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Date : 20211019


Dossier : IMM‑7051‑19

Référence : 2021 CF 1100

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2021

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

ECHEZONACHIKA OKOLO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a fait droit à une demande présentée par le défendeur en vertu de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], en vue de faire annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile du demandeur.

Contexte

[2] Le demandeur est un ressortissant du Nigéria. Il est entré au Canada en 2007 et a présenté une demande d’asile fondée sur la crainte qu’il avait d’être persécuté par le gouvernement du Nigéria parce qu’il était soupçonné d’appuyer le Mouvement pour l’actualisation de l’État souverain du Biafra. Sur son Formulaire de renseignements personnels [le FRP] et dans d’autres documents déposés à l’appui de sa demande d’asile, le demandeur a mentionné qu’il n’avait pas utilisé d’autres noms et n’était connu sous aucun autre nom. Il a également répondu « non » aux questions suivantes : « Avez‑vous déjà été recherché, arrêté ou détenu par la police, l’armée ou toute autre autorité d’un pays, y compris le Canada? » et « Avez‑vous déjà commis un crime ou été accusé ou reconnu coupable d’un crime dans un pays, y compris le Canada? ». Le 27 juillet 2009, la SPR a accueilli la demande du demandeur et lui a reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur est devenu un résident permanent du Canada le 21 septembre 2010.

[3] En décembre 2014, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a reçu une information émanant d’une source anonyme selon laquelle le demandeur avait modifié l’orthographe de son nom afin d’éviter d’être lié à ses antécédents criminels au Royaume‑Uni [R.‑U.]. En réponse à une enquête menée par l’ASFC, Interpol a fait une vérification des empreintes digitales et confirmé que le demandeur avait été impliqué, sous le nom de Chika Echezona Okolo, dans une collision d’automobile mortelle survenue au R.‑U. le 18 décembre 2004. Dans le cadre de cette collision, il avait été arrêté, accusé et libéré sous caution. Il avait ensuite fait défaut de comparaître à son procès, de sorte qu’un mandat d’arrestation avait été délivré contre lui. Le 19 décembre 2005, le demandeur a été déclaré coupable par contumace de l’infraction de « Causing Death by Dangerous Driving » (conduite dangereuse ayant causé la mort) visée à l’article premier de la Road Traffic Act 1988 (R.‑U.). Il a été condamné à trois ans d’emprisonnement et son permis de conduire a été suspendu pour une période de deux ans. Interpol a également confirmé que le mandat d’arrestation délivré contre le demandeur était toujours en vigueur, parce que celui‑ci n’a pas purgé la peine qui lui a été infligée au R.‑U.

[4] En 2017, conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a déféré à la Section de l’immigration [la SI] un rapport établi au titre du paragraphe 44(1) de la LIPR, selon lequel le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité. Après l’audience tenue devant elle le 24 juillet 2017, la SI a conclu que le défendeur n’avait pas réussi à établir que l’infraction dont le demandeur avait été déclaré coupable au Royaume‑Uni, soit « Causing Death by Dangerous Driving », équivalait à l’infraction de « Dangerous Driving Causing Death » (conduite de façon dangereuse causant ainsi la mort) prévue au paragraphe 249(1) du Code criminel du Canada, LRC 1985, c C‑46, dans sa version en vigueur le 18 décembre 2004 [le Code criminel de 2004]. La SI a donc refusé de déclarer le demandeur interdit de territoire.

[5] Le défendeur a interjeté appel de la décision de la SI à la Section d’appel de l’immigration [la SAI]. Le 5 mars 2018, la SAI a confirmé la décision de la SI. Elle a mentionné que, selon toute apparence, le demandeur est un voyou qui devrait être renvoyé au R.‑U. et « assumer les responsabilités de son crime ». Cependant, là n’était pas le rôle de la SAI. Son rôle consistait à déterminer si le défendeur s’était acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’infraction pour laquelle le demandeur a été condamné au R.‑U. correspond à l’infraction visée au paragraphe 249(1) du Code criminel de 2004. En se fondant sur la preuve présentée par le défendeur, la SAI a conclu que celui‑ci ne s’était pas acquitté de ce fardeau.

[6] Le 18 avril 2018, l’ASFC a établi un avis de demande d’annulation de la décision ayant accueilli la demande d’asile au titre du paragraphe 109(1) de la LIPR. La demande était fondée sur l’allégation selon laquelle l’octroi de l’asile au demandeur résultait directement de présentations erronées sur ses antécédents criminels et son identité. L’ASFC a soutenu dans sa demande que la suspension de la condamnation du demandeur au R.‑U. à l’égard de l’infraction de « Causing Death by Dangerous Driving » empêchait la SPR d’évaluer la demande de celui‑ci au regard de l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. L’ASFC a également fait valoir que l’omission de la part du demandeur de divulguer qu’il avait utilisé d’autres noms et était connu sous d’autres noms, notamment en ce qui concerne sa déclaration de culpabilité et le mandat délivré contre lui sous le nom de Chika Okolo, avait empêché la SPR d’évaluer correctement sa demande d’asile au regard de ses antécédents criminels et de ses antécédents en matière d’immigration au R.‑U. Ces questions étaient également pertinentes quant au succès de la demande d’asile du demandeur.

[7] Dans une décision rendue le 5 mars 2018, la SPR a fait droit à la demande d’annulation de la décision ayant accueilli la demande d’asile du demandeur et a annulé la décision précédente qui avait mené à l’octroi de l’asile. C’est cette décision portant annulation qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[8] Dans une ordonnance rendue le 24 février 2021, notre Cour a rejeté la requête du demandeur en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, concluant que le demandeur n’avait pas établi qu’il risquerait de subir un préjudice irréparable s’il était renvoyé au Nigéria. Le demandeur a subséquemment été renvoyé contre son gré au Nigéria.

Décision faisant l’objet du contrôle

[9] En ce qui a trait aux présentations erronées du demandeur au sujet de ses antécédents criminels, la SPR a rejeté l’explication qu’il a donnée, selon laquelle il avait mal compris les questions du FRP et d’autres formulaires de demande d’asile. Elle a souligné que le demandeur n’avait pas contesté le fait qu’il avait été arrêté et accusé d’une infraction criminelle avant de présenter sa demande d’asile au Canada. Elle a conclu que, même s’il n’était pas au courant de sa déclaration de culpabilité au moment où il avait rempli ses formulaires de demande d’asile et son FRP en 2007, comme il l’avait dit devant elle, il savait qu’il avait été arrêté et accusé d’une infraction avant de présenter sa demande d’asile. La SPR a souligné que le défendeur parle couramment l’anglais, a obtenu un diplôme universitaire en anglais au Nigéria, a fait une maîtrise en informatique et en technologie de l’information à l’Université de Luton, au R.‑U., et est resté dans ce pays pendant près de deux ans. La SPR a ajouté que les questions du FPR sont claires et que les réponses doivent comporter des renseignements plus détaillés sur les antécédents criminels que de simples déclarations de culpabilité. De l’avis de la SPR, l’affirmation du demandeur selon laquelle il avait mal compris les questions manquait de crédibilité, eu égard à son niveau d’instruction élevé, à sa maîtrise de l’anglais et au fait qu’il était représenté par un conseil lors de la présentation de sa demande d’asile.

[10] La SPR a accepté le témoignage du demandeur selon lequel tout au long de sa vie, des personnes et des institutions ont confondu son nom. Cependant, son refus de reconnaître qu’il avait utilisé un nom différent dans sa demande d’asile afin d’éviter d’être associé à ses antécédents criminels au R.‑U. a été jugé non pertinent. La SPR a conclu que, indépendamment de la question de savoir si le demandeur avait ou non l’intention de tromper, il savait qu’il avait été appelé par d’autres noms et devait fournir les noms sous lesquels il était connu dans les documents de sa demande d’asile.

[11] La SPR a ensuite examiné la question de savoir si les présentations erronées du demandeur portaient sur des faits importants. Elle a précisé qu’elle portait son attention sur le défaut du demandeur de divulguer ses antécédents criminels, car il s’agissait d’un facteur déterminant. La SPR a souligné les trois éléments du critère relatif à une présentation erronée sur un fait important aux termes du paragraphe 109(1) de la LIPR, lesquels éléments sont énoncés dans la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gunasingam, 2008 CF 181. Elle a conclu que le défaut du demandeur de mentionner ses antécédents criminels satisfaisait au critère, car les faits non divulgués étaient importants quant à la question de savoir si le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés aux termes de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention et de l’article 98 de la LIPR. La SPR a conclu que le tribunal initial aurait pu exclure le demandeur et l’aurait effectivement exclu si ses antécédents criminels avaient été connus. En conséquence, il y avait un lien de causalité suffisant entre, d’une part, le défaut du demandeur de mentionner ses antécédents criminels au R.‑U. et, d’autre part, l’octroi de l’asile.

[12] La SPR a ensuite examiné l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention. Elle a énoncé les quatre éléments qui doivent être établis pour que l’exclusion prévue à cette disposition soit appliquée et a souligné que seuls les deux premiers éléments étaient en litige dans l’affaire dont elle était saisie.

[13] En ce qui a trait à la question de savoir s’il y avait de sérieuses raisons de penser que le demandeur avait conduit un véhicule automobile de manière dangereuse, la SPR a mentionné que la survenance de la collision et le décès de l’autre chauffeur n’étaient pas contestés. Elle a ajouté que le défendeur avait fait valoir que la conduite du demandeur aurait constitué un crime au sens du paragraphe 249(1) du Code criminel de 2004. À l’inverse, le demandeur a répondu que sa conduite n’aurait pas été un crime au Canada, soulignant les décisions de la SI et de la SAI à ce sujet. La SPR a mentionné que le demandeur a également fait valoir que la demande d’annulation était chose jugée, étant donné que la SI et la SAI avaient déjà rendu des décisions sur la question de la déclaration de culpabilité du demandeur au R.‑U.

[14] La SPR a rejeté les arguments du demandeur. Elle a estimé que la question de savoir si un demandeur d’asile ne peut être admis à demander l’asile au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention est distincte de celle de savoir si une personne est interdite de territoire parce qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction criminelle dans un autre pays que le Canada au titre de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, c’est‑à‑dire que les critères juridiques applicables à la détermination de l’exclusion et de l’interdiction de territoire sont différents. En conséquence, la demande d’annulation n’était pas chose jugée.

[15] La SPR a souligné que la majeure partie des éléments de preuve concernant la collision étaient tirés du journal d’enquête de l’unité de police routière de Bedfordshire concernant une collision mortelle [le journal d’enquête]. La SPR a passé en revue les circonstances de la collision décrites dans le journal d’enquête, qui n’étaient pas contestées pour l’essentiel, et a conclu qu’elles étaient suffisantes pour établir l’actus reus de l’infraction. Selon la SPR, la question clé qui se posait concernait la cause de la collision. Le demandeur avait déclaré qu’il ne savait pas comment ni pourquoi il s’était retrouvé à contresens et qu’il ne se rappelait pas s’être endormi au volant. Selon la SPR, le demandeur a manqué momentanément d’attention et n’avait donc pas l’intention criminelle (mens rea) nécessaire pour établir l’infraction.

[16] La SPR a examiné le critère objectif modifié qui sert à déterminer la mens rea requise dans le cas des infractions criminelles fondées sur la négligence, selon la description qui en est faite dans l’arrêt R c Beatty, 2008 CSC 5 [Beatty]. Elle a souligné qu’il y avait peu de renseignements concernant l’état d’esprit du demandeur lors de la collision. Elle a reconnu que la SI avait décidé que la seule conclusion raisonnable était que le demandeur s’était endormi au volant, ce qui excluait la présence de l’intention coupable liée à l’infraction. La SPR a mentionné que la SAI a conclu que la preuve présentée dans le cadre de l’appel n’établissait pas qu’il s’agissait de plus qu’une inattention momentanée de la part du demandeur. Cependant, la SPR a décidé qu’elle n’était pas liée par cette conclusion de la SAI.

[17] La SPR a distingué les faits de l’espèce de ceux de l’affaire Beatty, dans laquelle il a été décidé que l’accusé n’était pas coupable, et a conclu qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait conduit un véhicule d’une manière dangereuse pour le public, causant ainsi la mort d’une autre personne.

[18] La SPR a souligné que l’infraction était réputée être suffisamment grave pour justifier une exclusion, parce qu’elle est passible d’une peine d’emprisonnement maximale d’au moins dix ans, citant l’arrêt Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 [Febles]. La SPR a ensuite analysé les facteurs que la Cour d’appel fédérale a exposés dans l’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara], au paragraphe 44, et qui permettent de réfuter la présomption de gravité : les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes.

[19] La SPR a conclu que, compte tenu de l’important mépris du demandeur à l’égard de la sécurité publique et du fait qu’il avait esquivé la poursuite dont il faisait l’objet et s’était soustrait à la justice, l’infraction qu’il avait commise est grave aux fins de l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier. La SPR a conclu que le tribunal initial aurait exclu le demandeur s’il avait été informé de son arrestation et de son accusation au criminel en lien avec la collision et qu’elle aurait accueilli la demande d’annulation.

Questions en litige et norme de contrôle

[20] La question en litige dans la présente affaire est de savoir si la décision de la SPR est raisonnable. Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’examiner deux sous‑questions :

  1. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime?
  2. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en appliquant les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara pour déterminer la gravité de l’infraction?

[21] Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a admis qu’il avait fait des présentations erronées tant au sujet de ses antécédents criminels qu’au sujet des autres noms sous lesquels il est connu. En conséquence, les présents motifs ne porteront pas sur les arguments invoqués dans les observations écrites du demandeur au sujet de l’allégation selon laquelle la SPR a commis une erreur en concluant que le demandeur avait fait une présentation erronée.

[22] Le demandeur a également soutenu, dans ses observations écrites, que la demande de contrôle judiciaire n’est pas devenue théorique par suite de son renvoi au Nigéria. Le défendeur convient que l’affaire n’est pas théorique, étant donné que le retour du demandeur au Nigéria était involontaire. En conséquence, les présents motifs ne porteront pas sur cette question non plus.

[23] Les parties soutiennent que la décision de la SPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 25 et 33) et je suis d’accord avec elles.

Les dispositions législatives et le contexte juridique

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

98. Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[…]

109(1) Demande d’annulation

La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

109(2) Rejet de la demande

Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

109(3) Effet de la décision

La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

[…]

Annexe [1] — Sections E et F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés

(Paragraphe 2(1))

[…]

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

Code criminel, LRC 198, c C‑46 (en vigueur le 18 décembre 2004)

Conduite dangereuse

249. (1) Commet une infraction quiconque conduit, selon le cas :

a) un véhicule à moteur d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu;

[…]

Conduite de façon dangereuse causant ainsi la mort

(4) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) et cause ainsi la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans.

La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime?

[24] Le demandeur soutient essentiellement que la SPR a commis une erreur en concluant que le degré de diligence dont il avait fait preuve constituait un écart marqué par rapport à la norme que devrait normalement respecter un conducteur raisonnablement prudent. Le demandeur fait valoir qu’il en est ainsi parce que la collision résultait d’une inattention momentanée, invoquant l’arrêt Beatty et l’arrêt R c Roy, 2012 CSC 26 [Roy], aux paragraphes 24 et 28. Le demandeur ajoute que le dossier ne comporte aucun élément de preuve permettant de contredire son affirmation selon laquelle la collision résultait d’une inattention momentanée. Il souligne que la SI et la SAI en sont toutes les deux arrivées à cette conclusion et que la SPR ne présente aucune analyse et n’invoque aucun motif afin d’expliquer pourquoi elle n’a pas tiré la même conclusion. Selon le demandeur, la SPR en est arrivée trop hâtivement à une conclusion de criminalité en se fondant sur la simple survenance d’une collision et n’a pas examiné en bonne et due forme les circonstances de celle‑ci, commettant par le fait même l’erreur à éviter selon les arrêts Beatty et Roy.

[25] Le défendeur répond que les faits de l’affaire Beatty sont différents et que la SPR a conclu raisonnablement à l’existence de raisons sérieuses de penser que la conduite du demandeur constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence pertinente. Il souligne que la SPR n’en est pas arrivée à sa décision sans se fonder sur des éléments de preuve, contrairement à ce que le demandeur soutient, et que celui‑ci ne tient pas compte du rôle qu’il a lui‑même joué en s’enfuyant du R.‑U. avant son procès criminel, créant par le fait même des lacunes dans la preuve. Qui plus est, les arguments du demandeur équivalent à une demande visant à réévaluer la preuve. Le défendeur ajoute que la SPR explique de façon satisfaisante les raisons pour lesquelles elle en est arrivée à une conclusion différente de celle de la SAI.

Analyse

[26] Le rôle de la SPR n’est pas de statuer sur la culpabilité. L’alinéa Fb) de l’article premier lui demande plutôt de décider s’il existe ou non « des raisons sérieuses de penser » qu’une personne a commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admise comme réfugié. La norme de preuve relative aux « raisons sérieuses de penser » est moins rigoureuse que le fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable applicable en matière criminelle, ou la norme de la prépondérance des probabilités qui s’applique généralement en matière civile, mais elle est plus stricte que le simple soupçon (Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 aux para 101‑102). Notre Cour a déjà décidé que le ministre n’a qu’à démontrer, « en satisfaisant à une norme qui est moindre que la prépondérance des probabilités habituelle en matière civile, qu’il y a des motifs sérieux de penser que le demandeur a commis les actes allégués » (Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 12 au para 18).

[27] Un crime de droit commun est considéré au départ comme un crime grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée s’il avait été commis au Canada (Febles au para 62). Cependant, cette présomption est réfutable. Pour évaluer la gravité d’une infraction, la SPR doit examiner les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité (Jayasekara au para 44).

[28] Dans la présente affaire, le défendeur soutient que la conduite du demandeur donnait lieu à des raisons sérieuses de penser qu’il avait contrevenu à l’alinéa 249(1)a) du Code criminel de 2004, c’est‑à‑dire qu’il avait commis un crime grave de droit commun.

[29] La SPR a reconnu que tant la SI que la SAI ont conclu, dans le cadre d’une analyse d’équivalence menée au titre de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, que la preuve n’appuyait qu’une seule conclusion raisonnable : le demandeur n’avait été victime que d’une inattention momentanée. En conséquence, la SI et la SAI ont conclu que le demandeur n’avait pas l’intention coupable nécessaire à l’égard de l’infraction. Cependant, la SPR a décidé qu’elle n’était pas liée par les conclusions de la SI et de la SAI, car elle devait « établir s’il y a des raisons sérieuses de penser que l’intimé a commis un crime grave ». Elle a conclu que la question de savoir si un demandeur d’asile ne peut être admis à demander l’asile au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention est différente de celle de savoir si une personne est interdite de territoire parce qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction criminelle dans un autre pays que le Canada au titre de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR et que le critère juridique applicable est différent. Le critère servant à établir l’équivalence, qui a été élaboré aux fins des constats d’interdiction de territoire au titre de l’article 36 de la LIPR, est différent de celui qui sert à formuler les constats d’exclusion au titre de l’article 98 de la LIPR. La SPR a souligné qu’elle portait son attention principalement sur la question de savoir si la conduite du demandeur pourrait être considérée comme un crime en droit canadien, ajoutant qu’elle devait « appliquer les faits du crime au droit criminel canadien ».

[30] La SPR a reconnu l’application, que la Cour suprême du Canada a confirmée dans l’arrêt Beatty, du critère objectif modifié pour déterminer l’intention coupable requise dans le cas des infractions criminelles fondées sur la négligence, mais a souligné qu’elle n’avait pas à appliquer le critère avec le degré de rigueur qu’un tribunal pénal — ou encore la SI ou la SAI — est tenu d’appliquer pour évaluer une infraction. Elle a conclu que les faits de l’arrêt Beatty étaient différents et que, eu égard à la preuve dont elle était saisie, il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait conduit un véhicule d’une manière dangereuse pour le public, causant ainsi la mort d’une autre personne.

[31] À mon avis, il convient au départ de résumer les conclusions que la Cour suprême du Canada a tirées dans l’arrêt Beatty afin de mettre en contexte celles de la SPR.

[32] Dans l’affaire Beatty, l’accusé était inculpé de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur ayant causé la mort, soit l’infraction visée au paragraphe 249(4) du Code criminel de 2004. L’accident à l’origine de l’accusation était survenu quand la camionnette de M. Beatty avait, sans raison apparente, traversé soudainement la ligne médiane pour se retrouver dans la voie d’une voiture circulant en sens inverse, dont les trois occupants ont été tués lors de la collision. Des témoins roulant derrière la voiture des victimes avaient constaté que M. Beatty conduisait son véhicule de façon appropriée avant l’accident. La preuve avait démontré que le véhicule de celui‑ci ne présentait aucune défectuosité mécanique et qu’aucune substance intoxicante n’avait joué un rôle dans l’accident. M. Beatty avait déclaré qu’il n’était pas certain de ce qui s’était passé, mais qu’il avait dû perdre conscience ou s’endormir et entrer en collision avec l’autre véhicule.

[33] La juge du procès a conclu que ces quelques secondes de conduite négligente ne permettaient pas, à elles seules, de conclure à un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnablement prudent. La Cour d’appel a annulé les acquittements et ordonné la tenue d’un nouveau procès, jugeant que le comportement de M. Beatty, qui avait franchi la ligne médiane et s’était retrouvé dans la voie inverse, devait forcément être considéré comme objectivement dangereux et comme constituant un « écart marqué » par rapport à la norme de diligence requise.

[34] La Cour suprême a confirmé que le critère objectif modifié établi dans l’arrêt Hundal, [1993] 1 RCS 867, demeurait le critère approprié pour déterminer la mens rea requise dans le cas des infractions criminelles fondées sur la négligence, y compris les infractions en matière de conduite automobile, et a reformulé l’ensemble du critère en ces termes au paragraphe 43 :

a) L’actus reus

Le juge des faits doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que, du point de vue objectif, l’accusé, suivant les termes de la disposition concernée, conduisait « d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu ».

b) La mens rea

Le juge des faits doit également être convaincu, hors de tout doute raisonnable, que le comportement objectivement dangereux de l’accusé était accompagné de la mens rea requise. Dans son appréciation, le juge des faits doit être convaincu, à la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris la preuve relative à l’état d’esprit véritable de l’accusé, si une telle preuve existe, que le comportement en cause constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence raisonnable que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé. En outre, si l’accusé offre une explication, il faut alors, pour qu’il y ait déclaration de culpabilité, que le juge des faits soit convaincu qu’une personne raisonnable dans des circonstances analogues aurait dû être consciente du risque et du danger inhérents au comportement de l’accusé.

[35] La Cour suprême a convenu avec la Cour d’appel que la preuve démontrait qu’il n’y avait qu’une seule voie dans chaque direction, que les véhicules roulaient à la vitesse limite affichée de 90 kilomètres à l’heure ou à peu près, que la route était très fréquentée, que la visibilité était réduite à l’approche du virage et que la collision était survenue une fraction de seconde après que M. Beatty s’était retrouvé dans la voie inverse. Considéré objectivement, le fait que l’intimé n’avait pas maintenu son véhicule dans sa voie était « eu égard aux circonstances » très dangereux pour les autres personnes circulant légalement sur la route, et en particulier pour celles qui approchaient, en direction ouest, de leur propre côté de la route.

[36] Cependant, la Cour suprême a décidé que cette conclusion portait seulement sur le volet actus reus de l’infraction. La question de savoir si M. Beatty avait la mens rea nécessaire était plus difficile à trancher. La Cour suprême a souligné qu’il n’y avait aucune preuve démontrant la moindre intention délibérée de créer un danger pour les autres usagers de la route, qui permettrait de répondre aisément à cette question. La preuve limitée qui avait été présentée à propos de l’état mental véritable de M. Beatty tendait plutôt à démontrer que la conduite dangereuse était attribuable à une inattention momentanée. De l’avis de la Cour suprême, dans ces circonstances, la juge du procès avait eu raison de conclure que la question de la mens rea était intimement liée à celle de savoir si, considérée objectivement, la façon de conduire de M. Beatty constituait un écart marqué par rapport à la norme. La Cour suprême en est arrivée à la conclusion suivante :

[52] La Cour d’appel a selon moi eu tort de reprocher à la juge du procès de s’être attachée à « l’inattention momentanée » de M. Beatty et à ses « quelques secondes d’inattention ». La juge du procès a à juste titre axé son analyse sur la façon de conduire de M. Beatty eu égard aux circonstances. Elle a souligné qu’il n’y avait aucune preuve de conduite inappropriée avant que la camionnette ne traverse momentanément la ligne médiane, et que les [TRADUCTION] « quelques secondes de conduite clairement négligente » constituaient la seule preuve touchant sa façon de conduire (par. 36). Elle a avec raison pris en considération l’ensemble de la preuve et conclu que [TRADUCTION] « la seule conclusion raisonnable » était que [TRADUCTION] « M. Beatty [. . .] a perdu conscience », ce qui l’a amené à continuer de rouler en ligne droite au lieu de prendre le virage (par. 36). Selon elle, cette inattention momentanée était insuffisante pour asseoir la culpabilité criminelle. Elle a jugé que la preuve était [TRADUCTION] « insuffisante [. . .] pour permettre de conclure à un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur prudent » (par. 37).

[53] En me fondant sur l’ensemble de la preuve, je ne vois aucune raison de remettre en question l’appréciation du comportement de M. Beatty par la juge du procès et sa conclusion quant à la responsabilité criminelle de ce dernier. En revanche, j’estime que la Cour d’appel a conclu trop hâtivement que la mens rea requise pouvait être établie du simple fait de l’accident, éliminant ainsi toute possibilité d’apprécier le comportement de M. Beatty sur le continuum de la négligence.

[37] En conséquence, la Cour suprême a accueilli le pourvoi et rétabli les acquittements.

[38] Plus tard, dans l’arrêt Roy, la Cour suprême a examiné à nouveau le paragraphe 249(1) du Code criminel de 2004. Le résumé qu’elle présente dans cet arrêt offre également un contexte éclairant :

[1] La conduite dangereuse ayant causé la mort est une infraction criminelle grave punissable d’un emprisonnement maximal de 14 ans. Comme toute infraction criminelle, elle est constituée de deux éléments : un comportement prohibé — la conduite d’un véhicule à moteur de façon dangereuse causant ainsi la mort — et un degré de faute requis — un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans les circonstances. L’élément de faute est critique, car il fournit l’assurance qu’une sanction pénale n’est imposée qu’aux seules personnes ayant mérité le stigmate d’une déclaration de culpabilité criminelle. Alors qu’un simple écart par rapport à la norme de diligence suffit à engager la responsabilité civile, seul un écart marqué satisfait à l’exigence de faute de cette infraction criminelle grave.

[2] Définir et appliquer cet élément de faute est une tâche importante qui pose un défi de taille en raison du danger inhérent à la conduite d’un véhicule. Même la simple imprudence peut entraîner des conséquences tragiques et les juges et les jurés peuvent alors succomber à la tentation d’appliquer indûment le droit pénal à la personne imprudente qui les a causées. Néanmoins, comme notre Cour l’a exprimé dans l’arrêt R. c. Beatty, 2008 CSC 5, [2008] 1 R.C.S. 49, par. 34, « [s]’il faut considérer comme une infraction criminelle chaque écart par rapport à la norme civile, quelle qu’en soit la gravité, on risque de ratisser trop large et de qualifier de criminelles des personnes qui en réalité ne sont pas moralement blâmables ». Il est essentiel de prêter une attention particulière à l’élément de faute de l’infraction si nous voulons éviter de qualifier de criminelle une personne ayant simplement agi de façon imprudente.

[39] La Cour suprême a conclu, dans l’arrêt Roy, que le juge du procès avait commis une grave erreur de droit relativement à l’élément de faute lorsqu’il avait simplement inféré, du fait que l’appelant avait commis un acte dangereux au volant de son véhicule, que son comportement représentait un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable se trouvant dans la situation de l’appelant. Voici comment la Cour s’est exprimée : « […] le juge du procès a fait exactement ce que notre Cour, dans Beatty, a unanimement indiqué de ne pas faire : sans effectuer une analyse plus poussée de l’élément de faute de l’infraction, il a inféré, du simple fait que la façon de conduire était objectivement dangereuse, que le degré de diligence démontré par l’appelant représentait un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation » (au para 24).

[40] Dans l’arrêt Roy, la Cour suprême a réaffirmé, après l’avoir résumée au paragraphe 28 de ses motifs, l’analyse qu’elle avait menée dans l’arrêt Beatty et a ensuite formulé des observations sur la façon d’établir l’écart marqué comme élément de faute (aux para 39‑42), que j’examine plus loin.

[41] Toujours dans l’arrêt Roy, la Cour suprême a conclu que le dossier ne contenait pas d’éléments de preuve permettant à un juge des faits ayant reçu des directives appropriées de conclure raisonnablement que le degré de diligence manifesté par M. Roy constituait un écart marqué par rapport à la norme que respecterait une personne raisonnable dans la même situation. Elle a convenu que la façon de conduire était objectivement dangereuse, mais a ajouté qu’aucun élément de preuve ne démontrait que la façon de conduire de M. Roy avant qu’il s’engage dans la voie du véhicule qui approchait était différente d’une façon de conduire normale et prudente. L’accent était donc mis sur la décision prise, sur le moment, de s’engager sur l’autoroute alors qu’il n’était pas prudent de le faire. Selon la Cour, la façon de conduire, à elle seule, ne permettait pas de conclure raisonnablement que le degré de diligence exercé par M. Roy constituait un écart marqué par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnable dans la même situation (au para 54). La Cour suprême a conclu que « la décision de M. Roy de s’engager sur l’autoroute est compatible avec une mauvaise évaluation de la vitesse et de la distance qui a été faite dans des conditions difficiles au moment où la visibilité était mauvaise. En l’espèce, le dossier indique une seule erreur momentanée de jugement dont les conséquences ont été tragiques. Il ne permet pas de conclure raisonnablement que l’accusé a démontré un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation, justifiant ainsi une déclaration de culpabilité pour l’infraction criminelle grave de conduite dangereuse ayant causé la mort » (au para 55).

[42] En l’espèce, comme la SPR l’a souligné, la preuve concernant la collision provient presque exclusivement du journal d’enquête. Selon ce journal, le 18 décembre 2004, le véhicule du demandeur roulait en direction nord dans la seule voie nord de la route A6 lorsqu’il a franchi les doubles lignes blanches et s’est retrouvé dans la voie sud adjacente. Le véhicule du demandeur a traversé entièrement cette voie et s’est retrouvé dans la voie sud la plus éloignée du centre, puis a heurté de front le véhicule de la victime, qui est décédée sur les lieux de l’accident, tandis que son mari a été blessé. Le demandeur conduisait apparemment à une vitesse d’environ 50 milles à l’heure [mi/h] dans une zone de 60 mi/h, l’intensité de la circulation était moyenne, la visibilité était bonne et le temps était beau et sec. Une analyse d’échantillon de l’haleine a donné un résultat négatif et un examen du véhicule a révélé que celui‑ci ne présentait aucune défectuosité qui aurait contribué à la collision. Quatre témoins ont vu la collision, ainsi que le mari de la victime, qui était passager dans le véhicule de celle‑ci.

[43] Parmi les témoins, une femme qui roulait derrière la victime a expliqué qu’elle avait vu le véhicule du demandeur traverser sur son côté de la route et entrer en collision avec celui de la victime. Elle a souligné que la victime n’a pas eu le temps de réagir ou d’éviter la collision. Elle ne pouvait comprendre pourquoi le demandeur avait fait cette manœuvre. Un témoin qui roulait directement derrière le véhicule du demandeur a expliqué que celui‑ci conduisait d’une manière stable à une vitesse d’environ 50 mi/h. Le véhicule du demandeur a traversé la route et s’est retrouvé dans la mauvaise direction. Il n’a pas freiné ni n’a changé de direction avant d’entrer en collision avec le véhicule de la victime. De l’avis du témoin, le demandeur a dû s’endormir au volant pour conduire de cette façon. Deux autres témoins, qui voyageaient ensemble, roulaient également derrière le demandeur. Ils ont expliqué que le véhicule de celui‑ci a franchi les lignes blanches doubles et s’est retrouvé en sens inverse, puis est entré en collision avec le véhicule de la victime. Ils n’ont pas vu le véhicule du demandeur freiner et celui‑ci ne conduisait pas de manière erratique pendant la manœuvre par suite de laquelle il s’est retrouvé dans la mauvaise direction. Ces deux témoins étaient également d’avis que le demandeur s’était endormi.

[44] Le demandeur a été arrêté le 4 janvier 2005, parce qu’il était soupçonné de conduite dangereuse ayant causé la mort. Lorsqu’il a été interrogé, il a nié l’infraction et a blâmé la conductrice de l’autre véhicule, qui est décédée. Il a été remis en liberté sous caution. Le demandeur ne s’est pas présenté à son procès et un mandat d’arrestation a été délivré contre lui. Le procès a eu lieu par contumace.

[45] Dans ses motifs, la SPR a souligné que, pour établir l’actus reus de l’infraction, il est nécessaire de prouver que le demandeur conduisait d’une manière qui était « dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu ». La SPR a souligné que, selon le journal d’enquête, la chaussée était sèche et l’intensité de la circulation, moyenne, et qu’aucun élément de preuve n’indiquait que le demandeur conduisait trop vite ou de façon erratique ou qu’il était intoxiqué. Cependant, la SPR a conclu que l’omission de la part du demandeur de rester dans sa propre voie en conduisant était dangereuse pour le public dans les circonstances.

[46] Le demandeur ne conteste pas la conclusion selon laquelle l’actus reus de l’infraction a été établi.

[47] La SPR a ensuite mentionné l’arrêt Beatty et souligné qu’il faut appliquer le critère objectif modifié pour déterminer l’intention coupable nécessaire dans le cas des infractions criminelles fondées sur la négligence. Elle a reconnu que la SI et la SAI ont conclu que le demandeur avait été victime d’une inattention momentanée et que, par conséquent, il n’avait pas l’intention coupable nécessaire pour commettre l’infraction visée au paragraphe 249(1). Cependant, la SPR a précisé qu’elle n’avait pas à appliquer l’arrêt Beatty avec le degré de rigueur d’un tribunal pénal — ou encore la SI ou la SAI — « au moment d’évaluer une infraction ». La SPR a décidé qu’elle n’était pas liée par les conclusions de la SI et de la SAI, car les critères juridiques applicables à la question de savoir si une personne est exclue au titre de l’alinéa Fb) de l’article premier et à celle de savoir si elle est interdite de territoire en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR parce qu’elle a été déclarée coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction criminelle sont différents. Dans l’analyse de la question de l’exclusion, la SPR ne doit pas examiner l’équivalence, mais plutôt le rôle du droit interne dans la détermination de ce qui est grave (citant la décision Victor, 2013 CF 979). L’accent est mis sur la question de savoir si les actes pourraient être considérés comme des crimes en droit canadien. Bref, la SPR doit appliquer le droit criminel canadien aux faits du crime (citant Vlad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 172).

[48] Le demandeur convient que les décisions de la SI et de la SAI ne lient pas la SPR, mais soutient que celle‑ci n’explique nullement pourquoi elle n’a pas reconnu qu’il n’y avait pas d’inattention momentanée. En fait, la SPR n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle en est arrivée à une conclusion différente de celles de la SI et de la SAI.

[49] Je suis d’accord avec le demandeur. La SPR a simplement répété que l’analyse qu’elle doit mener est très différente de celle que doivent faire la SI et la SAI, parce que la SPR n’est pas tenue de décider si l’infraction dont le demandeur a été déclaré coupable au R.‑U. est l’équivalent d’une infraction prévue dans les lois canadiennes. La SPR a mentionné qu’elle devait décider s’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave.

[50] Cependant, cela n’explique pas pourquoi la SI et la SAI ont conclu que le demandeur a été victime d’une inattention momentanée, mais que la SPR n’a pas tiré cette conclusion.

[51] À cet égard, la SPR a reconnu que la majeure partie de la preuve concernant la collision provenait du journal d’enquête. Il s’agit du même document que celui qui était en preuve devant la SI et la SAI. En ce qui a trait au demandeur, la SPR a souligné que, selon le témoignage de celui‑ci, il ne savait pas comment ni pourquoi il s’est retrouvé à contresens et il ne se rappelait pas s’être endormi au volant. Selon la conclusion de la SAI, que le demandeur se soit endormi ou qu’il ait été déconcentré par quelque chose, il s’agissait d’une inattention momentanée. La SPR n’a pas mentionné l’existence d’un élément de preuve nouveau, différent ou additionnel qui n’avait pas été porté à l’attention de la SAI et, après avoir lu les deux décisions, je ne puis relever aucun élément de preuve différent sur lequel la SPR aurait pu s’appuyer pour en arriver à sa conclusion différente.

[52] En termes clairs, la SPR a souligné que la SI et la SAI « ont admis que la preuve n’établissait rien de plus qu’un simple relâchement momentané de l’attention de la part de l’intimé », mais elle a ajouté qu’elle n’était pas liée par cette conclusion, parce qu’elle n’était pas tenue de mener une analyse d’équivalence et qu’elle n’était pas « limitée à l’examen des faits sur lesquels repose la déclaration de culpabilité de l’intimé ». Même si elle a peut‑être raison, la SPR ne relève aucun nouveau fait sur lequel elle s’est fondée pour en arriver à sa conclusion différente.

[53] De plus, au paragraphe suivant de sa décision, la SPR s’exprime en ces termes :

À la lumière des éléments de preuve dont je dispose, j’estime qu’il y a des raisons sérieuses de penser que la conduite de l’intimé, qui a traversé trois voies en voiture et a roulé à contresens, constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence attendue d’un conducteur prudent dans les circonstances.

[54] Le demandeur soutient que la description de la SPR selon laquelle son véhicule a traversé trois voies est inexacte dans les faits et hyperbolise les événements survenus ce jour‑là. Je souligne qu’au paragraphe 39 des motifs de sa décision, la SPR mentionne que les parties ont convenu que le demandeur avait été impliqué dans un accident d’automobile le 18 décembre 2004 et qu’elles « ne contestent pas le fait que l’intimé conduisait un véhicule lorsqu’il a traversé trois voies et a fait un face à face avec un autre véhicule, entraînant la mort du conducteur de l’autre véhicule ». Au paragraphe 49 de ses motifs, la SPR souligne que les faits entourant la collision ne sont pas vraiment contestés : « l’intimé roulait en direction nord lorsqu’il a traversé la voie centrale et deux voies en direction sud et est entré en collision avec un véhicule roulant en direction sud ». La SPR a conclu plus loin, au paragraphe 52, qu’il était « dangereux pour le public, compte tenu de toutes les circonstances, que l’intimé ait traversé la voie centrale et les deux autres voies en sens inverse ». De plus, au paragraphe 59 de sa décision, la SPR mentionne à nouveau que le demandeur « a traversé trois voies de circulation pour se retrouver à contresens ».

[55] Je conviens que la SPR a semblé avoir mal compris le nombre de voies que le véhicule du demandeur a traversées. Le journal d’enquête montre clairement que le véhicule du demandeur a quitté sa voie, la seule voie en direction nord, traversé les doubles lignes blanches pour se trouver dans la voie immédiatement adjacente, qui était une voie en direction sud, puis dans l’autre voie en direction sud qui se trouvait à l’extrémité de la route (la troisième voie de trois) avant d’entrer en collision avec le véhicule de la victime.

[56] La SPR a ensuite commenté certains faits de l’arrêt Beatty, soulignant que, dans cette affaire, il n’y avait qu’une voie de circulation dans chaque sens, la visibilité était réduite à l’approche du virage et la collision était survenue une fraction de seconde après que M. Beatty eut traversé la ligne médiane. La SPR a souligné que la Cour suprême avait conclu que la juge du procès avait, avec raison, pris en considération l’ensemble de la preuve et conclu que la seule conclusion raisonnable était que M. Beatty avait perdu conscience, ce qui l’avait amené à continuer de rouler en ligne droite au lieu de prendre le virage. De l’avis de la SPR, les faits de l’arrêt Beatty étaient différents de la situation portée à son attention, parce que la collision mettant en cause le demandeur était survenue sur une route droite, que le demandeur avait traversé trois voies pour se retrouver à contresens et qu’il n’avait pu expliquer ce qui était survenu ou comment une personne raisonnable n’aurait pas été consciente du risque et du danger inhérents à la situation. En se fondant sur ces faits, la SPR a affirmé qu’il y avait « des raisons sérieuses de penser qu’il est possible de tirer une conclusion différente au sujet de la conduite de l’intimé – soit que la collision était le résultat d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur prudent dans les circonstances ».

[57] Cependant, la preuve présentée dans l’affaire Beatty n’était pas vraiment différente, dans l’ensemble, de celle dont la SPR a été saisie : selon cette preuve, sans raison apparente, le véhicule de M. Beatty avait traversé la ligne médiane pour se retrouver dans la voie d’une voiture circulant en sens inverse, ce qui avait provoqué la collision mortelle; le temps était clair; la surface de la route était en bon état, sèche et dégagée; des témoins roulant derrière lui ont constaté que le véhicule était conduit de façon appropriée avant l’accident; il n’y avait aucune défectuosité mécanique; aucune substance intoxicante n’a joué un rôle dans l’accident et M. Beatty n’a pu expliquer ce qui s’était passé, mais il pensait qu’il avait dû perdre conscience ou s’endormir.

[58] Les motifs de la décision de la juge du procès ont été exposés dans le jugement de la Cour suprême :

[13] Après examen de la preuve, la juge du procès a appliqué le critère énoncé dans Hundal. Je reviendrai plus loin, d’une façon plus approfondie, sur l’analyse faite dans cet arrêt. La juge a souligné que [TRADUCTION] « [l]’application de ce critère objectif a posé des difficultés aux tribunaux de première instance », comme « en témoignent plusieurs décisions qui, à première vue, semblent inconciliables » (par. 28). Ayant passé en revue quelques arrêts des cours d’appel, notamment des décisions où il a été jugé que la façon de conduire de l’accusé constituait un « écart marqué » par rapport à la norme applicable, la juge a conclu ainsi :

[TRADUCTION] Les circonstances de l’espèce sont différentes. Dans la présente affaire, rien ne prouve que M. Beatty ait conduit sa camionnette de façon inappropriée avant qu’elle se retrouve dans la voie inverse et percute un véhicule circulant en direction ouest. Bien qu’il y ait manifestement eu une conduite négligente, elle n’a duré que quelques secondes. De plus, rien n’indiquait qu’il y ait eu des manœuvres d’évitement ni la présence d’une quelconque obstruction sur la voie en direction est qui aurait amené M. Beatty à dévier vers la voie en direction ouest. À mon avis, la seule conclusion raisonnable qui peut, dans les circonstances, être tirée de la façon de conduire de M. Beatty est qu’il a perdu conscience — soit parce qu’il s’est endormi, soit pour une autre raison. Cette perte de conscience l’a amené à continuer à rouler en ligne droite au lieu de prendre le virage, et à traverser ainsi la double ligne continue. Ces quelques secondes de conduite clairement négligente, qui ont eu des conséquences désastreuses, constituent la seule preuve de la façon de conduire de M. Beatty. Or, l’arrêt Hundal exige selon moi plus que quelques secondes d’inattention pour que soit établie une conduite objectivement dangereuse. On ne saurait conclure hors de tout doute raisonnable à une culpabilité criminelle sur la base d’une preuve aussi faible. [par. 36]

[14] La juge du procès a ensuite précisé la distinction entre la négligence pénale et la négligence civile :

[TRADUCTION] Ce tragique accident découle d’une inattention momentanée et a coûté la vie à trois personnes. Il n’y a rien qu’un tribunal puisse faire ou dire pour réparer la perte subie par les familles des victimes dans de telles circonstances. Mais, dans l’appréciation de la culpabilité criminelle, ce ne sont pas les conséquences de la conduite négligente d’un véhicule qui déterminent si la façon de conduire de l’accusé était objectivement dangereuse. Ce qu’il faut examiner, c’est la conduite elle‑même. À mon avis, les quelques secondes de conduite négligente de M. Beatty constituent une preuve insuffisante à elle seule pour permettre de conclure à un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur prudent. Dans la perspective de l’arrêt Hundal, la conduite négligente de M. Beatty s’inscrit sans aucun doute dans le continuum de la négligence qui entraînerait inévitablement une responsabilité civile considérable. C’est dans ce cadre que réparation pourra être obtenue. [En italique dans l’original; par. 37.]

[59] À mon avis, la SPR a commis une erreur en tirant une conclusion qui n’était pas fondée sur l’ensemble de la preuve portée à son attention.

[60] Comme c’était le cas dans l’affaire Beatty, la SPR n’était saisie d’aucun élément de preuve indiquant une conduite inappropriée avant la collision. En fait, selon le journal d’enquête, les témoins ont déclaré n’avoir observé aucune conduite erratique avant la collision.

[61] À l’instar de M. Beatty, qui n’avait pas pu expliquer pourquoi il avait quitté sa propre voie et qui n’avait pu attribuer cette manœuvre qu’au fait qu’il s’était endormi ou qu’il avait temporairement perdu conscience, le demandeur n’avait aucune explication à donner au sujet des événements. La SPR a mentionné que, selon le témoignage du demandeur, il ne savait pas comment ni pourquoi il s’était retrouvé à contresens et ne se rappelait pas s’être endormi au volant. La preuve dont la SPR était saisie comprenait également le journal d’enquête dans lequel il était mentionné que deux témoins avaient eu l’impression que le demandeur s’était endormi.

[62] La SPR a affirmé que les faits de l’affaire Beatty étaient différents, car, dans cette affaire, M. Beatty avait franchi la ligne médiane pour se retrouver dans la voie adjacente et circuler à contresens, tandis que le demandeur avait en l’espèce traversé trois voies pour se retrouver en sens inverse. Cependant, tel qu’il est mentionné plus haut, le demandeur a quitté sa voie, traversé une voie complète en direction sud et s’est retrouvé dans la deuxième voie en direction sud, où la collision frontale est survenue. Ainsi, après avoir franchi la ligne médiane, le demandeur a traversé une voie complète en direction sud et s’est retrouvé ensuite sur la deuxième voie en direction sud. Il n’y a aucun élément de preuve indiquant qu’il a traversé trois voies avant la collision. En supposant, comme la SPR l’a mentionné, que la manœuvre du demandeur aurait demandé plus de temps que le simple fait de traverser la ligne médiane, comme c’était le cas dans l’affaire Beatty, le dossier ne comporte aucun élément de preuve indiquant le temps qu’il a fallu au véhicule du demandeur pour couvrir cette distance alors qu’il roulait à 50 mi/h. Cependant, d’après le journal d’enquête déposé en preuve, un témoin a souligné que la victime n’avait pas eu le temps de réagir, ce qui donne à penser que la collision est survenue très rapidement. Qui plus est, la SAI a mentionné dans ses motifs, afin de mettre en perspective les risques inhérents à la conduite automobile, que la preuve d’expert présentée dans l’affaire Beatty indiquait qu’il avait fallu 0,00268 seconde seulement pour que le véhicule de M. Beatty traverse la ligne médiane. La SAI a ajouté que « même en supposant que le manque d’attention de l’intimé était beaucoup plus important, le drame s’est produit en un clin d’œil ».

[63] Quant au fait que la route comportait des virages dans l’affaire Beatty alors qu’elle était droite dans l’affaire portée à l’attention de la SPR, je ne vois pas la pertinence de cette distinction. Comme l’a souligné la juge du procès dans l’arrêt Beatty, c’est la perte de conscience momentanée de M. Beatty qui l’a amené à continuer à rouler en ligne droite au lieu de prendre le virage et à traverser ainsi la double ligne continue. De même, la preuve portée à l’attention de la SPR n’a révélé aucune autre raison pour laquelle le demandeur a quitté sa voie et traversé deux voies réservées aux véhicules qui circulaient en sens inverse.

[64] Dans l’affaire Roy, M. Roy conduisait alors que la visibilité était limitée en raison du brouillard et il s’était engagé dans la voie d’un camion qui circulait en sens inverse, causant ainsi une collision mortelle. Il n’avait pu expliquer sa conduite, en grande partie parce qu’il ne pouvait se rappeler l’accident.

[65] Dans l’arrêt Roy, la Cour suprême a formulé les observations suivantes dans le cadre de l’examen de la mens rea :

[37] La simple imprudence que même les conducteurs les plus prudents peuvent à l’occasion commettre n’est généralement pas criminelle. Tel qu’indiqué précédemment, la juge Charron a formulé ainsi cette idée au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Beatty : « [s]’il faut considérer comme une infraction criminelle chaque écart par rapport à la norme civile, quelle qu’en soit la gravité, on risque de ratisser trop large et de qualifier de criminelles des personnes qui en réalité ne sont pas moralement blâmables » (par. 34). La Juge en chef a exprimé un point de vue semblable : « même les bons conducteurs ont à l’occasion des moments d’inattention qui peuvent, selon les circonstances, engager leur responsabilité civile ou donner lieu à une condamnation pour conduite imprudente. Mais en général, ces moments d’inattention ne vont pas jusqu’à l’écart marqué requis pour justifier une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse » (par. 71).

[66] En ce qui a trait à la preuve de l’« écart marqué », la Cour suprême s’est exprimée en ces termes :

[39] Des inférences tirées à partir de l’ensemble des circonstances permettront généralement de déterminer si la faute a été prouvée. Comme l’a dit la juge Charron dans Beatty, le juge des faits doit examiner la totalité de la preuve, y compris les éléments de preuve relatifs à l’état d’esprit véritable de l’accusé (par. 43).

[40] De façon générale, l’existence de la mens rea objective requise peut s’inférer du fait que l’accusé a conduit d’une façon qui constituait un écart marqué par rapport à la norme. Toutefois, même si la façon de conduire constitue un écart marqué par rapport à une façon de conduire normale, le juge des faits doit examiner toutes les circonstances pour déterminer s’il convient de conclure, de la façon de conduire, à la présence d’un tel comportement de l’accusé. La preuve peut soulever un doute sur la question de savoir s’il convient, dans un cas en particulier, d’inférer de la façon de conduire un écart marqué par rapport à la norme de diligence. La prémisse sous‑jacente permettant de conclure à une faute en raison d’une façon de conduire objectivement dangereuse constituant un écart marqué par rapport à la norme est qu’une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé aurait été consciente du risque créé par la façon de conduire en cause, et elle ne se serait pas livrée à l’activité : Beatty, par. 37.

[41] En d’autres termes, il faut se demander si la façon de conduire qui constitue un écart marqué par rapport à la norme compte tenu de toutes les circonstances permet de conclure que la façon de conduire résultait d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’aurait respectée une personne raisonnable dans la même situation.

[42] La façon de conduire qui, d’un point de vue objectif, est simplement dangereuse ne permettra pas à elle seule de conclure qu’elle constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation (la juge Charron, par. 49; voir aussi la juge en chef McLachlin, par. 66, et le juge Fish, par. 88). Autrement dit, la preuve de l’actus reus de l’infraction ne permet pas, à elle seule, de conclure raisonnablement à l’existence de l’élément de faute requis. La conduite constituant un écart marqué par rapport à la norme est le seul facteur qui peut étayer raisonnablement cette conclusion.

[67] La Cour suprême a tiré la conclusion suivante :

[54] Selon moi, le dossier ne contient pas d’éléments de preuve permettant à un juge des faits ayant reçu des directives appropriées de conclure raisonnablement que le degré de diligence manifesté par l’appelant constituait un écart marqué par rapport à la norme que respecterait une personne raisonnable dans la même situation. J’accepte que la façon de conduire était objectivement dangereuse. Il faut cependant signaler qu’aucun élément de preuve ne démontrait que la façon de conduire de l’appelant, avant qu’il s’engage dans la voie du véhicule qui approchait, était différente d’une façon de conduire normale et prudente. L’accent est donc mis sur la décision prise, sur le moment, de s’engager sur l’autoroute alors qu’il n’était pas prudent de le faire. Je ne crois pas que la façon de conduire, à elle seule, permette de conclure raisonnablement que le degré de diligence appliqué par l’accusé constituait un écart marqué par rapport à la norme que respecterait un conducteur raisonnable dans la même situation.

[55] À la limite, la preuve de la poursuite établit que l’appelant, qui se trouvait à un arrêt à une intersection difficile et dans des conditions de faible visibilité, a engagé son véhicule sur l’autoroute alors qu’il n’était pas prudent de le faire […] Quel que soit le scénario réaliste retenu en fonction de la preuve présentée, le temps écoulé entre le moment où les véhicules sont devenus visibles, l’un par rapport à l’autre, et l’impact serait de quelques secondes seulement. À mon avis, la décision de l’appelant de s’engager sur l’autoroute est compatible avec une mauvaise évaluation de la vitesse et de la distance qui a été faite dans des conditions difficiles au moment où la visibilité était mauvaise. En l’espèce, le dossier indique une seule erreur momentanée de jugement dont les conséquences ont été tragiques. Il ne permet pas de conclure raisonnablement que l’accusé a démontré un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation, justifiant ainsi une déclaration de culpabilité pour l’infraction criminelle grave de conduite dangereuse ayant causé la mort.

[68] La SI et la SAI ont toutes les deux conclu que la preuve portée à leur attention n’appuyait qu’une seule conclusion raisonnable, soit le fait que le demandeur avait été victime d’une inattention momentanée et que, par conséquent, il n’avait pas l’intention coupable requise. Se fondant sur le fait que la collision était survenue sur une route droite plutôt que dans un virage, sur sa compréhension erronée selon laquelle le véhicule du demandeur avait traversé trois voies pour se retrouver à contresens et sur l’absence d’explication du demandeur au sujet de cette manœuvre, qu’elle semble avoir interprétée comme un élément de preuve défavorable quant à l’état d’esprit du demandeur, la SPR a conclu qu’il y avait des « raisons sérieuses de penser qu’il est possible de tirer une conclusion différente au sujet de la conduite de l’intimé, soit que la collision était le résultat d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur prudent dans les circonstances ».

[69] À mon avis, ce raisonnement n’est pas conforme à l’analyse exigée par l’arrêt Beatty. Dans cet arrêt, la Cour suprême a décidé que, eu égard aux circonstances, le fait que M. Beatty n’avait pas maintenu son véhicule dans sa voie était dangereux pour les autres usagers de la route et que l’actus reus de l’infraction visée au paragraphe 249(1) était donc établi. Cependant, la mens rea n’a pas été établie. Il n’y avait aucune preuve démontrant la moindre intention délibérée de créer un danger indicatif d’un écart marqué par rapport à la norme. En fait, la preuve limitée qui a été présentée au procès à propos de l’état mental véritable de l’accusé tendait plutôt à démontrer que la conduite dangereuse était attribuable à une inattention momentanée. Il n’y avait aucune preuve de conduite inappropriée avant que le véhicule de l’accusé ne traverse la ligne médiane. À l’instar de la juge du procès, la Cour suprême a conclu que, considérée objectivement, cette inattention momentanée était une preuve insuffisante pour permettre de conclure à un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur prudent. De plus, la Cour d’appel a conclu trop hâtivement que la mens rea requise pouvait être établie du simple fait de l’accident, éliminant ainsi toute possibilité d’apprécier le comportement de M. Beatty en fonction de son degré de négligence.

[70] En l’espèce, comme c’était le cas dans l’affaire Beatty, le demandeur n’a pu expliquer pourquoi il avait traversé la ligne médiane pour se retrouver à contresens. En conséquence, la seule question à trancher pour savoir si l’intention coupable requise avait été établie portait sur la façon de conduire du demandeur dans l’ensemble des circonstances. Je conviens avec le demandeur que la SPR a fait exactement ce que la Cour suprême du Canada avait dit de ne pas faire dans les arrêts Beatty et Roy : elle a tiré hâtivement la conclusion lorsqu’elle a constaté – au vu de la preuve portée à son attention, qui semble être la même que celle dont la SI et la SAI avaient été saisies – qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que la conduite du demandeur, qui avait traversé trois voies en voiture et roulé à contresens, constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence attendue d’un conducteur prudent dans les circonstances, présumant ainsi que les faits établissant l’actus reus permettaient également d’établir la mens rea.

[71] La SPR a commis une erreur en tirant une conclusion fondée sur des faits restreints, dont l’un était erroné (soit le fait que le demandeur avait traversé trois voies) et l’un n’était pas pertinent quant à l’évaluation de la façon de conduire (la route était droite), plutôt que sur l’ensemble de la preuve. De plus, elle a commis une erreur dans la façon dont elle a compris et appliqué le critère objectif modifié alors que l’explication donnée au sujet de l’état d’esprit était le témoignage du demandeur selon lequel il ne savait pas comment ni pourquoi il s’était retrouvé à contresens. Dans la présente affaire, il n’y avait aucun élément de preuve indiquant un comportement délibéré ou une conduite au volant erratique avant les événements. La conclusion de la SPR selon laquelle la collision était le résultat d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence attendue d’un conducteur prudent dans les circonstances n’était pas justifiée à la lumière des contraintes légales et factuelles et n’était donc pas raisonnable.

[72] En conséquence, la conclusion de la SPR selon laquelle « il y a des raisons sérieuses de penser que l’intimé a conduit un véhicule d’une manière dangereuse pour le public, ce qui a causé la mort d’une autre personne » n’est pas raisonnable non plus.

[73] En clair, même si la norme de preuve que l’intimé devait respecter aux fins de l’analyse exigée par l’alinéa Fb) de l’article premier est peu exigeante, dans le cadre de l’analyse qu’elle a menée, la SPR devait néanmoins invoquer des éléments de preuve solides pour étayer sa conclusion.

La SPR a‑t‑elle commis une erreur en appliquant les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara pour déterminer la gravité de l’infraction?

[74] En ce qui a trait au facteur des éléments constitutifs du crime, la SPR a souligné que le demandeur avait traversé trois voies pour se retrouver à contresens, ce qui avait donné lieu à la collision mortelle. Elle a affirmé que le degré élevé de négligence et de mépris à l’égard de la sécurité publique jouait en faveur de la conclusion selon laquelle l’infraction est grave. Pour les motifs exposés plus haut, j’ai conclu que l’analyse de la mens rea menée par la SPR n’était pas raisonnable, de même que la conclusion découlant de cette analyse, selon laquelle il y avait des raisons sérieuses de penser que l’intimé avait conduit un véhicule d’une manière dangereuse pour le public, causant ainsi la mort d’une autre personne. Je ne sais pas très bien non plus si la SPR renvoie à l’actus reus ou à la mens rea de l’infraction dans son examen de ce facteur énoncé dans l’arrêt Jayasekara. En conséquence, la prise en compte de ce facteur par la SPR n’est pas justifiée, eu égard au droit ainsi qu’à la preuve dont elle était saisie.

[75] La SPR mentionne uniquement que le mode de poursuite au R.‑U. est inconnu. Il est difficile de savoir si la SPR estime que cet aspect rend ce facteur neutre ou de comprendre le rôle qu’il joue par ailleurs dans son analyse. Dans le même ordre d’idées, en ce qui concerne l’éventail des peines, la SPR souligne uniquement que les parties n’ont présenté aucun élément de preuve concernant l’éventail des peines « pour les actes causant la mort prévus au paragraphe 249(1) du Code criminel ».

[76] Quant à la peine prévue, le demandeur a été condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement et s’est vu suspendre son permis de conduire pour une période de deux ans après avoir été déclaré coupable de l’infraction de « Dangerous Driving Causing Death » au R.‑U. La SPR mentionne qu’elle n’a été saisie d’aucun élément de preuve concernant l’éventail des peines applicable. Néanmoins, elle conclut que le demandeur s’est vu imposer une peine d’emprisonnement « qui semble être d’une durée modérée ». Je conviens avec le demandeur qu’il n’y a aucune façon de savoir comment la SPR en est arrivée à ce constat et que, par conséquent, la conclusion est inintelligible.

[77] Pour ce qui est des circonstances aggravantes et atténuantes, la SPR a conclu que le demandeur s’est probablement enfui au R.‑U. pour se soustraire à des poursuites. Il n’a pas été contesté que le demandeur a quitté le R.‑U. pour aller au Nigéria quelques semaines avant la date de son procès. Cependant, la SPR n’a pas jugé crédibles les explications du demandeur selon lesquelles il avait quitté le R.‑U. en raison du décès d’un cousin au Nigéria, laquelle affirmation n’était étayée par aucun élément de preuve. Dans la même veine, la SPR n’a pas accepté l’explication du demandeur selon laquelle son avocat lui avait dit qu’il n’était pas tenu de comparaître pour son procès, parce que l’affaire n’était pas vraiment importante, puisqu’il s’agissait d’un simple accident. Étant donné que le tribunal du R.‑U. a délivré un mandat d’arrestation à l’encontre du demandeur après le défaut de celui‑ci de comparaître pour son procès, la SPR a conclu qu’il était peu probable que son avocat lui ait dit qu’il n’était pas nécessaire qu’il se présente à son procès. Compte tenu du fait que le demandeur a intentionnellement omis de fournir, dans son FRP et dans les formulaires connexes, des renseignements concernant l’infraction qu’il avait commise, son arrestation et l’accusation portée contre lui au R.‑U., la SPR a conclu que le demandeur n’était généralement pas crédible et a accordé peu de poids aux explications qu’il a données au sujet de son départ du R.‑U. Je ne vois aucune erreur dans cette analyse. Le demandeur devait divulguer non seulement sa condamnation, mais toute arrestation et les accusations portées contre lui. Le demandeur ne pouvait ignorer ces faits.

[78] La SPR a conclu que, eu égard au mépris du demandeur à l’égard de la sécurité publique et au fait qu’il avait esquivé la poursuite et s’était soustrait à la justice, l’infraction qu’il avait commise est grave aux fins de l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier.

[79] À mon avis, compte tenu de l’évaluation qu’elle a faite des trois autres facteurs, le simple fait que son évaluation des circonstances aggravantes et atténuantes était raisonnable ne rend pas à lui seul raisonnable l’analyse qu’elle devait mener au sujet de la gravité du crime du demandeur.

Conclusion

[80] Pour les motifs exposés plus haut, la décision de la SPR n’est pas justifiée et est donc inintelligible et déraisonnable (Vavilov aux para 15, 86 et 95‑98).

Réparation

[81] Habituellement, lorsqu’une décision administrative est jugée déraisonnable, elle est renvoyée à un décideur différent pour nouvelle décision. Lors du réexamen, le décideur peut en arriver au même résultat ou à un résultat différent (Vavilov aux para 140‑141).

[82] Cependant, dans la présente affaire, le demandeur soutient également que, dans la décision Freitas c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 CF 432 [Freitas], notre Cour a confirmé qu’elle a le pouvoir d’ordonner au défendeur de ramener au Canada un demandeur renvoyé à tort et que cette conclusion a fait l’objet d’observations favorables dans les décisions Magyar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 750 [Magyar], et Molnar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 345 [Molnar]. Le demandeur demande à la Cour d’ordonner au défendeur de le ramener à ses frais au Canada.

[83] Je soulignerais d’abord que la décision Freitas a été rendue en 1999. Dans cette décision, la Cour a mentionné qu’elle n’était pas disposée à ordonner arbitrairement au défendeur de ramener le demandeur au Canada, aux frais du défendeur, si le retour du demandeur devait s’avérer inutile pour la prise efficace, par la Section du statut de réfugié, d’une nouvelle décision sur la revendication du statut de réfugié du demandeur. La Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire, infirmé la décision de la SSR et renvoyé l’affaire pour nouvelle décision. Si la SSR estimait nécessaire que le demandeur comparaisse de nouveau devant elle pour qu’elle puisse se conformer à l’ordonnance de la Cour et qu’elle avisait le défendeur en conséquence, la Cour ordonnait au défendeur de prendre sur‑le‑champ toutes les mesures nécessaires pour ramener à ses frais le demandeur au Canada.

[84] De plus, et contrairement à ce que soutient le demandeur, ni l’une ni l’autre des décisions Magyar et Molnar n’appuient ce résultat. Il y est simplement mentionné que la décision Freitas demeure valide en droit en ce qui concerne la question du caractère théorique, qui n’est pas en litige en l’espèce. De plus, dans la décision Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 481, aux para 80‑83; conf par 2019 CAF 223, notre Cour a souligné que la décision rendue dans l’affaire Freitas était exceptionnelle, que des mesures discrétionnaires avaient été accordées en raison de préoccupations quant à l’équité procédurale qui n’existaient pas dans l’affaire Kreishan, où le demandeur avait bénéficié d’une audience devant la SPR et de la possibilité de présenter des éléments de preuve à l’appui de sa demande.

[85] La Cour a également examiné la question de savoir si elle possède effectivement le pouvoir discrétionnaire de rendre l’ordonnance accordée dans la décision Freitas. Dans le jugement Figurado c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347 [Figurado], le juge Martineau formule les observations suivantes (aux para 26‑27) :

Le juge Gibson ne mentionne pas les sources précises sur lesquelles il fonde l’ordonnance rendue. Toutefois, il ressort des motifs de Freitas, que les parties n’ont pas contesté que la Cour avait le pouvoir d’ordonner au ministre de ramener le demandeur au Canada, aux frais de l’État, pour qu’une nouvelle décision ait un sens. Aujourd’hui, le défendeur n’est pas disposé à lui reconnaître ce pouvoir. Plusieurs décisions de la Cour d’appel fédérale donnent à penser que le pouvoir général de la Cour de donner des instructions en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales est un peu plus limité, surtout si la déclaration ou la réparation en cause aurait réellement pour effet de conférer la qualité de réfugié ou de personne à protéger, ou de restreindre le pouvoir discrétionnaire du ministre lorsqu’une demande d’établissement a été présentée pour des considérations humanitaires. (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Sharbdeen, (1994), 23 Imm. L.R. 300 (C.A.F.), au paragraphe 7; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Forde, (1997), 210 N.R. 194 (C.A.F.), aux paragraphes 9 et 10; Turanskaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1997), 145 D.L.R. (4th) 259 (C.A.F.), au paragraphe 6; Rafuse c. Canada (Commission d’appel des pensions) (2002), 2002 CAF 31 (CanLII), 286 N.R. 385 (C.A.F.), aux paragraphes 13 et 14; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 (CanLII), [2004] 2 R.C.. F. 635 (C.A.F.), au paragraphe 12; Lazareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 39).

L’affaire Freitas a été tranchée en vertu de l’ancienne Loi et avant la plupart des décisions susmentionnées. Aujourd’hui, on peut dire que le pouvoir de la Cour d’ordonner le retour d’un demandeur au Canada est limité, en termes exprès, par le paragraphe 52(1) de la LIPR, qui prévoit, dans ce cas, que l’exécution de la mesure de renvoi contre l’étranger « emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l’agent ou dans les autres cas prévus par règlement ». Par conséquent, même si je n’ai pas d’opinion définitive sur cette question, je suis enclin à accepter l’argument du défendeur selon lequel la Cour n’a pas le pouvoir d’ordonner le retour d’un demandeur au Canada. Il est également clair que la Cour n’a pas le pouvoir d’ordonner à l’agent ERAR d’accueillir la demande de protection du demandeur, sauf si la décision ERAR négative est fondée sur une quelconque erreur de droit décisoire.

[86] À mon avis, la simple mention de la décision Freitas par le demandeur, sans plus, ne constitue pas un motif suffisant pour accorder la réparation extraordinaire sollicitée en l’espèce.

[87] Il faut également se rappeler que le demandeur a reconnu avoir fait des présentations erronées au sujet de ses antécédents criminels et de son identité dans le cadre de sa demande d’asile. En conséquence, ce fait n’est plus en litige. De plus, la SPR a souligné qu’elle portait son attention principalement sur l’omission du demandeur de fournir des renseignements concernant ses antécédents criminels, car cette omission était déterminante pour l’application du critère prévu au paragraphe 109(1) de la LIPR au sujet des présentations erronées. Lors du nouvel examen, la SPR devra probablement décider également, comme le prévoit le paragraphe 109(1), si la présentation erronée du demandeur au sujet de son identité concerne un objet pertinent, comme ses antécédents en matière d’immigration, c’est‑à‑dire si cette présentation erronée a eu une incidence sur la reconnaissance de la qualité de réfugié au demandeur.

[88] Qui plus est, indépendamment du résultat d’un nouvel examen, le demandeur demeure un fugitif de la justice au R.‑U. La Cour n’a aucun moyen de savoir quelles pourraient être les répercussions de ce dernier aspect sur une tentative de revenir au Canada.

[89] Par ailleurs, le demandeur n’a présenté aucune observation au sujet des raisons pour lesquelles un nouvel examen ne pourrait être fait pendant qu’il est au Nigéria. Il a donné des directives à son avocat canadien au sujet de sa demande de contrôle judiciaire alors qu’il se trouve à l’extérieur du Canada et n’explique d’aucune façon pourquoi il ne pourrait agir de même relativement à un nouvel examen par la SPR. Compte tenu du fait que l’utilisation de Zoom et d’autres plateformes d’audience à distance est devenue monnaie courante en cette période de pandémie de COVID‑19 et que c’est d’ailleurs cette méthode qui lui a permis d’assister à l’audience relative à la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur est à tout le moins potentiellement en mesure de témoigner au besoin depuis le Nigéria dans le cadre d’une audience relative au nouvel examen.

[90] Cela dit, je ne suis saisie d’aucun élément de preuve ou observation sur l’un ou l’autre de ces points, ce qui fait ressortir l’absence d’arguments ou d’éléments de preuve importants à l’appui de la demande de réparation extraordinaire du demandeur, que je rejette.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7051‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Aucune question de portée générale n’a été proposée en vue d’être certifiée et aucune ne se pose.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7051‑19

 

INTITULÉ :

ECHEZONACHIKA OKOLO c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE SUR LA PLATEFORME Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 27 septembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

le 19 octobre 2021

 

COMPARUTIONS :

MFaraz Bawa

 

pour le demandeur

 

MDavid Shiroky

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Calgary (Alberta)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Calgary (Alberta)

 

pour le défendeur

 

 

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