(3) du Règlement). Toutefois, le fait qu’un agent ait le pouvoir de refuser un permis de travail pour ces motifs ne signifie pas qu’il soit dispensé d’expliquer comment il est parvenu à sa conclusion.

[28] Le défendeur a également fait valoir qu’il incombe à la demanderesse de fournir suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’elle satisfait aux exigences énoncées dans la loi et ses règlements. En l’espèce, Mme He soutient qu’elle a fourni suffisamment d’éléments de preuve de sa capacité à exercer l’emploi qu’elle recherchait, mais que l’agent les a rejetés sans expliquer pourquoi ils étaient jugés insuffisants et sans faire référence aux fonctions concrètes de l’emploi ni aux exigences du poste telles qu’elles sont énoncées dans le certificat d’EIMT ou dans le profil de la CNP.

[29] À la lecture des motifs de l’agent et du dossier, il ne fait aucun doute que l’agent a omis de préciser pourquoi l’expérience et la formation de la demanderesse, qui dépassaient largement les exigences du poste, étaient insuffisantes pour qu’elle exerce le rôle.

B. Risque de prolongation du séjour sans autorisation

[30] Dans la lettre qu’elle a jointe à sa demande, Mme He a abordé la question de son départ à la fin de son séjour autorisé. Elle a expliqué qu’elle savait que toute violation des conditions de son séjour temporaire au Canada compromettrait la possibilité de régulariser son statut et qu’elle n’avait pas l’intention de nuire à ses propres perspectives d’installation permanente au Canada. Mme He a également fourni la preuve qu’elle avait déjà respecté des exigences en matière d’immigration en tant que visiteuse en Thaïlande. L’agent n’a abordé dans ses motifs aucun des éléments de preuve susmentionnés.

[31] L’agent n’a fourni aucune justification de sa conclusion. Sans faire référence aux observations ni aux éléments de preuve de Mme He, l’agent a simplement conclu qu’il n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé en raison de l’objet de sa visite.

V. La réparation sous forme de substitution indirecte

[32] L’avocate de Mme He a demandé à la Cour d’utiliser les pouvoirs exceptionnels que lui confère l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, d’ordonner à l’agent d’accepter la demande de Mme He. La substitution indirecte est considérée comme un pouvoir exceptionnel de la Cour et n’est généralement utilisée que lorsqu’il serait inutile de renvoyer le dossier pour nouvelle décision ou lorsqu’il n’y a qu’une seule issue possible (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Tennant, 2019 CAF 206 aux para 79, 80‑82, et Vavilov au para 142).

[33] Le juge Barnes a récemment conclu, dans un contexte similaire d’une décision relative à un permis de travail pour un emploi réservé, que la substitution indirecte est inappropriée lorsque la décision « repose sur un contexte factuel susceptible de changer, dans lequel l’admissibilité continue [du demandeur] n’est pas garantie ». Selon le juge Barnes, « au fil des années, [l’]emploi réservé [du demandeur] a pu disparaître ou son état de santé a pu changer » (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 53 au para 13). Je suis d’accord avec son raisonnement et je pense qu’il s’applique également à la situation de Mme He. Je refuse donc de rendre l’ordonnance demandée.

VI. Dépens

[34] La demanderesse sollicite les dépens de la présente demande. Je considère qu’il s’agit d’un cas où il existe des raisons spéciales d’adjuger des dépens au sens de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22.

[35] La demande de Mme He sera tranchée pour la troisième fois depuis qu’elle l’a déposée il y a plus de trois ans. Étant donné que la deuxième décision est semblable à celle du premier refus qui a été réglé par les parties par voie de consentement, que l’avocate de la demanderesse a déployé des efforts pour prévenir le défendeur dès le début du nouvel examen que la même erreur risquait d’être commise à nouveau et que les erreurs dans les motifs de l’agent sont manifestes dans le dossier, j’estime qu’il s’agit d’un cas où il convient d’adjuger des dépens à l’encontre du défendeur. Je fixe les dépens de la demande à 1 500 $.

VII. Question de portée générale à certifier

[36] Dans ses observations orales, l’avocate de la demanderesse a évoqué la possibilité d’une question à certifier en matière d’équité procédurale. J’ai indiqué que j’autoriserais d’autres observations sur une question à certifier si l’affaire devait être tranchée sur la question relative à l’équité procédurale. Comme je l’ai dit précédemment, j’ai conclu que la question relative à l’équité procédurale n’est pas déterminante au regard des questions soulevées en l’espèce et j’ai donc choisi de ne pas l’examiner. Par conséquent, il n’y a pas lieu de demander d’autres observations sur cette question.

[37] Les parties n’ont proposé aucune autre question à certifier et je conviens qu’aucune ne se pose.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2246‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  3. Le montant des dépens payables à la demanderesse est fixé à 1 500 $.

  4. Il n’y a aucune question à certifier.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Noémie Pellerin Desjarlais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM‑2246‑20

 

INTITULÉ :

YUNYING HE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 4 OCTOBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Deanna Okun‑Nachoff

 

Pour la demanderesse

 

Lauren McMurtry

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Deanna Okun‑Nachoff

Avocate

McCrea Immigration Law

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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