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Date : 20211001


Dossier : IMM-1015-21

Référence : 2021 CF 1021

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2021

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

BRUNO CHAVEZ PEREZ

LAURA FLORES MORENO

JOEL FLORES MORENO

MIRANDA CHAVEZ FLORES

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Les demandeurs, Bruno Chavez Perez, sa conjointe, Laura Flores Moreno, ainsi que leurs deux (2) enfants mineurs, sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 28 janvier 2021 par la Section d’appel des réfugiés [SAR], dans laquelle la SAR confirme le rejet de leurs demandes d’asile en raison d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] ailleurs dans leur pays d’origine.

[2] Les demandeurs sont citoyens du Mexique. Ils craignent des policiers municipaux qui ont ciblé et extorqué le demandeur. Plus précisément, le demandeur allègue que le 9 mars 2018, il est arrêté par des policiers cagoulés au moment de quitter un restaurant. Ces derniers le forcent à entrer dans une voiture, lui donnent des coups et lui profèrent des menaces. Ils le conduisent jusqu’à sa résidence. Une fois sur place, les policiers entrent avec le demandeur et s’emparent de plusieurs objets de valeurs. Le lendemain, le demandeur dépose une plainte contre les policiers et reçoit par la suite des menaces par téléphone. Les policiers se présentent à la résidence du demandeur entre mars et mai, approximativement à tous les quinze (15) jours, afin de lui extorquer de l’argent, une console de jeu vidéo et un ordinateur portable. Les demandeurs quittent ensuite le Mexique et arrivent au Canada le 8 août 2018 en tant que touristes. En janvier 2019, ils déposent leurs demandes d’asile.

[3] Le 31 décembre 2019, la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejette les demandes d’asile après avoir conclu que les demandeurs pouvaient bénéficier d’une PRI sécuritaire et raisonnable à deux (2) endroits différents au Mexique. Elle juge que les demandeurs sont crédibles, mais estime qu’ils n’ont pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les agents de préjudice auraient l’intérêt de les poursuivre et de s’en prendre à eux dans les PRI proposées.

[4] Les demandeurs interjettent appel de cette décision à la SAR. Ils soutiennent que la SPR a analysé de façon trop superficielle leur crainte en la décrivant comme une crainte d’être extorqués par des policiers. Ils affirment que leur crainte découle également des menaces reçues de ces policiers après avoir porté plainte contre eux. Les demandeurs font valoir devant la SAR que ces policiers pourraient les retrouver n’importe où au Mexique puisque ces derniers ont accès à une banque de données qui contient des renseignements de sécurité sur l’ensemble des habitants au Mexique. Les demandeurs reprochent aussi à la SPR d’avoir mal évalué l’intérêt des agents de préjudice.

[5] Comme la SPR, la SAR conclut que les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une possibilité sérieuse que les policiers de la municipalité où ils résidaient auraient l’intérêt ou la motivation de les retrouver dans les deux (2) endroits identifiés comme PRI. La SAR reconnait que l’identité de l’agent de préjudice est un élément important à considérer pour évaluer si la PRI est appropriée. Elle admet que des policiers municipaux pourraient effectivement avoir plus de facilité à les retrouver ailleurs au Mexique. Toutefois, elle considère qu’il n’est pas suffisant d’établir que les agents de préjudice ont la capacité de les retrouver. Il faut aussi démontrer qu’ils seraient motivés à le faire, ce qui n’a pas été fait en l’espèce. La SAR souligne ensuite que les demandeurs n’ont pas contesté le caractère raisonnable des PRI proposées. Elle confirme donc la décision de la SPR et rejette l’appel des demandeurs.

[6] Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR est déraisonnable. Ils lui reprochent notamment d’avoir commis une erreur dans l’analyse de la motivation des agents de préjudice et allèguent qu’elle s’est surtout concentrée sur la distance entre leur ville d’origine et les PRI proposées. Contrairement à ce qu’ils allèguent dans leur mémoire, les demandeurs concèdent à l’audience que la SAR a raisonnablement tenu compte de la plainte soumise et des menaces qui ont ensuite été proférées à l’encontre du demandeur. Ils ne soulèvent pas non plus d’arguments relatifs au deuxième volet du critère à appliquer lors de l’examen d’une PRI (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 aux pp 709-711 (CAF) (QL); Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF).

II. Analyse

[7] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La Cour est du même avis.

[8] Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit se demander si la décision possède les « caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]). De plus, il « incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100).

[9] Contrairement à l’argument des demandeurs, la SAR ne se concentre pas uniquement sur la distance entre leur ville d’origine et les PRI proposées pour conclure que les agents de préjudice n’auraient pas l’intérêt ou la motivation à les retrouver dans les PRI proposées. La SAR tient également compte des éléments suivants: (1) le délai de trois (3) ans écoulé depuis les évènements allégués; (2) le fait que les demandeurs ont réussi, à trois (3) reprises en juin et juillet 2018, à se soustraire aux tentatives d’extorsion en ne répondant tout simplement pas à la porte lorsque les policiers se présentaient à leur domicile; et (3) le fait qu’après le départ des demandeurs, ce sont les parents du demandeur qui ont emménagé dans leur résidence et que les policiers ne les ont jamais importunés, n’ont jamais essayé de les extorquer et n’ont jamais cherché à savoir où se trouvaient les demandeurs.

[10] Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable pour la SAR de tenir compte du fait que les parents du demandeur n’avaient jamais été importunés par les policiers. La Cour n’est pas du même avis. L’absence de preuve d’efforts par les agents de préjudice pour retrouver les demandeurs est un élément pouvant raisonnablement appuyer une conclusion à l’égard de l’absence d’intérêt continu à les poursuivre, et donc de l’existence d’une PRI (Leon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 428 aux para 16, 18; Rodriguez Llanes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 492 au para 10).

[11] En l’espèce, les demandeurs n’ont pas convaincu la Cour qu’il était déraisonnable pour la SAR de s’appuyer sur ces éléments pour déterminer que les policiers n’auraient pas l’intérêt ou la motivation à les retrouver dans les PRI proposées.

[12] Par ailleurs, les demandeurs s’appuient sur de la preuve documentaire objective émanant du Cartable national de documentation sur le Mexique pour soutenir qu’une vengeance personnelle pourrait motiver les agents de préjudice à les chercher à l’extérieur de leur région. Or, il n’est pas suffisant pour un demandeur d’asile de simplement faire référence à de la preuve générale sur la situation dans son pays d’origine pour justifier de se voir accorder la protection demandée (Valenzuela Del Real c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 140 au para 25). En l’espèce, les demandeurs devaient établir un lien entre leur situation personnelle et la preuve documentaire sur laquelle ils s’appuyaient, ce qu’ils n’ont pas fait. La SAR pouvait raisonnablement conclure que les policiers en question n’étaient pas motivés par un désir de vengeance puisqu’ils n’avaient fait aucun effort pour tenter de retrouver les demandeurs depuis qu’ils avaient quitté le Mexique et avaient rebroussé chemin lorsqu’ils s’étaient présentés à la résidence des demandeurs et que personne ne leur avait répondu.

[13] Il importe de rappeler que les conclusions de la SAR sur l’existence d’une PRI sont essentiellement factuelles et reposent sur son évaluation de l’ensemble de la preuve, incluant la preuve documentaire objective. Elles relèvent de son champ d’expertise et commandent un degré élevé de retenue de la part de cette Cour. À la lumière de l’ensemble de la preuve, la SAR pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs n’avaient pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les agents de préjudice avaient intérêt à les retracer ailleurs que dans leur ville de résidence et qu’ils seraient à risque dans les villes proposées à titre de PRI. Il n’appartient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve pour en arriver à une conclusion qui serait favorable aux demandeurs. Son rôle est de déterminer si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov aux para 99, 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59). La Cour estime que c’est le cas.

[14] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-1015-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1015-21

INTITULÉ :

BRUNO CHAVEZ PEREZ ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 SEPTEMBRE 2021

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER OCTOBRE 2021

COMPARUTIONS :

Alejandro Saenz Garay

Pour LES DEMANDEURS

Lynn Lazaroff

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Alejandro Saenz Garay

Montréal (Québec)

Pour LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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