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Date : 20010704

Dossier : IMM-4662-00

Référence neutre : 2001 CFPI 750

ENTRE:

JIAN MING YANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Teitelbaum

[1]              Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'agente des visas Lily Chau, en poste au consulat général du Canada à Hong Kong, a rejeté, le 31 juillet 2000, la demande de résidence permanente au Canada du demandeur.


Le contexte

[2]              Le demandeur, Jian Ming Yang, est un citoyen de la Chine âgé de 41 ans. Au début de 1999, il a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs autonomes, à titre d'ingénieur des télécommunications.

[3]              Le demandeur a été informé, par lettre en date du 13 avril 1999, qu'il pourrait être dispensé d'une entrevue s'il soumettait une évaluation indépendante de sa connaissance de la langue anglaise; pour ce faire, il pouvait se présenter à l'examen de formation générale en anglais de l'International English Language Training System (IELTS). Toutefois, le demandeur a préféré ne pas subir cet examen; il a donc été convoqué à une entrevue, qui a eu lieu le 31 juillet 2000.

[4]              Selon l'affidavit souscrit par le demandeur le 17 octobre 2000, l'entrevue s'est déroulée en partie comme suit:

[TRADUCTION]                                                                                                  4.     Au début de l'entrevue, l'agente des visas, qui s'adressait à moi en chinois, m'a demandé comment était mon anglais; je lui ai répondu que ça devrait être "OK". Elle semblait impatiente sans raison, et elle a dit ensuite que je devrais l'avertir immédiatement si je ne comprenais pas ses questions en anglais, car son horaire ne lui permettait pas que nous passions notre temps à « nous dévisager, parce qu'elle avait plusieurs entrevues à effectuer » . Son attitude et ses commentaires m'ont rendu très nerveux et ont créé chez moi un état d'esprit négatif pour la suite de l'entrevue.

5.     Comme première question, elle m'a demandé si j'avais été marié deux fois; j'ai répondu que je n'avais été marié qu'une seule fois, ce qui est la vérité. Elle m'a ensuite demandé pourquoi je ne m'étais pas présenté à l'examen d'anglais du IELTS, malgré la demande du bureau des visas. Son impatience m'avait rendu nerveux, et j'étais lent à répondre. Sa question m'avait également déconcerté, et j'hésitais à y répondre, parce que selon ma compréhension, l'examen du IELTS m'avait été proposé comme une option laissée entièrement à ma discrétion, et n'avait pas été exigé par le bureau des visas.


6.     Devant mon hésitation à répondre à cette question, l'agente a recommencé à s'adresser à moi en chinois, et elle n'a pas voulu me permettre de répondre aux questions en anglais, bien que je le lui aie demandé à plusieurs reprises.

[5]              L'agente des visas, Lily Chau, a également produit un affidavit, en date du 15 novembre 2000 (dossier du défendeur, aux p. 1 à 5). Elle y déclare s'être informée auprès du demandeur de la raison pour laquelle il avait refusé l'invitation à passer le test IELTS, en guise d'introduction à l'entrevue et afin de le prévenir qu'elle évaluerait sa compétence linguistique.

[6]              Le demandeur, selon sa propre estimation de sa connaissance de l'anglais, a évalué à « bien » son habileté en anglais oral et écrit, et à « couramment » sa compétence en lecture. Après lui avoir fait passer un examen de lecture et d'écriture, l'agente des visas a pour sa part estimé que le demandeur lisait et écrivait l'anglais « difficilement » , et elle ne lui a attribué aucun point à ce chapitre.

[7]              En ce qui concerne son habileté à converser en anglais, l'agente des visas indique dans son affidavit :

[TRADUCTION]                                                                                                   17.     Afin d'évaluer l'aptitude du demandeur à parler anglais, comme je l'ai mentionné plus tôt, j'ai commencé l'entrevue en langue anglaise. Je lui ai posé des questions en anglais. Le demandeur n'apportait aucune réponse à un certain nombre de questions durant l'entrevue. Devant cette absence de réponse de sa part, j'ai conclu qu'il ne comprenait pas mes questions en anglais, et par conséquent je suis revenue à la langue chinoise pour le reste de l'entrevue. Je dois souligner qu'il y a peut-être une erreur dans les notes STIDI : je crois en effet que le demandeur parlait le mandarin, plutôt que le cantonais comme elles l'indiquent. J'ai jugé que le demandeur s'exprimait en anglais « avec difficulté » , et je ne lui ai accordé aucun point pour son habileté à parler anglais.

(Dossier du défendeur, à la p. 3)


[8]                 En ce a trait à la personnalité du demandeur, pour laquelle quatre points lui ont été attribués, l'agente des visas déclare dans son affidavit :

[TRADUCTION]                                                                                                    20.     Dans mon appréciation de la personnalité du demandeur, j'ai pris en considération que, bien que celui-ci ait décidé d'immigrer au Canada en 1998, il a semblé peu motivé à développer sa connaissance de l'anglais au-delà d'un niveau de compétence minimal. J'ai aussi retenu, pour évaluer son esprit d'initiative et son ingéniosité, le fait qu'il n'avait pas pris contact avec le Conseil canadien des ingénieurs professionnels, dont on lui avait pourtant remis les numéros de téléphone et de télécopieur, ainsi que l'adresse électronique. Je suis d'avis que l'on pourrait raisonnablement s'attendre à ce que le demandeur, qui compte occuper un poste d'ingénieur au Canada, entre en communication avec le Conseil canadien des ingénieurs professionnels afin de recueillir l'information relative aux examens permettant d'accéder à cette profession au Canada. J'ai conclu que le défaut du demandeur d'effectuer des démarches en vue de connaître les conditions d'exercice de la profession d'ingénieur au Canada, élément essentiel à son intégration harmonieuse au marché du travail dans ce pays, dénotait chez lui un manque d'initiative et de ressources.

21.     Pour évaluer la faculté d'adaptation du demandeur, j'ai tenu compte également du fait que celui-ci n'a jamais voyagé ou étudié à l'extérieur de la République populaire de Chine. Je savais, au moment de l'entrevue, qu'il avait travaillé en coopération avec des entreprises occidentales comme Siemens et Italet Spa. Toutefois, j'ai accordé peu de poids à ce facteur dans mon estimation des qualités personnelles du demandeur, puisqu'il est fréquent que des entreprises chinoises entretiennent des contacts avec des sociétés commerciales occidentales, et que par ailleurs le demandeur n'a fourni aucun détail pour expliquer en quoi cette expérience illustrait sa faculté d'adaptation. J'ai noté que le demandeur n'avait pas voyagé.

(Dossier du défendeur, aux p. 3 et 4)

[9]              Pour sa part, le demandeur déclare que le Conseil canadien des ingénieurs professionnels est un organisme national, qui évalue les ingénieurs étrangers de façon informelle, alors que la délivrance de permis d'exercer la profession relève de la compétence provinciale. (Dossier du demandeur, à la p. 5)

[10]             Le demandeur a reçu au total 68 points d'appréciation, deux de moins que les 70 points requis : sa demande a été refusée.


Les questions en litige

[11]             Le demandeur conteste l'évaluation de sa connaissance de la langue anglaise ainsi que l'appréciation de sa personnalité.

La position du demandeur

[12]             Le demandeur soutient que l'agente des visas ne lui a pas offert la possibilité de faire la preuve de sa compétence en conversation anglaise. Il affirme qu'elle ne lui a posé que deux questions en anglais, et que le comportement de l'agente des visas explique en partie son hésitation à répondre à la deuxième question, qui concernait la raison pour laquelle il n'avait pas subi l'examen du IELTS.

[13]             Le demandeur conteste également la prétention de l'agente des visas selon laquelle il avait été incapable de répondre à « un certain nombre de questions » en anglais, puisqu'elle ne fournit aucun détail quant à la nature de ces questions.

[14]             Pour ce qui est de l'évaluation de sa personnalité, le demandeur prétend que l'agente des visas a tenu compte de considérations non pertinentes. Il fait valoir que le fait qu'il ait ou non voyagé ou étudié à l'extérieur de la Chine est sans pertinence pour évaluer ses chances de s'établir avec succès au Canada, du point de vue économique.

[15]             Le demandeur soutient en outre que, dans l'appréciation de sa personnalité, il a été injustement pénalisé pour n'avoir pas pris contact avec le Conseil canadien des ingénieurs professionnels. Selon lui, cette considération est également dépourvue de pertinence, en ce que le Conseil n'est pas un organisme qui délivre des permis.


[16]             Enfin, le demandeur plaide que l'évaluation que fait l'agent des visas de la personnalité, en ce qui a trait à la faculté d'adaptation, doit reposer sur des résultats probables, non sur de simples possibilités. Il s'oppose au mot [traduction] « pourrait » , que l'agente a utilisé à cet égard dans les notes STIDI.

La position du défendeur

[17]             Le défendeur maintient que l'agente des visas a évalué objectivement les compétences linguistiques du demandeur. Il soumet qu'à moins d'établir la mauvaise foi de l'agente, cette évaluation ne contient aucune erreur susceptible de révision. Le défendeur ajoute que la Cour devrait retenir la version de l'entrevue qu'offre l'agente des visas dans son affidavit ainsi que dans les notes STIDI.

[18]             Le défendeur soutient en outre que l'agente des visas a évalué la personnalité du demandeur en conformité avec le Règlement sur l'immigration de 1978, qui, au numéro 9 de l'annexe I, prescrit de prendre en compte des qualités personnelles telles que la faculté d'adaptation, la motivation, l'esprit d'initiative et l'ingéniosité. Le défendeur ajoute que la décision de l'agente des visas d'attribuer quatre points d'appréciation au demandeur à ce chapitre est discrétionnaire, et qu'elle ne comporte pas d'erreur susceptible de révision.

L'analyse


[19]             La décision de l'agente des visas est une décision administrative et discrétionnaire. La norme de contrôle judiciaire applicable à ce type de décision est la suivante, ainsi que l'a énoncé le juge McIntyre dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 1, aux p. 7 et 8 :

C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[20]             Les notes STIDI de l'agente des visas étayent les conclusions de celle-ci en ce qui concerne la capacité du demandeur de s'exprimer en anglais (dossier certifié du tribunal, aux p. 2 à 4). Ses notes indiquent que le demandeur s'exprimait difficilement en anglais et que sa compréhension auditive de cette langue était très faible. Il n'appartient pas à la Cour de réévaluer la compétence du demandeur en langue anglaise; l'agent des visas est la personne la mieux placée pour effectuer une telle appréciation. Il n'a pas été établi que l'agente des visas a fait preuve de mauvaise foi ou a commis une erreur; en l'absence d'une telle preuve, la retenue judiciaire s'impose. Voir à ce sujet : Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) IMM-4873-97, 22 juillet 1998; Ashraf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 158 F.T.R. 129 (C.F. 1re inst.); Mehranbani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) IMM-4410-98, 2 mars 2000.


[21]             La deuxième question en litige concerne l'appréciation de la personnalité du demandeur. Je suis d'avis que la conclusion de l'agente des visas, selon laquelle le défaut du demandeur d'améliorer sa connaissance de l'anglais dénote un manque de motivation de sa part, n'est pas déraisonnable, non plus que sa conclusion voulant que le défaut du demandeur d'entrer en communication avec le Conseil canadien des ingénieurs professionnels était signe chez lui d'un manque d'initiative. Bien que le Conseil canadien des ingénieurs professionnels ne délivre pas de permis, il ressort de l'affidavit même du demandeur que cet organisme propose une évaluation informelle de la qualification des ingénieurs étrangers. Je ne crois pas que la question de savoir si le demandeur avait déjà voyagé ou étudié à l'extérieur de son pays constitue une considération non pertinente dans l'appréciation de la faculté d'adaptation d'un candidat. La conclusion de l'agente des visas en ce qui concerne la personnalité du demandeur est tout à fait raisonnable.

[22]             J'estime que le demandeur n'a pas réussi à prouver que l'agente des visas était de mauvaise foi, ni qu'elle a commis quelque erreur. À la lumière du dossier, l'agente des visas pouvait raisonnablement conclure comme elle l'a fait. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[23]             Les parties n'ont pas demandé qu'une question soit certifiée.

« Max M. Teitelbaum »

Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

4 juillet 2001

Traduction certifiée conforme

_____________________________

Ghislaine Poitras LL.L.


                                                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:                                                        IMM-4662-00

INTITULÉ:                                                        Jian Ming Yang c. le Ministre de la Citoyenneté

et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE:                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE:                           3 juillet 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             Monsieur le juge Teiltebaum

DATE DES MOTIFS:                                    4 juillet 2001

COMPARUTIONS:

Dennis Tanack

POUR LE DEMANDEUR

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Dennis Tanack

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE

DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

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