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Date : 20211008


Dossier : IMM‑4415‑20

Référence : 2021 CF 1060

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2021

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

SINQOBILE SIBANDA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SPR a statué que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SPR a tiré une conclusion générale quant à l’absence de crédibilité et a statué que la demande d’asile était manifestement infondée conformément à l’article 107.1 de la LIPR.

II. Norme de contrôle

[2] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] — qui a été rendu en même temps que l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada — le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, explique comme suit les attributs que doit présenter une décision raisonnable, et, point pertinent au regard de l’espèce, les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. C. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] raisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[3] Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

[Non souligné dans l’original.]

[4] Au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada affirme « [qu’]il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » et donne la directive selon laquelle la cour de révision doit en arriver à une décision au vu du dossier porté devant elle :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle‑ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : par. 48.

[Non souligné dans l’original.]

[5] En outre, il ressort clairement de l’arrêt Vavilov que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, à moins de « circonstances exceptionnelles » :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‑42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15‑18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

III. Analyse

[6] La seule question en litige dans la présente demande est de savoir si la décision est raisonnable.

[7] La demanderesse soutient que la SPR a commis des erreurs en tirant ses conclusions quant à la crédibilité. La demanderesse se fonde en grande partie sur la décision Bains c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1144 quant aux propositions générales sur les conclusions portant sur les invraisemblances et la crédibilité, et sur la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 pour la position selon laquelle le témoignage d’un demandeur doit bénéficier d’une présomption de véracité.

[8] Cela dit, je suis d’avis que la Cour doit faire preuve d’une grande retenue envers l’appréciation de la crédibilité par la SPR lorsque cette dernière a tenu une audience et qu’elle a eu l’occasion de voir et d’entendre le témoin, sauf si la Cour est convaincue que la SPR a fondé ses conclusions sur des facteurs non pertinents ou qu’elle a fait fi d’éléments de preuve. Selon la Cour d’appel fédérale, on ne saurait permettre que le contrôle judiciaire serve d’occasion pour modifier la décision de la SPR ou apprécier de nouveau la preuve lorsque celle‑ci tire raisonnablement des conclusions fondées sur le dossier. Voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381 [le juge Nadon] au para 3.

[9] La demanderesse avance également que, bien que la SPR ait pris acte des directives intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe – Mise à jour [les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe], elle n’en a pas tenu compte au regard du témoignage de la demanderesse sur ses expériences traumatisantes. La SPR a conclu que la déposition était lacunaire et que certaines facettes de celle‑ci étaient invraisemblables. La demanderesse soutient en outre que la SPR a fait preuve d’un zèle excessif en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité parce qu’elle éprouvait du stress et ne pouvait pas se rappeler d’événements qui remontaient à 2014.

[10] Or, à mon humble avis, la SPR a évoqué sans ambages les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe à plusieurs reprises et les a appliquées tout au long de son examen. De ce fait, je ne suis pas convaincu que la SPR a omis de se conformer aux Directives en l’espèce ni qu’elle a fait preuve d’un zèle excessif.

[11] Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour suprême du Canada a récemment déclaré que les cours de révision n’ont pas à apprécier de nouveau la preuve, à moins de circonstances exceptionnelles : voir l’arrêt Vavilov, au para 125.

[12] En ce qui concerne les principaux faits de l’espèce et points en litige entre les parties, la demanderesse est une citoyenne du Zimbabwe âgée de 30 ans.

[13] Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], la demanderesse a affirmé qu’elle avait joint les rangs du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) en 2009. Elle a également adhéré en mai 2013 à l’Association du Zimbabwe pour les Nations Unies [ZUNA] en tant qu’agente subalterne dans le domaine des droits de la personne.

[14] La demanderesse affirme que, le 12 décembre 2013, elle participait à un atelier organisé par ZUNA lorsque des voitures ont surgi de nulle part, leurs occupants se sont emparés d’elle et de quatre collègues, ont mis des sacs sur leurs têtes et les ont jetés dans une fourgonnette. La demanderesse avance que leurs ravisseurs leur ont dit qu’ils appartenaient à l’Organisation centrale du renseignement. Comme elle était la seule femme, elle a été séparée du groupe et violée plusieurs fois. Après avoir été détenue durant quelques jours, la demanderesse a été libérée dans une forêt où elle a été secourue par une femme qui l’a remise sur pied.

[15] Plus tard, le 28 décembre 2013, un agent de l’Organisation centrale du renseignement l’a abordée, l’a menacée et lui a dit que le gouvernement la surveillait.

[16] En mars 2014, la demanderesse a entrepris des démarches pour se rendre aux États‑Unis afin de participer à une conférence du National Youth Leadership Council (soit le conseil national des jeunes leaders) à Washington D.C. Pendant qu’elle séjournait dans la ville, elle a reçu un appel WhatsApp d’une personne qui lui a dit qu’on savait où elle était. La demanderesse a pris peur et est partie pour le Texas, où vivait son cousin.

[17] En 2014, la demanderesse a présenté une demande d’asile aux États‑Unis qui a été rejetée en novembre 2018. Le 12 décembre 2018, elle a traversé la frontière vers le Canada et a présenté une demande d’asile à partir d’un point d’entrée au Québec. Sa demande d’asile était fondée sur sa crainte à l’égard du gouvernement zimbabwéen à cause de son opinion politique antigouvernementale, de son appui au parti d’opposition et de son travail comme éducatrice dans le domaine des droits de la personne pour les Nations Unies.

IV. Décision contestée

[18] Le 6 juillet 2020, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. La question déterminante concernait la crédibilité. La SPR a tiré à cet égard une conclusion générale de non‑crédibilité, alors qu’elle aurait pu invoquer le paragraphe 107(2) de la LIPR. La SPR a également conclu que « des aspects centraux de la demande d’asile rendent celle‑ci clairement frauduleuse et, par conséquent, manifestement infondée » conformément à l’article 107.1 de la LIPR, dont voici le libellé :

Demande manifestement infondée

Manifestly unfounded

107.1 La Section de la protection des réfugiés fait état dans sa décision du fait que la demande est manifestement infondée si elle estime que celle‑ci est clairement frauduleuse

107.1 If the Refugee Protection Division rejects a claim for refugee protection, it must state in its reasons for the decision that the claim is manifestly unfounded if it is of the opinion that the claim is clearly fraudulent.

A. Le témoignage de la demanderesse au sujet de ses activités politiques était vague et incohérent

[19] La demanderesse a témoigné avoir travaillé pour une organisation non gouvernementale [ONG] des Nations Unies, mais n’a pas été en mesure de décrire ce qu’elle enseignait en tant qu’éducatrice dans le domaine des droits de la personne, hormis pour ce qui relevait des renseignements les plus superficiels. La SPR a reconnu qu’il s’était écoulé du temps depuis l’époque où la demanderesse était active sur la scène politique du Zimbabwe, mais a considéré que les connaissances lacunaires de celle‑ci minaient sa crédibilité. À mon avis, cette conclusion est raisonnable au vu du dossier, puisque la mémoire défaillante de la demanderesse sur son enseignement la plaçait dans l’éventail des conclusions raisonnables. Je remarque en outre que, selon l’arrêt Vavilov, au paragraphe 125, la Cour ne doit pas apprécier de nouveau la preuve.

[20] La demanderesse a témoigné qu’elle avait été libérée dans une forêt après avoir été détenue et agressée par les agents de sécurité, puis qu’une femme l’avait trouvée et avait pris soin d’elle pendant environ une semaine. La demanderesse n’a pas été en mesure de donner ni le nom de sa bienfaitrice ni des renseignements à son sujet. La SPR a reconnu que les victimes de violence fondée sur le sexe peuvent éprouver des difficultés à témoigner au sujet de leurs expériences, mais a conclu que, en l’espèce, le manque de détails de la part de la demanderesse n’était pas lié aux événements ayant donné lieu à ses allégations de violence physique et sexuelle, et a tiré une conclusion défavorable de son vague témoignage. De la même façon, je ne suis pas convaincu que la conclusion est déraisonnable au vu du dossier. De surcroît, selon l’arrêt Vavilov, au paragraphe 125, la Cour ne doit pas apprécier de nouveau la preuve.

[21] La demanderesse a témoigné qu’elle avait communiqué avec ses parents qui ont alors envoyé un ami de la famille pour la récupérer chez sa bienfaitrice et l’emmener chez eux. Le commissaire de la SPR a demandé à la demanderesse avec qui elle résidait et elle a répondu qu’elle demeurait avec ses parents. Or, il est précisé dans son formulaire FDA que ses parents avaient déménagé en Afrique du Sud en mai 2013 [les événements se sont produits en décembre 2013]. Le commissaire de la SPR lui a demandé de confirmer qu’elle était bien retournée vivre avec ses parents, ce qu’elle a fait. Après que la SPR eut porté la contradiction à l’attention de la demanderesse, celle‑ci a modifié son témoignage pour alléguer qu’elle voulait plutôt dire qu’elle demeurait dans la résidence de ses parents avec sa tante. La SPR n’a pas jugé crédible cet aspect de la demande d’asile. La contradiction relevée et le témoignage changeant de la demanderesse ont entaché sa crédibilité. Je ne puis qualifier cette conclusion de déraisonnable.Telle que présentée, l’explication subséquente de la demanderesse pourrait être crédible, mais sa réponse a fluctué, tout comme d’autres réponses.

[22] La demanderesse a témoigné qu’elle n’avait pas fait part de son expérience à sa tante ou à l’ami de la famille qui, de leur côté, n’ont rien demandé à cet égard. La SPR avait à l’esprit que les victimes d’agression sexuelle peuvent être réticentes à parler de leur expérience, mais elle n’a tout de même pas jugé crédible que personne ne se soit enquis de ce qui était arrivé à la demanderesse après qu’elle eut été appréhendée en public par des forces de sécurité, conduite dans un lieu inconnu où elle est restée pendant deux semaines pour en revenir grièvement blessée. Je conviens, comme l’affirme la demanderesse, que ses parents avaient déjà déménagé en Afrique du Sud, ce qui peut expliquer leur manque d’intérêt apparent, mais le point en litige ne portait pas sur son possible silence à leur égard, mais plutôt sur les raisons qui avaient motivé la demanderesse à ne rien dire à sa tante et à l’ami de la famille. Au vu du dossier, cette conclusion défavorable sur la crédibilité n’était pas déraisonnable.

[23] La demanderesse a témoigné qu’elle était retournée au travail après cette série d’événements. Lorsqu’elle a été interrogée sur la réaction de l’ONG face à la situation, elle a répondu que l’organisme avait continué de donner des ateliers sur les droits de la personne et n’avait pas signalé les événements à la police. Pressée de questions à cet égard, la demanderesse a affirmé que l’ONG avait réagi en changeant de bureaux, mais que le personnel avait continué d’organiser des activités dans les mêmes lieux. La SPR n’a pas jugé crédible le témoignage de la demanderesse parce qu’il était vague et imprécis. En particulier, la demanderesse a été interrogée sur le fonctionnement de l’ONG pendant que des membres de son personnel manquaient à l’appel, ce à quoi elle a répondu que l’ONG avait poursuivi ses activités et n’avait pas mis la police au courant de la situation. Alors qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’elle soit restée ignorante des activités de l’ONG vu son absence, la demanderesse a plutôt témoigné à ce propos dans une déposition que la SPR a trouvé vague et imprécise. Par conséquent, je ne peux pas juger que cette conclusion de fait était déraisonnable, surtout compte tenu de l’impératif prévu dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 125.

[24] La demanderesse a affirmé dans sa déposition qu’elle avait été invitée à assister à une conférence aux États‑Unis en mars 2014. Or, elle s’est montrée incapable de préciser le nom de la conférence et elle s’est montrée vague sur sa raison d’être. La SPR a reconnu que la conférence avait eu lieu il y a plusieurs années, mais a considéré que le témoignage vague de la demanderesse minait sa crédibilité et n’appuyait pas son allégation selon laquelle elle militait en faveur des droits de la personne. Là encore, la SPR avait compétence pour tirer cette conclusion.

B. Manque de preuve documentaire crédible

[25] La demanderesse a déposé en preuve une copie de sa demande d’asile présentée aux États‑Unis, laquelle diffère de sa demande d’asile soumise au Canada. La demanderesse a avancé dans son formulaire FDA que ses parents avaient déménagé en Afrique du Sud après que son père eut été agressé et volé pendant un épisode de violence liée aux élections.Or, dans sa déposition, elle a déclaré que ses parents étaient partis parce qu’ils étaient des partisans du MDC et qu’ils craignaient d’être ciblés par le gouvernement. Interrogée quant aux raisons pour lesquelles sa demande d’asile présentée aux États‑Unis ne mentionnait pas l’agression subie par son père ou la crainte de ses parents liée au fait d’être des partisans du MDC, elle a affirmé qu’elle ne savait pas pourquoi elle avait omis ces faits. Compte tenu des préoccupations relatives à la crédibilité au sujet de l’endroit où se trouvaient ses parents en 2013, et de l’omission de l’agression à l’endroit de son père dans son témoignage initial ainsi que dans sa demande d’asile présentée aux États‑Unis, la SPR a conclu que cet incident n’avait pas eu lieu, ce qui a de ce fait miné la crédibilité de la demanderesse. En toute déférence, il s’agissait d’une conclusion défendable tirée par la SPR au vu du dossier porté devant elle.

[26] La demanderesse a prétendu qu’elle était membre du MDC de 2009 à 2014, mais n’a pas présenté d’éléments de preuve corroborants pour confirmer son appartenance au parti politique. Interrogée à cet égard, elle a répondu que son avocat américain avait la carte de membre en sa possession, mais qu’elle n’avait pas été en mesure de la récupérer parce que la carte faisait partie de sa demande d’asile présentée aux États‑Unis et que son avocat avait pris sa retraite. La SPR a tiré une conclusion défavorable de son défaut de produire une preuve documentaire sur son appartenance au MDC parce que la demanderesse était représentée par une conseil d’expérience et qu’elle savait qu’elle devait fournir à la SPR des documents à l’appui, mais s’est abstenue de le faire. Je ne suis pas convaincu que cette conclusion est déraisonnable, car elle relève de l’appréciation des éléments de preuve et des témoignages, ce que les cours de révision doivent s’abstenir de faire selon l’arrêt Vavilov, au paragraphe 125.

[27] Le jour de l’audience, la demanderesse a déposé une copie d’un avis de recherche selon lequel la police du Zimbabwe cherchait à l’arrêter. Elle a également fourni une lettre de l’ONG qui énonce qu’elle faisait partie des employés arrêtés en décembre 2013. Elle a témoigné que sa tante lui avait envoyé des copies de ces documents en 2017 et qu’elle les avait reçues avant de participer à l’entrevue d’août 2017 portant sur sa demande d’asile présentée aux États‑Unis. Par contre, la lettre de l’ONG était datée du 12 juin 2018. La demanderesse n’a pas su expliquer la divergence, bien que selon moi il s’agissait d’une erreur typographique ou de la preuve d’un faux document. La SPR a également constaté que l’en‑tête des deux documents n’était pas aligné avec le corps du texte et qu’il était clairement déplacé vers la gauche. La demanderesse n’a pas été en mesure d’expliquer les incohérences relevées dans l’apparence des documents.

[28] La SPR a conclu que les deux documents étaient frauduleux. À ce titre, la crédibilité générale de la demanderesse était minée, car elle a démontré qu’elle était apte et disposée à utiliser des documents non authentiques. En outre, l’allégation particulière que les documents étaient censés corroborer, à savoir que les autorités zimbabwéennes ont persécuté la demanderesse, était également remise en question.

[29] L’examen et l’appréciation de la preuve documentaire relèvent du champ d’expertise de la SPR [voir les décisions El‑Khatib c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 471 [le juge LeBlanc] au para 6; Matte c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 761 [le juge Russell] au para 67; Kahumba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 551 [la juge Kane] au para 37] et, dans tous les cas, je ne suis pas convaincu que ces conclusions sont déraisonnables.

[30] Dans ces circonstances, la SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible et que son manque de crédibilité s’étendait à tous les éléments de preuve pertinents découlant de son témoignage. La SPR a également conclu que la demande d’asile de la demanderesse était manifestement infondée conformément à l’article 107.1 de la LIPR et a rejeté la demande d’asile. Je ne puis conclure que l’appréciation globale par la SPR des éléments de preuve et des témoignages était déraisonnable. Or, non seulement suis‑je lié par les directives de l’arrêt Vavilov sur le plan de la preuve, mais dans les cas comme celui en l’espèce, il convient d’évoquer la directive qu’a énoncée la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 481 (CAF) au paragraphe 1 :

[1] La Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration (« la Commission ») a choisi de fonder en grande partie sa conclusion en l’espèce à l’égard du manque de crédibilité, non pas sur des contradictions internes, des incohérences et des subterfuges, qui constituent l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, mais plutôt sur l’invraisemblance des critères extrinsèques, tels que le raisonnement, le sens commun et la connaissance d’office, qui nécessitent tous de tirer des conclusions que les juges des faits ne sont pas mieux placés que les autres pour tirer.

V. Conclusion

[31] En toute déférence, la demanderesse n’a pas démontré que la décision est déraisonnable. À mon avis, la décision est transparente, intelligible et justifiée au regard des faits et des contraintes juridiques. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

VI. Question certifiée

[32] Aucune partie n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4415‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4415‑20

 

INTITULÉ :

SINQOBILE SIBANDA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 SEPTEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 8 OCTOBRE 2021

COMPARUTIONS :

Lindsey K. Weppler

POUR LA DEMANDERESSE

Judy Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lindsey K. Weppler

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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