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Date : 20211015


Dossier : IMM‑1186‑20

Référence : 2021 CF 1085

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 15 octobre 2021

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

WINTA GHEBRE

JOEL GHEBRE (REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, WINTA GHEBRE)

YUNAEL GHEBRE (REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, WINTA GHEBRE)

LUKAS GHEBRE (REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, WINTA GHEBRE)

DELINA AALIYAH GHEBRE (REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, WINTA GHEBRE)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Winta Ghebre (la demanderesse principale) et ses enfants mineurs Joel Ghebre, Yunael Ghebre, Lukas Ghebre et Delina Aaliyah Ghebre (collectivement, les demandeurs) sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent (l’agent) a refusé leur demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, conformément au paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2] La demanderesse principale et ses enfants sont arrivés au Canada en novembre 2015, en tant que visiteurs. La demanderesse principale a obtenu une prorogation de son statut de visiteur jusqu’au 5 août 2017, mais une demande de prorogation ultérieure lui a été refusée le 10 novembre 2017. La demande pour motifs d’ordre humanitaire des demandeurs a été reçue le 15 novembre 2017, puis refusée le 31 janvier 2020.

[3] La demanderesse principale est une citoyenne de la Suisse d’origine érythréenne. L’aîné de ses enfants est né aux États‑Unis et les autres sont nés en Suisse. Tous détiennent la citoyenneté suisse.

[4] Les demandeurs ont fondé leur demande pour motifs d’ordre humanitaire sur leur établissement au Canada, sur des considérations relatives à la santé mentale de la demanderesse principale et à l’intérêt supérieur des enfants, sur des conditions défavorables dans leur pays d’origine, y compris de la discrimination, et sur d’autres difficultés connexes auxquelles ils seraient confrontés en Suisse.

[5] L’agent a traité de chacun de ces éléments en détail.

[6] En ce qui concerne les difficultés engendrées par un retour en Suisse, y compris des conditions défavorables dans ce pays et le traitement discriminatoire qu’ils subiraient de la part d’autres résidents, et que subiraient même les enfants de la part d’autres élèves, l’agent a conclu que la preuve objective était insuffisante pour justifier les craintes alléguées par les demandeurs.

[7] L’agent a traité des observations formulées au sujet de l’établissement des demandeurs, y compris les enfants, au Canada. Il a conclu que malgré la présence d’éléments de preuve selon lesquels les demandeurs jouissaient d’une vie stable au Canada, la preuve démontrait qu’ils pouvaient s’adapter à la vie en Suisse et s’y établir à nouveau.

[8] L’agent a pris en considération les observations formulées au sujet de la santé mentale de la demanderesse principale et de la crainte de cette dernière que les autorités gouvernementales lui retirent la garde de ses enfants si elle devait retourner en Suisse. Il a pris acte du rapport de la Dre Agrawal, une psychiatre, et l’a commenté. Il a aussi noté les remarques de cette dernière au sujet des effets négatifs que les enfants pourraient subir si la demande pour motifs d’ordre humanitaire était refusée. L’agent n’a accordé aucun poids à ces remarques.

[9] L’agent a pris acte des préoccupations de la demanderesse principale au sujet d’une potentielle prise en charge de ses enfants par les autorités gouvernementales en Suisse. Il a noté les interventions antérieures des autorités de protection de l’enfant de la Suisse auprès des enfants. Il a fait état de l’absence de preuve documentaire objective au sujet de ces interventions.

[10] L’agent a traité de l’intérêt supérieur des enfants à la fois indépendamment de leur mère, la demanderesse principale, et relativement à elle. Il a souligné que l’intérêt supérieur des enfants était un facteur important, sans toutefois être déterminant pour trancher la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il a conclu que l’intérêt supérieur des enfants serait [traduction] « affecté à un point qui justifie une dispense pour considérations d’ordre humanitaire, lorsque ce facteur est mis en balance avec tous les autres facteurs ».

[11] L’agent a fait état de l’absence de preuve d’interventions gouvernementales concernant la prise en charge temporaire des enfants en Suisse. Il a aussi fait remarquer que la garde des enfants avait été retirée à la demanderesse principale durant leur séjour à Toronto, mais que leur garde lui avait ensuite été rendue, ce qui témoignait que les services de protection de l’enfance à Toronto avaient conclu qu’elle pouvait s’occuper adéquatement de ses enfants.

[12] L’agent a traité des problèmes de santé mentale de la demanderesse principale. Il a fait état de l’absence de preuve objective relativement au traitement de ces problèmes outre‑mer. Il a noté que la demanderesse principale avait eu des idées suicidaires et avait fait deux tentatives de suicide. Il a fait état de l’absence de preuve objective établissant qu’en Suisse, la demanderesse principale n’aurait pas accès à un traitement approprié concernant ses problèmes de santé mentale.

[13] En l’espèce, les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur dans son analyse du rapport psychologique, a rejeté à tort le témoignage sous serment présenté dans l’affidavit de la demanderesse principale, notamment en concluant à l’absence de preuve concernant les idées suicidaires de cette dernière, et a commis une erreur d’appréciation de l’intérêt supérieur des enfants. Ils soutiennent que l’agent n’a pas suivi l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 909.

[14] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) affirme que les demandeurs n’ont pas démontré que l’agent avait commis une erreur manifeste et dominante dans son appréciation de la preuve.

[15] Conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) rendu par la Cour suprême du Canada, la décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Dans son examen du caractère raisonnable, la Cour doit se demander si la décision examinée « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »; voir Vavilov, précité, au paragraphe 99.

[16] Bien que les observations des demandeurs soient amples et détaillées, je ne suis pas convaincue qu’ils ont démontré que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle dans son traitement de la preuve.

[17] Sur le fondement des observations formulées à l’appui de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par les demandeurs, l’agent a raisonnablement conclu à l’absence de preuve objective concernant l’interaction entre la demanderesse principale et les autorités de protection de l’enfant en Suisse.

[18] L’agent a raisonnablement pris en considération le rapport sur les problèmes de santé mentale de la demanderesse principale. Il semble avoir accepté le diagnostic de la psychiatre, mais avoir rejeté les recommandations concernant l’intérêt supérieur des enfants.

[19] Cela ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. L’agent, et non un psychiatre, a le mandat d’apprécier l’intérêt supérieur des enfants en se basant sur la preuve déposée.

[20] L’agent a pris acte des idées suicidaires de la demanderesse principale, telles que les avait exposées la psychologue. Il a fait état de l’absence de preuve établissant que les ressources pour le traitement de ces problèmes n’étaient pas offertes en Suisse.

[21] La décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La décision doit faire l’objet d’un examen global, et non en plusieurs étapes.

[22] L’absence de preuve est la principale conclusion de l’agent concernant les questions soulevées par les demandeurs.

[23] C’est l’agent, et non la Cour, qui a le mandat de vérifier si la preuve est suffisante. Le rôle de la Cour est d’apprécier le caractère raisonnable des conclusions au regard de la preuve déposée.

[24] À mon avis, la décision de l’agent satisfait à la norme de contrôle applicable, soit celle du caractère raisonnable. Rien ne justifie l’intervention de la Cour, et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[25] Cependant, je souligne que les allégations de la demanderesse principale au sujet de sa santé mentale sont graves. Le défendeur, ses mandataires et ses employés devront prendre en considération ces préoccupations dans les futures interactions avec la demanderesse principale. Cette dernière est libre de présenter une nouvelle demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire étayée par de nouveaux éléments de preuve, en plus de la preuve figurant déjà au dossier.

[26] En conclusion, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est soulevée aux fins de la certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1186‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est soulevée aux fins de la certification.

« E. Heneghan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1186‑20

 

INTITULÉ :

WINTA GHEBRE, JOEL GHEBRE (REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, WINTA GHEBRE), YUNAEL GHEBRE (REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, WINTA GHEBRE), LUKAS GHEBRE (REPRÉSENTÉ PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, WINTA GHEBRE), DELINA AALIYAH GHEBRE (REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE, WINTA GHEBRE) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO (ONTARIO) ET ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JUILLET 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 15 octobre 2021

COMPARUTIONS :

Annie O’Dell

POUR LES DEMANDEURS

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Annie O’Dell

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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