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Date : 20211004


Dossier : T-5-20

Référence : 2021 CF 1029

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2021

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

ANDREW FARRUGIA

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Andrew Farrugia, se représente lui‑même. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un délégué du ministre des Transports (le délégué) a refusé, le 4 décembre 2019, sa demande d’habilitation de sécurité en matière de transport (HST) (la décision).

[2] Le demandeur a présenté une demande d’HST dans le cadre de son offre d’emploi chez WestJet Airlines. Sans une HST, le demandeur ne pouvait obtenir une carte d’identité de zones réglementées (CIZR). Et sans une CIZR, il ne pouvait occuper le poste qui lui avait été offert chez WestJet, à Waterloo.

[3] Le délégué, soit le directeur général, sûreté de l’aviation, a fait état d’un incident survenu en janvier 2016 qui l’a incité à croire que le demandeur avait été impliqué dans le trafic illégal de stupéfiants. Le délégué a conclu que le demandeur pouvait être sujet ou être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. Le délégué a donc refusé de délivrer une HST au demandeur.

[4] Le demandeur demande que la décision soit annulée ou que l’affaire soit renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen. Le défendeur demande à la Cour de rendre une ordonnance rejetant la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens.

[5] Pour les motifs énoncés plus loin, je conclus que la décision du délégué était équitable et raisonnable sur le plan de la procédure. La demande sera rejetée, sans dépens.

II. Question préliminaire – Intitulé

[6] Le demandeur a désigné le [traduction] « procureur général » et d’autres parties à titre de défendeurs.

[7] Selon l’article 303 des Règles des Cours fédérales, seul le procureur général du Canada peut être désigné comme défendeur en l’espèce. L’intitulé est donc modifié, avec effet immédiat, de sorte que le seul défendeur soit le procureur général du Canada.

III. Aperçu du processus visant l’habilitation de sécurité

[8] L’octroi d’une HST concernant des aéroports désignés est régi par la Loi sur l’Aéronautique, LRC 1985, c A‑2 [la Loi], et le Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, DORS/2011‑318 [le Règlement]. Les personnes qui travaillent dans des zones réglementées d’aéroports désignés doivent obtenir une carte d’identité de zones réglementées (CIZR), laquelle peut uniquement être délivrée à une personne titulaire d’une HST accordée en application du Règlement.

[9] Le ministre peut, pour l’application de l’article 4.8 de la Loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.

[10] Les demandeurs d’HST sont tenus de fournir des renseignements adéquats, fiables et vérifiables qui couvrent une période de cinq ans précédant la présentation de la demande. Ils doivent en outre faire l’objet d’une vérification du casier judiciaire, d’une vérification des dossiers pertinents des organismes d’application de la loi et d’une vérification des fichiers du SCRS : Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport [PHST] aux articles I.3 et II.19. Le PHST peut être consulté en ligne à : https://tc.canada.ca/fr/programmes/programmes-financement/programme-habilitation-securite-matiere-transport/programme-habilitation-securite-matiere-transport-aerien/partie-i-politique.

[11] Le ministre s’appuie sur les lignes directrices énoncées dans le PHST pour exercer le pouvoir qui lui est conféré. Le PHST prévoit que l’organisme consultatif examine les renseignements fournis par le demandeur et peut recommander au ministre d’accorder, de refuser d’accorder, de suspendre ou d’annuler une habilitation de sécurité.

[12] L’objectif visé par le processus d’habilitation de sécurité est précisé à l’alinéa I.4.4) du PHST : « prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré dans le cas de toute personne […] qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à […] commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile; ou […] aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ».

[13] Si l’examen initial soulève des préoccupations, le demandeur d’habilitation de sécurité en est avisé par une lettre, qui l’invite en outre à présenter des observations écrites à ce sujet. Tous les renseignements sont ensuite étudiés par l’organisme consultatif et une recommandation est formulée à l’intention du délégué.

[14] Pendant le déroulement du processus visant à établir s’il y a lieu d’accorder une HST, un aéroport peut délivrer un laissez‑passer temporaire conformément au Règlement. Ce laissez‑passer temporaire donne accès à certaines zones réglementées, mais non à l’ensemble de celles‑ci : Malafouris c Canada (Transports), 2018 CF 1082 au para 6.

[15] Suivant les articles I.1 et II.33, un organisme consultatif est convoqué lorsque le directeur, programmes de filtrage de sécurité, juge que les renseignements justifient la recommandation du refus ou de la révocation d’une habilitation.

[16] Lorsqu’il détermine que la présence d’une personne dans la zone réglementée de l’aéroport énuméré est contraire aux buts et objectifs du programme, à savoir prévenir les actes d’intervention illicite pour l’aviation civile, l’organisme consultatif recommande au ministre d’annuler ou de refuser l’habilitation de sécurité de cette personne : article II.35 du PHST.

[17] Selon l’alinéa II.35.2) du PHST, l’organisme consultatif peut, au moment de formuler une recommandation portant refus de l’habilitation de sécurité, considérer tout facteur pertinent pour déterminer si la présence de la personne dans la zone réglementée de l’aéroport est incompatible avec les buts et objectifs du programme. Cette disposition énumère ensuite une liste non exhaustive de divers facteurs applicables, y compris celui de savoir si la personne a été condamnée, au Canada ou à l’étranger, pour un acte criminel ou autrement déclarée coupable d’un acte de cette nature, ou encore si elle est susceptible de participer à des activités illicites qui constituent une menace ou un acte de violence grave contre la propriété ou des personnes. (Non souligné dans l’original.)

IV. Faits et dates

[18] Le 15 janvier 2016, après avoir été trouvé en possession de 164 grammes de marijuana durant un contrôle routier, le demandeur a été inculpé de trafic d’une substance inscrite à l’annexe II, contrairement au paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

[19] Le 2 août 2016, l’accusation de trafic a été retirée pour des raisons que Transports Canada ne connaît pas.

[20] Le demandeur a travaillé pour WestJet à titre d’agent du service à la clientèle du 18 octobre 2016 au 10 avril 2018.

[21] Le 14 novembre 2016, le demandeur a demandé une HST pour l’aéroport international de la région de Waterloo. Une autorité de WestJet a signé la demande d’habilitation de sécurité en précisant que celle‑ci visait un emploi d’ambassadeur du service à la clientèle.

[22] Le 21 juillet 2017, dans le cadre de la vérification des antécédents du demandeur, la Section du filtrage sécuritaire de la GRC a envoyé un rapport de vérification des antécédents criminels (VAC) à Transports Canada. La VAC énonce les détails relatifs à l’arrestation du demandeur effectuée le 15 janvier 2016 pour trafic de stupéfiants. Il ressort de ce document que le demandeur a été intercepté pour excès de vitesse, que les agents de police ont alors senti une forte odeur de marijuana et qu’ils ont remarqué la présence d’un petit sac en plastique qui semblait contenir des résidus de marijuana. En réponse à la question d’un agent qui lui a demandé si d’autres stupéfiants se trouvaient dans le véhicule, le demandeur a volontairement produit deux sacs en plastique transparents contenant au total 164 grammes de marijuana. L’agent a fouillé le véhicule et a découvert une somme de 2 240 $ en espèces dans la pochette de la portière latérale du côté du passager.

[23] Le 25 octobre 2017, Transports Canada a envoyé une lettre au demandeur (« lettre relative à l’équité »). Cette lettre l’informait que sa demande d’HST était renvoyée pour examen à l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport [l’organisme consultatif] et que [traduction] « des renseignements défavorables soulevant des doutes quant à votre admissibilité à détenir une habilitation ont été obtenus ». La lettre relative à l’équité exposait ensuite les circonstances de son arrestation pour trafic. Le demandeur était invité à fournir de plus amples renseignements au sujet des circonstances entourant les accusations de trafic et toute autre information pertinente dans les 20 jours suivant la réception de la lettre.

[24] Le 1er novembre 2017, le demandeur a appelé l’organisme consultatif pour demander des précisions sur la façon dont il fallait répondre à la lettre qu’il avait reçue. On lui a répondu qu’il s’agissait d’une occasion pour lui d’examiner les préoccupations mentionnées dans la lettre et de fournir tous les renseignements nécessaires pour s’attaquer à cette question. Selon la note consignée dans le dossier sous‑jacent, le demandeur était invité à consulter le site Web de Transports Canada pour en savoir davantage au sujet du programme.

[25] Le 13 novembre 2017, le demandeur a présenté des observations écrites et cinq lettres de recommandation en réponse à la lettre relative à l’équité. Il affirmait que les faits énoncés dans la lettre relative à l’équité du 25 octobre 2017 donnaient un aperçu exact de l’incident.

[26] Le 15 août 2018, l’organisme consultatif s’est penché sur la demande du demandeur. Les détails de l’examen effectué par l’organisme consultatif et les raisons étayant sa recommandation sont exposés plus loin.

[27] Le demandeur a accepté un poste d’agent de bord chez Swoop, un transporteur de WestJet. Il a travaillé pour Swoop en cette qualité du 30 octobre 2018 au 12 février 2020.

[28] Le 4 décembre 2019, le délégué a refusé la demande du demandeur visant à obtenir une HST. Le demandeur a reçu la décision le 9 décembre 2019.

[29] Tandis que le demandeur attendait une décision relative à sa demande d’HST, un laissez‑passer temporaire lui a été délivré par l’aéroport de Waterloo. Le demandeur signale qu’il ignorait à ce moment que la délivrance de ce laissez‑passer était postérieure à la conclusion de l’organisme consultatif voulant qu’il constitue un [traduction] « risque pour l’aviation civile ».

[30] Le demandeur a déposé sa demande de contrôle judiciaire le 2 janvier 2020.

V. Examen et recommandation de l’organisme consultatif

[31] Il ressort du compte rendu écrit des discussions de l’organisme consultatif que ce dernier a pris en considération la teneur de la VAC, le fait que 164 grammes de marijuana constitue une quantité importante excédant celle qui suffit à un usage personnel, et le fait que la somme en espèces trouvée dans le véhicule donnait à penser que le demandeur participait au trafic de stupéfiants.

[32] L’organisme consultatif s’est également penché sur les observations écrites du demandeur et sur son affirmation selon laquelle les faits relatés dans la VAC étaient exacts. L’organisme consultatif a signalé que l’accusation au criminel avait été retirée et que le demandeur avait fait preuve de franchise et de remords sincères auprès de l’agent qui a procédé à son arrestation. Dans ses observations, le demandeur a présenté des excuses pour son comportement en précisant que celui‑ci ne ressemblait pas à son comportement habituel. Il a ajouté que, avec l’aide de l’agent ayant procédé à son arrestation, il avait évité les antécédents criminels en suivant un programme de déjudiciarisation et en effectuant 80 heures de service à la collectivité. Il a affirmé que l’agent était disposé à se présenter à une entrevue et il a joint à ses observations la carte professionnelle de ce dernier.

[33] L’organisme consultatif a examiné les cinq lettres de recommandation favorables fournies par le demandeur. Ces références provenaient de l’agent ayant procédé à son arrestation, du gérant d’un magasin de l’Armée du Salut, de WestJet, du président de la Applewood Hockey Association et de son professeur de yoga.

[34] La lettre de l’agent ayant procédé à l’arrestation du demandeur était écrite sur du papier à en‑tête officiel. L’agent y concluait ce qui suit : [traduction] « Lors de ma rencontre avec lui, Andrew m’a semblé être une personne très franche et honnête. » En outre, dans sa lettre, l’agent donnait ses coordonnées expressément afin qu’on puisse le joindre.

[35] L’employeur du demandeur, WestJet, a écrit une lettre brève, mais enthousiaste, dans laquelle on mentionnait que le demandeur avait obtenu une promotion, qu’il travaillait bien en équipe, qu’il n’y avait « rien à redire » au sujet de son rendement au travail et que son assiduité était exemplaire. On précisait qu’il était digne de confiance et déterminé à assumer ses responsabilités. Les autres lettres de recommandation étaient tout aussi élogieuses.

[36] L’organisme consultatif s’est dit préoccupé par le fait que le demandeur, au lieu de tenter d’expliquer pourquoi il trafiquait de la marijuana, s’est contenté d’affirmer qu’il avait [traduction] « commis, le 15 janvier 2016, une erreur qui ne ressemblait pas à son comportement habituel ». L’organisme consultatif a conclu qu’il était légitime de croire que le trafic de stupéfiants n’était pas qu’une simple « erreur », mais plutôt un mode de vie. Le demandeur devait être en rapport avec un fournisseur et il avait besoin d’acheteurs auxquels vendre la substance. La présence de 2 240 $ en espèces dans son véhicule donnait à penser à l’organisme consultatif que le demandeur faisait peut‑être le trafic de marijuana antérieurement à son arrestation.

[37] L’organisme consultatif a tenu compte des facteurs favorables suivants : il s’agissait d’un incident isolé et aucun autre stupéfiant n’était visé. Ces facteurs étaient toutefois contrebalancés par le fait que, au moment de l’arrestation du demandeur, et encore aujourd’hui, la quantité de marijuana qui se trouvait en sa possession était illégale.

[38] Il ressort du compte rendu des discussions que l’organisme consultatif se préoccupait du caractère récent de l’incident. Il s’est demandé si le temps écoulé depuis l’incident avait été suffisant pour permettre au demandeur de montrer que son comportement avait changé.

[39] L’organisme consultatif a conclu que les observations du demandeur ne fournissaient pas assez de renseignements pour écarter toutes leurs préoccupations.

[40] L’examen approfondi effectué par l’organisme consultatif l’a porté à croire que le demandeur, [traduction] « selon la prépondérance des probabilités, est sujet ou peut être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ».

VI. La décision

[41] Le délégué a prononcé la décision après avoir reçu le compte rendu des discussions de l’organisme consultatif et examiné le dossier, y compris les observations du demandeur.

[42] Il précise dans sa décision que les renseignements relatifs à l’implication du demandeur dans des activités criminelles liées au trafic de stupéfiants soulèvent de graves préoccupations quant à son jugement, à son honnêteté et à sa fiabilité. Le délégué signale en outre que l’accusation de trafic d’une substance inscrite à l’annexe II a ultérieurement été retirée, mais il estimait que la grande quantité de marijuana et la somme en espèces trouvées dans le véhicule donnaient à penser que le demandeur participait à du trafic de stupéfiants.

[43] Selon le délégué, il était raisonnable d’avoir des préoccupations au sujet de la participation du demandeur à du trafic de stupéfiants puisque l’accès à la zone réglementée d’un aéroport est un privilège qui exige un degré élevé d’intégrité et de confiance.

[44] Le délégué a tenu compte des observations écrites du demandeur ainsi que des lettres de recommandation favorables à son égard, mais il a signalé qu’aucune explication n’avait été offerte quant aux raisons pour lesquelles le demandeur se livrait au trafic de marijuana.

[45] Le délégué a conclu qu’il était raisonnable de croire que le trafic de stupéfiants n’est pas qu’une simple erreur. Il s’est exprimé en ces termes : [traduction] « il s’agit d’un mode de vie puisque le trafic de stupéfiants est un acte organisé, prémédité et passablement complexe ». Il a ajouté que, même si aucun autre stupéfiant n’était visé, la possession et/ou le trafic de marijuana constituaient des actes illégaux au moment de l’incident.

[46] Le délégué s’est également demandé si le laps de temps écoulé depuis l’incident était suffisant pour établir que le demandeur avait modifié son comportement. Les renseignements au dossier l’ont porté à croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était sujet ou pouvait être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. La demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir une HST a donc été refusée.

VII. Questions en litige

[47] Le demandeur soulève un certain nombre de questions touchant à la fois le processus suivi pour arriver à la décision et le résultat de celle‑ci.

[48] Pour l’essentiel, le demandeur allègue que le processus était inéquitable sur le plan de la procédure et que la décision est déraisonnable.

[49] Selon le demandeur, le processus suivi l’a privé de son droit d’être entendu et il n’a pas réellement eu l’occasion de répondre à la preuve présentée contre lui. Il soutient que le processus a subi des retards injustifiés et qu’il y a eu manquement à son droit à la liberté de la personne. Il ajoute que la décision n’a pas été rendue par un décideur juste et impartial et qu’il n’a pas reçu de motifs suffisants.

[50] Le demandeur conclut ses objections en affirmant que des erreurs de politique et des erreurs de fait ont été commises pour arriver à la décision.

[51] J’estime que la présente demande soulève deux questions :

  1. La décision contrevient‑elle aux principes d’équité procédurale?

  2. La décision est‑elle déraisonnable?

[52] Les allégations précises avancées par le demandeur seront examinées dans le cadre de ces deux questions.

Norme de contrôle

A. Équité procédurale

[53] La présomption d’application de la norme de la décision raisonnablerelative au caractère raisonnable ne s’applique pas aux questions touchant un manquement à la justice naturelle : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23.

[54] En réalité, la question de savoir s’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale n’a pas à être tranchée à la lumière d’une analyse relative à la norme de contrôle, même si on qualifie souvent cette dernière de norme de contrôle de la décision correcte. La question fondamentale à laquelle doit répondre la cour de révision demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CP] au para 56.

[55] La Cour d’appel fédérale a confirmé que, en matière d’habilitation de sécurité, « [l]a nature de la décision [du ministre] et le régime législatif militent en faveur de niveaux réduits d’équité procédurale » : Henri c Canada (Procureur général), 2016 CAF 38 [Henri] au para 25, autorisation de pourvoi refusée le 15 septembre 2016, CSC no 36944.

B. Contrôle selon la norme de la décision raisonnable

[56] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a à nouveau énoncé comment la cour de révision doit effectuer un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. En effet, elle a confirmé que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire du bien‑fondé d’une décision administrative, la norme de contrôle applicable est présumée être celle de la décision raisonnable : Vavilov au para 23.

[57] Bien qu’il soit possible de réfuter la présomption relative à la norme de la décision raisonnable dans certaines situations, aucune de ces exceptions ne s’applique en l’espèce.

[58] L’exigence bien connue en droit administratif suivant laquelle les motifs du tribunal doivent démontrer que la décision est transparente, intelligible et justifiée est toujours applicable : Vavilov au para 15.

[59] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a affiné le point de mire du contrôle selon la norme de la décision raisonnable en confirmant que la cour de révision doit à la fois tenir compte du raisonnement suivi et du résultat de la décision pour statuer sur le caractère raisonnable de la décision : Vavilov au para 86.

[60] Enfin, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti ». Lorsque cette condition est remplie, la norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers la décision : Vavilov au para 85, non souligné dans l’original.

[61] Il faut donc présumer que la norme de contrôle applicable au refus de délivrer une habilitation de sécurité au demandeur dans toutes les affaires ne touchant pas à l’équité procédurale est celle de la décision raisonnable. Aucun des faits en l’espèce ne permet de réfuter cette présomption.

VIII. Absence de manquement à l’équité procédurale

A. Droits de participation du demandeur

[62] La nature des droits de participation d’un demandeur lorsqu’il présente une demande d’HST a récemment été examinée par le juge John Norris dans la décision Haque c Canada (Procureur général), 2018 CF 651 [Haque].

[63] Le juge Norris s’est demandé si les droits procéduraux d’un demandeur qui en est à sa première demande d’HST sont les mêmes que ceux d’une personne qui détient déjà une telle habilitation, mais qui est maintenant confrontée à la suspension, à l’annulation ou au refus de renouvellement de celle‑ci. Il a conclu que la question avait perdu de son importance puisque la pratique actuelle du ministre des Transports consiste à accorder les mêmes droits de participation aux nouveaux demandeurs d’HST qu’aux personnes déjà titulaires de cette habilitation.

[64] Ces droits sont énoncés de la façon suivante au paragraphe 64 de la décision Haque :

Dans la pratique actuelle, les droits de participation suivants sont applicables aux titulaires de HST potentiels et existants :

- Les deux candidats sont informés dans la mesure où la loi autorise la divulgation des renseignements qui ont suscité des inquiétudes quant à leur admissibilité à détenir une HST;

- Les deux sont informés des critères permettant de déterminer si une personne est apte à détenir une HST;

- Les deux ont la possibilité de faire des observations écrites et de fournir des renseignements sur ce qui suscite des préoccupations;

- Dans les deux cas, les observations écrites ou les renseignements fournis par la personne sont pris en compte par l’Organisme consultatif avant de faire une recommandation au ministre ou à son délégué;

- Dans les deux cas, les observations écrites ou les renseignements fournis par la personne sont examinés par le ministre ou son délégué avant qu’une décision finale soit rendue.

[65] La question de savoir si ces droits ont été accordés au demandeur sera examinée plus loin, lorsque je me pencherai sur les motifs avancés par ce dernier pour étayer son allégation de manquement à l’équité procédurale.

B. Motifs avancés par le demandeur pour affirmer qu’il a été privé de ses droits de participation

[66] Le demandeur soulève plusieurs motifs pour étayer son allégation selon laquelle il n’a pas bénéficié de la plus élémentaire équité procédurale. Les voici :

  1. Il n’a pas été entendu et n’a pas eu une réelle possibilité de répondre à la preuve;

  2. Il a subi des retards injustifiés parce que la décision n’a pas été rendue en temps opportun;

  3. On a gravement porté atteinte à son droit à la liberté de la personne au cours de la période de seize mois écoulée entre la recommandation de l’organisme consultatif et le prononcé de la décision puisque, pendant ce temps, il aurait pu obtenir un nouvel emploi intéressant et prendre des décisions quant à sa carrière; il a en outre subi un préjudice d’ordre psychologique et émotionnel par suite de la perte de son emploi, lequel il occupait depuis quatre ans;

  4. Compte tenu de la preuve qu’il a présentée, la conclusion formulée dans la décision donne à penser que celle‑ci n’a pas été rendue par un décideur juste et impartial;

  5. Il s’attendait, en toute légitimité, à bénéficier d’une certaine protection sur le plan de la procédure compte tenu de l’absence de mesures disciplinaires prises contre lui pendant les quatre années de son emploi au sein de l’industrie du transport aérien;

  6. Il n’a pas reçu de motifs suffisants;

  7. La décision comportait des erreurs de fait et des erreurs de politique.

C. Le demandeur a été entendu et il a eu une réelle possibilité de répondre à la preuve

[67] Je vais d’abord examiner la question de savoir si le demandeur a bénéficié des droits de participation énoncés par le juge Norris dans la décision Haque.

[68] Le dossier certifié du tribunal (le DCT) présente des éléments établissant que le demandeur a bénéficié de ces droits : on lui a communiqué la preuve à réfuter et offert la possibilité d’y répondre et d’être entendu. Outre la décision, le DCT comporte les documents dont l’organisme consultatif et le délégué étaient saisis. Le DCT comprend la lettre relative à l’équité ainsi que quatre notes au dossier consignant des questions posées par le demandeur et les réponses qu’il a obtenues. Le PHST, la demande du demandeur visant à obtenir une HST, le rapport de VAC, les observations écrites du demandeur, les lettres de recommandation, le dossier de recommandation et le compte rendu des discussions de l’organisme consultatif ainsi qu’un rapport sommaire de gestion de cas d’une page daté du 15 août 2018, dans lequel est consigné le retrait des accusations criminelles, figurent aussi dans le DCT.

[69] La lettre relative à l’équité informait le demandeur des renseignements qui donnaient lieu à des préoccupations quant à son admissibilité à obtenir une HST. On avisait le demandeur que des renseignements défavorables avaient été portés à l’attention de Transports Canada et on énumérait ensuite les renseignements donnés dans la VAC.

[70] Le demandeur a été informé des critères applicables pour décider de son admissibilité à obtenir une HST par un renvoi au PHST et la mention de l’adresse URL lui permettant d’y accéder de même que par un énoncé précisant explicitement que les motifs pour lesquels sa demande pouvait être accordée ou refusée étaient prévus à l’article I.4 du PHST.

[71] Dans l’avant‑dernier paragraphe de la lettre relative à l’équité, dont l’intégralité figure au paragraphe 79 des présents motifs et est résumée sous la rubrique intitulée « Faits et dates », le demandeur était invité à présenter des observations écrites. On l’invitait également à fournir des renseignements sur les circonstances entourant l’incident ainsi que d’autres renseignements précisés dans la lettre relative à l’équité.

[72] Avant de faire une recommandation au ministre ou à son délégué, l’organisme consultatif a pris acte et tenu compte des observations écrites du demandeur et des lettres de recommandation favorables de tiers qu’il a fournies.

[73] Les observations écrites et les renseignements présentés par le demandeur ont ensuite été examinés par le délégué avant que la décision définitive ne soit prise.

[74] Malgré ce qui précède, le demandeur soutient qu’il n’a pas été informé de la preuve à réfuter et qu’il n’a pas eu la possibilité d’y répondre.

[75] Le demandeur avance deux arguments à l’appui de son assertion.

[76] Premièrement, il affirme que des faits importants susceptibles d’avoir une incidence sur l’issue de l’affaire [traduction] « doivent être fournis, comme il est requis, par le demandeur ».

[77] À la lumière de ce qui précède et des arguments restants, il semble que le demandeur s’attendait à recevoir des instructions précises quant aux renseignements susceptibles d’aider sa cause. Par exemple, il signale s’être efforcé d’obtenir des précisions sur les éléments particuliers dont il devait traiter dans sa réponse, mais qu’on s’est contenté de lui répondre qu’il devait fournir [traduction] « toute information pertinente », ce qui, selon lui, ne précisait pas grand‑chose.

[78] L’examen de la lettre relative à l’équité montre que celle‑ci donne un aperçu des événements exposés dans le rapport de VAC et fait état du retrait de l’accusation portée contre le demandeur. Elle fournit en outre l’adresse URL permettant de localiser le PHST. La lettre renvoie ensuite expressément à l’article 1.4 du PHST pour connaître les divers motifs susceptibles d’étayer la recommandation de l’organisme consultatif.

[79] Je ne partage pas l’opinion du demandeur selon laquelle la lettre relative à l’équité ne permet pas vraiment de savoir quel genre de preuve l’organisme consultatif s’attendait à recevoir. En plus des renseignements énoncés plus haut, l’avant‑dernier paragraphe de la lettre relative à l’équité précise ce qui suit :

[traduction]

Transports Canada vous invite à fournir par écrit de plus amples renseignements sur les circonstances entourant l’incident mentionné plus haut ainsi que toute autre information ou explication pertinente, y compris les circonstances atténuantes, quelles qu’elles soient, dans les 20 jours suivant la réception de la présente lettre. Tous les renseignements donnés seront examinés attentivement au moment de prendre la décision visant votre habilitation de sécurité.

[80] Mon examen du DCT révèle que les éléments de preuve et les renseignements sur lesquels se fonde le refus de délivrer une HST au demandeur ont été intégralement communiqués à ce dernier.

[81] Le demandeur soutient que, dans la lettre de refus, le délégué conclut qu’il n’a pas expliqué pourquoi il faisait le trafic de marijuana. Or, si on lui avait demandé de répondre à cette question, il l’aurait fait.

[82] Le demandeur a été invité à présenter une explication, à exposer les circonstances de l’incident et à ajouter n’importe quelle information pertinente ou circonstance atténuante.

[83] Ayant omis de le faire, le demandeur avance maintenant que, si [traduction] « on lui avait donné des précisions quant aux faits permettant d’étayer la décision » lorsqu’il a demandé des éclaircissements, il aurait sans hésiter témoigné à cet égard dans son affidavit initial.

[84] Même si je suis consciente du fait que l’instruction voulant qu’il fournisse [traduction] « toute autre information ou explication pertinente » ne soit pas très explicite, il n’appartient pas au décideur d’énoncer chacun des motifs particuliers sur lesquels il peut fonder son refus d’accorder une habilitation de sécurité : Dhesi c Canada (Procureur général), 2018 CF 283 au para 27, et les décisions qui y sont citées.

[85] Quant à l’argument du demandeur selon lequel il avait demandé des éclaircissements et n’était pas satisfait des réponses obtenues, la jurisprudence sur ce point est claire. L’organisme consultatif n’a pas l’obligation d’informer le demandeur des lacunes de sa réponse aux préoccupations soulevées ni de lui donner une autre occasion de réagir aux préoccupations restantes : Ritchie c Canada (Procureur général), 2020 CF 342 [Ritchie] au para 19.

[86] Le demandeur avait pleinement conscience du fait que l’accusation relative à l’incident en cause visait la possession en vue d’un acte donné, à savoir le trafic. N’importe quelle raison fournie par le demandeur afin d’expliquer pourquoi il s’était livré à cet acte aurait pu se révéler utile. Si, comme il l’allègue, il avait une bonne raison ou explication à fournir sur ce point, on lui a certainement donné l’occasion de le faire. Bien que le demandeur ait donné une explication au moment de formuler des observations dans le cadre de la présente demande, ni l’organisme consultatif ni le délégué n’en était saisi et elle ne peut être prise en compte pour trancher l’une ou l’autre des questions soulevées en l’espèce. Cela étant dit, il est loin d’être certain que cette information aurait donné lieu à un résultat différent si elle avait été portée à la connaissance de l’organisme consultatif.

[87] Comme l’organisme consultatif n’avait reçu aucune explication quant à l’incident en cause, il était à la fois raisonnable et équitable sur le plan de la procédure qu’il poursuive son examen sans demander de plus amples renseignements. Ni l’organisme consultatif ni le délégué n’avait l’obligation de donner au demandeur une seconde occasion de répondre : Dhesi au para 27.

[88] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le demandeur n’a pas réussi à s’acquitter du fardeau qui lui incombait d’établir qu’il ne connaissait pas la preuve à réfuter ou qu’il n’a pas eu l’occasion d’y répondre.

D. Le retard à rendre la décision n’était ni injuste ni déraisonnable et il n’y a pas eu atteinte à la liberté du demandeur

[89] Le demandeur soulève plusieurs arguments touchant ce qu’il qualifie de retard, dont la durée varierait entre [traduction] « 37 mois avant que le tribunal ne rende sa décision » et [traduction] « 16 mois avant que la décision ne soit communiquée […] alors qu’une décision avait déjà été rendue par le tribunal ». Il affirme en outre qu’il était [traduction] « déraisonnable, pendant ce retard de 16 mois, qu’il ait pu être réembauché alors qu’une décision avait déjà été rendue par le tribunal ».

[90] Selon une des séries d’arguments avancées, le « retard » à recevoir la décision a fait en sorte que le demandeur puisse demeurer à l’emploi de WestJet pendant près de quatre ans et être réembauché par Swoop pendant cette période à titre d’agent de bord. Au cours de cette période, le demandeur a dû obtenir une autre habilitation temporaire. Il affirme que l’organisme consultatif avait alors déjà, à son insu, décidé de refuser de lui accorder une habilitation de sécurité et qu’il a donc subi [traduction] « un revers dans sa carrière » puisqu’il a continué de travailler pour Swoop jusqu’à la communication de la décision.

[91] Cet argument selon lequel le retard a été inéquitable sur le plan de la procédure pour le demandeur est pratiquement identique à celui avancé dans la décision Ritchie.

[92] Dans cette affaire, la demanderesse, Mme Ritchie, affirmait qu’elle avait pu continuer de travailler pendant près de deux ans après avoir répondu à la lettre sur les préoccupations de l’organisme consultatif. Le juge Fothergill a conclu que, même si cette période pouvait soulever des questions quant à la gravité du risque que Mme Ritchie représentait pour la sûreté aérienne, le long délai n’avait pas pour effet de rendre la décision finale inéquitable ni d’exiger qu’on donne à Mme Ritchie une autre occasion de réagir. Il a statué que la décision du délégué était équitable sur le plan de la procédure : Ritchie au para 20.

[93] Compte tenu de la jurisprudence de notre Cour, j’estime que la période de 16 mois ne permet pas de conclure à un manque d’équité procédurale et ne donne pas naissance à une obligation de donner au demandeur une autre occasion de réagir. De plus, selon moi, cette période n’étaye pas la conclusion voulant que la décision soit déraisonnable.

[94] Le demandeur allègue qu’il aurait dû être informé plus tôt de la décision de l’organisme consultatif parce qu’il n’aurait pas continué d’occuper son emploi s’il avait su que cette décision lui était défavorable. Le demandeur affirme que, s’il avait su qu’il n’obtiendrait pas une HST et qu’il n’avait donc aucune carrière future au sein de l’industrie de l’aéronautique, il aurait cherché un autre emploi.

[95] Je ne souscris pas à cet argument. Lorsqu’il l’a formulé, le demandeur a soit négligé, soit refusé d’accepter le fait que l’organisme consultatif soumet uniquement une recommandation au ministre. La décision finale en l’espèce a été prise par le délégué nommé par le ministre. Le délégué n’a prononcé la décision qu’après avoir reçu, examiné et pris en considération la recommandation de l’organisme consultatif.

[96] Compte tenu des accusations initialement portées contre lui et de sa connaissance du fait que son habilitation de sécurité était mise en doute, j’estime que le demandeur aurait dû savoir qu’il existait une possibilité raisonnable que l’HST lui soit refusée et qu’il ne puisse plus, à ce moment, continuer de travailler dans l’industrie aéronautique. Le demandeur a néanmoins librement choisi de demeurer au service de WestJet et de Swoop plutôt que de chercher d’autres possibilités d’emploi. Il ne peut maintenant, en rétrospective, affirmer qu’il aurait agi différemment s’il ne s’était pas écoulé 16 mois avant le prononcé de la décision.

[97] La thèse du demandeur selon laquelle le retard de 16 mois a porté atteinte à sa liberté repose sur le même fondement. Il soutient que ce retard a eu des incidences sur sa liberté [« liberty » dans la version anglaise des présents motifs] d’obtenir un nouvel emploi intéressant et de prendre des décisions au sujet de sa carrière. Dans ce contexte, le terme « liberté »liberty » dans la version anglaise des présents motifs] semble être synonyme de « liberté » freedom » dans la version anglaise des présents motifs] par opposition au droit à la liberté garanti par la Charte ou au droit de ne pas être incarcéré pour une infraction criminelle. Comme je l’ai conclu plus haut, le demandeur était libre de trouver un autre emploi, mais il a choisi de ne pas le faire même s’il aurait dû se rendre compte du risque que l’HST lui soit refusée. Quoiqu’il en soit, le demandeur n’a présenté aucune justification juridique permettant d’étayer ce moyen liée à la liberté, lequel, à mon avis, est dénué de fondement.

[98] Le dernier argument avancé par le demandeur à cet égard tient au fait qu’il aurait subi un préjudice d’ordre psychologique et émotionnel par suite de la perte de son emploi, auquel il s’est consacré pendant quatre ans. Or, le demandeur n’a produit aucun élément de preuve établissant l’existence d’un tel préjudice. Par conséquent, il n’y a rien à examiner.

[99] Compte tenu du très vaste pouvoir discrétionnaire que l’article 4.8 de la Loi confère au ministre et de l’importance, à la fois pour le demandeur et le grand public, d’examiner attentivement la question de l’opportunité de donner accès aux zones réglementées d’un aéroport, je conclus que la période de 16 mois passée en l’espèce à analyser l’affaire ne paraît pas déraisonnable.

[100] La période écoulée préalablement au prononcé de la décision n’a pas pour effet de rendre celle‑ci déraisonnable ou inéquitable.

E. Aucune preuve de partialité ou du fait que le décideur n’a pas été juste et impartial

[101] Le demandeur allègue qu’il n’a pas eu droit à une audience équitable devant un décideur impartial. Il affirme avoir [traduction] « éprouvé une "crainte raisonnable de partialité" en ce qui concerne la lettre de refus parce que tous les éléments de preuve présentés portent à croire le contraire ».

[102] Le demandeur étaye son allégation en affirmant que, à la lumière de la preuve qu’il a produite, la conclusion formulée dans la décision donne à penser qu’il n’a pas été entendu par un décideur juste et impartial. Il s’agit d’une allégation voulant que le délégué ait fait preuve de partialité.

[103] Le critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité est le suivant. « [À] quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » : Oleynik c Canada (Procureur général), 2020 CAF 5 [Oleynik] au para 56.

[104] Lorsqu’une allégation de crainte de partialité est formulée, il incombe à son auteur de montrer qu’il existait une réelle vraisemblance ou probabilité que le décideur soit partial. Le seuil à franchir pour tirer cette conclusion est élevé. Les motifs invoqués pour établir l’existence de la crainte doivent être sérieux. Le seuil à franchir pour conclure à une crainte raisonnable de partialité est élevé, et le fardeau de la partie qui cherche à établir l’existence d’une crainte raisonnable est donc élevé : Oleynik au para 57.

[105] Selon le demandeur, le décideur a nécessairement été partial puisque la preuve qu’il lui a présentée aurait dû le convaincre de tirer une conclusion différente. Par cette allégation, le demandeur exprime sa propre opinion sur la qualité de la preuve prise en compte par l’organisme consultatif et le délégué. Il invite donc la Cour à soupeser de nouveau la preuve. Or, ce n’est pas le rôle du tribunal dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Dhesi au para 24.

[106] En réalité, à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision doivent s’abstenir, suivant les strictes directives de la Cour suprême, « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : Vavilov au para 125. Il n’y a aucune circonstance exceptionnelle de cette nature dans la présente affaire.

[107] Le demandeur soutient que le délégué aurait tiré la conclusion contraire s’il avait dûment tenu compte des lettres de recommandation produites et du fait que l’accusation au criminel avait été retirée et qu’il avait travaillé pendant 19 mois dans des aéroports, avec un accès supervisé aux zones réglementées, sans aucun problème.

[108] Cette allégation est également incompatible avec le processus d’appréciation de la preuve. Elle ne satisfait pas au critère applicable pour établir l’existence de partialité de la part de l’organisme consultatif ou du délégué.

[109] Je conclus que le demandeur ne s’est pas acquitté de son obligation de prouver que l’organisme consultatif ou le délégué a fait preuve de partialité à son égard.

F. Ces faits ne donnent lieu à aucune attente légitime

[110] Le demandeur affirme qu’il s’attendait, en toute légitimité, à bénéficier d’une certaine protection d’ordre procédural en raison de l’emploi qu’il a occupé pendant une durée de 37 mois entre la date de sa demande d’HST et celle de la lettre de refus.

[111] La question de savoir si la décision était inéquitable parce que le demandeur avait une attente légitime qui n’a pas été remplie intéresse également l’équité procédurale.

[112] Il y a attente légitime lorsque, dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi, un représentant de l’État fait des affirmations « claires, nettes et explicites » à un administré concernant la tenue d’un processus administratif : Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30 [Mavi] au para 68.

[113] On juge suffisamment précise pour les besoins de la théorie de l’attente légitime l’affirmation gouvernementale qui, si elle avait été faite dans le contexte du droit contractuel privé, serait suffisamment claire pour être susceptible d’exécution : Mavi au para 69.

[114] De plus, l’impossibilité que la théorie de l’attente légitime constitue la source de droits matériels lui apporte une restriction importante. La Cour peut seulement accorder une réparation procédurale convenable pour répondre à l’expectative légitime : Agraira au para 97 (souligné dans l’original).

[115] J’ai déjà conclu que le demandeur avait reçu des réparations procédurales convenables. Il n’a pas précisé ni déclaré qu’on lui avait fait des affirmations claires, nettes et explicites concernant la tenue d’un processus administratif, autre que celui dont il a fait l’objet.

[116] Même s’il existait une attente légitime que le processus donne lieu à un résultat donné, cette attente n’est pas susceptible d’exécution : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 [Agraira] au para 97.

[117] J’arrive donc à la conclusion que le demandeur n’a pas réussi à établir qu’il avait une attente légitime concernant le recours à un processus ou à une pratique en particulier ni que cette attente n’a pas trouvé satisfaction.

[118] Pour tous les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincue que la décision a été prise d’une manière qui, d’une façon ou d’une autre, aurait été inéquitable sur le plan de la procédure pour le demandeur.

IX. La décision est raisonnable

[119] Le demandeur soulève quelques points dans le cadre de la question de savoir si la décision était déraisonnable pour cause d’erreurs de politique et d’erreurs de fait.

[120] Le demandeur affirme que la décision a été prise sans tenir compte des politiques de Transports Canada relatives à l’annulation et au refus d’une habilitation qui sont prévues à l’article II.35 de la partie II, intitulée « Normes », du PHST. Un résumé de ces politiques figure plus haut dans l’Aperçu du processus visant l’habilitation de sécurité.

[121] L’argument lié aux politiques qu’avance le demandeur n’est pas tout à fait clair, mais je crois qu’il s’agit du fait que le PHST n’aurait pas été appliqué de façon raisonnable, particulièrement à la lumière des lettres de recommandation qu’il a produites. En outre, comme l’accusation a été retirée, le demandeur conteste à nouveau l’issue parce que, selon lui, il est déraisonnable, du point de vue des faits, d’avoir conclu qu’il constituait un « risque pour l’aviation ».

[122] Au moment d’apprécier le caractère raisonnable de la décision, le critère appliqué par le délégué pour refuser une HST est important. Si le mauvais critère a été appliqué, la décision ne peut être maintenue et elle doit être annulée.

[123] Le critère prévu par la loi pour décider si une HST doit être annulée, suspendue, refusée ou accordée est très peu exigeant. Le décideur doit seulement être convaincu que la personne « est sujette ou peut être incitée » à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider qu’un tel acte soit commis : alinéa I.4.4) du PHST. C’est le critère qui a été appliqué en l’espèce.

[124] Au moment d’appliquer le critère, on a conclu que l’octroi d’une HST est un privilège et non un droit. Un seul cas de conduite amenant à douter du jugement, de la fiabilité et de l’honnêteté d’une personne pourrait, compte tenu du fait que le seuil pour satisfaire au critère est bas, suffire à justifier la révocation d’une habilitation de sécurité : Dorélas c Canada (Transports), 2019 CF 257 au para 35.

[125] Certains arguments relatifs au manque d’équité procédurale soulevés par le demandeur ont également été invoqués pour étayer l’allégation selon laquelle la décision est déraisonnable. Je ne reviendrai pas sur ces moyens ni sur mon analyse de ceux‑ci puisque j’ai déjà statué qu’ils ne permettent pas de conclure que la décision est déraisonnable.

A. La décision ne se fonde pas sur un seul fait

[126] Le demandeur affirme que la décision repose uniquement sur le fait qu’il a été accusé de possession de marijuana avec l’intention d’en faire le trafic et que cela est déraisonnable. Les motifs de la décision n’ont pas une portée aussi restreinte.

[127] Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation du demandeur. Lorsqu’il a conclu que l’HST devrait être refusée, le délégué s’est appuyé sur plusieurs faits et facteurs :

  • a) Le demandeur a reconnu que les faits énoncés dans la lettre relative à l’équité étaient exacts;

  • b) L’importante quantité de marijuana trouvée en sa possession excédait celle qui suffit à une consommation personnelle;

  • c) Cette quantité avait une valeur de revente estimée entre 1 640 $ et 3 280 $;

  • d) La somme en espèces et la quantité de marijuana, lorsqu’examinées ensemble, donnent à penser que le demandeur était impliqué dans du trafic, ce qui soulève une préoccupation puisque cet acte a été commis récemment et que le demandeur demande l’accès à une zone réglementée d’un aéroport qui exige un degré élevé d’intégrité et de confiance;

  • e) On a pris acte et tenu compte des lettres de recommandation favorables;

  • f) Aucune précision expliquant pourquoi le demandeur se livrait au trafic de marijuana n’a été donnée;

  • g) Le demandeur a reconnu avoir commis une erreur qui ne ressemblait pas à son comportement habituel;

  • h) Le trafic ne constitue pas qu’une simple « erreur », c’est un mode de vie. Il s’agit d’un acte organisé, prémédité et passablement complexe. Une source est nécessaire pour obtenir les substances et il faut des acheteurs auxquels les vendre;

  • i) La somme de 2 240 $ en espèces trouvée dans le véhicule laisse à penser que le demandeur se livrait peut‑être au trafic avant l’incident unique visé en l’espèce. À la lumière du caractère récent et de la gravité de l’incident, les observations du demandeur n’offraient pas suffisamment de renseignements pour écarter les préoccupations du délégué.

[128] Il ressort des facteurs examinés par le délégué que l’accusation de possession d’une substance avec l’intention d’en faire le trafic est loin d’avoir été le seul élément pris en considération.

[129] J’estime que le demandeur n’a pas établi que la décision a été rendue sur le fondement qu’il avance ni qu’elle est déraisonnable.

[130] Le demandeur soutient en outre que Transports Canada l’a qualifié de peu fiable, de malhonnête et de criminel organisé contrairement aux lettres de recommandation qu’il a produites et qui constituaient selon lui [traduction] « les seuls éléments impartiaux sur lesquels le délégué pouvait s’appuyer ». Un examen attentif de la décision ne révèle aucune mention voulant que le demandeur soit malhonnête ou peu fiable. Le terme « criminel » a été employé relativement à l’activité de trafic, mais le délégué a confirmé que le demandeur, grâce à l’agent de police notamment, n’avait aucun antécédent judiciaire.

[131] L’élément fondamental de la décision repose sur le fait que le demandeur a omis de donner des renseignements pour expliquer ce qui s’était passé. Cette conclusion est raisonnable. Le demandeur a été informé, dans la lettre relative à l’équité et en réponse à sa demande explicite de précisions, qu’il devait fournir toute autre information ou explication pertinente, y compris les circonstances atténuantes.

[132] Cet argument n’a pas permis d’établir que le processus était inéquitable pour le demandeur sur le plan de la procédure ni, pour les motifs exposés plus haut, que la décision est déraisonnable.

B. La décision ne comporte aucune erreur de fait ou erreur de politique

[133] Je crois que l’argument formulé par le demandeur à cet égard tient au fait que le délégué n’a pas appliqué le PHST de façon appropriée. Mon affirmation en ce sens se fonde sur un certain nombre de faits que le demandeur énumère au paragraphe 46 de son mémoire exposant les faits et le droit, sur lesquels je me suis déjà penchée dans les présents motifs. Le sixième fait énoncé à l’alinéa 46.f du mémoire du demandeur n’a pas encore été examiné. Le voici :

[traduction]

46. Le « demandeur » a développé, à l’égard de sa carrière, une dépendance légitime fondée sur le résultat favorable obtenu au titre de sa CIZR. Le « demandeur » a développé une dépendance légitime fondée sur le comportement de Transports Canada en ce qui concerne :

[…]

f. Le fait de NE PAS avoir été déclaré coupable des accusations visées par le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport.

[134] En mettant les termes [traduction] « NE PAS » en majuscules, le demandeur semble alléguer soit que le délégué a, à tort, cru que le demandeur avait été condamné pour un acte criminel, soit que le délégué a mal appliqué le PHST. Cette allégation nécessite d’interpréter le PHST comme s’il ne pouvait s’appliquer que dans le cas où le demandeur aurait été condamné pour un acte criminel.

[135] Selon le sous‑alinéa II.35.2)a)ii. du PHST, une HST peut être annulée ou refusée en raison de « tout facteur pertinent, y compris […] si la personne a été condamnée ou autrement trouvée [sic] coupable […] pour les infractions suivantes ["of an offence including but not limited to", dans la version anglaise du PHST] : […] le trafic, la possession dans le but d’en faire le trafic, ou l’exportation ou l’importation dans le cadre de la Loi sur les drogues et substances contrôlées » (non en italiques dans l’original). La mention « including but not limited to », qui pourrait se traduire par « entre autres », n’a pas d’équivalent dans la version française de cette disposition.

[136] Lorsqu’il a avancé son argument, le demandeur n’avait peut‑être pas conscience de l’importance que revêtent les termes reproduits plus haut en italiques. En l’occurrence, ils signifient simplement que le trafic n’est qu’un facteur parmi d’autres pouvant être pris en compte pour décider s’il y a lieu d’accorder ou de refuser la demande d’HST.

[137] Le ministre s’appuie sur les lignes directrices formulées dans le PHST, lequel est de nature prospective. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le ministre peut considérer tout facteur qu’il croit pertinent, y compris les accusations ou poursuites criminelles, qu’elles soient en cours de traitement ou qu’elles se soient soldées par une déclaration de culpabilité. Le ministre peut considérer les facteurs sous-jacents pour savoir si un candidat risque de constituer une menace présente ou future pour la sécurité aérienne : Chambers c Canada (Transports), 2017 CF 698 [Chambers] au para 18.

[138] À la lumière de ce qui précède, je suis convaincue que les raisons invoquées ne permettent pas de conclure que le délégué a commis une erreur de fait ou une erreur de droit ni que la décision est déraisonnable ou inéquitable.

C. Les motifs satisfont au critère relatif au caractère raisonnable énoncé dans l’arrêt Vavilov

[139] Le demandeur allègue en outre qu’il avait le droit d’obtenir des motifs et qu’il n’en a pas reçus. Il estime qu’il fallait accorder beaucoup d’importance aux lettres de recommandation et il ne sait pas pourquoi sa demande d’HST a été refusée. La décision précise uniquement que les lettres de recommandation ont été lues et considérées comme favorables.

[140] Cet argument s’apparente à une allégation voulant que les motifs ne soient pas suffisants. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[141] J’ai exposé en détail les divers faits et facteurs sur lesquels s’est appuyé le délégué pour décider de refuser d’accorder une HST au demandeur. À mon avis, ces faits et facteurs montrent « pourquoi » sa demande d’HST a été refusée puisqu’ils ont pour effet, pris dans leur ensemble, de l’emporter sur les lettres de recommandation.

[142] Je me pencherai maintenant sur la dernière question à trancher, à savoir si les motifs donnés dans la décision satisfont aux exigences en matière de caractère raisonnable énoncées dans l’arrêt Vavilov.

[143] La décision est approfondie, sans être longue. Elle est clairement écrite sur deux pages à simple interligne.

[144] Au moment d’examiner les divers arguments soumis par le demandeur et de me prononcer sur ceux‑ci, j’ai étudié la décision sous plusieurs angles et je n’y ai constaté aucune lacune ou erreur fatale.

[145] Mon examen me convainc que la décision est intrinsèquement cohérente et fondée sur une analyse rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le délégué est assujetti. Je dois donc faire preuve de déférence envers cette décision : Vavilov au para 85.

[146] J’arrive également à la conclusion que la décision satisfait aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification. Contrairement à ce que croit le demandeur, elle précise comment et pourquoi le délégué a tranché l’affaire comme il l’a fait. Je suis convaincue que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Vavilov au para 86.

[147] Pour tous les motifs qui précèdent, la demande est rejetée, sans dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑5‑20

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié de sorte que le défendeur soit le Procureur général du Canada.

  2. La demande est rejetée, sans dépens.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-5-20

 

INTITULÉ :

ANDREW FARRUGIA c PROCUREUR GÉNÉRAL, MINISTRE DES TRANSPORTS, CANADA – SÉCURITÉ ET SÛRETÉ, SÉCURITÉ AÉRIENNE, ET ORGANISME CONSULTATIF D’EXAMEN D’HABILITATION DE SÉCURITÉ EN MATIÈRE DE TRANSPORT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 MARS 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 OctobRe 2021

 

COMPARUTIONS :

Andrew Farrugia

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Samantha Pillon

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURs

 

 

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