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Date : 20210901


Dossier : IMM‑5098‑20

Référence : 2021 CF 914

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 1er septembre 2021

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

DOMINIC KEALAN THOMPSON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Par lettre en date du 11 août 2020, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a avisé le demandeur que sa demande de résidence permanente était rejetée parce qu’elle était incomplète [la décision]. Plus précisément, la demande a été rejetée au motif que le demandeur n’avait pas fourni une preuve de l’obtention de son diplôme canadien.

[2] Le 13 août 2020, le demandeur a présenté une demande à IRCC dans laquelle il soulignait qu’il avait en fait soumis, pour prouver qu’il avait obtenu son diplôme, un document certifié d’information délivré par le bureau du registraire de l’Université de l’Alberta. Il demandait à IRCC de réexaminer sa demande de résidence permanente et, que s’il la jugeait encore insatisfaisante, de lui expliquer ce qu’il devait faire pour s’assurer que sa demande soit complète.

[3] Dans une lettre du 14 septembre 2020, IRCC a informé le demandeur qu’il avait étudié sa demande de réexamen et qu’il ne rouvrirait pas sa demande de résidence permanente.

[4] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire des décisions prises par IRCC d’annuler sa demande de résidence permanente et de rejeter sa demande de réexamen.

[5] Par ordonnance datée du 28 mai 2021, M. le juge Richard Southcott a accordé au demandeur une prolongation du délai pour déposer sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et il a autorisé la présentation de la demande.

II. Contexte factuel

[6] Les faits de l'espèce ne sont pas contestés.

[7] Le demandeur, un citoyen du Royaume-Uni, est arrivé au Canada en septembre 2014 à titre d’étudiant étranger pour terminer une maîtrise en génie chimique à l’Université de l’Alberta. Il a obtenu son diplôme de maîtrise en juin 2017.

[8] Une fois son diplôme obtenu, le demandeur a obtenu un permis de travail postdiplôme pour travailler au Canada.

[9] Après avoir présenté, par l’entremise du système Entrée Express, une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie de l'expérience canadienne, le demandeur a reçu une lettre en date du 23 mars 2020 dans laquelle IRCC l’invitait à présenter une demande de résidence permanente.

[10] Il était écrit que si le demandeur décidait de présenter une demande de résidence permanente, il devait ouvrir une session dans son compte, aller à la section « demandes », cliquer sur le lien « résidence permanente » et passer en revue les renseignements du formulaire prérempli provenant de son profil d’Entrée expresse, et confirmer l’exactitude des renseignements. Le demandeur était également averti qu’il devait obtenir les documents énumérés dans la liste de contrôle qui se trouvait sur le site Web et les soumettre avec le formulaire de demande.

[11] Le profil en ligne d’Entrée expresse énumère les catégories de documents que le demandeur doit télécharger afin d’étayer sa demande, notamment la catégorie « Études (diplômes) ». Une fenêtre contextuelle, qui indique le type de documents accepté par IRCC à titre de preuve d’études postsecondaires, commence par les instructions suivantes :

[traduction]

Vous devez fournir une preuve que vous avez terminé avec succès des études postsecondaires. Par exemple, la preuve d’études postsecondaires peut consister en un diplôme.

[12] Afin de se conformer à l’obligation de fournir une preuve d’études, le demandeur a demandé à l’Université de l’Alberta, à l’aide du formulaire de vérification de documents qui se trouve sur le site Web de l’université, une confirmation officielle du diplôme obtenu. Le bureau du registraire a répondu à sa demande en lui délivrant un document certifié d’information, où on peut lire ce qui suit :

[traduction]

Dominic Kealan Thompson

(numéro d’étudiant expurgé aux fins des présents motifs)

La présente atteste que l’étudiant susmentionné

A satisfait à toutes les exigences de la

Faculté des études supérieures et de recherche

Pour la maîtrise ès sciences

En génie chimique

Département du génie chimique et des matériaux

Décerné le 8 juin 2017.

[13] Le 19 juin 2020, le demandeur a téléchargé le document en question dans son profil en ligne d’Entrée expresse sous Études (diplômes), ainsi que sa demande.

[14] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, le 11 août 2020, IRCC a avisé le demandeur que sa demande de résidence permanente était rejetée parce qu’elle était incomplète. Le passage pertinent de la décision est reproduit ci-après :

[traduction]

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a examiné votre demande de résidence permanente. Le ministère juge que votre demande ne répond pas aux exigences des articles 10 et 12.01 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Votre demande est rejetée parce qu’elle est incomplète.

Plus particulièrement, votre demande n’inclut pas les éléments suivants :

Diplôme canadien :

Vous n’avez fourni aucune preuve de l’obtention d’un diplôme canadien (certificat ou diplôme) avec votre demande. Selon les renseignements sur les études que vous avez fournis dans votre profil d’Entrée expresse, ce document est nécessaire. La lettre d’explication et (ou) les relevés de notes que vous avez joints à votre demande ont été examinés. Toutefois, ce ou ces document(s) ne vous soustraient pas à l’obligation de présenter une preuve que vous avez obtenu un diplôme canadien (certificat ou diplôme). La demande que vous avez présentée sans aucune preuve des renseignements fournis dans votre profil d’Entrée expresse ne peut être considérée comme complète.

Remarque : Votre demande n’a pas été examinée en détail. D’autres éléments, non mentionnés ci-dessus, pourraient manquer ou être incomplets.

[15] Le 13 août 2020, le demandeur a appelé le télécentre d’IRCC. Un agent l’a informé qu’il pouvait demander un réexamen de la décision en remplissant le formulaire à cet effet sur le site Web d’IRCC. La même journée, le demandeur a présenté une demande de réexamen dans laquelle il a expliqué ce qui suit :

[traduction]

Je ne suis pas certain de comprendre pourquoi le [document certifié d’information du bureau du registraire de l’Université de l’Alberta] n’est pas suffisant. J’ai demandé à l’université une preuve de mon diplôme aux fins d’immigration et c’est le document qu’elle m’a fourni. Ce document semble prouver non seulement que l’Université de l’Alberta m’a décerné un diplôme, mais également le type de diplôme, le domaine d’études et la date de remise du diplôme.

[16] Comme IRCC n’avait pas accusé réception de sa demande de réexamen du 13 août 2020, le demandeur a envoyé, le 10 septembre 2020, une autre demande de réexamen au moyen du formulaire Web. Il a inclus une copie du diplôme qu’il avait obtenu le 8 juin 2017 tout en précisant qu’il n’y avait pas accès lorsqu’il avait préparé sa demande de résidence permanente au printemps 2020.

[17] Dans une lettre datée du 14 septembre 2020, IRCC a avisé le demandeur que la décision restait la même et que sa demande ne serait pas rouverte.

III. Question à trancher

[18] Il n’y a aucun doute que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au fond de la décision et que rien en l’espèce ne justifie de déroger à cette présomption.

[19] Ainsi, la seule question à trancher est celle de savoir si la décision par laquelle IRCC a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur et celle par laquelle il a ensuite refusé de rouvrir la demande sont justifiées au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est assujetti : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 85.

IV. Objection préliminaire

[20] Le défendeur soulève une objection préliminaire concernant le fait que le demandeur s’appuie sur des lettres et des documents qui seraient postérieurs au rejet de la demande de réexamen. Cette preuve est constituée du diplôme manquant sur lequel sont fondés la décision de rejeter la demande et le refus de rouvrir la demande, ainsi que d’autres renseignements communiqués à IRCC le 10 septembre 2020.

[21] Il est bien établi en droit que seuls les documents dont disposait le décideur peuvent être examinés dans un contrôle judiciaire. Toutefois, dans la présente affaire, deux décisions interreliées sont contestées, la décision originale datée du 11 août 2020 et la décision de rejeter la demande de réexamen datée du 14 septembre 2020. Étant donné que les documents et les renseignements contestés par le défendeur ont été transmis à IRCC avant que celui‑ci décide de refuser la demande de réexamen, je conclus qu’ils devraient être admis en preuve et examinés même s’ils ne l’ont peut-être pas été avant que soit prise la décision de ne pas rouvrir la demande du demandeur.

V. Analyse

[22] Le défendeur soutient qu’il était non seulement raisonnable de rejeter la demande de résidence permanente et de refuser par la suite de la rouvrir, mais qu’il s’agissait de la seule issue possible.

[23] Selon le défendeur, le demandeur demande à la Cour de faire abstraction des dispositions législatives et exigences claires qui s’appliquent en matière de présentation de documents et de considérer que le document certifié d’information de l’Université de l’Alberta répond à l’obligation de fournir une preuve de l’obtention d’un diplôme canadien.

[24] Le défendeur soutient que ni la Cour ni le défendeur n’a le pouvoir d’écarter l’intention clairement exprimée par le législateur dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], qui régit l’immigration économique, notamment la catégorie de l’expérience canadienne, et qui, plus particulièrement, définit au paragraphe 73(1) le terme « diplôme canadien » comme suit :

Tout diplôme d’études secondaires ou tout diplôme, certificat ou attestation postsecondaires obtenu pour avoir réussi un programme canadien d’études ou un cours de formation offert par un établissement d’enseignement ou de formation reconnu par les autorités provinciales chargées d’enregistrer, d’accréditer, de superviser et de réglementer de tels établissements.

[25] Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas soumis le document requis, soit une copie de son diplôme, et maintient qu’IRCC n’a pas le pouvoir d’accepter un autre document. Je ne suis pas d’accord.

[26] Lorsqu’elle est saisie d’un contrôle judiciaire, la Cour doit s’assurer que, dans son ensemble, la décision soumise à son examen est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15. À mon avis, bien que la décision puisse être transparente et intelligible, elle n’est pas justifiée au regard des faits particuliers de l’espèce.

[27] Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la plupart des personnes raisonnables seraient portées à croire qu’un document certifié d’information délivré par le bureau du registraire d’une université canadienne réputée serait considéré comme une preuve suffisante d’un diplôme canadien, compte tenu du libellé de la page Web [traduction] « Instructions pour obtenir une attestation d’études ».

[28] Au début de la page Web, qui fournit des instructions en langage simple aux demandeurs lorsqu’ils téléchargent leurs documents, se trouve le paragraphe suivant :

[TRADUCTION]

Vous devez fournir une preuve que vous avez terminé avec succès des études postsecondaires. Par exemple, la preuve d’études postsecondaires peut consister en un diplôme.

[Non souligné dans l’original]

[29] Selon le dictionnaire Merriam‑Webster (en ligne : https://merriam-webster.com) le mot anglais « example » s’entend de [traduction] « ce qui est représentatif d’un groupe ou d’une catégorie », tandis que l’une des définitions du verbe anglais « include » est [traduction] « ce qui est inséré ou compris dans ensemble ou un groupe ».

[30] L’utilisation du mot anglais « examples » donne l’impression que d’autres types de documents que ceux énumérés dans les instructions peuvent être présentés. Cette impression est renforcée par l’emploi du verbe anglais « include » qui suggère que les types de documents qui peuvent servir de preuve d’études ne sont pas tous mentionnés.

[31] Si IRCC voulait limiter la preuve d’études à « tout diplôme, certificat ou attestation » au sens du paragraphe 73(1) du Règlement, il aurait dû l’indiquer clairement dans les instructions.

[32] Il incombait à IRCC de fournir des instructions claires qui sont compatibles avec la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés LC 2001, c 27 [la LIPR] et son règlement d’application et d’éviter de créer de la confusion. Les demandeurs ne devraient pas avoir besoin d’un diplôme en droit pour comprendre les exigences liées à la présentation d’une demande d’immigration ou être tenus de contre-vérifier les lignes directrices du gouvernement en analysant les complexités de la LIPR et de son règlement pour s’assurer de leur cohérence.

[33] J’ai devant moi la preuve non contredite que les instructions fournies par IRCC, qui ne précisent pas que seule une copie d’un certificat ou d’un diplôme sera acceptée à titre de preuve d’un diplôme canadien, ont induit le demandeur en erreur. Le demandeur avait le droit de se fier aux instructions en ligne et de présumer qu’elles étaient exactes et communiquées avec précision. On ne peut reprocher au demandeur de s’être fié à des instructions imprécises rédigées par IRCC ni le pénaliser pour les avoir suivies.

[34] Je dois ajouter que les faits de la présente affaire sont assez exceptionnels. Le document que le demandeur a téléchargé comme preuve de son diplôme canadien comprenait tous les renseignements nécessaires pour évaluer sa demande. Comme l’a bien expliqué le demandeur dans sa demande de réexamen, le document qu’il a joint à sa demande atteste à première vue qu’il est titulaire d’un diplôme de l’Université de l’Alberta, indique le type de diplôme, le domaine d’études et la date à laquelle a été décerné le diplôme.

[35] La décision du 11 août 2020 par laquelle IRCC a rejeté sa demande parce qu’elle était incomplète n’explique pas pourquoi le document certifié d’information ne répond pas aux critères établis. IRCC indique tout simplement que le demandeur n’a pas fourni la preuve qu’il a obtenu un diplôme canadien et que le document qu’il a présenté ne le soustrait pas à l’obligation de fournir une telle preuve.

[36] Dans sa demande de réexamen du 13 août 2020, le demandeur s’est dit perplexe et a mis en doute la conclusion que le document certifié d’information n’était pas suffisant. Le demandeur est allé plus loin et a demandé des conseils sur ce qu’il devait faire pour s’assurer que sa demande soit complète.

[37] Même si je comprends que le rôle d’IRCC n’est pas de courir après les demandeurs et de s’assurer qu’ils présentent une demande complète ou qu’ils téléchargent les bons documents, en l’espèce, IRCC a reçu la preuve d’un diplôme canadien, même s’il ne s’agit pas de l’un des documents requis par le paragraphe 73(1) du Règlement. Dans les circonstances, il aurait été simple de communiquer avec le demandeur et de lui demander de fournir une copie de son diplôme à des fins d’authentification si la demande satisfaisait par ailleurs à toutes les autres exigences.

VI. Conclusion

[38] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et que l’affaire doit être renvoyée à IRCC pour qu’il réexamine la demande de résidence permanente du demandeur en tenant compte de la copie du diplôme soumise le 10 septembre 2020, telle que reproduite dans le dossier certifié du tribunal.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5098-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à Immigration, Refugiés et Citoyenneté Canada pour qu’il réexamine la demande de résidence permanente du demandeur en tenant compte de la copie du diplôme délivré au demandeur par l’Université de l’Alberta le 8 juin 2017, que le demandeur a soumise à IRCC le 10 septembre 2020 et qui est reproduite dans le dossier certifié du tribunal.

  3. L’intitulé est modifié, avec effet immédiat, afin de remplacer le « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » par le « ministre de l’Immigration, de la Citoyenneté et des Réfugiés » à titre de défendeur : Règles des cours fédérales, DORS/98-106, alinéa 303(1) a), et Hicks c Canada (Procureur général), 2019 CAF 311 au paragraphe 8.

  4. Il n’y a aucune question à certifier.

« Roger R. Lafreniѐre »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


 

 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5098-20

 

INTITULÉ :

DOMINIC KEALAN THOMPSON c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR vidÉoconfÉrfence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 AOÛT 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er SeptembrE 2021

 

COMPARUTIONS :

Dominic Thompson

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Galina Bining

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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