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Date : 20211006


Dossier : IMM‑5968‑19

Référence : 2021 CF 1041

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2021

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

XUE YUN CHEN ET QIONG QIAN CHEN, REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE XUE YUN CHEN

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Xue Yun Chen, et sa fille, la demanderesse mineure, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue le 10 juillet 2019, par laquelle un agent de traitement des demandes [l’agent] a rejeté leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[2] Les demanderesses sont des citoyennes de la République populaire de Chine [la Chine]. Elles étaient arrivées au Canada en octobre 2008 et avaient demandé l’asile. La Section de la protection des réfugiés avait rejeté leur demande en mars 2010. La demande d’autorisation avait été rejetée en mars 2011.

[3] La demanderesse s’était mariée avec son époux en février 2011 et avait présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada en avril 2011. En octobre 2012, la demanderesse avait présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. La demande d’ERAR avait été rejetée en septembre 2013, ce qui avait donné lieu à une mesure de renvoi contre les demanderesses.

[4] En mars 2014, l’époux de la demanderesse est mort à la suite d’une brève maladie.

[5] En novembre 2018, la demanderesse s’était présentée à une entrevue concernant sa demande de résidence permanente. Elle avait informé l’agent d’immigration que son époux était mort quatre (4) ans plus tôt. La demanderesse avait ensuite été avisée qu’elle ne répondait plus aux exigences de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Sa demande avait été convertie en une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en son nom et au nom de la demanderesse mineure. À l’appui de cette demande, les demanderesses avaient invoqué la perte de l’époux de la demanderesse, leur degré d’établissement au Canada, les conditions en Chine et l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure.

[6] Le 10 juillet 2019, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente des demanderesses présentée à partir du Canada après avoir décidé que les considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisantes pour justifier une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. L’agent a noté les éléments suivants :

  • a) La demanderesse n’avait pas déclaré son mariage avec son époux en 2011, dans sa demande d’ERAR présentée en 2012;

  • b) Peu d’éléments de preuve démontrant que des démarches avaient été entreprises pour obtenir des passeports valides avaient été fournis par la demanderesse;

  • c) Il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour indiquer que le séjour des demanderesses au Canada après l’entrée en vigueur de leurs mesures de renvoi était hors du contrôle de la demanderesse;

  • d) Les demanderesses éprouveraient probablement des difficultés émotionnelles en quittant le Canada, après avoir subi la perte d’un époux et d’un beau‑père;

  • e) Les aspects positifs de l’établissement de la demanderesse au Canada comprenaient la période relativement longue pendant laquelle elle y avait vécu, ses périodes d’emploi au pays, sa capacité à subvenir à ses propres besoins financiers et à ceux de sa fille, ainsi que ses liens sociaux;

  • f) Peu d’éléments de preuve démontraient que la demanderesse avait fait des efforts pour améliorer ses compétences en anglais ou en français, ou qu’elle était impliquée dans une église ou dans la communauté;

  • g) Des facteurs atténuants étaient susceptibles d’aider les demanderesses si elles devaient retourner en Chine, car tous les membres de leur famille avec qui elles avaient vécu avant de venir au Canada vivaient toujours en Chine et pourraient être en mesure de leur fournir un soutien émotionnel;

  • h) La demanderesse parlait le mandarin, et les paiements d’assurance de son défunt époux pourraient aider les demanderesses à se rétablir en Chine;

  • i) Les demanderesses n’avaient fourni aucune preuve à l’appui concernant les conditions en Chine pour démontrer qu’elles seraient incapables de vivre réellement en liberté et en dignité;

  • j) La demanderesse mineure vivait au Canada depuis plus de dix (10) ans, avait passé la plupart de ses années de formation au pays et avait probablement tissé des liens d’amitié avec des camarades de classe;

  • k) La demanderesse était la principale aidante de la demanderesse mineure, car celle‑ci n’avait jamais eu de relation avec son père biologique et, malgré le fait qu’elle jouissait d’une relation lui offrant amour et soutien avec son beau‑père, celui‑ci était malheureusement mort quatre (4) ans plus tôt;

  • l) Bien qu’il ait été dans l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure de rester au Canada sous la garde de sa mère, parallèlement, elle continuerait probablement de bien s’en sortir sous sa garde si elles devaient retourner en Chine;

  • m) Il était possible que la demanderesse mineure doive consacrer un certain temps à l’amélioration de ses capacités d’écriture et de lecture en mandarin. Elle avait réussi à s’adapter à un nouveau pays, à une nouvelle langue et à une nouvelle culture lorsqu’elle était arrivée au Canada, et elle serait également susceptible de s’adapter à sa nouvelle vie en Chine;

  • n) La présence de ses grands‑parents, de son oncle et de son cousin en Chine serait également susceptible d’être bénéfique pour la demanderesse mineure.

[7] Dans l’ensemble, l’agent a conclu que, sur la base d’une appréciation cumulative des éléments de preuve présentés et après avoir examiné la situation des demanderesses, les considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas une dispense de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente à partir de l’étranger.

[8] Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de l’agent. Elles soutiennent que l’agent a commis une erreur dans son appréciation de leur degré d’établissement au Canada et de l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure.

II. Analyse

[9] La décision d’accorder ou non une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 16, 17; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] aux para 10, 44). La Cour s’intéresse à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov, au para 83). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). De plus, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[10] Concernant leur degré établissement, les demanderesses font valoir que l’agent n’a pas tenu compte du fait qu’elles étaient incapables de quitter le Canada pour des raisons indépendantes de leur volonté, comme la mort de l’époux de la demanderesse et les sept (7) ans que le défendeur a pris pour communiquer avec celle‑ci au sujet de son parrainage à titre d’épouse, ainsi que pour exécuter la mesure de renvoi des demanderesses. Elles affirment que l’agent a commis une erreur en traitant les infractions aux lois sur l’immigration comme un facteur défavorable important qui l’emportait sur leur degré établissement, sans tenir compte de manière significative des raisons qui les avaient amenées à demander une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire.

[11] Je ne suis pas convaincue que l’agent s’est livré à une analyse lacunaire de la situation des demanderesses lorsqu’il a noté qu’il était de leur ressort de quitter le Canada. L’agent a raisonnablement fait remarquer que les demanderesses faisaient l’objet de mesures de renvoi exécutoires lorsque leur demande d’ERAR avait été rejetée en 2013. L’époux de la demanderesse est mort quelques mois plus tard, et il n’y avait aucun élément de preuve au dossier indiquant que la demanderesse avait entrepris des démarches depuis 2014 pour quitter le Canada, comme l’exigeait la mesure de renvoi, ou pour informer le défendeur de la mort de son époux avant son entrevue en 2018.

[12] Quant au retard allégué dans le traitement de la demande de parrainage à titre d’époux, le retard dans le traitement des procédures d’immigration ne constitue pas une circonstance indépendante de la volonté des demanderesses (Diabate c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 129 au para 30; Qiu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 859 [Qiu] au para 13). De même, ce retard « ne peut servir d’unique motif pour démontrer le degré d’établissement au Canada puisqu’on encouragerait ainsi l’immigration “détournée” » (Qiu, au para 13). L’agent pouvait raisonnablement conclure que la décision des demanderesses de rester au Canada sans statut n’était pas indépendante de leur volonté.

[13] Le recours des demanderesses à la décision Dowers c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 593, leur est d’une utilité limitée. En l’espèce, l’agent a pleinement tenu compte des éléments de preuve limités de la demanderesse concernant le degré d’établissement et les liens avec la communauté, et a apprécié ses antécédents défavorables en matière d’immigration en fonction de tous les facteurs favorables soulevés. Après avoir lu la décision dans son ensemble, je suis convaincue que l’agent a adopté une approche empathique lorsqu’il a apprécié tous les éléments de preuve des demanderesses et les difficultés auxquelles elles feraient face si elles devaient présenter une demande de résidence permanente à partir de l’étranger.

[14] Les arguments des demanderesses au sujet de l’appréciation par l’agent de l’intérêt supérieur de l’enfant sont tout aussi peu convaincants. L’agent ne s’est pas limité aux obstacles potentiels à l’éducation dans son examen des difficultés auxquelles ferait face la demanderesse mineure si elle devait demander la résidence permanente à partir de l’étranger. Au contraire, l’agent s’est montré sensible à l’égard de la situation de la demanderesse mineure, et a pris le temps d’examiner sa situation au Canada et l’incidence potentielle de son retour en Chine avec sa mère. Toutefois, dans le contexte des observations et des éléments de preuve limités qui ont été présentés, l’agent pouvait raisonnablement conclure que la demanderesse mineure continuerait probablement à bien se porter en Chine sous la garde de sa mère, sa principale aidante, malgré une période d’adaptation.

[15] Les demanderesses font valoir qu’il n’y avait aucune preuve au dossier indiquant que les membres de leur famille élargie étaient disposés à les aider à s’adapter à la vie en Chine ou auraient la capacité de le faire, ou qu’ils seraient en mesure de s’occuper de la demanderesse mineure ou de ses besoins émotionnels.

[16] Je juge que les demanderesses interprètent mal les motifs de l’agent. L’agent n’a pas conclu que les membres de la famille élargie des demanderesses aideraient celles‑ci ou leur fourniraient un soutien financier et émotionnel. L’agent a raisonnablement souligné que les demanderesses vivaient avec ces membres de la famille avant de venir au Canada, et a conclu que peu d’éléments de preuve démontraient qu’ils seraient incapables d’offrir aux demanderesses un endroit où rester, ne serait‑ce que temporairement. L’agent utilise les termes [traduction] « pourraient » et [traduction] « susceptible » lorsqu’il fait référence à leur capacité de fournir un soutien émotionnel aux demanderesses et à l’avantage de leur présence pour la demanderesse mineure.

[17] Une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR constitue une mesure de réparation exceptionnelle et discrétionnaire (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125 au para 15), et le demandeur a le fardeau d’établir qu’une telle exemption est justifiée (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 [Kisana] au para 45). Si un demandeur ne soumet pas suffisamment de renseignements et d’éléments de preuve pertinents à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, c’est à ses risques et périls (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 aux para 5, 8). Une dispense pour considérations d’ordre humanitaire n’est pas censée constituer un régime d’immigration parallèle (Kanthasamy, au para 23).

[18] Je suis convaincue que, dans les circonstances de l’espèce, l’agent a examiné et apprécié toutes les considérations soulevées par les demanderesses, y compris leur situation particulière. À la lumière des observations et des éléments de preuve présentés, l’agent pouvait raisonnablement conclure qu’ils ne justifiaient pas une dispense de l’obligation de présenter une demande de résidence permanente à partir de l’étranger. Bien que les demanderesses puissent ne pas souscrire à l’appréciation globale de la preuve par l’agent et au poids accordé à chaque considération d’ordre humanitaire, il n’est pas loisible à la Cour de procéder à un nouvel examen de la preuve et d’attribuer un niveau d’importance différent aux considérations d’ordre humanitaire pertinentes dans la présente demande (Kisana, au para 24).

[19] En conclusion, les demanderesses n’ont pas établi que la décision de l’agent contenait une erreur susceptible de contrôle. Je suis convaincue que, lorsqu’elle est lue de façon globale et contextuelle, la décision de l’agent répond à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov.

[20] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5968‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5968‑19

INTITULÉ :

XUE YUN CHEN ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 AOÛT 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 6 OCTOBRE 2021

COMPARUTIONS :

Max Chaudhary

Pour les demanderesses

Mahan Keramati

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chaudhary Immigration Law Professional Corporation

North York (Ontario)

Pour les demanderesses

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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