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Date : 20210927


Dossier : IMM-6572-20

Référence : 2021 CF 1003

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 27 septembre 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

GAO LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Li sollicite le contrôle judiciaire d’une décision prise par une agente d’immigration (l’agente) qui a refusé sa demande de permis d’études. Pour les motifs qui suivent, le présent contrôle judiciaire est accueilli, car la décision de l’agente n’est pas raisonnable.

Contexte

[2] M. Li, 48 ans, est un citoyen de la Chine qui est arrivé au Canada en janvier 2020 à titre de résident temporaire. Il a obtenu un visa de visiteur d’une durée de six mois, valide du 9 janvier 2020 au 9 juillet 2020. La validité de ce visa et du statut de résident temporaire a par la suite été prolongée jusqu’au 15 novembre 2020.

[3] Le 12 novembre 2020, alors qu’il était encore au Canada, M. Li a présenté une demande de permis d’études, au titre du sous‑alinéa 215(1)f)(iii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), pour suivre le programme en gestion culinaire du Collège Centennial en Ontario. Cette disposition permet à un étranger de faire une demande après son entrée au Canada s’il a terminé un cours exigé pour s’inscrire à un établissement d’enseignement désigné.

[4] Dans sa demande, M. Li a indiqué avoir terminé un cours d’anglais préalable en ligne, qu’il a suivi du 1er juin 2020 au 6 novembre 2020, à l’International Language Academy of Canada (ILAC).

[5] Dans l’intervalle, le 20 juillet 2020, Immigration, Refugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a rendu publiques de nouvelles instructions sur l’exécution des programmes (les IEP) concernant les permis d’études délivrés pendant la pandémie de COVID‑19.

La décision faisant l’objet du contrôle

[6] Dans une décision du 10 décembre 2020, l’agente a refusé la demande de permis d’études de M. Li. Les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) expliquent comme suit les motifs de cette décision :

[traduction]

Le client n’a pas terminé le cours préalable à temps après son entrée au Canada.

Le client a suivi le cours préalable à l’extérieur de la période de 6 mois autorisée lors de son entrée. Puisque le cours préalable a été suivi alors qu’il n’était pas autorisé à étudier, le client ne peut pas présenter de demande PE-Prol en vertu du sous‑alinéa R215(1)f)(iii).

Le client a dépassé la période autorisée par l’alinéa R188(1)c).

Le client doit présenter une demande outre-frontières.

La demande est refusée.

Dispositions législatives pertinentes

[7] Le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 dispose :

Visa et documents

Application before entering Canada

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[8] L’alinéa 183(1)c) du Règlement est formulé ainsi :

Conditions d’application générale

General Conditions

183 (1) Sous réserve de l’article 185, les conditions ci-après sont imposées à tout résident temporaire :

183 (1) Subject to section 185, the following conditions are imposed on all temporary residents:

[…]

[…]

c) il ne doit pas étudier sans y être autorisé par la Loi, la présente partie ou la partie 12;

(c) to not study, unless authorized by the Act, this Part or Part 12; and

[9] L’alinéa 188(1)c) du Règlement est rédigé ainsi :

Permis non exigé

No permit required

188 (1) L’étranger peut étudier au Canada sans permis d’études dans les cas suivants :

188 (1) A foreign national may study in Canada without a study permit

[…]

[…]

c) il suit un cours ou un programme d’études d’une durée maximale de six mois qu’il terminera à l’intérieur de la période de séjour autorisée lors de son entrée au Canada;

(c) if the duration of their course or program of studies is six months or less and will be completed within the period for their stay authorized upon entry into Canada;

[10] Le sous-alinéa 215(1)f)(iii) du Règlement est libellé ainsi :

Demande après l’entrée au Canada

Application after entry

215 (1) L’étranger peut faire une demande de permis d’études après son entrée au Canada dans les cas suivants :

215 (1) A foreign national may apply for a study permit after entering Canada if they

[…]

[…]

) il est un résident temporaire qui, selon le cas :

(f) are a temporary resident who

[…]

[…]

(iii) a terminé un cours ou un programme d’études exigé pour s’inscrire à un établissement d’enseignement désigné;

(iii) has completed a course or program of study that is a prerequisite to their enrolling at a designated learning institution;

[11] Enfin, l’article 221 du Règlement dispose :

Non-respect des conditions

Failure to comply with conditions

221 Malgré la section 2, il n’est délivré de permis d’études à l’étranger qui a déjà étudié ou travaillé au Canada sans autorisation ou permis ou qui n’a pas respecté une condition imposée par un permis que dans les cas suivants :

221 Despite Division 2, a study permit shall not be issued to a foreign national who has engaged in unauthorized work or study in Canada or who has failed to comply with a condition of a permit unless

a) un délai de six mois s’est écoulé depuis la cessation des études ou du travail sans autorisation ou permis ou du non-respect de la condition;

(a) a period of six months has elapsed since the cessation of the unauthorized work or study or failure to comply with a condition;

b) ses études ou son travail n’ont pas été autorisés pour la seule raison que les conditions visées aux sous-alinéas 185b)(i) à (iii) ou aux alinéas 185a) ou c) n’ont pas été respectées;

(b) the work or study was unauthorized by reason only that the foreign national did not comply with conditions imposed under paragraph 185(a), any of subparagraphs 185(b)(i) to (iii) or paragraph 185(c); or

c) il s’est subséquemment vu délivrer un permis de séjour temporaire au titre du paragraphe 24(1) de la Loi.

(c) the foreign national was subsequently issued a temporary resident permit under subsection 24(1) of the Act.

Questions

[12] Les questions suivantes sont à trancher :

  1. La Cour devrait-elle examiner l’affidavit de l’agente?

  2. Des questions d’équité procédurale sont‑elles soulevées?

  3. La décision de l’agente est‑elle raisonnable?

  4. Y a‑t‑il en l’espèce des questions à certifier?

Norme de contrôle

[13] Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme du caractère raisonnable, la Cour doit garder à l’esprit que la décision « doit être justifié[e], intelligible et transparent[e] […] » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 95 [Vavilov]). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85).

[14] La norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43); Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24 au para 79).

Analyse

1. La Cour devrait-elle examiner l’affidavit de l’agente?

[15] Le défendeur a produit un affidavit souscrit par l’agente en date du 25 juin 2021. Le demandeur ne s’est pas opposé à cet affidavit, ce qui n’empêche pas la Cour d’en examiner le contenu afin de déterminer s’il est pertinent d’en tenir compte dans le cadre du contrôle judiciaire.

[16] Cet affidavit apporte des précisions au sujet des motifs limités fournis par l’agente et, au paragraphe 14, aborde en détail les instructions sur l’exécution des programmes rendues publiques le 20 juillet 2020.

[17] La Cour a statué qu’un agent n’est pas autorisé à renforcer les motifs de sa décision, après le fait, au moyen d’un affidavit (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 687 au para 24; Seemungal c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2017 CF 524 au para 21; Adbullah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1185 aux para 12-15).

[18] À mon avis, l’affidavit déposé par l’agente n’est clairement qu’une tentative de renforcer les motifs de sa décision après le fait. L’affidavit fait longuement état des instructions sur l’exécution des programmes (IEP) rendues publiques le 20 juillet 2020. Toutefois, les IEP ne sont pas mentionnées dans la décision de l’agente comme un motif du refus. Par conséquent, je n’examinerai pas le contenu de l’affidavit et je me fonderai seulement sur l’information qui se trouve dans le dossier certifié du tribunal.

2. Des questions d’équité procédurale sont-elles soulevées?

[19] M. Li soutient que les notes de l’agente indiquent que cette dernière a commencé par approuver la demande de permis d’études pour ensuite la refuser et que, par conséquent, la règle du dessaisissement lui interdisait de revenir sur sa décision initiale.

[20] Bien que, selon ses notes du 9 décembre 2020, l’agente ait, en premier lieu, jugé que M. Li serait admissible à obtenir un permis d’études, elle a, après un examen plus approfondi de la demande, conclu qu’il n’avait pas le droit de présenter une demande depuis le Canada. Toutefois, la première décision de l’agente, soit qu’il serait admissible à obtenir un permis d’études, n’a jamais été communiquée à M. Li. Ce dernier n’est au courant de cette première décision que parce qu’elle était incluse dans les notes de l’agente qui lui ont été remises après sa décision.

[21] Ainsi, l’affaire citée par le demandeur à l’appui de sa position, Yan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), [1999] ACF no 855 [Yan], se distingue de la présente espèce. Dans l’affaire Yan, l’agent avait communiqué son évaluation positive verbalement au demandeur pendant une entrevue, puis avait, par la suite, refusé sa demande de résidence permanente.

[22] De toute façon, la règle du dessaisissement ne s'applique « que si le jugement [a] été rédigé, prononcé et inscrit […] » et elle fait l’objet d’une exception en cas d’erreur administrative (Chandler c Alberta Association of Architects, [1989] 2 RCS 848 à la p 860; Salewski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 899 au para 45). Ce n’est pas le cas dans la présente affaire puisqu’il n’y a aucune preuve que l’agente a délivré un permis d’études.

[23] Par conséquent, le présent contrôle judiciaire ne soulève aucune question d’équité procédurale.

3. La décision de l’agent est-elle raisonnable?

[24] M. Li a présenté sa demande de permis d’études en vertu du sous‑alinéa 215(1)f)(iii) du Règlement. L’agente a jugé que cette disposition ne s’appliquait pas à la situation de M. Li puisqu’il avait terminé un cours préalable après le 9 juillet 2020, soit après l’expiration de son visa de visiteur de six mois, en contravention de l’alinéa 188(1)c) du Règlement.

[25] M. Li soutient que, parce que le programme de l’ILAC était offert en ligne, il n’était pas obligé d’obtenir un permis d’études et, par conséquent, l’alinéa 188(1)c) du Règlement ne s’applique pas à sa situation. Autrement dit, M. Li n’était pas exempté de l’obligation d’obtenir un permis d’études aux termes de l’alinéa 188(1)c); il était plutôt exempté de cette obligation parce que son programme était offert en ligne. Il souligne le passage suivant du Guide opérationnel d’IRCC :

Puisque, par définition, l'apprentissage à distance ne requiert pas que l'étudiant se trouve au Canada, aucun permis d'études ne doit être délivré pour ce type de cours. Par exemple, si l'étranger ne peut entreprendre des études en raison d'une condition lui ayant été imposée relativement à son permis de travail, il peut suivre des cours à distance.

[26] En réponse à cet argument, le défendeur fait valoir que le sous‑alinéa 215f)(iii) et l’alinéa 188(1)c) du Règlement doivent être lus ensemble, de telle sorte que le cours préalable mentionné au sous-alinéa 215f)(iii) doit être terminé dans les six mois après l’entrée du demandeur au Canada, peu importe que le programme soit offert en ligne ou en personne.

[27] À l’appui de sa position, le défendeur invoque les IEP publiées le 20 juillet 2020 et la décision Zhang c Canada, 2016 CF 964 [Zhang].

[28] Les faits dans l’affaire Zhang diffèrent de ceux de la présente affaire. Dans l’affaire Zhang, la demanderesse s’était fait refuser un permis d’études après avoir terminé un programme d’anglais, langue seconde, après l’expiration de la période prévue à l’alinéa 188(1)c). Toutefois, rien n’indique que ce programme d’anglais, langue seconde, était un programme en ligne, comme dans la présente affaire. Plus important encore, l’agent dans l’affaire Zhang s’est fondé sur l’alinéa 183(1)c) pour refuser la demande au motif que la demanderesse a étudié sans autorisation. Contrairement à l’affaire Zhang, l’agente responsable du dossier de M. Li n’a pas mentionné l’alinéa 183(1)c) ni l’article 221.

[29] Dans la présente affaire, l’agente a importé le délai de six mois prévu à l’alinéa 188(1)c) dans l’examen du sous-alinéa 215(1)f)(iii), soit la disposition en vertu de laquelle M. Li a présenté sa demande. Toutefois, il ressort d’une simple lecture du sous‑alinéa 215(1)f)(iii) que celui‑ci n’incorpore pas le paragraphe 188(1)c). Si le législateur avait voulu l’incorporer, il aurait recouru au libellé approprié. L’agente semble avoir confondu les deux dispositions en examinant la demande de M. Li.

[30] De plus, l’agente ne semble pas avoir tenu compte du fait que les IEP ont été rendues publiques près de deux mois après que M. Li eut commencé son programme en ligne. Elle ne s’est pas non plus demandé si les IEP s’appliquaient à la situation de M. Li. Les IEP mentionnent expressément les « étudiants potentiels qui souhaitent commencer un programme d’études exigeant normalement d’assister aux cours en personne ». Il n’est pas clair si les IEP étaient censées viser la situation de M. Li puisque que son programme a commencé deux mois avant la publication des IEP et qu’il était offert en ligne.

[31] De toute façon, le défaut de l’agente de se pencher, même brièvement, sur la disposition en vertu de laquelle M. Li a présenté sa demande et sur l’incidence possible de son cours en ligne rend la décision déraisonnable puisqu’elle n’est pas « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle [qui] est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » comme l’exige l’arrêt Vavilov (au para 85).

4. Y a‑t‑il en l’espèce des questions à certifier?

[32] Le demandeur demande à la Cour de certifier les questions suivantes :

  1. Que signifie l’expression « étudié […] sans autorisation » à l’article 221 du Règlement?

  2. Les étudiants des programmes d’apprentissage à distance peuvent‑ils étudier sans autorisation?

[33] Le critère relatif à la certification d’une question a été défini par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168 au para 9 :

Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l'issue de l'appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d'instance inférieure, et elle doit découler de l'affaire, et non des motifs du juge [références omises].

[34] Le défendeur soutient qu’aucune question à certifier ne découle des faits de la présente affaire.

[35] À mon avis, la présente affaire repose très largement sur les faits particuliers de l’espèce et non sur les questions plus générales soulevées par le demandeur. Par conséquent, je refuse de certifier ces questions.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6572-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agente est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision;

  2. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6572-20

 

INTITULÉ :

GAO LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR vidéoconfÉrence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 AOÛT 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 septembrE 2021

 

COMPARUTIONS :

Jie Han

POUR LE DEMANDEUR

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jie Han, avocat

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (C.-B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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