Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211001


Dossier : T-1023-21

Référence : 2021 CF 1022

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2021

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ORLANDO CANJURA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’un appel interjeté conformément aux articles 369 et 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] à l’encontre d’une ordonnance de la protonotaire Kathleen Ring datée du 30 août 2021 [l’ordonnance d’août], par laquelle cette dernière a radié l’avis de demande et rejeté la demande de révision judiciaire du demandeur au motif qu’elle était prématurée.

[2] M. Canjura, qui n’est pas représenté par un avocat dans le cadre de la présente requête, sollicite une ordonnance modifiant ou annulant l’ordonnance de la protonotaire. Il affirme que l’ordonnance était fondée sur une mauvaise appréciation des faits et de la preuve. Il ajoute que la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en contravention de l’article 400 lorsqu’elle a adjugé des dépens de 500 $ à son encontre.

[3] Le défendeur soutient qu’aucune erreur susceptible de révision n’a été commise et que le fait que M. Canjura soit en désaccord avec l’issue ne constitue pas un fondement suffisant pour justifier le présent appel.

[4] Je partage l’avis du défendeur. La requête est rejetée pour les motifs qui suivent.

II. Contexte

[5] En janvier 2021, M. Canjura a demandé à la Gendarmerie royale du Canada [la GRC] de lui donner accès à des renseignements précis conformément à l’article 12 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21 [la Loi]. Le bureau de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (l’AIPRP) de la GRC a accusé réception de la demande et l’a informé qu’une prorogation du délai pour y répondre était requise. Les communications entre le bureau de l’AIPRP et M. Canjura se sont poursuivies en février et mars 2021, mais M. Canjura n’a pas obtenu de réponse à sa demande.

[6] Le 31 mars 2021, M. Canjura a déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada [le CPVP]. Le bureau de l’AIPRP a été avisé de la plainte par le CPVP en avril 2021. Dans la plainte, le demandeur a allégué que la GRC avait contrevenu à l’article 14 de la Loi en ne répondant pas à sa demande dans le délai prévu [la plainte].

[7] Le 29 juin 2021, M. Canjura a déposé une demande de révision judiciaire conformément à l’article 41 de la Loi, par laquelle il sollicitait une ordonnance imposant que les catégories de renseignements détaillées lui soient divulguées. Le CPVP n’avait alors ni terminé son enquête sur la plainte ni fourni de renseignements sur celle-ci.

III. La Loi

[8] Un bref survol du régime législatif sera utile.

[9] Les institutions fédérales doivent répondre aux demandes de renseignements présentées sous le régime de la Loi dans les délais prévus par celle-ci (articles 14 et 15). Le défaut de la part d’une institution fédérale de respecter les délais prévus vaut décision de refus de communication (paragraphe 16(3)). En cas de refus de communication, une plainte peut être déposée auprès du Commissaire à la protection de la vie privée, qui fera enquête (alinéa 29(1)b)).

[10] L’article 41 de la Loi prévoit qu’un recours en révision de la décision de refus peut être exercé devant la Cour fédérale si (1) une plainte a été déposée devant le Commissaire à la protection de la vie privée, et (2) le Commissaire a transmis un compte rendu de son enquête à la personne qui s’est vu refuser communication :

Révision par la Cour fédérale dans les cas de refus de communication

41 L’individu qui s’est vu refuser communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

Review by Federal Court where access refused

41 Any individual who has been refused access to personal information requested under subsection 12(1) may, if a complaint has been made to the Privacy Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty-five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Privacy Commissioner are reported to the complainant under subsection 35(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty-five days, fix or allow.

IV. La question préliminaire

[11] Le défendeur affirme que la protonotaire ne disposait pas de l’affidavit du demandeur daté du 3 septembre 2021, inclus à l’onglet 2 du dossier de requête de ce dernier, et que, par conséquent, la Cour ne devrait pas en être saisie dans le cadre du présent appel.

[12] En règle générale, l’appel d’une ordonnance d’un protonotaire doit être jugé à partir des documents qui étaient présentés devant lui (Onischuk c Canada (Agence du revenu), 2021 CF 486 au para 9, citant Shaw c Canada, 2010 CF 577 au para 8; Papequash c Brass, 2018 CF 325 au para 10). Exceptionnellement, de nouveaux éléments de preuve peuvent être admis dans les cas suivants : (1) ils n’auraient pas pu être disponibles auparavant; (2) leur admission servira les intérêts de la justice; (3) ils aideront la Cour; et (4) leur admission ne portera pas sérieusement préjudice à la partie adverse (Fondation David Suzuki c Canada (Santé), 2018 CF 379 au para 37).

[13] L’affidavit du 3 septembre 2021 est accompagné d’une copie de l’ordonnance d’août, qui fait l’objet de l’appel, et de renseignements liés à des versements d’aide financière. La copie de l’ordonnance d’août est inutile, puisque le dossier de requête demandeur en comprend une copie distincte. Il est possible que les éléments de preuve concernant les renseignements liés aux versements d’aide financière aient une certaine pertinence en ce qui a trait à l’argument avancé au sujet des dépens. Toutefois, la preuve est très loin de correspondre aux cas dans lesquels de nouveaux éléments de preuve peuvent exceptionnellement être admis, qui ont été énoncés ci-dessus. Pour ces motifs, je n’ai accordé aucun poids à l’affidavit de M. Canjura daté du 3 septembre 2021.

V. L’ordonnance de la protonotaire

[14] Dans son examen de la requête en radiation, la protonotaire a d’abord déterminé le critère à appliquer : une cour radiera un avis de demande seulement s’il est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli (David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc (CA), [1995] 1 CF 588 à la p 600 (CA) et Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 aux para 47, 48 [JP Morgan]).

[15] La protonotaire a ensuite examiné la jurisprudence établissant la règle générale selon laquelle, à défaut de circonstances exceptionnelles, une partie ne peut s’adresser aux tribunaux qu’une fois épuisées toutes les voies de recours appropriées prévues par le processus administratif (Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 aux para 30, 31 et JP Morgan aux para 66, 84).

[16] Dans son application de la jurisprudence à la situation dont elle était saisie, la protonotaire a conclu que la preuve non contestée établissait que le commissaire à la protection de la vie privée n’avait pas encore transmis de compte rendu de ses conclusions relativement à son enquête sur la plainte et que la condition préalable prévue à l’article 41 de la Loi n’était pas remplie. Puisque le demandeur n’avait pas épuisé les recours prévus par le processus administratif et n’avait pas démontré que sa situation correspondait aux circonstances inhabituelles ou exceptionnelles établies dans la jurisprudence, la protonotaire a jugé la demande prématurée.

VI. Les questions en litige et la norme de contrôle

[17] Les trois affirmations suivantes de M. Canjura soulèvent les questions en litige en l’espèce :

  1. La protonotaire a commis une erreur en concluant que les recours administratifs n’avaient pas été épuisés;

  2. La protonotaire a mal apprécié les faits et la preuve ou n’en a pas tenu compte;

  3. Les dépens ne devaient pas être adjugés à son encontre.

[18] Les ordonnances des protonotaires doivent être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante lorsque des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit sont soulevées. Quant aux questions de droit isolables, elles sont assujetties à la norme de la décision correcte (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux para 27, 66). L’erreur manifeste et dominante appelle un degré élevé de retenue (Cobalt Pharmaceuticals Company c Bayer Inc, 2015 CAF 116 au para 53).

VII. Analyse

[19] M. Canjura soutient que la protonotaire a commis une erreur en ne reconnaissant pas que le retard et le silence du CPVP concernant le traitement de sa plainte ainsi que le non-respect des délais prévus par la Loi de la part de la GRC démontraient qu’il avait épuisé les voies de recours appropriées prévues par le processus administratif. Je ne partage pas cet avis.

[20] La protonotaire a correctement établi la jurisprudence applicable. Dans l’application de celle-ci, elle a conclu que les processus prévus par la loi n’avaient pas été épuisés et qu’il n’avait pas été démontré que les circonstances étaient exceptionnelles. Ces conclusions ne sont pas incompatibles avec la preuve et ne témoignent pas que la protonotaire a mal apprécié la preuve pertinente quant à la question qu’elle devrait trancher, soit celle de savoir si la demande était prématurée.

[21] M. Canjura affirme aussi que les retards dans le processus administratif soulèvent des questions d’équité que la protonotaire n’a pas abordées. Encore là, je ne partage pas cet avis. La protonotaire connaissait bien l’enchaînement des faits ayant trait à la demande de renseignements présentée par M. Canjura et l’argument selon lequel les vices de procédure ne doivent pas entraver l’accès aux tribunaux. Ces arguments ont été traités à la lumière de la question de savoir s’il avait été démontré que les circonstances étaient exceptionnelles. La conclusion selon laquelle il n’a pas été démontré que les circonstances étaient exceptionnelles ne témoigne pas d’erreurs manifestes ou dominantes de faits, d’erreurs mixtes de fait et de droit ni d’erreurs de droit.

[22] Les arguments de M. Canjura se résument à un désaccord avec les conclusions de la protonotaire. Et un désaccord ne justifie pas une intervention en appel.

[23] De même, je conclus qu’il n’y a aucun fondement à l’argument selon lequel la protonotaire a commis une erreur lorsqu’elle a adjugé les dépens au défendeur.

[24] Le paragraphe 400(1) des Règles prévoit que la Cour « a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens [et] de les répartir ». L’adjudication des dépens constitue « un exemple typique d’une décision discrétionnaire » (Alani c Canada (Premier ministre), 2017 CAF 120 au para 11, citant Nolan c Kerry (Canada) Inc, 2009 CSC 39 au para 126). Encore là, le désaccord de M. Canjura avec l’adjudication des dépens ne justifie pas une intervention en appel.

VIII. Conclusion

[25] La requête de M. Canjura est rejetée.

[26] Le défendeur demande la somme de 500 $ au titre des dépens. Il affirme que cette somme est raisonnable, qu’elle est tout à fait dans la fourchette de la colonne III du tarif B des Règles et que l’adjudication des dépens est justifiée parce que la requête n’était pas nécessaire.

[27] M. Canjura n’aborde pas directement la question d’une adjudication des dépens à son encontre dans la présente requête. Cependant, il s’est appuyé sur sa situation financière et sur le fait qu’il n’est pas représenté par un avocat pour soutenir que l’adjudication des dépens constituerait une erreur. Rien de cela ne met une partie à un litige à l’abri des dépens (Martinez v Canada, 2020 FCA 150 aux para 11-15).

[28] Le défendeur, à titre de partie ayant obtenu gain de cause, a droit aux dépens, que je fixe à 500 $, débours et taxes inclus.


ORDONNANCE dans le dossier T-1023-21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête est rejetée;

  2. Le défendeur a droit aux dépens, que je fixe à 500 $, débours et taxes inclus.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Dossier :

T-1023-21

INTITULÉ :

ORLANDO CANJURA c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER OCTOBRE 2021

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Orlando Canjura

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Keelan Sinnott

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.