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Date : 20211021


Dossier : IMM-2697-20

Référence : 2021 CF 1116

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2021

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

NOUNAMEY YONATHAN NOULENGBE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Nounamey Yonathan Noulengbe demande le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent des visas de l’ambassade du Canada à Accra, au Ghana, par laquelle on lui refuse, pour la seconde fois, sa demande pour l’obtention d’un permis d’études.

[2] Le demandeur n’a pas convaincu l’agent qu’il quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour, ni que ses ressources financières étaient suffisantes pour assumer les frais de scolarité du programme de sciences infirmières offert par l’Université de Moncton, auquel il est inscrit, ainsi que ses autres dépenses liées à son séjour au Canada.

[3] L’agent a conclu que le revenu modeste des parents du demandeur n’était pas suffisant pour assumer l’éducation de leurs huit enfants dont trois étudient déjà en France. De plus, le demandeur n’a pas, selon lui, fait la preuve d’un établissement suffisant dans son pays d’origine; il était un jeune homme de 17 ans au moment de la demande, n’avait ni enfant ni actifs personnels au Togo.

[4] Bref, l’agent a conclu qu’à la lumière de l’information dont il disposait, il n’était pas satisfait que le demandeur avait comme objectif principal de parfaire son éducation au Canada et qu’il quitterait volontairement lorsque son permis viendrait à échéance.

II. Les questions en litige

[5] Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes:

  1. L’agent a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale en omettant d’informer le demandeur de ses préoccupations quant à la source du financement de son garant, avant de refuser la demande de permis d’études?

  2. L’agent a-t-il eu tort de refuser un permis d’études au demandeur, compte tenu de la preuve dont il disposait ?

III. La norme de contrôle applicable

[6] Dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au paragraphe 54, la Cour d’appel fédérale a rappelé que « [l]a cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances ». Si l’équité procédurale n’a pas été respectée, la Cour se doit d’intervenir. Cela dit, la teneur ou le degré d’équité requis est toutefois fonction des cinq facteurs contextuels non exhaustifs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux pages 837 à 841.

[7] Pour la seconde question toutefois, la présomption de la norme de la décision raisonnable, énoncée par la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministère de l’immigration et de la citoyenneté) c Vavilov, 2019 CSC 65, trouve application (Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 au para 11; Kavugho-Mission c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 597 au para 8; Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001 au para 12; Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 aux paras 12-13).

IV. Analyse

A. L’agent a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale en omettant d’informer le demandeur de ses préoccupations quant à la source du financement de son garant, avant de refuser la demande de permis d’études?

[8] Le demandeur soumet que l’agent a manqué à son devoir d’équité procédurale en soulevant un doute sur la source de certains fonds déposés aux comptes bancaires de son père, en ne lui offrant pas la possibilité de fournir des explications. Il soumet que l’agent aurait dû lui accorder l’occasion de répondre à ce questionnement avant de refuser sa demande (Nsiegbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1262 au para 13). Cette violation, selon le demandeur, justifie à elle seule l’intervention de la Cour.

[9] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur. Le degré d’équité procédurale auquel un demandeur de permis d’études à droit se situe à l’extrémité inférieure du spectre (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 au para 10; Al Aridi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 381 au para 20; Hakimi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 657, aux paras 21-22; Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1377, au para 30).

[10] Un décideur administratif doit communiquer au demandeur ses préoccupations quant à la crédibilité de la preuve ou l’authenticité de documents (Patel au para 10; Salman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 877 au para 12; Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283 au para 24). Il n’est toutefois pas tenu d’aviser le demandeur des réserves qu’il entretient quant au caractère suffisant de la preuve ou des documents à l’appui de la demande (Patel au para 10). Lorsqu’il s’agit de documents soumis au soutien de la demande, le demandeur est réputé en connaître le contenu et le décideur n’a pas à lui fournir l’occasion de bonifier sa preuve (Hakimi au para 22; Poon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF No 1993 au para 12).

[11] En l’espèce, l’agent n’a pas questionné la crédibilité du demandeur, ni n’a-t-il douté de l’authenticité des documents soumis. Il note simplement qu’il ne dispose pas de la preuve de la provenance de certains dépôts faits aux comptes bancaires du père du demandeur et que partant, il conclut à l’insuffisance de la preuve financière.

[12] J’en conclus donc que l’agent n’a pas manqué à son devoir d’équité procédurale.

B. L’agent a-t-il eu tort de refuser un permis d’études au demandeur, compte tenu de la preuve dont il disposait ?

[13] Le demandeur reconnaît qu’il a le fardeau de réfuter la présomption selon laquelle il est un immigrant cherchant à demeurer au Canada, et qu’il lui appartient de convaincre l’agent qu’il quittera à la fin de sa période de séjour. Il reconnaît également que l’agent est présumé avoir examiné toute la preuve qui lui est soumise. Il plaide cependant que l’agent ne s’est pas attardé suffisamment aux questions clés ou aux arguments principaux qu’il a soulevés (Vavilov au para 128). Il soutient que l’agent ne fait aucune mention du plan d’études qu’il a soumis, dans lequel il explique clairement la raison pour laquelle il souhaite étudier au Canada. Même si l’agent n’était pas tenu d’accepter sa déclaration d’intention, il devait néanmoins expliquer pourquoi il la jugeait insuffisante (Iyiola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 324 au para 19). L’agent a donc fait fi des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions, ses conclusions sont irrationnelles et non fondées sur la preuve.

[14] Il est bien établi que lorsque la Cour procède à une analyse selon la norme de la décision raisonnable, elle doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard du décideur administratif. La Cour ne doit intervenir que lorsque la décision sous étude, prise dans son ensemble, n’est pas fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui s’imposent au décideur (Vavilov au para 85).

[15] Un décideur n'est pas tenu de référer à tous les éléments de preuve et le fait de ne pas le faire ne rend pas une décision forcément déraisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16). Cependant, lorsqu’un décideur passe sous silence un élément de preuve pertinent à sa conclusion et militant en faveur d’une conclusion opposée, la Cour peut être justifiée d’intervenir (Jack c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 2 au para 8; Herrera Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1490 au para 9). Par exemple, elle interviendra lorsque le silence du décideur porte sur des éléments de preuve clés et que ses motifs suggèrent qu’il n’en a pas tenu compte (Zhong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 223 au para 25).

[16] Appliquant maintenant ces principes à la décision sous étude, je suis d’avis que l’agent pouvait raisonnablement ne pas se satisfaire de la preuve soumise quant aux ressources financières disponibles au demandeur afin de subvenir à ses besoins durant son programme d’études de quatre ans.

[17] La seule preuve documentaire soumise est une attestation du père du demandeur, une lettre d’emploi confirmant qu’il est Directeur financier et comptable au Port de Lomé et une copie de relevés de comptes à la Orabank démontrant un solde créditeur de 108 231 $ CAD.

[18] Dans sa déclaration assermentée, le père du demandeur indique que son revenu d’emploi est de 81 712 $ CAD, qu’il possède également des stations d’essence et boutiques qui lui procurent un revenu annuel d’environ 282 352 $ CAD et qu’il est propriétaire de deux terrains urbain d’une valeur de 697 362 $ CAD. Toutefois, aucune preuve documentaire ne supporte ces affirmations. Il n’y a ni preuve de l’existence des commerces en question, ni preuve des revenus qu’ils génèrent. Pour ce qui est des terrains, un seul semble appartenir au père du demandeur, mais sa valeur n’est pas démontrée. Dans la mesure où il s’agit pour le demandeur d’une demande de permis d’études bonifiée – sa première demande ayant été refusée pour des raisons similaires, il me semble qu’il aurait été facile pour lui de produire une preuve suffisante de l’ensemble des revenus et actifs allégués.

[19] À mon avis, c’est à bon droit que l’agent n’a tenu compte que du revenu d’emploi du père du demandeur dans son évaluation de sa capacité financière, et il lui était loisible de conclure qu’il était insuffisant pour couvrir les études du demandeur au Canada, alors que le demandeur a sept frères et sœurs, dont trois étudient déjà à l’étranger. Quant au relevés bancaires, l’agent pouvait raisonnablement entretenir des doutes quant à la provenance de ces fonds compte tenu de la preuve – ou de l’absence de preuve, du revenu annuel total du père du demandeur.

V. Conclusion

[20] Je suis d’avis que la demande du demandeur a été soumise à une procédure d’examen équitable et que l’agent d’immigration pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’avait pas rencontré son fardeau de démontrer qu’il avait les ressources financières suffisantes pour assumer, sans travailler, ses dépenses d’études au Canada.

[21] Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale pour fin de certification et je suis d’avis qu’aucune telle question n’émane des faits de cette affaire.

 


JUGEMENT dans IMM-2697-20

LA COUR STATUE que:

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2697-20

 

INTITULÉ :

NOUNAMEY YONATHAN NOULENGBE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 juillet 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 OCTOBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Annabel E. Busbridge

 

Pour le demandeur

 

Sonia Bédard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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