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Date : 20211008


Dossier : T‑250‑20

Référence : 2021 CF 1057

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2021

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

RAPHAËL COHEN

demandeur

et

SERVICES PUBLICS

ET APPROVISIONNEMENT CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Cohen a offert ses services à Services publics et Approvisionnement Canada [le ministère], mais, après une entrevue, aucune offre d’emploi ne lui a été faite. Il a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission], dans laquelle il alléguait qu’il s’agissait de discrimination fondée sur l’âge. La Commission a décidé de ne pas statuer sur la plainte de M. Cohen. Celui‑ci sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

[2] Je rejette la demande de M. Cohen. La décision de la Commission était raisonnable. Il n’y avait tout simplement aucune preuve, au‑delà de simples conjectures, de discrimination fondée sur l’âge. Ainsi, la Commission pouvait raisonnablement rejeter la plainte au titre de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 [la Loi].

I. Le contexte

[3] M. Cohen possède une vaste expérience de l’analyse des TI et de la gestion de projets. Après avoir lu des articles dans les médias faisant état des problèmes relatifs au système de paye Phénix du gouvernement fédéral, il a communiqué avec le bureau de la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement et de l’Accessibilité pour offrir ses services professionnels.

[4] Cette démarche lui a valu d’être invité à une réunion téléphonique avec trois directeurs du ministère pour discuter de son expertise et de son expérience. Cette réunion a eu lieu le 19 novembre 2018. M. Cohen allègue que les directeurs lui ont immédiatement offert un contrat de 90 jours, sous réserve de la vérification de ses références.

[5] Deux semaines plus tard, l’une des personnes qui avaient agi à de titre de référence pour M. Cohen lui a confirmé avoir parlé à l’un des directeurs. Le 18 décembre 2018, après que M. Cohen l’a relancé, un fonctionnaire du ministère l’a simplement invité à soumettre sa candidature par l’entremise du système de demande d’emploi en ligne du gouvernement. Le ministère n’a jamais présenté d’offre d’emploi officielle à M. Cohen, et le contrat verbal allégué ne s’est jamais concrétisé.

[6] M. Cohen a déposé une plainte de discrimination devant la Commission. Il alléguait que la seule raison envisageable pour expliquer le fait qu’un emploi ne lui avait pas été offert était que, lors de la vérification de ses références, les directeurs avaient déduit son âge. À l’époque, M. Cohen avait 71 ans.

[7] Un agent des droits de la personne de la Commission a examiné la plainte de M. Cohen et a rédigé un rapport recommandant à la Commission de ne pas statuer sur cette plainte. L’agent a jugé que les allégations de M. Cohen étaient de simples affirmations qui n’étaient pas étayées par des faits et qui, par conséquent, ne fournissaient pas de fondement raisonnable pour conclure que la conduite du ministère avait été discriminatoire.

[8] Après que M. Cohen a répondu au rapport de l’agent, la Commission a adopté les conclusions de ce dernier dans sa décision datée du 22 janvier 2020.

II. Analyse

[9] Le bien‑fondé de la décision de la Commission est apprécié selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65; Love c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2015 CAF 198 [Love] au paragraphe 20. Cela signifie que la Cour doit se demander si la décision de la Commission était raisonnable, compte tenu de ses motifs et de son traitement de la preuve. À cet égard, l’appréciation doit porter sur les éléments de preuve et les observations dont disposait la Commission; un demandeur ne peut pas déposer d’éléments de preuve supplémentaires dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Love, au paragraphe 17.

[10] L’argument fondamental de M. Cohen est que la Commission a appliqué une norme de preuve inéquitable et impossible à satisfaire pour apprécier sa plainte. Comme il est peu probable que les auteurs de discrimination fournissent une preuve directe de leurs motifs, il faut nécessairement s’en remettre à des inférences. Compte tenu de son dossier d’emploi exceptionnel et de ses excellentes références, M. Cohen en déduit que la discrimination fondée sur l’âge était la seule raison possible pour laquelle un emploi ne lui a pas été offert.

[11] La Commission s’est appuyée sur l’alinéa 41(1)d) de la Loi pour rejeter la plainte de M. Cohen :

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

[…]

[…]

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith;

[12] La Commission a conclu que la plainte de M. Cohen était frivole, parce que la preuve qu’il avait présentée n’avait pas établi de fondement raisonnable pour celle‑ci. Le critère à appliquer pour savoir si une plainte est frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi est le suivant : « compte tenu de la preuve, apparaît‑il manifeste et évident que la plainte est vouée à l’échec? » : Hérold c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 544 au paragraphe 35. Ainsi, une plainte est frivole lorsqu’un demandeur n’allègue pas qu’il y a lien entre la conduite contestée et un motif illicite de discrimination, ou qu’il omet de « présenter des faits importants pour étayer un tel lien » : Love, aux paragraphes 23 à 26. Comme l’a mentionné la Cour d’appel fédérale au paragraphe 7 de l’arrêt Gregg c Association des pilotes d’Air Canada, 2019 CAF 218, « [i]l incombe au plaignant de fournir une preuve crédible pour convaincre la Commission que sa plainte est fondée ».

[13] Compte tenu de ces principes, la conclusion de la Commission selon laquelle les allégations de M. Cohen étaient de simples affirmations non étayées par des faits est raisonnable. L’inférence de M. Cohen selon laquelle son âge est la seule raison pour laquelle le ministère ne lui a pas offert d’emploi n’est qu’une simple conjecture. Même en admettant que les directeurs avaient initialement exprimé leur intérêt à l’égard de M. Cohen, voire qu’ils lui avaient fait une offre verbale, il reste que la vérification de ses références peut avoir révélé qu’il n’avait pas les compétences requises pour le poste envisagé. Il se peut également que le ministère ait modifié ses plans de gestion du système Phénix pendant que le processus d’embauche était en cours et que les services de M. Cohen n’étaient plus nécessaires, ou qu’un budget n’était plus disponible. Tout cela a pu se produire même si M. Cohen estime que son dossier d’emploi est exceptionnel. Bien que la situation soit malheureuse, le fait qu’aucune raison n’a été donnée à M. Cohen ne justifie pas une inférence selon laquelle il y a eu de la discrimination.

[14] Lors de l’audience, M. Cohen a soutenu que le contenu de ses références n’a pas pu justifier la décision du ministère de ne pas l’embaucher, parce que, comme le prévoit l’article 2096 du Code civil du Québec, il est interdit aux employeurs du Québec de fournir des références au‑delà de la confirmation qu’une personne occupait un emploi pour une période donnée. L’article 2096 est ainsi libellé :

2096. Lorsque le contrat prend fin, l’employeur doit fournir au salarié qui le demande un certificat de travail faisant état uniquement de la nature et de la durée de l’emploi et indiquant l’identité des parties.

2096. Upon termination of the contract, the employer shall furnish to the employee, at his request, a certificate of employment, showing only the nature and duration of the employment and indicating the identities of the parties.

[15] L’argument de M. Cohen est fondé sur une interprétation erronée de l’article 2096. Cette disposition oblige les employeurs à fournir un certificat d’emploi. Elle ne leur interdit pas de fournir une référence plus complète si l’employé le souhaite : voir, à cet égard, ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice — Le Code civil du Québec, t 2, Québec, Les Publications du Québec, 1993. Au surplus, selon l’interprétation qu’a donnée M. Cohen de l’article 2096, ses références n’auraient pas pu fournir l’appréciation très favorable sur laquelle repose l’ensemble de sa plainte.

[16] M. Cohen allègue également que la Commission aurait dû mener une enquête sur l’affaire auprès du ministère avant de rejeter sa plainte. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a clairement indiqué que le rejet d’une plainte au titre de l’article 41 de la Loi est une étape préliminaire qui précède la tenue d’une enquête : Keith c Canada (Service correctionnel), 2012 CAF 117 au paragraphe 50. Il n’y a pas eu de vice de procédure dans la façon dont la Commission a traité la plainte de M. Cohen.

[17] Dans ses observations écrites, M. Cohen laisse entendre que le personnel de la Commission a fait preuve de partialité en lui déconseillant de déposer une plainte. Lors de l’audience, il n’a pas insisté sur cette question. La preuve n’établit pas que le personnel de la Commission a fait preuve de partialité. Quoi qu’il en soit, cela n’a pas empêché M. Cohen de déposer une plainte.

III. Décision

[18] Comme la décision de la Commission était raisonnable et qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Je note également que M. Cohen réclame des dommages‑intérêts, mais ceux‑ci ne peuvent être accordés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Le défendeur demande que les dépens lui soient adjugés. À mon avis, une somme de 250 $ est raisonnable à cet égard.


JUGEMENT dans le dossier T‑250‑20

LA COUR STATUE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Le demandeur est condamné à payer au défendeur des dépens de 250 $, taxes et débours inclus.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T‑250‑20

 

INTITULÉ :

RAPHAËL COHEN c SERVICES PUBLICS ET APPROVISIONNEMENT CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 septembre 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

Le 8 octobre 2021

COMPARUTIONS :

Raphaël Cohen

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Benjamin Chartrand (stagiaire en droit)

Ludovic Sirois

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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