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Date : 20211015


Dossier : IMM‑1966‑20

Référence : 2021 CF 1072

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2021

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

SYLVIA KETJINGANDA

ZEBULON UPENDURA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Sylvia Ketjinganda et M. Zebulon Upendura [les demandeurs] sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision en date du 3 mars 2020 [la décision] par laquelle un agent principal d’immigration [l’agent] a refusé leur demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR].

[2] Après un examen attentif du dossier et des observations des deux parties, je conclus, pour les motifs qui suivent, que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I. Contexte

[3] Les demandeurs sont des citoyens namibiens. Née en 1988, Mme Ketjinganda est entrée au Canada le 3 juin 2011 et a demandé l’asile le 4 juin 2011. Son époux, M. Upendura, né en 1981, est arrivé au Canada le 14 juin 2011 et a demandé l’asile le lendemain. La demande d’asile de Mme Ketjinganda a été refusée le 25 juin 2012 et l’autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision a été refusée le 18 octobre 2012. La demande d’asile de M. Upendura a été refusée le 16 janvier 2014. Un mandat d’arrestation a été lancé contre M. Upendura le 16 décembre 2014 et a été exécuté le 11 août 2015, après quoi il a été libéré sous conditions.

[4] Les demandeurs ont ensuite présenté des demandes d’examen des risques avant le renvoi [ERAR]. Les demandes d’ERAR de Mme Ketjinganda et de M. Upendura ont été refusées le 4 janvier 2016 et le 14 avril 2016 respectivement.

[5] Dans l’intervalle, les demandeurs ont obtenu de nombreux permis de travail, qui ne leur conféraient pas le statut de résidents temporaires.

[6] Les demandeurs ont deux enfants nés au Canada en 2013 et en 2016. Outre les demandeurs et leurs deux enfants, les quatorze membres de la famille des demandeurs résident en Namibie.

[7] Le 8 février 2018, les demandeurs ont présenté leur demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Le 3 mars 2020, leur demande a été refusée.

[8] Dans sa décision, l’agent a tenu compte du degré d’établissement des demandeurs au Canada, de l’intérêt supérieur des enfants et de la situation défavorable en Namibie. Après avoir examiné la situation des demandeurs et les documents soumis, l’agent a conclu que des considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas d’accorder aux demandeurs une dispense de l’obligation de présenter leur demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada.

[9] Dans leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont déposé un affidavit qui a été souscrit par Mme Ketjinganda après la décision et qui renfermait des allégations qui n’avaient pas été portées à l’attention de l’agent. En règle générale, le dossier de preuve soumis à notre Cour dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision administrative se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur administratif. J’ai informé les parties à l’audience que les déclarations contenues dans le nouvel affidavit de Mme Ketjinganda n’étaient pas admissibles en preuve et que je n’en tiendrais pas compte.

II. Questions en litige

[10] Les demandeurs ont soulevé plusieurs questions, que je reformule comme suit :

A. L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en effectuant des recherches sur Google pour trouver certains documents sur le pays?

B. La décision était‑elle raisonnable?

III. Demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire et norme de contrôle

[11] Comme l’a déclaré mon collègue, le juge Mosely, dans le jugement Fatt Kok c Canada (Citoyenneté et Immigration), la dispense prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire (2011 CF 741 au para 7; voir également Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2019 CF 265 aux para 19 ‑ 20). Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre et, par voie de conséquence, à son délégué, l’agent, un vaste pouvoir discrétionnaire pour statuer sur les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire. Mon collègue, le juge Little, décrit les principes généraux et la raison d’être des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire dans le jugement Rainholz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 121 :

[13] Le paragraphe 25(1) de la LIPR accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire de dispenser certains étrangers des exigences habituelles de la loi et de leur accorder le statut de résident permanent au Canada s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient. Ces considérations doivent notamment inclure l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. Le pouvoir discrétionnaire à cet égard prévu au paragraphe 25(1) représente une exception sensible et flexible au fonctionnement habituel de la LIPR, et vise à en mitiger la rigidité dans les cas appropriés.

[14] Les considérations d’ordre humanitaire renvoient à « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la [LIPR] ». L’objet de la disposition relative aux considérations d’ordre humanitaire a pour objet d’accorder un redressement en equity dans de telles circonstances.

[15] Selon l’interprétation retenue du paragraphe 25(1), l’agent doit évaluer les difficultés auxquelles le ou les demandeurs se heurteront lorsqu’ils quitteront le Canada. Bien qu’ils ne soient pas employés dans la loi elle‑même, la jurisprudence d’appel a confirmé que les adjectifs « inhabituelles », « injustifiées » et « excessives »

décrivaient les difficultés susceptibles de justifier une dispense au titre de cette disposition. Ces termes utilisés pour décrire les difficultés sont instructifs, mais pas décisifs, ce qui permet ainsi au paragraphe 25(1) de remplir avec souplesse ses objectifs en equity.

[16] Les demandeurs peuvent soulever une large variété de facteurs pour établir des difficultés dans le cadre d’une demande CH. Les facteurs couramment invoqués comprennent notamment l’établissement au Canada; les attaches au Canada; des considérations liées à la santé; les conséquences découlant d’une séparation d’avec des parents, et l’ISE. La décision prise au titre du paragraphe 25(1) est globale et les considérations pertinentes doivent être soupesées de manière cumulative pour trancher la question de savoir s’il est justifié dans les circonstances d’accorder la mesure.

[17] Le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1) doit s’exercer de manière raisonnable. Les agents appelés à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids.

[18] Le fardeau d’établir qu’une dispense CH est justifiée incombe aux demandeurs. C’est à leurs risques et péril qu’ils omettent de soumettre des éléments de preuve ou de produire des renseignements pertinents à l’appui d’une demande CH.

[Renvois omis]

[12] En ce qui concerne la première question, la Cour d’appel fédérale a confirmé que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, au para 35).

[13] En ce qui concerne la deuxième question, la Cour suprême du Canada a confirmé, dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, que la norme applicable au contrôle des décisions fondées sur des raisons d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable. Pour que la cour de révision puisse intervenir, la partie qui conteste la décision doit convaincre la cour que la décision en question « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » et que les lacunes ou insuffisances reprochées ne sont pas « simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 SCC 65 au para 100 [Vavilov]). La cour de révision doit également s’abstenir d’apprécier ou d’évaluer à nouveau la preuve examinée par le décideur et ne doit pas modifier les conclusions de fait de ce dernier, à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).

IV. Analyse

A. L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en effectuant des recherches sur Google pour trouver certains documents sur le pays?

[14] L’agent a utilisé Google pour trouver les documents suivants, sur lesquels il s’est notamment appuyé :

·Sur la question de la langue officielle en Namibie, l’agent a consulté le site suivant : gouvernement de la Namibie, Langues parlées en Namibie, https://gov.na/languages‑spoken (consulté le 14 février 2020);

·Sur la question des soins de santé en Namibie, l’agent a consulté le site suivant : République de la Namibie, Embassy/Permanent Mission in Vienna, Health, http://www.embnamibia.at/health/ (consulté le 24 février 2020);

·Sur la question de la pauvreté en Namibie, l’agent a consulté le site suivant : La Banque mondiale, The World Bank in Namibia: Overview, https://www.worldbank.org/en/country/namibia/overview (consulté le 14 février 2020);

[15] L’agent a également consulté le Country Report on Human Rights Practices : Namibia (2018) publié par le Département d’État des États‑Unis (consulté le 14 février 2020), mais il ne précise pas dans sa décision s’il a utilisé Google pour trouver ce rapport.

[16] Les demandeurs soutiennent que l’agent a manqué à l’équité procédurale [traduction] « en procédant de sa propre initiative à des recherches sur Google […] et en utilisant ensuite les résultats de ses recherches sans donner aux demandeurs la possibilité de répondre ». À l’audience, les demandeurs ont également fait valoir que le simple fait d’utiliser Google pour faire des recherches constituait un manquement à l’équité procédurale. Le défendeur, en revanche, soutient que l’utilisation de Google n’est pas problématique et que l’analyse devrait plutôt porter sur les documents qui ont finalement été utilisés. Le défendeur soutient que les documents invoqués ne sont pas obscurs, controversés ou difficiles à trouver, ajoutant qu’en tout état de cause, on s’attendrait à ce que l’agent s’enquière de la situation récente au pays.

[17] Je suis d’accord avec le défendeur. L’analyse doit porter sur les documents ou les sources consultés plutôt que sur la méthode utilisée par l’agent pour les obtenir, en l’occurrence Google.

[18] Je reformule la question : l’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en consultant des éléments de preuve extrinsèques provenant d’Internet sans donner aux demandeurs l’occasion de formuler des commentaires à ce sujet? Les agents ont le droit de consulter — et ils le font régulièrement —, « des documents courants provenant de sources telles que Human Rights Watch, Amnesty International ou une autorité gouvernementale, par exemple le Département d’État des États‑Unis », et les agents des visas « ne sont pas tenus d’en faire état même s’ils sont étrangers à la demande, parce qu’un demandeur est réputé savoir que les preuves de ce genre seront prises en compte, et savoir où on peut les trouver » (Riaji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1240 au para 27). Notre Cour a conclu que l’utilisation de Google pour obtenir de l’information ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale, pourvu que l’information soit accessible au public et qu’elle ne constitue pas un nouvel élément de preuve (Olanrewaju c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 569 au para 27; Aladenika c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 528 au para 16).

[19] Les documents consultés par l’agent étaient tous des documents récents provenant de deux sources du gouvernement de la Namibie, d’une source du Département d’État des États‑Unis et de la Banque mondiale. Ils sont faciles à trouver, accessibles au public et ne constituent pas de nouveaux éléments de preuve. Compte tenu de la nature des documents consultés par l’agent, je suis convaincue qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

[20] Les demandeurs s’en prennent notamment à l’aperçu de deux pages sur la Namibie publié par la Banque mondiale en 2020, en faisant valoir que l’agent a procédé à une lecture sélective de ce document. L’aperçu de la Banque mondiale porte principalement sur les perspectives économiques et sur les défis en matière de développement pour l’année 2020, à la lumière des données de 2019. L’introduction de l’aperçu indique que [traduction] « les richesses minérales naturelles de la Namibie et sa minuscule population d’environ 2,5 millions de personnes (2019) en ont fait un pays à revenus intermédiaires supérieurs. La stabilité politique et une saine gestion économique ont contribué à juguler la pauvreté. Cela ne s’est cependant pas encore traduit par la création d’emplois, et des inégalités socio‑économiques extrêmes héritées des années de régime d’apartheid persistent, malgré les dépenses publiques généreuses consacrées aux programmes sociaux ».

[21] Au final, il s’agit d’un argument qui porte, non pas sur l’équité procédurale, mais sur la valeur probante de la preuve. Je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré que l’agent avait traité de façon déraisonnable les renseignements tirés des documents sur la situation au pays. Cette question sera examinée plus en détail dans la section suivante.

B. La décision était‑elle raisonnable?

[22] Le défendeur a fait précéder ces points particuliers d’une observation générale suivant laquelle, à son avis, les demandeurs soutiennent effectivement qu’ils devraient être autorisés à rester au Canada pour y présenter leur demande de résidence permanente parce qu’ils se sont habitués à vivre au Canada et que les perspectives économiques et scolaires de leur famille sont meilleures au Canada qu’en Namibie. S’appuyant sur le jugement Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Nizami 2016 CF 1177 au paragraphe 16, le défendeur met en garde la Cour contre le fait de permettre aux demandeurs de chercher à immigrer en recourant au mécanisme distinct que constitue la présentation d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs, quant à eux, soutiennent que l’agent leur a imposé un fardeau excessif et déraisonnable et que, sans ce fardeau, il aurait tiré une conclusion différente.

[23] En ce qui a trait au degré d’établissement des demandeurs au Canada, l’agent a conclu que, même s’ils ont créé des amitiés précieuses avec des gens dans plusieurs provinces du Canada, les demandeurs n’ont pas démontré que les relations qu’ils ont avec leurs amis, leurs collègues de travail et leurs voisins sont telles que la rupture de ces liens justifierait de faire droit à leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. L’agent a relevé le fait que les demandeurs étaient autonomes sur le plan financier et qu’ils avaient démontré un certain degré d’intégration dans la société et la collectivité canadiennes, mais il a estimé que leur degré d’établissement correspondait à celui auquel on s’attendrait de personnes se trouvant dans leur situation. L’agent a finalement conclu que les liens des demandeurs avec le Canada n’étaient pas plus grands que ceux qu’ils avaient avec la Namibie, et il a donc accordé peu de poids au facteur de l’établissement des demandeurs.

[24] Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent était déraisonnable. Ils lui reprochent notamment d’avoir affirmé qu’ils seraient en mesure de garder le contact avec leurs amis au Canada par la poste, par téléphone ou par Internet. Les demandeurs font valoir que l’infrastructure et le coût des communications en Namibie ne leur permettront pas de maintenir ces relations, mais ils n’ont versé au dossier aucune preuve sur la disponibilité ou le coût des communications. Le défendeur affirme que la décision de l’agent était raisonnable, parce que l’agent n’a décelé dans le degré d’établissement des demandeurs aucune caractéristique permettant d’établir une distinction entre leur demande et la myriade d’autres demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire soumises pour examen.

[25] Les demandeurs invitent effectivement notre Cour à réévaluer la preuve, ce que je refuse de faire. L’agent a procédé à l’appréciation des éléments de preuve relatifs à l’établissement au Canada et j’estime que sa décision appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[26] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a, aux pages 5 à 7 de sa décision, cerné, défini et examiné l’intérêt des deux enfants des demandeurs, une fille et un garçon, en tenant dûment compte des documents présentés par les demandeurs. L’agent a également examiné les documents présentés au sujet de l’enfant aîné de Mme Ketjinganda qui vit en Namibie et au sujet de ses deux autres enfants, l’un en Ontario et l’autre en Alberta, dont Mme Ketjinganda s’était occupée pendant la journée.

[27] Les demandeurs affirment qu’en Namibie, les enfants nés au Canada se heurteraient à des difficultés excessives, y compris la discrimination fondée sur le sexe, le chômage et des études et des soins de santé qui laisseront à désirer. Le défendeur soutient que le fait que les deux enfants nés au Canada se trouveraient dans une meilleure position au Canada sur le plan de leur confort général ou de leurs perspectives d’avenir ne saurait être concluant en ce qui concerne le sort d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Le défendeur soutient également qu’il ressort implicitement des arguments des demandeurs qu’il va de soi qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants qu’ils fassent leurs études au Canada.

[28] Le défendeur invoque le jugement Garraway c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 286, dans lequel ma collègue la juge Strickland a parlé des différents niveaux de vie dans le contexte de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant :

[38] De plus, au paragraphe 18 de la décision Sanchez, la Cour a conclu que la perspective que des enfants aient une vie plus souhaitable au Canada ne suffit pas pour accueillir une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, citant le passage suivant de la décision Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356 :

31 Enfin, les demandeurs font valoir que la situation en Argentine est pitoyable et néfaste pour les enfants. Ils citent des statistiques tirées de la preuve documentaire que l’agente d’immigration a elle‑même examinée pour démontrer que le Canada est un endroit plus agréable pour vivre en général. Mais le fait que le Canada soit un endroit plus agréable pour vivre n’est pas un facteur déterminant dans l’issue d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire (Vasquez c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 91; Dreta c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1239); s’il en était autrement, il faudrait donner à la vaste majorité des personnes qui vivent illégalement au Canada le statut de résident permanent pour des raisons d’ordre humanitaire. De toute évidence, telle n’était pas l’intention du Parlement lorsqu’il a promulgué l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. [Non souligné dans l’original.]

[39] L’agent a admis que la situation à Saint‑Vincent peut être imparfaite et qu’il existe un écart entre les niveaux de vie de différents pays. Il a aussi reconnu que beaucoup de pays n’offrent pas un régime de soutien social, et notamment sur les plans financier et médical, aussi généreux que celui du Canada. Cependant, le législateur n’a pas adopté l’article 25 pour compenser l’écart entre le niveau de vie au Canada et celui d’autres pays.

[29] L’agent s’est penché sur le niveau de vie différent en Namibie et au Canada et a conclu que les demandeurs, qui sont nés, ont grandi et ont passé leur jeunesse en Namibie, seront en mesure d’aider leurs enfants nés au Canada à s’intégrer et à s’adapter à la société namibienne. L’agent a également fait observer que l’anglais était la langue officielle de la Namibie, ce qui facilitera l’intégration des enfants à la société namibienne.

[30] Je constate que les facteurs signalés par les demandeurs dans la présente demande ont été examinés par l’agent dans sa décision. Les demandeurs affirment que les enfants nés au Canada seront confrontés à des attitudes sexistes et à des réalités socio‑économiques difficiles et que leur enfant né en 2007 qui habite en Namibie fait effectivement face à ces difficultés. L’agent note toutefois dans sa décision qu’il y a peu d’éléments de preuve au dossier qui indiquent que les demandeurs ou leurs enfants seraient exposés aux dangers en question, comme l’appauvrissement ou le manque d’accès aux soins de santé, ou que l’enfant né en Namibie est effectivement confronté à diverses difficultés de cet ordre.

[31] Je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré que l’agent avait commis une erreur qui justifie l’infirmation de sa décision. Les demandeurs invitent effectivement la Cour à réévaluer la preuve soumise à l’agent, ce qu’une juridiction de révision devrait s’abstenir de faire, à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov au para 85).

[32] En ce qui a trait à la situation défavorable en Namibie, les demandeurs font valoir que leurs familles comptent sur leur soutien et que la Namibie est aux prises avec la sécheresse et avec un taux de chômage très élevé. Selon le défendeur, les demandeurs soutiennent essentiellement que la situation socio‑économique est nettement meilleure au Canada qu’en Namibie.

[33] Le dossier montre que la mère de Mme Ketjinganda touche une pension d’invalidité. De plus, trois versements, dont un aurait servi à payer des frais funéraires, ont été envoyés à la famille, en septembre 2013, en mars 2016 et en août 2016 respectivement. Selon le dossier, il y a en Namibie quatorze membres de la famille des demandeurs, y compris l’aîné de Mme Ketjinganda. L’agent a accordé peu de poids à l’argument selon lequel les familles des demandeurs comptent sur leur soutien, signalant qu’un délai de trois ans s’était écoulé entre le premier versement et le deuxième versement et qu’il y avait peu d’éléments de preuve au dossier pour démontrer que les membres des familles des demandeurs à l’étranger avaient besoin de l’aide financière de ces derniers.

[34] L’agent a également fait observer que, même si les demandeurs ont soumis des articles, on trouvait peu d’éléments de preuve au dossier indiquant que les membres des familles des demandeurs qui se trouvent à l’étranger sont touchés par la sécheresse et par l’insécurité alimentaire et la pauvreté qui en découlent. L’agent a conclu que la situation défavorable évoquée par les demandeurs correspond en gros à la situation générale qui existe en Namibie et a donc accordé peu de poids à ce facteur.

[35] Il incombe au demandeur de démontrer que la décision de l’agent était déraisonnable. Notre Cour a également jugé qu’il incombe au demandeur d’établir l’existence d’un lien entre la preuve documentaire générale et la situation particulière du demandeur (Gandhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1132 au para 61). J’estime que l’agent n’a pas commis d’erreur en attribuant peu de poids aux documents soumis par les demandeurs.

[36] Tout en reconnaissant que les demandeurs se heurteront à certaines difficultés lorsqu’ils retourneront dans un pays d’où ils sont absents depuis des années, l’agent a conclu qu’il disposait de peu d’éléments de preuve ou d’information pour conclure que les demandeurs n’ont plus de contact avec les membres de leurs familles ou qu’ils ne s’en occuperont pas ou ne leur offriront pas leur soutien, même à court terme, lorsqu’ils retourneront en Namibie.

[37] Je conclus que la décision est raisonnable, compte tenu du fait que l’agent a évalué la situation des demandeurs dans son ensemble et qu’il était convaincu que leur situation ne justifiait pas de leur accorder la dispense prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR. La décision appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

V. Dispositif

[38] Pour conclure, j’estime que les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer que l’agent avait commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision. Je suis convaincue que, lorsqu’on l’examine de façon globale et contextuelle, la décision de l’agent satisfait à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov. Je constate par ailleurs qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’a été causé en raison du fait que l’agent a utilisé Google pour trouver des documents du gouvernement de la Namibie, du Département d’État des États‑Unis et de la Banque mondiale.

[39] Aucune partie ne propose de question à certifier, et à mon avis, l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1966‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1966‑20

INTITULÉ :

SYLVIA KETJINGANDA, ZEBULON UPENDURA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC) — AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE SUR LA PLATE‑FORME ZOOM

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 SEPTEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 15 OCTOBRE 2021

COMPARUTIONS :

Me Kingsley Jesuorobo

POUR Les demandeurs

Me Michael Butterfield

POUR Le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Kingsley Jesuorobo

Avocat

North York (Ontario)

POUR Les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR Le défendeur

 

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