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Date : 20211014


Dossier : IMM‑2639‑20

Référence : 2021 CF 1068

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2021

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

AHMED RABEE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés oralement à l’audience par téléconférence

à Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2021)

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision du 7 octobre 2019 par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par Ahmed Rabee [le demandeur].

[2] À l’audience du demandeur devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR], la crédibilité a été la question déterminante. La preuve du demandeur exposait de nombreuses incohérences entre son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] et son témoignage de vive voix, et il avait de la difficulté à répondre à des questions simples. Cependant, selon son dossier médical, il souffrait d’un problème de santé mentale non diagnostiqué au moment de son audience. Peu après que la SPR eut rendu sa décision, le demandeur a reçu un diagnostic de trouble schizoaffectif de type bipolaire.

[3] La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur indique qu’à la suite de son audience devant la SPR, il a été interné à deux reprises et il a passé un total de 40 jours à l’hôpital. En outre, ses parents et ses frères et sœurs ont réussi à lui obtenir une place à la résidence Bruce Villa Manor, qui accueille des personnes ayant des besoins particuliers.

[4] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la question déterminante consiste à savoir si l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a correctement évalué les difficultés auxquelles le demandeur serait exposé s’il devait retourner en Palestine, plus précisément en Cisjordanie, compte tenu de ses graves problèmes de santé mentale.

[5] Il existe un problème sous‑jacent en l’espèce. Au départ, le demandeur a présenté des demandes d’examen des risques avant renvoi [l’ERAR] et de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Le même agent [le premier agent] a été chargé de l’examen de ces deux demandes. Cependant, la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été renvoyée à un autre agent [le deuxième agent] pour nouvel examen. Cela signifie qu’au moment où il a réexaminé la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le deuxième agent ne disposait pas des documents dont disposait le premier lorsqu’il a examiné la demande d’ERAR. Le deuxième agent ne disposait pas d’éléments de preuve importants, notamment des affidavits du père et du frère du demandeur, ni des pages importantes du dossier de demande relatif à l’ERAR. Je renvoie plus particulièrement aux pages 97 à 103, 70 à 73 et 56 à 60. Il sera important de mettre ces documents à la disposition de l’agent qui sera chargé du réexamen de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

I. LA DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE FONDÉE SUR DES MOTIFS D’ORDRE HUMANITAIRE

[6] S’appuyant sur les documents dont il disposait, l’agent a rejeté la demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour les raisons suivantes :

  1. l’étroitesse des liens existants entre le demandeur, ses parents et ses frères et sœurs était incertaine;
  2. le statut d’immigration des membres de la famille du demandeur au Canada était inconnu;
  3. le demandeur pouvait retourner en Palestine et maintenir des liens familiaux grâce au téléphone, au courrier et à Internet;
  4. la preuve ne permettait pas de connaître la date exacte du premier diagnostic du demandeur, et ce dernier semblait bien composer avec sa maladie mentale depuis de nombreuses années;
  5. le demandeur pouvait obtenir les services dont il avait besoin en Cisjordanie.

II. DISCUSSION

[7] Selon les notes de l’hôpital Hôtel‑Dieu, le demandeur s’y est présenté une fois en compagnie de son père et une autre fois en compagnie de son frère. En outre, les renseignements supplémentaires fournis par le demandeur à l’appui de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire indiquent qu’il vivait avec ses parents, ainsi qu’avec une de ses sœurs et un de ses frères avant de déménager à la résidence Bruce Villa Manor. Compte tenu de ces éléments de preuve, il était déraisonnable pour l’agent de conclure que l’étroitesse des liens qui existaient entre le demandeur et sa famille était incertaine.

[8] Aussi selon les notes de l’hôpital, le demandeur n’avait pas conscience de sa maladie et il ne savait pas qu’il était traité pour un trouble mental. Il croyait que son problème découlait de douleurs à l’épaule.

[9] Même si le demandeur avait vécu avec sa maladie par le passé, il était déraisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur composait bien avec celle‑ci. En Russie, où il faisait des études en médecine dentaire, le demandeur n’a pas réussi à terminer sa formation et il a été hospitalisé durant 22 jours. Il est demeuré sans emploi durant de nombreuses années après son retour en Cisjordanie et il n’a jamais occupé un emploi permanent. À mon avis, l’agent n’a pas tenu compte de ces faits.

[10] Bien qu’elle soit vraie, la conclusion selon laquelle le demandeur pouvait maintenir des liens familiaux grâce au courrier et à Internet ne tient pas compte de la véritable question. Le demandeur a besoin d’une supervision quotidienne pour veiller à ce qu’il prenne ses médicaments. Le courrier, Internet et le téléphone ne sont d’aucune aide à cet égard, surtout si le demandeur recommence à croire qu’il n’a besoin d’aucun médicament.

[11] Dans une lettre datée du 23 juin 2017, le médecin du demandeur affirme que les problèmes de ce dernier découlent du fait qu’il ne prend pas ses médicaments. Lorsqu’il ne les prend pas, le demandeur cesse de prendre soin de lui. Il ne prend plus la peine de se doucher, de s’habiller adéquatement, de faire sa toilette ou de se préparer des repas. Le médecin affirme que le traitement du demandeur doit être surveillé et suivi. En d’autres mots, il doit vivre dans une résidence‑services ou dans une résidence familiale où des employés ou des membres de sa famille peuvent l’aider à prendre soin de lui et veiller à ce qu’il prenne ses médicaments.

[12] L’agent a déraisonnablement conclu que le demandeur pourrait obtenir de tels services en Palestine. Il ressortait clairement de la preuve que le demandeur n’a pas de famille en Cisjordanie et qu’il n’y a pas de soins aux malades externes dont il pourrait bénéficier ni de résidence où il pourrait vivre.

[13] Enfin, le formulaire FDA du demandeur indique que la majorité de ses frères et sœurs qui vivent au Canada sont des citoyens canadiens. Par conséquent, contrairement à la conclusion de l’agent, leur statut d’immigration n’était pas inconnu.

[14] Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, la demande sera accueillie.

[15] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2639‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie.

  2. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire devra être réexaminée par un autre agent.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2639‑20

 

INTITULÉ :

AHMED RABEE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Par téléconférence au moyen de Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 septembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 14 octobre 2021

 

COMPARUTIONS :

David Cote

 

Pour le demandeur

 

Kareena Wilding

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Legal Assistance of Windsor

Avocats

Windsor (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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