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Date : 20211004


Dossier : IMM‑3754‑20

Référence : 2021 CF 1028

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2021

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

MULUGETA YIMAM DESTA

ELIZABETH TEDLA AYELE

SARON MULUGETA DESTA

EYESUSWORK MULUGETA DESTA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’instance

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision [la décision] d’un agent principal de l’immigration [l’agent], en date du 4 mai 2020, rejetant la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs. L’agent a estimé qu’il n’y avait pas, dans le cas des demandeurs, de motifs d’ordre humanitaire justifiant une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II. Faits

[2] Les demandeurs sont des citoyens de l’Éthiopie. Mulugeta est le demandeur principal, et Elizabeth est son épouse. Ils ont une fille (âgée de 24 ans), et un fils (âgé de 17 ans) [le demandeur mineur].

[3] Le demandeur principal est inspecteur des garanties nucléaires pour l’Agence internationale de l’énergie atomique (l’AIEA), organisme international qui a son siège à Vienne et qui relève du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l’Assemblée générale des Nations Unies. Avant que le demandeur principal ne soit affecté à un poste au Canada, les demandeurs résidaient à Vienne en raison du travail du demandeur principal en tant que membre du personnel de l’AIEA.

[4] Les demandeurs sont entrés au Canada en 2013 dans le cadre de l’affectation de cinq ans du demandeur principal au bureau régional de l’AIEA à Toronto. Ils ont reçu des visas de résident temporaire qu’ils ont renouvelés afin de prolonger leur séjour. Bien qu’ils aient eu l’intention de vivre au Canada de façon temporaire en 2013, ils ont demandé la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire en 2017.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[5] L’agent n’était pas convaincu que les motifs d’ordre humanitaire invoqués par les demandeurs étaient exceptionnels au point de justifier une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR et a rejeté leur demande le 4 mai 2020. Les motifs d’ordre humanitaire invoqués étaient le degré d’établissement, l’intérêt supérieur de l’enfant, et les difficultés en cas de retour.

[6] Au sujet du degré d’établissement, l’agent a accordé un certain poids favorable aux antécédents manifestes d’emploi stable des demandeurs au Canada, bien que ce soit en tant qu’employé d’un organisme international étant tenu de retourner à Vienne à l’issue de l’affectation, à leurs antécédents de fréquentation d’une église et de bénévolat, et à leur participation à la vie de leur communauté. L’agent a reconnu les mesures prises par les demandeurs en vue de s’établir, mais il a estimé, en dernière analyse, qu’ils n’avaient pas atteint un degré d’établissement exceptionnel pendant leur séjour au Canada.

[7] En ce qui concerne les difficultés au retour à Vienne, en Autriche, l’agent a souligné que le demandeur principal, son épouse et leur fils avaient fait savoir qu’ils retourneraient en Autriche et que le demandeur principal doit retourner dans ce pays pour conserver son emploi. Les demandeurs sont bien établis en Autriche où il touchera un bon salaire (comme c’est le cas au Canada), et où il est aussi propriétaire d’un bien locatif générant un revenu supplémentaire de 4 000 $ par mois, ce qui assurera leur réintégration harmonieuse quand ils quitteront le Canada.

[8] Au sujet des difficultés en cas de retour en Éthiopie, ce qui pourrait arriver à la fille, l’agent a reconnu que celle‑ci pourrait ne pas être en mesure de suivre le reste de la famille en Autriche puisque les enfants de diplomates ne peuvent plus accompagner leurs parents quand ils dépassent l’âge de 21 ans. Cependant, l’agent a souligné que d’autres possibilités de demeurer au sein de l’Union européenne [l’UE] pourraient s’offrir à elle, mais qu’elle n’a pas présenté d’éléments de preuve qu’elle a fait des démarches en ce sens. L’agent a apprécié ses difficultés en cas de retour en Éthiopie. Il a examiné la situation pour les femmes, l’économie, et les soins de santé en Éthiopie, de même que les conséquences d’une séparation de la famille. Il a conclu qu’elle connaîtra vraisemblablement une période d’adaptation; cependant, avec les liens étroits qu’elle entretient avec ce pays, et le soutien de ses parents et de sa famille, elle serait en mesure de s’établir à nouveau dans son pays de nationalité.

[9] En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent a reconnu qu’un retour en Éthiopie entraînerait des défis pour le demandeur mineur. Cependant, il a reconnu que la famille n’envisageait pas de retourner en Éthiopie et que les éléments de preuve montraient que le demandeur mineur demeurerait sous les soins de ses parents et donc, qu’il retournerait en Autriche. Autrement dit, ce scénario n’est pas envisagé.

[10] Au sujet de l’intérêt supérieur du demandeur mineur s’il devait retourner en Autriche, l’agent a reconnu que celui‑ci peut avoir fait l’objet d’intimidation à l’école, mais il a conclu que l’intimidation d’adolescents en milieu scolaire était un problème mondial. De plus, l’agent a constaté que les éléments de preuve étaient insuffisants pour laisser supposer que l’intimidation qu’il avait subie était attribuable à son appartenance ethnique. Il a conclu qu’il serait dans l’intérêt supérieur du demandeur mineur de suivre ses parents en Autriche pour qu’il demeure sous les soins de ses principaux pourvoyeurs de soins pendant que la famille demande la résidence permanente selon la méthode habituelle.

IV. Questions en litige

[11] Les questions soulevées sont les suivantes :

  1. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son appréciation du degré d’établissement des demandeurs?

  2. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son appréciation des difficultés au retour?

  3. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant?

V. Norme de contrôle

[12] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, motifs majoritaires du juge Rowe [Société canadienne des postes], que la Cour suprême du Canada a rendu en même temps que l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires énoncent les éléments essentiels d’une décision raisonnable et, point pertinent au regard de l’espèce, de ce à quoi l’on doit s’attendre d’une cour de révision procédant au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec "une attention respectueuse", et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion » (Vavilov, au para 84, citant l’arrêt Dunsmuir, au para 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, au para 97, citant l’arrêt Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, au para 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99, citant Dunsmuir, aux para 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, au para 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[Non souligné dans l’original.]

[13] Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

[Non souligné dans l’original.]

[14] La Cour suprême du Canada a affirmé, au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique ». La Cour suprême donne à la cour de révision l’instruction d’en arriver à une décision en fonction du dossier dont elle dispose :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle‑ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : par. 48.

[Non souligné dans l’original.]

[15] Qui plus est, l’arrêt Vavilov précise que la Cour doit s’abstenir d’apprécier et de soupeser à nouveau la preuve à moins de « circonstances exceptionnelles » :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‑42. 3. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15‑18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

A. Question préliminaire : La Cour devrait‑elle accorder une prorogation de délai?

[16] Les demandeurs ont formulé des observations sollicitant une prorogation de délai, parce qu’ils n’avaient pas respecté les délais prévus dans la loi pour la présentation d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le défendeur soutient, et c’est aussi mon avis, qu’il n’y a pas lieu d’accorder une prorogation de délai parce que [traduction] « le délai à respecter par les demandeurs pour la présentation d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire entrait dans la période de suspension s’étendant du 13 mars 2020 au 13 septembre 2020 » laquelle s’applique aux « délais prévus sous le régime d’une loi fédérale pour l’introduction d’instances » devant la Cour fédérale. Voir l’arrêt Affaire intéressant L’article 6 de la Loi sur les Délais et Autres périodes (COVID‑19) (CA), 2020 CAF 137 [le juge en chef Noël] au para 12; Loi sur les délais et autres périodes (COVID‑19), LC 2020, c 11, art 11, article 6.

B. Établissement

[17] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur dans l’appréciation de leur degré d’établissement parce qu’ils affirment qu’ils ont produit des éléments de preuve considérables à l’appui de leur degré d’établissement. Ils prétendent que le guide IP5 qui porte sur les demandes présentées pour des motifs d’ordre humanitaire énumère des facteurs pour mesurer le degré d’établissement, en soulignant que la Cour a confirmé et adopté ces facteurs pour cette fin; voir les décisions Hee Lee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 368 [le juge Shore] au para 18, et Ahmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 646 [le juge Dawson] aux para 44 et 45. En tout respect, j’estime que les demandeurs ne m’ont pas convaincu au vu du dossier en l’espèce, sur lequel il n’est pas nécessaire de revenir dans les présents motifs.

[18] Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur en exigeant qu’ils fournissent des éléments de preuve d’un degré d’établissement exceptionnel tout en omettant d’expliquer ce qui serait un degré d’établissement [traduction] « exceptionnel ». Ils invoquent la décision Apura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 762 [le juge Ahmed] au para 23 pour soutenir que lorsque l’absence de circonstances exceptionnelles constitue le fondement de la décision de refuser un redressement, cela revient à imposer la mauvaise norme juridique. Toutefois, la jurisprudence dominante (y compris ma décision dans l’affaire Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 187 aux para 25 et 26) est analysée dans la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265 [Huang] [le juge en chef Crampton] au para 21, et soutient le contraire.

[19] Les demandeurs affirment que l’agent a eu tort d’écarter l’emploi occupé par le demandeur principal parce qu’il n’était pas lié au Canada en fait, le demandeur principal a dû quitter le pays pour conserver son emploi – tout en faisant fi de sa volonté de trouver un emploi comparable au Canada. Le demandeur principal a affirmé dans son affidavit qu’il avait envisagé de travailler pour un employeur canadien et qu’il avait eu des discussions officieuses avec des employeurs potentiels. Les demandeurs prétendent que l’agent a omis de prendre en compte ces éléments de preuve. J’estime que c’est une simple question d’appréciation et de pondération des éléments de preuve, ce que les juges siégeant en révision doivent s’abstenir de faire, selon le para 125 de l’arrêt Vavilov qui a été cité précédemment.

[20] J’estime que l’agent a de façon raisonnable pris en compte le degré d’établissement, qui découlait de l’affectation diplomatique du demandeur principal, et a conclu que la relocalisation était le lot des personnes qui travaillent pour des organisations internationales. Je conviens que « les liens des demandeurs au Canada ne dépendaient pas de circonstances hors de leur contrôle, et n’avaient rien d’exceptionnel ou d’inhabituel par rapport à d’autres personnes dans leur situation »; voir la décision Puri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 132 [le juge Martineau] au para 19, citant l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [la juge Abella] au para 26. Cette conclusion n’est pas déraisonnable et il était loisible à l’agent de la tirer au vu du dossier.

[21] Les demandeurs soutiennent que l’agent a eu tort de conclure que le départ des demandeurs serait sans conséquence pour leur communauté, parce que les éléments de preuve montraient le contraire. Ils prétendent que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve comme le fait que le demandeur principal a reçu un prix Bikila en 2015, le décrivant comme un modèle à suivre au sein de la communauté éthiopienne au Canada. J’estime toutefois que l’agent a de façon raisonnable apprécié les facteurs pertinents, en soulignant que les agents chargés de l’examen des motifs d’ordre humanitaire ne sont pas tenus de citer chaque élément de preuve qui a été produit. En dernière analyse, l’agent ne pouvait pas conclure que le cas des demandeurs était exceptionnel. C’était la tâche dévolue à l’agent et, avec égards, même s’il semble que la Cour soit invitée à instruire à nouveau le dossier dont disposait l’agent, là n’est pas son rôle en contrôle judiciaire.

C. Difficultés au retour en Autriche

[22] Les demandeurs affirment qu’ils ont produit des éléments de preuve corroborants quant aux difficultés auxquelles ils seraient exposés s’ils devaient demander la résidence permanente à partir de l’étranger. J’estime que l’agent a de façon raisonnable pris en compte la situation en Autriche, étant donné que le demandeur principal, son épouse et le demandeur mineur retourneront en Autriche, et non pas en Éthiopie. L’agent a conclu que les demandeurs sauront s’établir à nouveau en Autriche à la lumière de leurs niveaux de scolarité élevés, du fait qu’ils y possèdent une résidence, et de l’emploi du demandeur principal auprès de l’AIEA. Je ne puis convenir que cette conclusion n’est pas raisonnable selon les faits et les contraintes juridiques.

[23] Même si la fille pourrait ne pas être en mesure de suivre sa famille en Autriche, l’agent a de façon raisonnable relevé peu d’éléments de preuve, voire aucun, montrant qu’elle avait cherché à obtenir un statut en Autriche dès qu’elle a eu 21 ans, il y a deux ans, et qu’elle n’y était pas parvenue. L’agent a conclu que cela n’empêchait pas [traduction] « d’autres moyens s’offrant à elle pour demeurer dans l’UE, si toute sa famille nucléaire y réside ». Avec égards, comme on le sait, il incombe et il incombait aux demandeurs de démontrer l’existence de motifs permettant d’accorder la mesure de redressement exceptionnelle demandée à la faveur d’un examen favorable des motifs d’ordre humanitaire : Goraya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 341 [le juge Fothergill] au para 16. À cet égard, ils ont échoué sur une question de fait soulevée par l’agent. Je ne suis pas convaincu que je doive intervenir, conformément à l’arrêt Vavilov, au para 125.

D. Difficultés en cas de retour en Éthiopie (la fille)

[24] Les demandeurs formulent des observations quant aux difficultés auxquelles serait exposée leur fille si elle devait retourner en Éthiopie. Ils soutiennent que l’agent a commis une erreur en concluant que leur fille était familière de la culture éthiopienne en dépit du fait qu’elle avait passé la plus grande partie de sa vie à l’extérieur de ce pays. Selon les éléments de preuve qu’ils ont produits, les demandeurs soutiennent que leur fille serait exposée à des difficultés supérieures à celles « qui découlent du fait que l’on demande à une personne de partir une fois qu’elle est au pays depuis un certain temps » : voir la décision Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1906 [le juge Pelletier] au para 12.

[25] Les demandeurs soutiennent qu’en concluant que leur fille serait en mesure de s’établir dans ce pays en tant que femme très instruite, mais seulement avec l’aide financière de ses parents, l’agent tenait des propos contradictoires. Je souligne que ce n’est pas ce qu’a conclu l’agent. Qui plus est, il était loisible à l’agent de soupeser le niveau de scolarité de la fille des demandeurs et la capacité de celle‑ci de bénéficier du soutien de ses parents par rapport aux conditions défavorables dans le pays pour les femmes peu instruites; voir la décision Caleb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1018 [le juge McHaffie] au para 28.

[26] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur dans l’appréciation des conditions relatives aux droits de la personne en Éthiopie et qu’il n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents figurant dans le cartable national de documentation [le CND]. Ils prétendent, en citant des passages du CND au sujet des changements politiques apportés par le régime du premier ministre Abiy et des changements apportés au système carcéral éthiopien, que le CND n’est pas extrinsèque au dossier et que l’agent aurait dû le prendre en compte. Le CND constitue toutefois une preuve extrinsèque dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, comme l’a statué le juge Strickland dans la décision Hoyte c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 175 au para 14 : « la preuve extrinsèque, dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, correspon[d] à des éléments qui ne font pas partie des observations du demandeur, du dossier d’immigration du défendeur le concernant, ou du dossier du tribunal divulgué, lequel inclut les CND en ligne ». De plus, bien que le CND puisse être une ressource publique, « il incombait aux demandeurs de présenter les facteurs qu’ils voulaient que l’agent prenne en considération »; voir la décision Santiago c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 198 [le juge Russell] au para 59.

[27] Les demandeurs affirment que l’agent n’a pas analysé les difficultés auxquelles serait exposée leur fille au vu de son degré d’établissement, de sa vie qu’elle a passée majoritairement à l’extérieur de l’Éthiopie, et des conditions défavorables dans le pays, éléments qui, ensemble, représentent un niveau de difficulté suffisant. Ils prétendent, en citant la décision Liyanage c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1045 [le juge en chef Lufty (tel était son titre alors)],que l’agent a commis une erreur en tranchant l’affaire en l’espèce sans appliquer l’ensemble des éléments de preuve se rapportant à la situation de leur fille. Cependant, ce n’est pas ce qui ressort de la décision Liyanage et, en fait, le juge en chef Lufty a rejeté l’argument des demandeurs selon lequel « l’agente d’immigration n’a[vait] pas tenu compte de toute la preuve qu’elle avait devant elle ». Avec égards, cela semble être encore une invitation à instruire à nouveau l’affaire, ce qui, comme il est statué dans l’arrêt Vavilov, déborde du cadre du contrôle judiciaire.

E. Intérêt supérieur de l’enfant

[28] Les demandeurs soutiennent que le demandeur mineur sera exposé à des difficultés s’il devait retourner en Éthiopie, mais il a été établi que le demandeur mineur retournerait en Autriche avec ses parents et non pas en Éthiopie. De plus, ils affirment que le demandeur mineur a subi de l’intimidation en Autriche en raison de son appartenance ethnique et que l’agent a commis une erreur en affirmant qu’il avait pu être intimidé pour d’autres motifs. Les demandeurs prétendent que les doutes exprimés par l’agent au sujet de l’intimidation subie par le demandeur mineur constituent une conclusion voilée quant à la crédibilité, et que l’agent aurait dû leur accorder une audience.

[29] Avec égards, ce n’est pas mon avis. L’agent n’a pas tiré de conclusions voilées quant à la crédibilité. L’agent était plutôt préoccupé par le fait que les demandeurs avaient omis de fournir des précisions quant à l’intimidation de la part des autorités scolaires, des parents du demandeur mineur, ou du demandeur mineur lui‑même; voir la décision Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 503 [la juge McDonald] aux para 18 et 19. Les demandeurs n’ont tout simplement pas présenté suffisamment d’éléments de preuve à ce sujet.

VII. Conclusion

[30] À mon humble avis, les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de l’agent était déraisonnable. Ces demandeurs n’ont pas démontré en quoi leur degré d’établissement était exceptionnel pour la famille d’un diplomate; ils n’ont pas démontré en quoi ils seraient exposés à des difficultés en retournant dans un pays où ils gagneront leur vie, où ils sont logés, où ils ont des biens considérables et où ils ont résidé pendant de nombreuses années; leur fille n’a pas démontré qu’elle avait déployé des efforts montrant qu’elle ne pourrait pas avoir un statut en Autriche ou dans l’UE; et l’agent a apprécié de façon raisonnable l’intérêt supérieur du demandeur mineur. J’estime que la décision est transparente, intelligible et justifiée au regard des faits et du droit. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

VIII. Question certifiée

[31] Aucune partie n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3754‑20

LA COUR DÉCLARE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3754‑20

 

INTITULÉ :

MULUGETA YIMAM DESTA, ELIZABETH TEDLA AYELE, SARON MULUGETA DESTA, EYESUSWORK MULUGETA DESTA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue par VIDéOCONFéRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 SEPTEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN.

DATE DES MOTIFS :

LE 4 OCTOBRE 2021

COMPARUTIONS :

Daniel Tilahun Kebede

pour leS demandeurS

 

Nick Continelli

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of Daniel Kebede

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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