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Date : 20020425

Dossier : T-1341-01

Référence neutre : 2002 CFPI 463

Ottawa (Ontario), le 25e jour d'avril 2002

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE MICHEL BEAUDRY

ENTRE :

                                                                     ERIC BEAUPRÉ

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l'encontre de la décision de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles [ci-après « la Section d'appel » ] rendue le 18 juin 2001 par laquelle la Section d'appel a confirmé la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles [ci-après « la CNLC » ] de refuser la libération conditionnelle et la semi-liberté du demandeur.


QUESTION EN LITIGE

[2]                 La Section d'appel a-t-elle rendu une décision manifestement déraisonnable en confirmant la décision de la CNLC?

[3]                 Cette décision n'est pas manifestement déraisonnable.

FAITS

[4]                 Le demandeur purge une peine de pénitencier à l'établissement La Macaza de plus de 21 ans pour tentative de meurtre, vols qualifiés, vols à main armée, usage d'arme à feu, déguisement dans un dessein criminel, possession d'arme prohibée, évasions. La date légale de l'expiration de sa peine est le 8 octobre 2007.

[5]                 En date du 10 septembre 1998, la CNLC a accordé la semi-liberté au demandeur. Or, le demandeur a commis un vol par effraction pendant ce temps. En conséquence, en octobre 1999, la semi-liberté du demandeur fut révoquée.

[6]                 De plus, en juin 2000, le demandeur a essayé de s'évader du pénitencier où il est incarcéré en s'appropriant un véhicule institutionnel.

[7]                 Le 15 février 2001, la CNLC a rendu une décision dans laquelle elle refusa la demande pour libération conditionnelle et la semi-liberté présentée par le demandeur.      

[8]                 Le 21 mai 2001, le demandeur a fait appel de la décision de la CNLC. La Section d'appel a rejeté l'appel du demandeur le 18 juin 2001.

[9]                 Le 23 juillet 2001, le demandeur déposa la présente demande de contrôle judiciaire, relativement à la décision de la Section d'appel.

DÉCISION CONTESTÉE

[10]            La Section d'appel, présidée par A. Bachand, énonce à la page 3 de la décision:

La Section d'appel conclut donc que les décisions prises le 15 février 2001 sont justes et raisonnables. Pour les motifs ci-haut mentionnés, elle rejette l'appel et confirme les décisions de février 2001.

PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[11]            Le demandeur prétend que la Section d'appel a erré en confirmant la décision de la

CNLC.

[12]            Le demandeur soumet que la décision de la Section d'appel est contradictoire en soi et est dénué de tout fondement et contraire aux renseignements disponibles.

[13]            Le demandeur argumente que la décision de la CNLC n'est pas appuyée par les faits au dossier et est manifestement déraisonnable.


PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[14]            Le défendeur allègue que la Section d'appel a correctement confirmé la décision de la

CNLC puisqu'elle est raisonnable.

[15]            Le défendeur est d'avis que la décision de la CNLC est raisonnable puisqu'elle se base sur « des renseignements pertinents et fiables » selon l'affaire Costiuc c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 241 (C.F. 1re inst.).

[16]            Le défendeur soumet que les conclusions de la décision de la Section d'appel sont bien fondées en faits et en droit et ne sont pas manifestement déraisonnables.

LÉGISLATION PERTINENTE

[17]            L'article 101 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition [ci-après « la Loi » ] donne l'objet et les principes de la mise en liberté sous condition, du maintien en incarcération et de la surveillance à longue durée.


101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l'exécution de leur mandat par les principes qui suivent:

(a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are:

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the determination of any case;



[18]            L'article 102 de la Loi donne l'objet et les principes de la libération conditionnelle.


102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d'avis,

(a) qu'une récidive du délinquant avant l'expiration légale de la peine qu'il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société; et

(b) que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law-abiding citizen.


ANALYSE

Norme de contrôle judiciaire applicable

[19]            Selon l'affaire Costiuc, supra, la juge Tremblay-Lamer a exposé le cadre juridique à l'intérieur duquel cette Cour est fondée à contrôler judiciairement une décision de la Section d'appel de la CNLC. La juge Tremblay-Lamer a énoncé au paragraphe 6:

Le rôle de la section d'appel est de s'assurer que la CNLC s'est conformée à la Loi et à ses politiques, qu'elle a respecté les règles de justice fondamentale et que ses décisions sont basées sur des renseignements pertinents et fiables. Ce n'est que dans la mesure où ses conclusions sont manifestement déraisonnables que l'intervention de cette Cour est justifiée.

[20]            La Cour ne devrait pas intervenir en l'espèce, car contrairement à ce que prétend le demandeur, la décision de la Section d'appel ne rencontre pas le critère énoncé par la juge Tremblay-Lamer dans Costiuc.


La décision de la CNLC

[21]            La CNLC a comme objectif premier de veiller à la protection de la société et ce, en conformité avec le paragraphe 101(a) de la Loi.    En tenant compte de cet objectif, la CNLC a refusé d'accorder la semi-liberté et la libération conditionnelle au demandeur. La CNLC a étudié plusieurs documents pertinents pour arriver à cette décision : le dossier carcéral et criminel du demandeur; les admissions du demandeur; les informations statistiques; une évaluation psychologique produite au moins de décembre 2000.

[22]            Selon l'article 102 de la Loi, la CNLC doit évaluer le risque que représente le demandeur pour la société lors de son examen. Dans Costiuc, la juge Tremblay-Lamer s'est prononcé à cet effet au paragraphe 8:

Il appartient à la CNLC de soupeser la preuve et de tirer ses propres conclusions. [...]

[23]            À la page 4 de la décision de la CNLC en date du 15 février 2001, la CNLC écrit:

La Commission vous a longuement questionné sur votre criminalité et la compréhension que vous aviez de votre cycle d'infraction. Elle a pu constater que vous n'avez pas développé, au fil des ans, d'empathie ou de considération pour les gens en général et les victimes en particulier. Vous avez commis des gestes très violents en battant des personnes uniquement dans le but de vous procurer des biens matériels. Même si votre dernière récidive avec violence remonte à 1994, vous n'avez quand même pas été en mesure de vous tenir à l'écart de toute activité criminelle lors de votre dernière libération d'office, tel qu'en témoigne votre dernière condamnation pour introduction par effraction.    Vous n'avez pas hésité à aller voler chez une de vos amies, mère monoparentale, qui ne vit pas sur l'or. Votre faible considération pour autrui demeure très présente dans votre fonctionnement social et communautaire.

[24]            À la page 5 de la décision, la CNLC énonce en conclusion:


La Commission en vient à la conclusion qu'il est prématuré à ce moment-ci de votre peine de vous accorder toute forme de mise en liberté. Même si vous semblez avoir bien répondu à l'encadrement dont vous avez bénéficié antérieurement dans le cadre d'une semi-liberté projets communautaires et d'une semi-liberté régulière, la Commission estime que vous avez une crédibilité à bâtir et que votre impulsivité rend votre comportement imprévisible, ce qui rend le risque inacceptable pour la société.

[25]            La CNLC a un large pouvoir discrétionnaire dans l'octroi ou non de la semi-liberté. En l'espèce, le demandeur a commis un vol par effraction pendant sa semi-liberté. Conséquemment, la CNLC s'est fondée sur des renseignements fiables et pertinents pour en arriver à la conclusion que le demandeur représente toujours un risque inacceptable pour la société.

Recommandation de l'équipe de gestion de cas

[26]            Le demandeur allègue que son équipe de gestion de cas supporte l'octroi de sa semi-liberté. Or, il est à noter que la CNLC n'est pas liée par les recommandations du Service correctionnel du Canada. En l'espèce, la CNLC n'était pas obligée de suivre la recommandation de l'équipe de gestion de cas. Ce principe a été récemment confirmé dans l'affaire Costiuc où la juge Tremblay-Lamer a énoncé au paragraphe 14:

[...] La CNLC n'avait pas l'obligation d'entériner la recommandation de l'équipe de gestion. Elle devait faire sa propre évaluation. Puisque les éléments de preuve au dossier appuyait sa décision, elle est bien fondée en faits, ce qu'a constaté la section d'appel.[...]


[27]            Le demandeur soutient que la CNLC n'a tenu compte que des aspects négatifs du dossier du demandeur et aurait rendu une décision manifestement déraisonnable en n'attribuant pas assez de poids à l'opinion de la psychologue, Fabienne Stiévenart. Cependant, je constate que la CNLC a à juste titre considéré cette évaluation psychologique, qui se lit comme suit à la page 4:

Selon une récente évaluation psychologique produite au mois de décembre 2000, des traits dépendants, des comportements suicidaires, votre tendance à percevoir autrui en fonction d'un clivage ainsi que votre difficulté à vivre l'intimité dans vos relations correspondraient à une organisation limite de la personnalité. Ces facteurs psychologiques ainsi que le fait d'être un peu habitué à vous prendre en charge demeurent liés au danger de récidive que vous représenteriez. Cependant, les aspects liés à l'incarcération ainsi que votre réflexion quant à votre maladie soutiendraient votre motivation à vous réhabiliter. Le risque de commettre des délits à connotation violente est évalué comme étant modéré.

[28]            À la lecture de cette décision, je ne peux en venir autrement qu'à conclure que la CNLC a considéré tous les aspects du dossier du demandeur autant négatifs que positifs. Sa décision n'est donc pas manifestement déraisonnable.

La décision de la Section d'appel

[29]            La Section d'appel a la tâche de s'assurer que la décision de la CNLC est basée sur des renseignements pertinents et fiables. Dans l'affaire Costiuc, la Cour a énoncé au paragraphe 8:

[...] Comme je l'ai indiqué précédemment, la section d'appel devait s'assurer que sa décision était basée sur des renseignements pertinents et fiables.                                                           

[30]            La Section d'appel a étudié l'élément de l'appel du demandeur, soit le caractère raisonnable de la décision de la CNLC. La Section d'appel a résumé la situation du demandeur à la page 2 de sa décision et s'est prononcé sur son appel comme suit:


Nous sommes satisfaits que les commissaires étaient au courant de tous les éléments pertinents, dans votre cas, y inclus, bien entendu, les éléments soulevés dans votre soumission d'appel. Ils ont noté que vous purgez une première peine fédérale d'une durée de plus de 21 ans pour des délits à caractère violent, soit tentative de meurtre, vols qualifiés, vols à main armée, usage d'armes à feu, déguisement dans un dessein criminel, etc. Ils ont aussi noté que depuis le début de votre période d'incarcération, vous avez suivi plusieurs programmes institutionnels et que vous ne consommeriez plus depuis plus de sept ans. Ils ont constaté votre échec relativement récent lorsqu'en libération d'office, laquelle libération a été révoquée automatiquement due à une récidive. Ils ont aussi tenu compte des évaluations professionnelles dans votre dossier. Néanmoins, après avoir considéré toute l'information disponible, ils se sont dits inquiets de constater que vous ne sembliez pas apprendre de vos erreurs, que votre impulsivité vous amenait encore à adopter des comportements inappropriés étant encore incapables d'évaluer les conséquences de vos gestes, et que vous-même reconnaissiez agir encore de façon irréfléchie. Ils ont donc conclu que vous n'aviez pas fait les changements nécessaires pour rendre acceptable le risque que vous représentez pour la société.

[31]            La Section d'appel n'a donc pas rendu une décision manifestement déraisonnable fondée sur une conclusion de faits erronée. La Section d'appel a correctement confirmé la décision de la CNLC. Selon elle, le demandeur représente toujours un risque inacceptable pour la société et, elle s'est basée sur des renseignements fiables et pertinents pour en arriver à cette conclusion. En conséquence, il n'y a aucune raison en l'espèce qui justifie l'intervention de cette Cour.

CONCLUSION

[32]            Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que:

1.                    La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

    "Michel Beaudry"   

Juge


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER: T-1341-01

INTITULÉ: ERIC BEAUPRÉ et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE: MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE: LE 8 AVRIL 2002

MOTIFS L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS: LE 25 AVRIL 2002

COMPARUTIONS

Me. DANIEL ROYER et Me. PIERRE TABAH POUR LE DEMANDEUR

Me. SÉBASTIEN GAGNÉ POUR LE DÉFENDEUR .

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

LABELLE, BOUDRAULT, CÔTÉ ET ASSOCIÉS POUR LE DEMANDEUR Montréal, Québec

MORRIS ROSENBERG POUR LE DÉFENDEUR Sous-procureur général du Canada

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