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Date : 20041203

Dossier : T-1375-02

Référence : 2004 CF 1696

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

ENTRE :

WENDY KUSUGAK, LA SUCCESSION DE SANDY SATEANA représentée par son administratrice WENDY KUSUGAK, et CARMEN J. KUSUGAK, DEAN KUSUGAK et NEIL SATEANA, représentés ad litem par WENDY KUSUGAK,

SARAH KADJUK, LA SUCCESSION DE DAVID KADJUK représentée par son administratrice SARAH KADJUK, et LEO KADJUK, ANYTHYME KADJUK, LORANDA KADJUK et SEAN KADJUK, représentés ad litem par SARAH KADJUK,

JENNY USSAK, alias TABITHA USSAK, TABITHA KIDLAPIK, LA SUCCESSION DE LARRY USSAK représentée par son administratrice JENNY USSAK et SAPORAH


KAVVIAYOK USSAK, TOMMY SIMO KUSUGAK KOLIT LARRY JR. USSAK, BAPTISTE QINURAAT USSAK et LEO WILLIAM USSAK, représentés at litem par JENNY USSAK, UNA NATALIE TAGALIK USSAK, KEELY ELISE QUANGATALUGITOK USSAK et SHAUNA USSAK

                                                                                                                                       demandeurs,

                                                                             et

NORTHERN TRANSPORTATION COMPANY LIMITED, COMPANY A, AVATAQ ENTERPRISES LTD., LA SUCCESSION DE FEU LOUIS PILAKAPSI, COMMISSAIRE DU NUNAVUT, LE GOUVERNEMENT DU NUNAVUT, LE MINISTRE chargé de l'application de la LOI SUR LES MESURES CIVILES D'URGENCE, JOHN DOE NUMBER ONE, JOHN DOE NUMBER TWO, JOHN DOE NUMBER THREE, HUDSON BAY PORT COMPANY exploitée sous la raison sociale OMNITRAX PORT AUTHORITY, COMPANY B, MINISTÈRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, TRANSPORTS CANADA, SÉCURITÉ MARITIME et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une action en responsabilité découlant du naufrage d'un navire, l'Avataq, le 25 août 2000 entre Churchill, au Manitoba et Arviat, au Nunavut. À l'époque, le navire transportait un chargement de propane et de matériaux de construction. L'équipage était composé de Louis Pilakapsi, le capitaine, et de Sandy Sateana, David Kadjuk et Larry Ussak. Tous ont péri au cours du naufrage.


INTRODUCTION

[2]                Mme Wendy Kusugak, la veuve du défunt Sandy Sateana et mère de leurs enfants, est l'administratrice successorale de son époux défunt. Elle intente la présente action pour le compte de la succession, pour celui de son enfant mineur et en son propre nom.

[3]                Mme Sarah Kadjuk, la veuve du défunt David Kadjuk et mère de leurs enfants, est l'administratrice successorale de son époux défunt. Elle intente la présente action pour le compte de la succession, pour celui de son enfant mineur et en son propre nom.

[4]                Mme Jenny Ussak, la veuve du défunt Larry Ussak et mère de leurs enfants, est l'administratrice successorale de son époux défunt. Elle intente la présente action pour le compte de la succession, pour celui de son enfant mineur et en son propre nom. Una Natalie Tagalik Ussak, Keely Elise Quangatalugitok Ussak et Shauna Ussak, enfants de Mme Jenny Ussak et du défunt Larry Ussak, intentent la présente action pour leur propre compte.

[5]                Les demandeurs intente la présente action en invoquant la Loi sur les accidents mortels du Manitoba, C.P.L.M. ch. F50, la Loi sur les accidents mortels du Nunavut, L.R.T.N.-O. 1988, ch. F-3, la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. 1985, ch. S-9, la Loi sur la responsabilité en matière maritime du Canada, L.C. 2001, ch. 6, la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14 et les conventions internationales applicables.


[6]                Le 18 novembre 2003, le Commissaire du Nunavut, le gouvernement du Nunavut et le ministre responsable de la Loi sur les mesures civiles d'urgence, L.R.T.N.-O. 1988, ch. C-9, désignés ensemble par l'expression les « défendeurs du Nunavut » , ont déposé un avis de requête dans lequel ils contestent la compétence de la Cour sur la cause d'action invoquée contre eux. Les défendeurs du Nunavut sollicitent la réparation suivante :

[traduction]

a)              une ordonnance radiant les parties de la déclaration visant le gouvernement du Nunavut;

b)              subsidiairement, une ordonnance suspendant l'action intentée contre le gouvernement du Nunavut;

c)              subsidiairement, une ordonnance enjoignant aux demandeurs de fournir des détails sur les allégations contenues à l'alinéa 30q) de la déclaration;

d)              une ordonnance prorogeant le délai prévu pour le dépôt d'une défense pour le compte du gouvernement du Nunavut;

e)              les dépens de la requête; et

f)              toute autre réparation que l'avocat peut solliciter et la Cour autoriser.

[7]                Le 28 janvier 2004, les demandeurs ont signifié et déposé un avis de requête dans laquelle ils demandaient l'autorisation de modifier la déclaration dans le but de fournir des précisions concernant les défendeurs du Nunavut. Voici les amendements proposés :

[traduction]

13.            Le défendeur, le Commissaire du Nunavut, est, en vertu de la Loi sur le Nunavut, L.C. 1993, ch. 28 et ses modifications, l'administrateur général du territoire et responsable de l'administration de toutes les matières qui relèvent des compétences législatives du gouvernement du Nunavut, telles que définies dans la Loi sur le Nunavut.

14.            Le défendeur, le gouvernement du Nunavut, est l'organe chargé de gouverner le territoire du Nunavut conformément à la Loi sur le Nunavut.


15.            Le défendeur, le ministre responsable de la Loi sur les mesures civiles d'urgence, est au sein du conseil exécutif du Nunavut, le ministre qui était chargé d'administrer la Loi sur les mesures civiles d'urgence, L.R.T.N.-O., ch. C-9, incorporée aux lois du Nunavut par la Loi sur le Nunavut.

16.            Tous les défendeurs décrits aux paragraphes 13 à 15 des présentes sont ci-après désignés par l'expression « Nunavut » .

16.1          Nunavut Emergency Services (NES) a été mis sur pied par le Nunavut pour, notamment, prendre en charge les situations d'urgence, y compris les situations d'urgence dans le domaine maritime qui peuvent survenir dans la baie d'Hudson.

16.2          Au moment des faits, NES était exploité par le Nunavut;

16.3          Au moment des faits, John Doe Number One, John Doe Number Two, and John Doe Number Three, conformément aux descriptions supplémentaires du paragraphe 17 des présentes, étaient des employés du Nunavut et travaillaient pour NES;

...

25.            Avant le naufrage, les membres de l'équipage et(ou) Pilakapsi ont communiqué avec l'Arviat Emergency Measures Organization pour les informer de la situation, organisation qui a ensuite communiqué avec le Nunavut, par l'intermédiaire de NES et de John Doe. Nunavut et John Doe n'ont pas informé, ou pas informé rapidement, les autorités compétentes, notamment le Centre de coordination des opérations de sauvetage approprié et(ou) la Garde côtière canadienne de la situation de façon à permettre le déclenchement d'une opération de sauvetage.

...

29.1          Ayant été créé pour, notamment, intervenir dans les situations d'urgence maritimes, notamment celles qui pourraient survenir dans la baie d'Hudson, NES était chargé, notamment, d'assurer une communication rapide avec le Centre de coordination des opérations de sauvetage approprié et(ou) la Garde côtière canadienne en cas de situation d'urgence maritime survenant dans la baie d'Hudson.

...

À l'égard du Nunavut et de John Doe :

q)              une fois qu'ils ont été informés par Arviat Emergency Measures Organization, par l'intermédiaire de NES, de l'accident, ils n'ont pas pris des mesures pour aviser les autorités compétentes, notamment le Centre de coordination des opérations de sauvetage et(ou) la Garde côtière canadienne, dans un délai raisonnable, de l'accident de façon à déclencher une opération de sauvetage.


r)              en n'ayant pas adopté des procédures claires et appropriées pour veiller à ce que le Centre de coordination des opérations de sauvetage approprié et(ou) la Garde côtière canadienne soit rapidement informé des situations susceptibles de faire appel aux ressources nécessaires à des opérations de sauvetage en cas, notamment, de situation d'urgence maritime dans la baie d'Hudson.

s)              après avoir été informés par Arviat Emergency Measures Organization, par l'intermédiaire de NES, de l'accident, en omettant de déclencher une opération de sauvetage appropriée,

t)              en omettant de corriger les lacunes qui exitent dans le territoire qui s'appelle maintenant le Nunavut, pour ce qui est de la communication des avis de situations d'urgence maritime au Centre de coordination des opérations de sauvetage approprié et(ou) à la Garde côtière canadienne désigné dans le rapport n ° M94H0002 du Bureau de la sécurité des transports du Canada, concernant un accident maritime au cours duquel un navire fait naufrage dans les eaux situées au large du territoire de ce qui est maintenant le Nunavut et ayant entraîné les pertes de vie;

u)              en omettant de mettre en oeuvre un accord concernant la région où est situé le territoire appelé maintenant le Nunavut ayant pour effet d'assurer que soient avisés immédiatement des accidents maritimes le Centre de coordination des opérations de sauvetage de Trenton et le Centre de coordination des opérations de sauvetage d'Halifax.

[8]                Les deux requêtes ont été entendues à Winnipeg le 16 février 2004. La requête en radiation présentée par les défendeurs du Nunavut a été entendue comme si la requête en modification avait été accordée mais avec l'accord des avocats, la décision relative à la requête en modification des demandeurs a été mise en délibéré en attendant que soit tranchée la question de compétence.

[9]                À la suite de l'audience du 16 février 2004, la Cour a délivré une ordonnance demandant aux parties de débattre de la question de la compétence de la Cour à l'égard des défendeurs du Nunavut, en qualité de parties, et l'instruction de la requête des défendeurs du Nunavut a été reportée au 6 avril 2004, date à laquelle elle a été entendue par conférence téléphonique.


LES THÈSES DES PARTIES

[10]            Les défendeurs du Nunavut soutiennent que la Cour n'a pas compétence pour connaître des demandes présentées contre eux. Premièrement, ils soutiennent que les demandes ne découlent pas du « droit maritime canadien » tel que ces mots sont utilisés à l'article 22 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et ses modifications (la Loi). Ils affirment plutôt que les demandes des demandeurs découlent des règles de common law en matière de responsabilité civile et devraient être entendues par la Cour de justice du Nunavut ou la Cour du banc de la Reine du Manitoba, juridictions devant lesquelles des actions ont déjà été instituées.

[11]            Deuxièmement, les défendeurs du Nunavut soutiennent que la Cour n'a pas compétence à leur endroit, en qualité de parties, parce que, s'ils n'ont pas le statut de subdivision de la Couronne fédérale ou de la Couronne provinciale, ils constituent néanmoins des autorités publiques qui ne peuvent être poursuivies devant les tribunaux. La compétence de la Cour en matière d'action est limitée à la Couronne du chef du Canada ou aux actions opposant « des administrés » .


[12]            Les demandeurs soutiennent que leur demande découle du droit maritime canadien étant donné qu'elle est fondée sur l'exploitation d'un navire. Les demandeurs invoquent sur ce point l'arrêt ITO-International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics et al., [1986] 1 R.C.S. 752, pour affirmer qu'ils ont démontré l'existence des trois facteurs qui établissent la compétence de la Cour.

[13]            Plus précisément, les demandeurs soutiennent que l'article 22 de la Loi prévoit une attribution de compétence, que le droit maritime canadien est un ensemble de règles de droit fédérales qui est essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence, et que le droit maritime, ainsi que les autres lois relatives à la marine marchande et à la navigation, sont visés par le paragraphe 91(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., ch. 3, réimprimé dans L.R.C. 1985, app. II, no 5 (la Loi constitutionnelle).

[14]            Les demandeurs soutiennent que leur demande d'indemnisation « pour décès... survenu dans le cadre de l'exploitation d'un navire » est manifestement visée par l'alinéa 22(2)g) de la Loi. Ils soutiennent en outre que, comme dans l'arrêt ITO, précité, il y a un « rapport étroit existant en pratique » entre leur demande fondée sur l'alinéa 22(2)g) et la faute qu'auraient commise les défendeurs du Nunavut en réagissant à une situation maritime d'urgence dans la baie d'Hudson.


[15]            Les demandeurs soutiennent également que les tribunaux ont reconnu qu'ils avaient le pouvoir de trancher les demandes en responsabilité délictuelle dans lesquelles le délit a été commis sur terre pourvu que ces demandes soient « étroitement liées » au domaine maritime, invoquant sur ce point Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273 et Dreifields v. Burton (1998), 156 D.L.R. (4th) 662.

[16]            Les demandeurs soutiennent en outre que le Nunavut Emergency Service a été créé pour répondre aux situations d'urgence maritime. Ils soutiennent qu'une faute a été commise dans la conduite des opérations de sauvetage. Ils affirment que l'effet combiné de ces facteurs permet de conclure à la compétence de la Cour fédérale. En outre, ils affirment que la Cour fédérale est une instance plus commode que la Cour de justice du Nunavut ou la Cour du banc de la Reine du Manitoba et qu'au moins un des défendeurs, la Hudson Bay Port Company, conteste la compétence de ces juridictions à l'égard de cette affaire, en qualité de partie.

[17]            Quant au statut des défendeurs du Nunavut, les demandeurs soutiennent que le principe de l'immunité de la Couronne ne s'applique pas au territoire du Nunavut, étant donné que le territoire ne fait pas partie de la Couronne fédérale et ne relève pas de la Couronne du chef d'une province. Ils invoquent sur ce point l'arrêt Liquidators of the Maritime Bank v. Receiver General of New Brunswick, [1892] A.C. 437 (C.P.).


ANALYSE

i)           La requête des défendeurs

[18]            Les défendeurs du Nunavut présentent leur requête conformément à la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 (les Règles). La règle 221 énonce ce qui suit :


221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

(2) Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête invoquant le motif visé à l'alinéa (1)a).

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).


[19]            En l'espèce, les défendeurs du Nunavut soutiennent que la Cour ne possède ni la compétence matérielle, ni la compétence personnelle pour connaître de la présente affaire.

[20]            Cette action est fondée sur le naufrage d'un navire qui a entraîné des pertes de vie. Les demandeurs fondent leur demande contre les défendeurs du Nunavut sur les alinéas 22(2)d) et 22(2)g) de la Loi qui énoncent ce qui suit :



22(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), elle a compétence dans les cas suivants :

...

22(2) Without limiting the generality of subsection (1), for greater certainty, the Federal Court has jurisdiction with respect to all of the following:

...d) une demande d'indemnisation pour décès, dommages corporels ou matériels causés par un navire, notamment par collision;

...

(d) any claim for damage or for loss of life or personal injury caused by a ship either in collision or otherwise;

...

g) une demande d'indemnisation pour décès ou lésions corporelles survenus dans le cadre de l'exploitation d'un navire, notamment par suite d'un vice de construction dans celui-ci ou son équipement ou par la faute ou la négligence des propriétaires ou des affréteurs du navire ou des personnes qui en disposent, ou de son capitaine ou de son équipage, ou de quiconque engageant la responsabilité d'une de ces personnes par une faute ou négligence commise dans la manoeuvre du navire, le transport et le transbordement de personnes ou de marchandises;

(g) any claim for loss of life or personal injury occurring in connexion with the operation of a ship including, without restricting the generality of the foregoing, any claim for loss of life or personal injury sustained in consequence of any defect in a ship or in her apparel or equipment, or of the wrongful act, neglect or default of the owners, charterers or persons in possession or control of a ship or of the master or crew thereof or of any other person for whose wrongful acts, neglects or defaults the owners, charterers or persons in possession or control of the ship are responsible, being an act, neglect or default in the management of the ship, in the loading, carriage or discharge of goods on, in or from the ship or in the embarkation, carriage or disembarkation of persons on, in or from the ship;


[21]            Dans l'arrêt ITO, précité, la Cour suprême a précisé les trois conditions qui permettent d'établir la compétence de la Cour fédérale sur un sujet donné. À la page 766, la Cour a déclaré ce qui suit :

La question de la compétence de la Cour fédérale se pose en l'espèce dans le contexte de la demande adressée par Miida contre ITO, une demande portant sur la négligence dont aurait fait preuve un manutentionnaire acconier dans l'entreposage après déchargement de la marchandise du destinataire. L'étendue générale de la compétence de la Cour fédérale a été examinée à maintes reprises par les tribunaux ces dernières années. Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, et dans l'arrêt McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, on a établi les conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale. Ces conditions sont les suivantes :

1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.

3. La loi invoquée dans l'affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[22]            L'article 22 de la Loi sur les Cours fédérales, précité, répond à la première partie de ce critère. Cependant, comme la Cour l'a noté dans ITO, précité, l'article 22 est uniquement la source de la compétence, et il « ne crée pas de règle de droit applicable » .

[23]            La question qu'il convient de trancher ensuite est celle de savoir si l'ensemble de règles de droit qui constitue « le droit maritime canadien » est essentiel au règlement des demandes présentées par les demandeurs contre les défendeurs du Nunavut.

[24]            Si j'ai bien compris leur argument, les demandeurs soutiennent qu'étant donné que le droit maritime canadien régit les demandes découlant d'un décès causé par un navire ou relié à l'exploitation d'un navire, alors le fait que leurs maris et pères, respectivement, sont décédés alors qu'ils se trouvaient à bord du navire « Avataq » permet de conclure que le droit maritime canadien s'applique à la demande qu'ils ont présentée contre les défendeurs du Nunavut, dans laquelle ils allèguent que ces derniers ont commis une faute. À mon avis, cet argument ne peut être retenu.

[25]            Dans Radil Bros. Fishing Co. c. Canada (Ministère des Pêches et des Océans, [2002] 2 C.F. 219 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a écarté un argument semblable à celui qu'avance ici les demandeurs. Voici ce que la Cour a déclaré à la page 239 :


L'appelante saute ensuite à la conclusion, au paragraphe 17, que [traduction] « la compétence attribuée par le paragraphe 22(1) est très large » et [traduction] « englobe toute revendication relevant du droit maritime canadien ou d'une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, et embrasse les principes de common law du quasi-délit, c'est-à-dire la faute, la fraude et l'obligation fiduciaire » . Je m'arrête ici pour faire observer que ces principes de common law du quasi-délit ne sont compris dans le paragraphe 22(1) que dans la mesure où les matières dans lesquelles ils entrent en jeu sont entièrement liées au droit maritime.

[26]            La demande des demandeurs présentée contre les défendeurs du Nunavut est essentiellement fondée sur la faute. Dans ITO, précité, la Cour suprême du Canada a reconnu que le droit maritime canadien avait adopté et appliqué les principes de common law de la responsabilité délictuelle, lorsque cela est nécessaire, pour trancher les demandes présentées en amirauté. Voici ce qu'elle a déclaré à la page 776 :

Ayant conclu que la demande formée par Miida contre ITO relève du droit maritime canadien, la question du contenu de ce droit sur le plan du fond se pose ensuite. Le droit maritime canadien, en tant qu'ensemble de règles de fond, englobe les principes du droit maritime anglais élaborés et appliqués par la Cour d'amirauté d'Angleterre (La Reine c. Canadian Vickers Ltd., précité, et la jurisprudence qui y est citée, pp. 683 et 684). En 1934, lorsque, comme je l'ai déjà noté, un ensemble de règles de droit maritime d'Angleterre a été incorporé dans le droit canadien, la Haute Cour de justice, en sa juridiction d'amirauté, pouvait connaître des affaires contractuelles et délictuelles considérées comme des affaires en matière d'amirauté. En examinant ces affaires, la cour a appliqué les principes de common law en matière délictuelle et contractuelle nécessaires à la résolution des points litigieux. Les règles de common law en matière de négligence, par exemple, étaient appliquées dans les affaires d'abordage ( « Cuba » (The) v. McMillan (1896), 26 R.C.S. 651, aux pp. 661 et 662) et E. Mayers, Admiralty Law and Practice in Canada (1916), à la p. 146.) Les principes en matière de dépôt ont été appliqués dans les affaires de perte de cargaison ( « Winkfield » (The), [1902] P. 42 (C.A.)). Ainsi, l'ensemble de règles de droit maritime qui a été emprunté à l'Angleterre pour h constituer le droit maritime canadien englobait à la fois les règles et principes spéciaux en matière d'amirauté et les règles et principes puisés dans la common law et appliqués aux affaires d'amirauté selon que ces règles et principes ont été, et continuent d'être, modifiés et élargis dans la jurisprudence canadienne...

[27]            De la même façon, dans l'arrêt Dreifelds v. Burton (1998), 38 O.R. (3d) 393 (C.A.), la Cour d'appel de l'Ontario a signalé que toutes les activités exercées sur l'eau ne donnent pas nécessairement naissance à des demandes fondées sur le droit maritime canadien, dans le paragraphe suivant à la page 400 :


[traduction] À mon avis, la jurisprudence à laquelle j'ai fait référence amène à la conclusion que le droit maritime canadien ne s'applique pas à toutes les activités délictuelles exercées sur les voies d'eau canadiennes. Ce n'est que lorsque l'activité à l'origine de la demande a un lien suffisamment étroit avec la navigation ou avec le commerce maritime que l'affaire répond au critère exposé par le juge McIntyre dans ITO, que j'ai cité ci-dessus; ce n'est que dans ce cas qu'elle pourrait être tranchée conformément au droit maritime canadien.

[28]            Dans cette affaire, la Cour a conclu que la demande était fondée sur l'existence d'une faute dans la préparation et la conduite d'une plongée, et non pas sur la commission d'une faute dans l'exploitation d'un bateau de louage. Elle en a conclu que la demande concernait la propriété des droits civils au sens du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle et non pas une question de droit maritime.

[29]            J'estime que cette approche s'applique également en l'espèce, même s'il ne me paraît pas nécessaire d'invoquer le paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle. Il suffit de se référer aux principes de common law en matière de faute sur lesquels est fondée la demande des demandeurs.

[30]            Les demandeurs soutiennent que les défendeurs du Nunavut ont commis une faute dans la façon dont ils ont répondu à une situation d'urgence dans les eaux de la baie d'Hudson et en fournissant des services d'urgence conformément à la Loi sur les mesures civiles d'urgence, précitée, une loi des Territoires du Nord-Ouest qui s'applique au Nunavut conformément au paragraphe 29(1) de la Loi sur le Nunavut, L.C. 1993, ch. 28. Le paragraphe 29(1) énonce ce qui suit :



29. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les ordonnances des Territoires du Nord-Ouest et leurs textes d'application pris et non abrogés à la date d'entrée en vigueur de l'article 3 sont reproduits pour le Nunavut, avec les adaptations nécessaires à cet égard, dans la mesure où ils peuvent s'y appliquer. Les textes en résultant sont réputés être, selon le cas, des lois de la législature ou des textes d'application de celles-ci.

29. (1) Subject to this Act, on the day that section 3 comes into force, the ordinances of the Northwest Territories and the laws made under them that have been made, and not repealed, before that day are duplicated to the extent that they can apply in relation to Nunavut, with any modifications that the circumstances require. The duplicates are deemed to be laws of the Legislature and the laws made under them.


[31]            La Loi sur les mesures civiles d'urgence, précitée, définit « situation d'urgence » de la façon suivante à son article 1 :


« situation d'urgence » Situation présente ou imminente qui compromet ou pourrait compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être des personnes, ou qui endommage ou pourrait endommager les biens. (emergency)

"emergency" means a present or imminent event that is affecting or could affect the health, safety or welfare of people or is damaging or could damage property; (situation d'urgence)


[32]            Les pouvoirs du ministre chargé d'administrer cette Loi sont énumérés de la façon suivante à l'article 5 :


5.              Le ministre peut :

a)             examiner et approuver les plans et programmes d'urgence territoriaux et des collectivités ou en exiger la modification;

5.              The Minister may

(a)            review and approve or require the modification of territorial and community emergency plans and programs;

b)             conclure des accords avec le gouvernement du Canada, le gouvernement d'une province ou du territoire du Yukon, ou avec un organisme de ces gouvernements chargé des plans et programmes d'urgence;

(b)            enter into agreements with the Government of Canada, or the government of a province or the Yukon Territory or an agency of those governments that deals with emergency plans and programs;

c)              effectuer des enquêtes et des études sur les ressources et les installations à maintenir, et fournir les renseignements nécessaires à la préparation efficace des plans et programmes d'urgence;

(c)            make surveys and studies of resources and facilities to maintain and provide the information necessary for effective preparation of emergency plans and programs;

d)             effectuer des enquêtes et des études pour identifier et noter les dangers réels ou potentiels qui peuvent entraîner une situation d'urgence;

(d)            make surveys and studies to identify and record actual or potential hazards that might cause an emergency;


e)              effectuer, sous réserve des conditions qu'il fixe, des paiements aux autorités locales pour le fonctionnement des organismes des mesures d'urgence pour les collectivités;

(e)            make payments, subject to terms and conditions fixed by the Minister, to local authorities for the purpose of operating community emergency measures agencies;

f)               conclure des accords avec des organisations et les payer pour la fourniture de services dans l'élaboration ou la mise en oeuvre de plans ou de programmes d'urgence;

(f)             enter into agreements with and make payments to organizations for the provision of services in the development or implementation of emergency plans or programs;

g)             réaliser des programmes d'information publique sur la prévention et sur la limitation des dommages en cas de sinistre;

(g)            conduct public information programs relating to the prevention and mitigation of damage in disasters;

h)             déléguer par écrit au responsable des mesures d'urgence tout pouvoir conféré ou toute fonction imposée au ministre par la présente loi;

(h)            in writing, delegate to the Emergency Measures Officer any power conferred or duty imposed on the Minister by this Act; and

i)              établir les modalités de mise en oeuvre rapide et efficace des plans et programmes d'urgence.

(i)             establish procedures for the prompt and efficient implementation of plans and programs to meet emergencies.


[33]            Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, la Loi sur les mesures civiles d'urgence, précitée, ne contient aucune disposition qui concerne directement la prestation de services en cas d'urgence destinés à répondre à un accident survenu sur l'eau. Cependant, même en tenant pour acquis que le ministre défendeur a le pouvoir de prendre des mesures pour répondre à une telle situation d'urgence, ce pouvoir n'a pas pour effet de transformer un accident survenu dans les eaux de la baie d'Hudson en une question de droit maritime aux fins d'établir la compétence de la Cour fédérale.

[34]            En fait, le volet « aquatique » du Nunavut Emergency Service ne constitue qu'un aspect de ce service. À mon avis, il serait incongru de conclure qu'un service d'urgence territorial peut donner naissance à une demande fondée sur le droit maritime si celle-ci est fondée sur un événement survenu sur l'eau mais pas lorsque l'événement est survenu sur terre.

[35]            La jurisprudence prédominante exige la présence d'un lien étroit entre les allégations figurant dans la déclaration et le droit maritime canadien. Je cite à nouveau l'arrêt Radil, précité, dans lequel la Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit à la page 242 :

Aucun de ces précédents ne vient en aide à l'appelante. Bien au contraire, ils tendent à montrer que la Cour n'affirmera pas sa compétence en matière maritime sur des revendications résultant d'un contrat de mandat, à moins que le contrat invoqué ne soit véritablement un contrat maritime. Tel n'est pas le cas ici, où le seul facteur qui pourrait être rattaché au droit maritime est le fait que le permis à l'égard duquel a été conclu le contrat de mandat se trouve à avoir été délivré pour une activité devant se dérouler en mer. Il n'y a pas de contrat de transport de marchandises par mer. Il n'y a pas d'assurance maritime. Il n'y a pas de marchandises en jeu. Rien n'est arrivé en mer. La navigabilité des navires n'est pas en cause. Les navires ne sont pas parties à l'action. Il n'y a pas de procédure in rem. Il n'y a pas de courtiers maritimes. Il n'y a pas de lois, de principes ou de pratiques maritimes qui lui soient applicables. Au mieux, et accessoirement, on pourrait dire que la demande se rapporte à la capacité d'un navire d'effectuer certaines activités de pêche en conformité avec des exigences qui n'ont rien à voir avec la navigation et la marine marchande, et tout à voir avec les pêches.

[36]            Ces principes trouvent application en l'espèce. La demande présentée par les demandeurs contre les défendeurs du Nunavut n'a rien à voir avec le domaine de la navigation et de la marine marchande. Ces défendeurs n'ont aucun lien avec le navire « Avataq » . Ils ne participaient pas à l'exploitation de ce navire dans une des capacités mentionnées à l'alinéa 22(2)g) de la Loi. La demande présentée contre eux est uniquement fondée sur les principes de common law en matière de faute, indépendamment des principes du droit maritime canadien, et ne relève donc pas de la compétence de la Cour.


[37]            Je ne peux retenir l'argument des demandeurs selon lequel les activités terrestres des défendeurs du Nunavut, c'est-à-dire la fourniture d'une aide d'urgence, constituent un lien essentiel avec les activités maritimes et le droit maritime canadien. Les défendeurs du Nunavut ont pour rôle principal d'exercer leurs fonctions respectives dans la gouvernance du Nunavut. La participation des défendeurs du Nunavut aux affaires maritimes, à la marine marchande et à la navigation est simplement accessoire. Ce lien accessoire ne permet pas de conclure que la demande des demandeurs découle du droit maritime canadien.

[38]            La mission confiée au ministre défendeur aux termes de la Loi sur les mesures civiles d'urgence, précitée, est très large. Elle l'autorise à mettre sur pied des programmes de réponses à des situations d'urgence. Ce genre de situation est définie de façon très large par la Loi. La Loi ne traite pas directement des situations d'urgence survenues sur l'eau mais pour les fins actuelles, j'admets que le ministre possède le pouvoir, en vertu de cette Loi, de planifier une réponse à une telle situation d'urgence.

[39]            Les demandeurs soutiennent qu'un des objectifs des Nunavut Emergency Services est de répondre aux situations d'urgence, comme l'accident survenu dans la baie d'Hudson le 25 août 2000.

[40]            Il n'existe aucun élément permettant de qualifier le service d'urgence du Nunavut d'organisme exerçant des activités relevant du domaine de la navigation et de la marine marchande, conformément à la Loi constitutionnelle. Subsidiairement, le lien avec « la navigation et les expéditions par eau » , un domaine qui relève de la compétence législative fédérale, est accessoire à l'exercice de la compétence législative territoriale.


[41]            À mon avis, l'aspect maritime de la demande présentée par les demandeurs contre les défendeurs du Nunavut est le fait que l'accident à l'origine de la demande concernait l'exploitation d'un navire. Cela n'est pas suffisant pour conclure que ce fait donne naissance à une demande fondée sur le droit maritime canadien en l'absence d'allégations indiquant que les défendeurs du Nunavut étaient reliés d'une manière ou d'une autre à l'exploitation, au contrôle ou à la possession du navire, ou qu'ils en étaient responsables.

[42]            J'aborde maintenant la question de la compétence personnelle de la Cour à l'égard des défendeurs du Nunavut, en qualité de parties. Les demandeurs semblent soutenir que la Cour est l'instance qui est la mieux placée pour entendre cette action. Cependant, la compétence ne peut découler de considérations de commodité. Il est bien établi que la Cour doit posséder une compétence personnelle à l'égard des parties, et une compétence matérielle à l'égard de la cause d'action alléguée. Sur ce point, je cite l'arrêt Greeley c. Le navire Tami Joan (1996), 113 F.T.R. 66 (1re inst.), action basée sur une hypothèque maritime.

[43]            Dans cette affaire, le demandeur avait intenté une action contre le gouvernement du Nouveau-Brunswick en sa qualité de créancier hypothécaire. La Cour a compétence pour connaître d'une demande relative à une hypothèque maritime conformément à l'alinéa 22(2)c) de la Loi. La Cour a jugé qu'elle n'était pas compétente à l'égard de ce créancier hypothécaire, en qualité de partie, et a déclaré ce qui suit à la page 73 :


Je ne suis par ailleurs pas convaincue que la cour a compétence pour connaître d'une procédure relative à une demande de réparation personnelle contre un ministre ou un représentant d'une province, en vertu de la compétence que lui confère la Loi sur la Cour fédérale en droit maritime. Il s'agit de savoir si la compétence de la cour a l'égard d'un objet en particulier est distincte de sa compétence à l'égard d'une partie en particulier.

[44]            Cette décision est pertinente parce qu'elle souligne que le demandeur doit établir que la juridiction possède une compétence personnelle aussi bien que matérielle sur l'affaire. C'est une condition essentielle, et non pas facultative ou purement formelle, comme l'indique la décision de la Cour d'appel fédérale dans Fédération Franco-Ténoise c. Canada, [2001] 3 C.F. 641 (C.A.F.).

[45]            Dans cette affaire, le tribunal a examiné la question de la compétence de la Cour à l'égard du Commissaire des Territoires du Nord-Ouest, le président de l'Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest et du Commissaire aux langues des Territoires du Nord-Ouest. La Cour d'appel fédérale a décidé que ces parties n'étaient pas visées par la définition de « Couronne » , telle qu'elle figure à l'article 2 de la Loi, et que, par conséquent, l'article 17 de la Loi n'avait pas pur effet d'attribuer à cette juridiction une compétence sur cette affaire.


[46]            Il n'est pas nécessaire de me prononcer sur le statut des défendeurs du Nunavut par rapport à la Couronne, qu'il s'agisse de la Couronne du chef du Canada ou autre. Il n'a pas été allégué que les défendeurs sont régis par la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C.. 1985, ch. C-50. L'allégation est fondée sur le paragraphe 22(1) de la Loi et cet article traite de la compétence à l'égard des actions opposant des administrés, dans les termes suivants :


22. (1) La Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas - opposant notamment des administrés - où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d'une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.

22. (1) The Federal Court has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under or by virtue of Canadian maritime law or any other law of Canada relating to any matter coming within the class of subject of navigation and shipping, except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned


[47]            Le sens du mot « subject » de la version anglaise a été examiné dans l'arrêt Sjouwerman v. Canada Post Corp. and Valance, 37 O.A.C. 294. Dans cette affaire, les appelants cherchaient à écarter l'application du délai de prescription imposé par la Loi sur l'immunité des personnes exerçant des attributions d'ordre public, L.R.O. 1980, ch. 406. La prescription avait été invoquée en défense par les défendeurs à l'égard d'une action relative à un accident automobile.

[48]            Les questions soumises à la Cour d'appel de l'Ontario étaient celles de savoir si l'emploi des mots « between subject and subject » , utilisés dans la version anglaise de l'ancienne Loi sur la responsabilité de la Couronne, L.R.C. 1970, ch. C-38, avait pour effet d'incorporer le délai de prescription de la Loi sur l'immunité des personnes exerçant des attributions d'ordre public, précitée, ou le délai de prescription plus long prévu par le Code de la route, L.R.O. 1980, ch. 198. La Cour a déclaré ce qui suit aux pages 296 et 297 :

[traduction] Les termes « sujet » et « citoyen » sont aujourd'hui synonymes -- le premier est utilisé dans une monarchie et le second dans une république -- comme l'indique la définition de « subject » (sujet) du Black's Law Dictionary :


« Personne qui doit allégeance à un souverain et qui est gouvernée par ses lois. Les natifs de Grande-Bretagne sont des sujets du gouvernement britannique. Les hommes qui vivent dans des pays libres sont sujets ainsi que citoyens; en tant que citoyens, ils bénéficient de droits, notamment du droit de vote; en tant que sujets, ils sont tenus d'obéir aux lois. Le terme est rarement utilisé, dans ce sens, dans les pays dont le régime politique est une république. »

À la lumière de ces définitions, il est évident que le législateur, en faisant référence à une action « entre administrés » visait une action entre « des personnes » ou « des particuliers » . La version française de l'alinéa 11a) et du paragraphe 19(1), qui utilise une expression analogue « entre particuliers » , c'est-à-dire « between individuals » (dans la version anglaise) montre bien que telle était son intention.

Les quatre très brèves décisions judiciaires qui portent sur la définition de « sujet » confortent toutes la conclusion selon laquelle ce terme ne comprend pas les mandataires ni les serviteurs de la Couronne : Jefferys v. Boosey (1854), 4 H.L.C. 815; Life Publishing Company v. Rose Publishing Company (1906), 12 O.L.R. 386 (C. div.); R. v. Felton (1915), 28 D.L.R. 372 (C.A. Alta.); Arnerich v. R., [1942] N.Z.L.R. (C.A.). Il y a également lieu de citer, en l'approuvant, la décision du juge Mandell dans une décision non publiée du 29 février 1988, Toronto Electric Commission v. Canada Post Corporation and Eldon, dans laquelle il en arrive à la même conclusion que moi au sujet de l'impossibilité de qualifier Postes Canada de « sujet » .

[49]            Je cite également la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'Association olympique canadienne c. Canada (Le Registraire des marques de commerce), [1982] 2 C.F. 274, à la page 277, dans laquelle la Cour présente une analyse utile des éléments qui définissent une « autorité publique » :

C'est généralement, sinon toujours, dans le contexte de loi qui impose des restrictions au droit de poursuivre une autorité publique qu'est née la jurisprudence qui traite de la définition de ce qu'est ou n'est pas une autorité publique. Halsbury résume le concept comme suit [voir note 4 ci-dessous] :

« Une autorité publique peut être décrite comme une personne ou une organisation administrative, à qui l'on confie des fonctions dont elle doit s'acquitter au profit du public et non de manière à en tirer elle-même profit. Ces personnes ou organisations ne sont pas toutes expressément désignées comme autorité ou organisme public, et le concept d'autorité ou d'organisme public peut varier suivant le contexte de la loi » .

Je crois qu'il est juste de dire que la jurisprudence a porté sur le caractère public de l'autorité, plutôt que sur la question de savoir si une personne ou un organisme constituait une autorité. Il en va autrement en instance.


La définition pertinente de « public » dans The Oxford English Dictionary se lit comme suit :

« Qui a rapport à la population dans son ensemble; qui appartient à la communauté ou à la nation, qui l'intéresse ou la concerne; »

et celle de The New Webster Encyclopedic Dictionary apporte les précisions qui suivent :

« Qui n'est pas privé; qui a rapport à l'ensemble de la population; qui intéresse l'État, la nation ou la communauté, qui les concerne ou les touche... qui appartient à la population en général... qui ne concerne pas les intérêts privés, mais le bien de la communauté... »

En ce qui concerne le mot « autorité » , les définitions comprennent respectivement les énoncés qui suivent :

« Ceux qui détiennent l'autorité; l'organisme ou les personnes qui exercent le pouvoir ou qui dirigent. »

et :

« ... une ou plusieurs personnes qui exercent le pouvoir ou qui dirigent... »

La Cour d'appel fédérale a souscrit à cette opinion dans son jugement, rapporté à (1982), 67 C.P.R. (2d) 59 (C.A.F.).

[50]            À mon avis, les défendeurs du Nunavut ne sont pas des « subjects » , au sens de la version anglaise. Tous ces défendeurs jouent un rôle dans la gouvernance et l'administration du Nunavut. Ils exercent des fonctions publiques. Ils représentent des institutions du gouvernement du Nunavut. Ils ont le statut d'autorité publique. Ce ne sont pas des « subjects » (administrés dans la version française) et la Cour n'a pas compétence pour examiner leurs actions.


[51]            Il est fait droit à une requête en radiation lorsque manifestement la demande ne révèle aucune cause raisonnable d'action; voir Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959. Lorsque la requête en radiation est fondée sur une allégation d'absence de compétence, celle-ci doit être « claire et évidente » , d'après Hodgson et al. c. Bande indienne d'Ermineskin (2000), 180 F.T.R. 285; conf. par (2000), 267 N.R. 143; autorisation d'appel refusée (2001), 276 N.R. 193n. (C.S.C.).

[52]            Je suis convaincue que les défendeurs du Nunavut répondent à ce critère. Ils ont établi que la demande formée contre eux ne découlait pas du droit maritime et ne relevait pas de la compétence légale de la Cour. En outre, ils ont établi que la Cour n'a pas compétence pour les juger. L'absence de compétence indique qu'il n'y a pas de cause raisonnable d'action; voir Pacific Western Airlines Limited c. La Reine, [1979] 2 C.F. 477 (1re inst.); conf. par [1980] 1 C.F. 86. Par conséquent, il est fait droit à la requête des défendeurs du Nunavut et l'action intentée contre eux est radiée.

[53]            À titre de réparation subsidiaire, les défendeurs du Nunavut sollicitent la suspension de l'instance introduite devant la Cour. L'article 50 de la Loi attribue à la Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre une instance lorsque l'action a été introduite devant un autre tribunal. D'après les documents joints à la requête, les demandeurs ont déjà introduit une instance devant la Cour du banc de la Reine du Manitoba et devant la Cour de justice du Nunavut. Le paragraphe 50(1) énonce ce qui suit :



50. (1) La Cour d'appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige.

50. (1) The Federal Court of Appeal or the Federal Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter

(a) on the ground that the claim is being proceeded with in another court or jurisdiction; or

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.


[54]            Dans le cadre de mon pouvoir discrétionnaire, je m'abstiens d'ordonner la suspension de la présente instance. Les demandeurs pourront soit poursuivre leur action devant la Cour contre les défendeurs restants, en poursuivant les défendeurs du Nunavut devant une autre juridiction, soit procéder contre tous les défendeurs devant un tribunal compétent.

ANALYSE

ii)          La requête des demandeurs

[55]            Enfin, il convient d'examiner la requête présentée par les demandeurs en vue de modifier la déclaration. Cette requête est régie par la règle 75(1) qui énonce ce qui suit :


75. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

75. (1) Subject to subsection (2) and rule 76, the Court may, on motion, at any time, allow a party to amend a document, on such terms as will protect the rights of all parties.


[56]            La règle ci-dessus accorde à la Cour un large pouvoir discrétionnaire pour ce qui est d'autoriser la modification des actes de procédure. Les décisions récentes de la Cour d'appel fédérale confirment cette approche et je cite sur ce point les arrêts Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Landmark Cinemas of Canada Ltd. (2004), 316 N.R. 387 (C.A.F.) et Iris, Le Groupe Visuel (1990) Inc. c. Trustus International Trading Inc., [2004] A.C.F. no 752.


[57]            Néanmoins, étant donné que j'ai conclu que la Cour n'avait pas le pouvoir de connaître de la cause d'action alléguée contre les défendeurs du Nunavut ni de juger les défendeurs en tant que parties, il serait sans objet d'autoriser les modifications proposées. Dans le cadre de mon pouvoir discrétionnaire, je rejette la requête des demandeurs présentée en vue de modifier la déclaration.

[58]            La question des dépens est mise en délibéré. Si les parties ne s'entendent pas, elles pourront présenter de brèves observations dans les quinze jours de la date de la présente ordonnance.

                                        ORDONNANCE

1.          La requête des défendeurs du Nunavut est accordée et l'action intentée contre eux est radiée.

2.          La requête des demandeurs en vue de modifier la déclaration est rejetée.

3.          La question des dépens est mise en délibéré.

                                                                                   _ E. Heneghan _                  

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       T-1375-02

INTITULÉ :                      WENDY KUSUGAK ET AL. c. NORTHERN      TRANSPORTATION COMPANY LIMITED ET AL.

LIEUX DE L'AUDIENCE :                           WINNIPEG (MANITOBA) et OTTAWA (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE :                          LE 16 FÉVRIER 2004 et LE 6 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :      LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :     LE 3 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Shane Perlmutter                                               POUR LES DEMANDEURS

David Ramsey                                                   POUR LES DÉFENDEURS

Bryan Schwartz                                                 POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thompson, Dorfman, Sweatman                                    POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)

Pitbaldo                                                             POUR LES DÉFENDEURS

Avocat

Winnipeg (Manitoba)


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