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Date : 20210927


Dossier : IMM-3423-20

Référence : 2021 CF 1002

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 27 septembre 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

YINGTING WANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Yingting Wang, une citoyenne chinoise, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas (l’agent) a rejeté sa demande de permis de travail le 15 juin 2020. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée puisque la décision de l’agent est raisonnable et qu’il n’y a eu aucune violation du droit à l’équité procédurale de la demanderesse.

Contexte et décision faisant l’objet du contrôle

[2] Après que sa proposition d’ouvrir un salon de thé aux perles à Martensville, en Saskatchewan, eut été approuvée dans le cadre du programme Candidats immigrants pour la Saskatchewan (le PCIS), Mme Wang a présenté une demande de visa de travail.

[3] Le 15 juin 2020, l’agent a rejeté la demande, au motif que Mme Wang n’avait pas démontré qu’elle serait en mesure d’effectuer le travail de façon adéquate ni que le travail qu’elle ferait permettrait de créer ou de conserver des débouchés ou des avantages sociaux, culturels ou économiques pour les citoyens canadiens, comme l’exige l’alinéa 205a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement).

[4] Les notes de l’agent font ressortir les points suivants : Mme Wang n’a pas fourni d’adresse précise pour son entreprise; son plan d’affaires était vague en ce qui concerne l’achat d’une propriété; la viabilité d’un salon de thé aux perles à Martensville et la façon dont il ferait concurrence aux autres salons de thé; la façon dont la demanderesse couvrirait les dépenses pour les cotisations au Régime de pension du Canada (le RPC) et à l’Assurance-emploi (l’AE); et une divergence dans la façon dont Mme Wang décrivait son partenaire à la fois comme un « petit ami » et un « conjoint de fait ».

[5] La demande visant un nouvel examen de la décision de l’agent a été rejetée le 12 juillet 2020.

Question préliminaire

[6] Le défendeur s’oppose aux paragraphes 14 à 46, au paragraphe 48 et à la pièce F (la pièce) de l’affidavit de la demanderesse daté du 12 octobre 2020 et déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Le défendeur fait valoir que ces paragraphes de l’affidavit contiennent des opinions et des arguments inappropriés, et il soutient que la pièce est une preuve extrinsèque dont ne disposait pas l’agent.

[7] Même si la demanderesse soutient que l’affidavit ne fait qu’aborder les questions soulevées par l’agent, je conviens avec le défendeur que certaines parties de celui-ci contiennent des arguments et des opinions qui ne sont pas appropriées dans le contexte d’un contrôle judiciaire et j’en ferai donc abstraction.

[8] En ce qui concerne la pièce F de l’affidavit de la demanderesse, en règle générale, la Cour juge les demandes de contrôle judiciaire sur la base des documents soumis au décideur administratif. Des éléments de preuve additionnels peuvent être recevables dans un nombre limité de circonstances, par exemple lorsqu’ils sont nécessaires pour résoudre des questions d’équité procédurale ou de compétence (Ordre des architectes de l’Ontario c Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218 au para 30). À mon avis, de telles circonstances ne sont pas présentes en l’espèce, de sorte que la pièce F n’est pas recevable.

Questions en litige

[9] La demanderesse soulève les questions en litige suivantes :

1. La décision de l’agent des visas est-elle raisonnable?

2. Les motifs exposés par l’agent des visas sont-ils suffisants?

3. L’agent des visas a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale?

Norme de contrôle

[10] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux deux premières questions est celle de la décision raisonnable. Tel qu’énoncé dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 : « La cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci. » [Renvois omis.]

[11] La norme de contrôle applicable à la troisième question est celle de la décision correcte. Les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, le juge Binnie au para 43.

Analyse

1. La décision de l’agent des visas est-elle raisonnable?

[12] La demanderesse fait valoir que la décision de l’agent est déraisonnable pour un certain nombre de motifs que j’aborde ci-dessous.

Approbation du PCIS

[13] La demanderesse soutient que l’agent n’a pas tenu compte de l’article 4.9 de l’annexe A de l’Accord Canada-Saskatchewan sur l’immigration de 2005, qui indique que le Canada considère le certificat de désignation délivré par la Saskatchewan comme une première preuve que l’admission favorise le développement économique de la Saskatchewan de façon notable, et qu’il était déraisonnable pour l’agent d’y substituer sa propre analyse.

[14] Cependant, cette observation ne tient pas compte de la distinction entre une lettre d’appui du PCIS et un certificat de désignation dans le cadre du programme. Un certificat de désignation, comme défini dans l’entente de rendement d’entreprise entre la demanderesse et la province, est un certificat [traduction] « qui indique que la province a désigné le demandeur comme résident permanent », et n’est délivré que lorsque la province a vérifié que le demandeur a satisfait aux obligations de l’entente de rendement.

[15] En l’espèce, la demanderesse n’avait qu’une lettre d’appui du PCIS, et bien qu’un agent soit tenu de la reconnaître et d’en tenir compte, il n’est pas obligé d’être en accord avec celle-ci (Shang v Canada (Citizenship and Immigration), 2021 FC 633 au para 68).

[16] Quoi qu’il en soit, l’approbation du PCIS était conditionnelle à l’obtention d’un permis de travail, et la lettre d’appui elle-même indique qu’elle [traduction] « ne garantit pas l’approbation par IRCC de votre demande de permis de travail temporaire ou de statut de résident permanent au Canada ». L’agent a explicitement reconnu la lettre d’appui du PCIS et il a conclu qu’elle était insuffisante pour appuyer la demande de permis de travail de la demanderesse.

Emplacement proposé pour l’entreprise

[17] La demanderesse fait valoir que l’agent a commis un certain nombre d’erreurs de fait lors de l’examen de sa demande. La demanderesse attire l’attention de la Cour sur la déclaration de l’agent selon laquelle elle n’a pas expliqué comment elle ferait concurrence à d’autres salons de thé comme Starbucks et Booster Juice, alors qu’il n’existe aucun salon de ce type à Martensville.

[18] Dans le contexte de l’examen du plan d’affaires de la demanderesse, il était approprié que l’agent examine les entreprises concurrentes potentielles. Il était raisonnable que l’agent fasse référence à d’autres salons de thé et, en fait, la demanderesse elle-même fait référence à Booster Juice et Starbucks dans son plan d’affaires. Cela ne saurait être qualifié d’erreur.

[19] La demanderesse conteste également le fait que l’agent a noté qu’elle n’avait pas fourni d’adresse commerciale ni de plan d’achat de propriété. Dans sa demande de permis de travail, la demanderesse indique que le « [l]ieu prévu de l’emploi au Canada » est [traduction] « à déterminer ». Bien que la demanderesse ait inclus une adresse dans son plan d’affaires de 2018, il était raisonnable pour l’agent de noter l’absence de lieu prévu de l’emploi dans son formulaire de demande de 2020.

[20] En outre, le plan d’affaires indique que le partenaire de la demanderesse a acheté un lot résidentiel pour développer des propriétés commerciales, et que la demanderesse achètera une unité dans ce lot pour son entreprise. Il était raisonnable pour l’agent de juger que cette description d’un lot non aménagé était vague.

[21] Enfin, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, l’agent n’a pas déclaré qu’elle n’avait pas fourni de plan d’affaires, mais plutôt qu’elle [traduction] « n’a pas fourni de plan d’affaires pour décrire les avantages potentiels importants pour le Canada ». Si on lit cet extrait dans son contexte, avec le reste de la phrase et des motifs ainsi que le Règlement, on constate que l’agent était clairement préoccupé par le caractère suffisant du plan d’affaires, plutôt que par la présence d’un document décrit comme un plan d’affaires.

Cotisations au RPC et à l’AE

[22] La demanderesse conteste la conclusion de l’agent selon laquelle elle n’a pas indiqué comment elle paierait les cotisations au RPC et à l’AE. Elle fait valoir que les renseignements financiers figurant au dossier montrent clairement qu’elle aurait été financièrement capable de couvrir ces dépenses.

[23] Cependant, si l’on tient compte de l’ensemble de la décision de l’agent, il est clair qu’il a soulevé cette question pour illustrer le manque de détails ou de précisions dans le plan d’affaires de la demanderesse.

[24] De plus, la demanderesse ne conteste pas qu’elle n’a pas fourni de renseignements sur les cotisations au RPC et à l’AE dans son plan d’affaires. Elle soutient plutôt que, puisque ces montants n’auraient pas été élevés, l’agent n’aurait pas dû s’en préoccuper. Or, lorsque l’agent a examiné les contributions financières de l’entreprise proposée par la demanderesse, il était raisonnable qu’il tienne compte de ces facteurs, car ils font normalement partie des dépenses abordées dans un plan d’affaires complet.

État matrimonial du partenaire

[25] Selon la demanderesse, l’agent a commis une erreur en concluant à une divergence concernant l’état matrimonial de son conjoint. Elle soutient que l’agent n’a pas tenu compte du fait que son petit ami est devenu un conjoint de fait pendant la période où sa demande était en instance.

[26] Cependant, en réponse à la question dans le formulaire de demande de permis de travail « [s]i vous êtes marié ou vivez en union de fait, fournissez la date à laquelle vous vous êtes marié ou avez commencé à vivre en union de fait », la demanderesse a écrit « 2017 ». La demanderesse a également fourni une déclaration officielle d’union de fait qui indique qu’elle a cohabité avec son partenaire pendant une période de 3 ans entre 2017 et 2019. Mais le plan d’affaires de 2018 de la demanderesse, qui a été soumis dans le cadre de la demande de permis de travail, fait référence à son partenaire en tant que « petit ami ».

[27] Compte tenu des incohérences dans ces documents, il était raisonnable que l’agent soulève cette question. De même, l’état matrimonial du partenaire de la demanderesse n’était pas une question anodine puisque celui-ci était également le propriétaire du lot où elle avait l’intention d’établir son entreprise.

[28] Dans l’ensemble, je suis d’avis que l’agent n’a pas commis d’erreur. L’agent a plutôt tenu compte de l’ensemble de la preuve et des exigences du Règlement pour conclure que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle serait en mesure d’effectuer le travail de façon adéquate.

[29] Par ses arguments, la demanderesse invite la Cour à apprécier à nouveau la preuve, un exercice que les cours de révision doivent s’abstenir de faire selon les instructions explicites de l’arrêt Vavilov (paragraphe 125).

2. Les motifs exposés par l’agent des visas sont-ils suffisants?

[30] La demanderesse fait valoir que les motifs invoqués par l’agent pour expliquer pourquoi son travail ne créerait pas d’avantage économique ne comptent que 352 mots et contiennent un certain nombre d’erreurs de fait, et qu’ils sont donc insuffisants.

[31] Pour les motifs précités, je ne suis pas d’accord pour dire que la décision rendue par l’agent contient des erreurs de fait.

[32] En outre, le caractère suffisant des motifs n’est pas déterminé par leur longueur. Les motifs de l’agent sont suffisamment détaillés pour être compris. Comme indiqué dans Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 au para 17 : « “Caractère raisonnable” n’est pas synonyme de “motifs abondants” : une justification simple et concise fera l’affaire. » En l’espèce, l’agent a examiné les éléments de preuve et a expliqué clairement pourquoi la demanderesse n’avait pas satisfait aux exigences du Règlement pour la délivrance d’un permis de travail. Cela était suffisant dans les circonstances.

3. L’agent des visas a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale?

[33] La demanderesse soutient que, puisque sa demande a été approuvée dans le cadre du PCIS, elle avait le droit d’être informée de toute préoccupation de l’agent concernant son plan d’affaires.

[34] Le degré d’équité procédurale auquel peut s’attendre une personne qui demande un visa se situe à l’extrémité inférieure de l’échelle. De plus, il incombe à la demanderesse d’établir son admissibilité à un visa et de fournir une preuve suffisante à l’appui de sa demande (Patil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 495 au para 37).

[35] En l’espèce, l’agent n’était nullement tenu d’offrir à la demanderesse la possibilité de clarifier ou de compléter une demande incomplète ou de lui donner un « résultat intermédiaire » des lacunes que comportait sa demande (Kong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1183 au para 29).

[36] Ces faits ne soulèvent aucun problème d’équité procédurale.

Conclusion

[37] À la lumière de la preuve au dossier, la décision de l’agent est intelligible, transparente et justifiée, et donc raisonnable.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3423-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune partie n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3423-20

 

INTITULÉ :

YINGTING WANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 AOÛT 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 septembRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Jacob R. Watters

POUR LA DEMANDERESSE

David Shiroky

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Watters Law Office

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional des Prairies

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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