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Date : 20051003

Dossier : IMM-2216-05

Référence : 2005 CF 1342

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

VALERY KOMENAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision rendue le 23 février 2005 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui ne reconnaissait pas à M. Valery Komenan (le demandeur) la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi).

FAITS PERTINENTS

[2]     Le demandeur est chrétien, citoyen de la Côte d'Ivoire. Il allègue avoir été enlevé par des rebelles musulmans en septembre 2002. Ces rebelles l'aurait battu et blessé en le menaçant de mort s'il ne faisait pas ce qu'on lui demandait. Le demandeur et trois de ses camarades ont réussi à s'enfuir en se cachant dans la brousse pour cinq jours.

[3]     Le demandeur a été transféré à Abidjan par le Haut Commissariat pour les réfugiés en décembre 2002, où il s'est réinscrit à l'école. Durant les six mois suivants, il aurait effectué des voyages au Sénégal, au Mali, au Cameroun et au Bénin, pour participer à des compétitions interafricaines d'athlétisme.

[4]     Le demandeur est arrivé au Canada le 9 juillet 2003 afin de participer aux 110 mètres haies. Le 21 juillet 2003, après la fin des jeux, il a demandé l'asile au Canada, craignant d'être tué par les rebelles et les « Escadrons de la mort » , un groupe gouvernemental.

QUESTION EN LITIGE

[5]       Le tribunal a-t-il erré en déclarant que le demandeur n'avait pas établi qu'en cas de retour en Côte d'Ivoire, il existait une possibilité raisonnable de persécution?

ANALYSE

[6]     Le demandeur tente essentiellement de contester les conclusions de fait du tribunal selon lesquelles il existerait une possibilité d'un refuge interne en Côte d'Ivoire. Dans un tel cas, la norme de contrôle applicable est celle d'une décision manifestement déraisonnable. (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.); Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 731; Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 741; Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1217)

[7]     Le demandeur allègue une crainte de persécution par les rebelles musulmans ainsi que par les autorités gouvernementales. Je commencerai mon analyse avec le premier des deux groupes.

[8]     Le demandeur allègue avoir été persécuté premièrement par les rebelles musulmans en septembre 2002. Or, depuis qu'il s'est sauvé de ce groupe en novembre 2002, il ne les a plus jamais recroisés. Même le demandeur a admis dans son formulaire de renseignements personnels qu'à son retour à Abidjan en mai 2003 (après être allé au Bénin pour des jeux d'athlétisme), tout était beau et il était encouragé.

[9]     Dans un document intitulé « UNHCR Position on the Return of Rejected Asylum Seekers to Cote d'Ivoire » , qui a été cité par le tribunal, on lit ce qui suit :

5. In their plans, the rebels who were mostly concentrated in the center and the northern part of the country, intended to march towards Abidjan. However, with the rapid deployment of the French forces stationed in the country pursuant to a defense agreement signed with Côte d'Ivoire in 1963, the rebels' advancement towards Abidjan was halted.

(Voir page 131 du dossier du tribunal - UNHCR Position on the Return of Rejected Asylum Seekers to Cote d'Ivoire.)

[10]            Un peu plus loin dans ce même document, il est indiqué :

21. As regards individuals originating from Abidjan, where a relative level of security has been established, such persons may be returned there, provided that family members have been identified, to avoid creating a situation of internal displacement.

(Voir page 135 du dossier du tribunal - UNHCR Position on the Return of Rejected Asylum Seekers to Cote d'Ivoire.)

[11]            Or, le demandeur a témoigné qu'il avait deux soeurs et deux frères qui vivaient toujours à Abidjan. Donc, vu le fait que le demandeur avait de la famille à Abidjan et que la preuve documentaire indiquait que les rebelles musulmans ne représentaient pas un risque pour le demandeur à Abidjan, il n'était pas manifestement déraisonnable pour le tribunal de juger qu'Abidjan constituait pour lui un refuge.

[12]            J'aborderais maintenant la question à savoir si le tribunal a erré vis-à-vis la crainte du demandeur à l'encontre des forces gouvernementales, plus spécifiquement, les « Escadrons de la mort » .

[13]            Le tribunal a déterminé qu'il n'y avait pas de risque pour le demandeur vu le fait que le demandeur était chrétien et n'avait jamais fait de politique. De plus, le demandeur s'est entraîné en Côte d'Ivoire pour participer aux jeux d'athlétisme et a pu sortir du pays à maintes reprises sans aucun problème de la part du gouvernement. Qui plus est, le demandeur revenait toujours à Abidjan de sa propre volonté.

[14]            En étant confronté avec cette preuve, il n'est pas déraisonnable de conclure que premièrement, le fait que le demandeur retournait toujours à Abidjan de sa propre volonté indiquerait qu'il n'avait pas une crainte subjective réelle. De sa propre admission, il a quitté la Côte d'Ivoire, à plusieurs reprises, afin de visiter le Sénégal, le Mali, le Cameroun et le Bénin.

[15]            Deuxièmement, il est tout à fait raisonnable de déterminer que le gouvernement ne considérait pas le demandeur comme étant un opposant du régime ou un partisan des rebelles, les groupes auxquels les « Escadrons de la mort » s'opposaient :

During the year, security forces remained on heightened alert for potential rebel infiltrators or active sympathizers, erected numerous roadblocks, and searched Abidjan neighborhoods, frequently during nightly curfew. Individuals associated with opposition parties or rebellion leaders or believed to be sympathizers were subjected to increased harassment and abuse (see Sections 1.d. and 1.g.).

(...)

There were numerous reports of pro-government death squads operating in Abidjan during the first half of the year. Credible sources described "hit lists" of suspected rebels and rebel sympathizers circulated within secretive, loyalist security forces in Abidjan and other areas under government control (see Section 1.g.).

(...)

In May, Acting Minister of Security Zemogo Fofana ordered the secret service to investigate the death squads. While no results of the investigation were released, reports of death squad activity diminished greatly following Fofana's announcement.

(Voir page 103 du dossier du tribunal - U.S.Department of State Country Report on Human Rights Practices, 2003 Cote d'Ivoire.)

[16]            Le gouvernement non seulement laissait le demandeur quitter le pays sans problèmes, mais il lui a même payé son voyage au Canada pour participer à une compétition à Sherbrooke.

[17]            Les questions de poids et d'appréciation de la preuve sont clairement du ressort du tribunal. Ce que le demandeur demande à cette Cour, c'est de faire ce qu'elle ne peut faire dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, soit de soupeser et de réévaluer la preuve qui était devant le tribunal :

Après un examen attentif de la preuve et de la décision de la Section du statut, je ne peux nullement conclure, comme le voudrait l'appelant, que certaines conclusions de fait de la Section du statut ont été tirées de façon abusive, arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve. Je partage entièrement l'opinion de la juge que la preuve pouvait raisonnablement servir de fondement aux conclusions de fait de la Section du statut. Ce que l'appelant nous demande, en réalité, c'est de faire ce que nous ne pouvons faire dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, soit de réévaluer la preuve qui était devant la Section du statut. [Je souligne.]

(Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2003 CAF 178, [2003] A.C.F. no 565 au paragraphe 42)

[18]            Compte tenu de l'ensemble de la preuve, il n'était pas manifestement déraisonnable que le tribunal détermine que le demandeur ne risquait pas d'être victime de répression de la part des rebelles musulmans, ni de la part des autorités gouvernementales, des forces de sécurité ou des « Escadrons de la mort » . En conséquence, l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

1.       La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.       Pas de questions pour certification.

« Pierre Blais »

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-2216-05

INTITULÉ :                                        VALERY KOMENAN c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :               21 septembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :              JUGE BLAIS

DATE :                                                3 octobre 2005

COMPARUTIONS:

Me Eveline Fiset

POUR DEMANDEUR

Me Marie-Nicole Moreau

POUR DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Eveline Fiset

Montréal (Québec)

POUR DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR DÉFENDEUR

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