Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050511

Dossier : T-2012-01

Référence : 2005 CF 670

ENTRE :

SOUTH YUKON FOREST CORPORATION

                                                                                                                                demanderesse

et

SA MAJESTÉLA REINE

                                                                                                                                  défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]         Les présents motifs font suite à une requête écrite visant à obtenir la division de l'instruction de la présente affaire, la détermination préalable de la responsabilité devant être suivie, si nécessaire, par la détermination des dommages-intérêts.

PERTINENCE DE LA DISJONCTION DANS UN CAS

OÙLA DÉCLARATION N'EST PAS ENCORE FIXÉE


[2]         L'une de mes inquiétudes est qu'il se peut que les questions de la responsabilité et des dommages-intérêts puissent, jusqu un certain degré, être étroitement liées. Par conséquent, à titre de question préliminaire, il convient de se demander s'il est approprié de permettre la disjonction de l'instance en vertu de l'article 107 des Règles quand la forme de la déclaration n'est pas complètement fixée. Je souligne que la forme de la déclaration autorisée par la juge Heneghan dans ses ordonnances du 23 novembre 2004 et du 11 janvier 2005 fait l'objet d'un appel interjetépar la demanderesse. Ainsi qu'il ressort de la décision Markesteyn c. Canada, (2001) 208 F.T.R. 284, « ... il est essentiel, pour l'application de la règle 107, que la question soumise soit clairement définie et que la Cour doive la trancher avant de pouvoir juger l'affaire » (p. 287). En l'espèce, le danger découle de la possibilité que les questions de responsabilité et de reddition de comptes soient étroitement liées, dans l'état actuel de la déclaration et ainsi qu'il ressort de la déclaration proposée, dans lventualité où la demanderesse aurait gain de cause en appel, par l'adjonction de Liard Plywood and Lumber Manufacturing Inc. Par exemple, on trouve une mention selon laquelle Liard Plywood aurait conclu un genre d'entente à long terme avec la défenderesse ou obtenu un arrangement de sa part relativement à la fourniture de bois pour l'exploitation d'une scierie, qui serait susceptible d'introduire la question des dommages-intérêts ou d'empiéter sur celle-ci. En revanche, dans l'ensemble, la deuxième déclaration modifiée qu'a autorisée la juge Heneghan est relativement complète pour ce qui est des questions clairement définies, y compris le contrat. Par conséquent, il convient de se prononcer sur la disjonction de l'instance. Je vais donc examiner les considérations qui s'appliquent à la disjonction.

CONSIDÉRATIONS SUR LA DISJONCTION DE L'INSTANCE


[3]         Notre examen de la disjonction de l'instance part du principe qu'une partie à une action a un droit fondamental à ce que toutes les questions en litige soient réglées lors d'un seul et même procès : voir Apotex Inc. c. Bristol-Myers Squibb Co., (2003) 308 N.R. 152 (C.A. F.) à la page 155, oùla Cour d'appel fédérale reconnaît qu' « ... une partie à un litige a le droit fondamental d'obtenir le règlement de toutes les questions en litige dans le cadre d'un seul et même procès » , en invoquant Elcano Acceptance Ltd. c. Richmond, Stambler & Mills, (1986) 55 O.R. (2d) 56 (C.A. Ont.), page 59. Il y a aussi la prémisse voulant qu' « ... il soit habituellement plus efficace de trancher toutes les questions ensemble plutôt que séparément » : Markesteyn, précitée, à la page 288, renvoyant à Value Village Market (1990) Ltd. c. Value Village Stores Inc., paragraphe 6 d'une décision non publiée rendue le 29 octobre 1999 par la juge Reed dans le dossier T-2707-92. En partant de ce principe et de cette prémisse, on passe au fardeau de la preuve : il appartient à la partie requérante, en l'occurrence la demanderesse, de prouver qu'il est justifié de s'écarter de ce principe et de cette prémisse, et donc, de scarter de la règle générale : voir, par exemple, Illva Saronno S.p.A. c. Privilegiata Fabbrica, (1998) 157 F.T.R. 217, à la page 221, une décision du juge Evans, tel était alors son titre.


[4]         Le critère à satisfaire pour justifier une disjonction de l'instance en vertu de l'article 107 des Règles est de savoir si « ...la disjonction permettra fort probablement d'apporter au litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » : Illva Saronno, précitée, à la page 221, où le juge Evans avait également conclu qu lgard de ces éléments, la Cour doit être convaincue, selon la prépondérance de la preuve, compte tenu de la preuve et de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Cela dit, le critère établi dans Illva Saronno est le résultat de l'analyse, qui pourrait inclure un certain nombre dléments, par exemple ceux qui ont été adoptés par la juge Reed dans Value Village (précitée), d'une décision non publiée de la Cour suprême de l'Ontario, General Refractories Co. of Canada c. Venturedyne Ltd., [2001] O.T.C. Uned. 209, et dont il est question aux pages 288-289 de la décision Markesteyn i (précitée) :

[traduction] 16. Si l'on extrapole à partir des principes dégagés par les tribunaux dans ce domaine, voici quelques-unes des questions dont le tribunal devrait tenir compte pour décider si la disjonction de l'instance constitue une mesure juste et expéditive :

1)          La simplicité relative des questions en litige dans le premier procès;

2)          La mesure dans laquelle les questions à juger dans le premier procès sont étroitement liées à celles qui seraient abordées dans le second;

3)          La question de savoir si la décision qui sera rendue à l'issue du premier procès est susceptible de mettre fin à l'action en son entier, à limiter la portée des questions en litige dans le second procès ou à augmenter sensiblement les chances d'en arriver à un règlement;

4)          La mesure dans laquelle les parties ont déjà consacré des ressources à l'ensemble des questions en litige;

5)          La date retenue pour la requête et les risques de délais;

6)          Tout avantage que la disjonction est susceptible de procurer aux parties ou tout préjudice qu'elles risquent de subir;

7)          La question de savoir si la requête est présentée de consentement ou si elle est contestée par une ou plusieurs parties.

17. Il ne s'agit pas d'une liste rigoureuse, mais plutôt d'une énumération de quelques facteurs qui sont susceptibles de rendre la procédure plus juste et plus expéditive. Le fait qu'il y ait un plus grand nombre de facteurs qui se rapportent à la célérité ne permet pas de conclure que cette question est plus importante. Ainsi que le juge Wilkins l'a déclaré dans la décision Royal Bank c. Kilmer, précitée, l'équité et la justice sont les facteurs les plus importants.


Ces questions, examinées dans General Refractories, ne constituent pas nécessairement tous les éléments requis, mais elles sont plutôt divers facteurs dont je tiens compte pour établir une liste non exhaustive. À titre d'exemple, la demanderesse souligne en l'espèce qu'il n s'agit ni d'un souci de fonctionnement ni d'un souci de rentabilité et que, dans l'hypothèse où le fait de déterminer la responsabilité indépendamment des dommages-intérêts permettrait de réaliser de substantielles économies quant aux coûts, l'aspect financier de la disjonction de l'instance est un facteur dont il faudrait tenir compte, étant donné qu'elle rendrait la poursuite plus abordable pour la demanderesse.

[5]         Quant à la situation économique de la demanderesse et au cautionnement pour dépens, la juge Heneghan a conclu dans ses motifs et ordonnance du 23 novembre 2004, paragraphe 16, que la demanderesse était lourdement endettée et que ses actifs étaient insuffisants pour payer les dépens. En fait, si on les ramène à leur plus simple expression, les arguments de la demanderesse en faveur de la disjonction procèdent du besoin dliminer ou de retarder ses frais inhérents à l'interrogatoire préalable et à l'audience pour la partie de la demande relative aux dommages-intérêts.


[6]         La défenderesse souligne que l'affaire, telle qu'elle a été plaidée jusqu maintenant, est passablement complexe et porte notamment sur la négligence, une déclaration inexacte faite par négligence, un manquement à une obligation de diligence, un manquement à une obligation fiduciaire, un abus dans l'exercice d'une charge publique, la responsabilité contractuelle, la malveillance et une intention de nuire de la part de ltat, ainsi qu'une allégation selon laquelle les actes de la défenderesse ont amené la demanderesse à ériger une importante scierie à Watson Lake en Colombie-Britannique sans recevoir d'approvisionnement en bois par ltat. Ces divers moyens de défense soulèvent des questions quant à l'efficacité, à la capacité et à la viabilité de la scierie, et concernent non seulement la question de la responsabilité mais aussi celle des dommages-intérêts et des rapports d'experts qui seront exigés dans tous les cas.

[7]         J'ajouterais que j'ai, dans la présente affaire, la même préoccupation que la protonotaire Aronovitch dans Rowat c. Commissaire à l'information (Canada), (2000) 189 F.T.R. 166, pages 181-182 :

Dans toute demande présentée en vertu de l'article 107 des Règles, on doit à tout le moins établir une nette distinction entre les questions de droit et de preuve que l'on veut faire instruire séparément des questions de fond que soulève la demande.

Dans cette affaire, la protonotaire a constaté que les questions s'influençaient profondément les unes les autres. C'est également le cas en l'espèce.

[8]         Le fait que la demanderesse qui, je le souligne, a été l'instigatrice de nombreux litiges interlocutoires, y compris au niveau de l'appel, puisse éprouver à un moment donné des inquiétudes quant à sa capacité financière de faire face à l'audition complète de l'affaire est important, mais ne l'emporte pas sur l'objectif d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. En outre, si l'instance devait être disjointe et que ses deux parties ntaient pas entendues par le même juge, la défenderesse en subirait une injustice additionnelle. Si la disjonction était accordée, cela pourrait entraîner la duplication des étapes procédurales et des frais résultant de deux processus de communication de la preuve séparés mais se chevauchant, et de la possibilité de deux audiences séparées et de deux appels distincts.


CONCLUSION

[9]         À la lumière du dossier soumis à mon examen, je ne suis pas convaincu suivant la prépondérance de la preuve et compte tenu des circonstances de l'espèce, y compris la nature de la demande, le déroulement de l'instance jusqu présent, les questions en litige et les redressements demandés, que la disjonction permettrait probablement d'apporter une solution au litige qui soit la plus juste et expéditive et économique possible.

[10]       La demande de disjonction est rejetée. Comme la demanderesse a tenté d'obtenir les dépens de la requête, il est approprié que les dépens suivent l'issue de l'affaire et soient attribués à la défenderesse. Me fondant sur le tarif prévu par les Règles de la Cour fédérale, je fixe à 1 200 $ la somme globale qui doit être payée sans délai à titre de dépens.

                                                                                                    « John A. Hargrave »                

                                                                                                             Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    T-2012-01

INTITULÉ:                                                     SOUTH YUKON FOREST CORPORATION C. LA REINE

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 MAI 2005

OBSERVATIONS ÉCRITES:

Timothy S. Preston, c.r.

POUR LA DEMANDERESSE

Gary W. Whittle

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Lackowicz, Shier & Hoffman

Whitehorse (Yukon)

POUR LA DEMANDERESSE

Whittle & Company

Whitehorse YK

POUR LA DÉFENDERESSE


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.