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Date : 20210924


Dossiers : T‑1147‑19

T‑1141‑19

T‑1150‑19

T‑1442‑19

Référence : 2021 CF 990

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2021

En présence de madame la juge McVeigh

Dossier : T‑1147‑19

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE PEGUIS

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MANITOBA HYDRO

défendeurs

et

RÉGIE CANADIENNE DE L’ÉNERGIE

intervenante

Dossier : T‑1141‑19

ET ENTRE :

PREMIÈRE NATION DES ANISHINABE DE ROSEAU RIVER

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, RÉGIE CANADIENNE DE L’ÉNERGIE ET MANITOBA HYDRO

défendeurs

Dossier : T‑1150‑19

ET ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE LONG PLAIN

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, RÉGIE CANADIENNE DE L’ÉNERGIE ET MANITOBA HYDRO

défendeurs

Dossier : T‑1442‑19

ET ENTRE :

LE CHEF JIM MAJOR EN SON NOM ET AU NOM DE LA PREMIÈRE NATION ANIMAKEE WA ZHING NO 37

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, RÉGIE CANADIENNE DE L’ÉNERGIE ET MANITOBA HYDRO

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

Table des matières

I. Introduction 4

II. Le contexte 6

A. Le projet 6

B. Le processus d’approbation du projet et les consultations 6

(1) La première étape – le processus provincial d’approbation et de consultation 7

(2) La deuxième étape – l’audience de l’ONE 8

(3) La troisième étape – les consultations supplémentaires 11

C. Les consultations avec la Première Nation de Peguis (T-1147-19) 13

D. Les consultations avec Animakee Wa Zhing (T-1142-19) 18

E. Les consultations avec la Première Nation de Roseau River (T-1141-19) et la Première Nation de Long Plain (T-1150-19) 21

III. La décision faisant l’objet du contrôle 27

IV. Les questions en litige 27

A. Les questions préliminaires 27

B. Les questions en litige 27

V. La norme de contrôle 28

VI. Analyse 29

A. La question préliminaire – la recevabilité de la preuve par affidavit 29

(1) Les observations d’Hydro et du Canada 29

(2) Analyse 30

B. Les principes juridiques généraux concernant l’obligation de consulter 35

C. Première question : dans les dossiers T-1142-19 (AWZ), T-1141-19 (Roseau River), T-1150-19 (Long Plain), le Canada a-t-il bien apprécié l’étendue de son obligation de consulter et d’accommoder les Premières Nations? 42

(1) Les observations d’AWZ 42

i. L’orignal 42

ii. L’utilisation et la jouissance des terres (niveaux d’eau du lac des Bois) 43

(2) Les observations de Roseau River et de Long Plain 43

(3) Analyse – AWZ, Long Plain et Roseau River 45

D. Deuxième question : en droit constitutionnel, était-il raisonnable pour le GEC de conclure que les consultations du Canada avec Peguis, AWZ, Roseau River et Long Plain étaient adéquates? 48

(1) T-1147-19 – Peguis 48

i. Les observations de Peguis 48

ii. La position du Canada 49

iii. Analyse 50

(2) T-1442-19 – AWZ 56

i. Les observations d’AWZ 56

ii. AWZ – Analyse 59

a) L’orignal 59

b) Les niveaux d’eau du lac des Bois 65

c) L’accommodement économique 68

(3) T-1141-19 Long Plain et T-1150-19 Roseau River 70

i. Les observations de Long Plain et de Roseau River 70

ii. Analyse 73

a) Les consultations trop tardives 73

b) Les DFIT 76

c) Les motifs du GEC 79

d) L’accommodement 79

E. Troisième question : en droit administratif, la décision du GEC était-elle raisonnable? 82

(1) Les observations de Peguis 82

(2) Les observations de Long Plain et de Roseau River 85

(3) Analyse 86

F. Résumé 91

VII. La réparation 91

(1) Annuler la décision 93

(2) Aucune réparation 93

(3) Ordonner des consultations supplémentaires 94

(4) Le jugement déclaratoire 95

VIII. Les dépens 98

Traduction certifiée conforme 103

Christian Laroche, LL.B., juriste traducteur 103

I. Introduction

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire du décret numéro CP 2019‑0784 [le décret] publié par le gouverneur en conseil [le GEC] le 13 juin 2019. Le décret ordonnait à l’Office national de l’énergie [l’ONE] de délivrer un certificat d’utilité publique [le certificat] pour le projet de ligne de transmission Manitoba‑Minnesota [le MMTP ou le projet]. Le projet est maintenant construit et en exploitation depuis juillet 2020 environ.

[2] Les demanderesses sont la Première Nation de Peguis [Peguis] (T‑1147‑19), Animakee Wa Zhing no 37 [AWZ] (T‑1442‑19), la Première Nation de Long Plain [Long Plain] (T‑1150‑19) et la Première Nation de Roseau River [Roseau River] (T‑1141‑19). Les demanderesses sont toutes des « bandes » au sens de la Loi sur les Indiens, RSC 1985 c I‑5, et leurs membres, des peuples autochtones aux termes du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Peguis, Roseau River et Long Plain sont signataires du Traité no 1. AWZ est signataire du Traité no 3. Les demanderesses contestent chacune le caractère adéquat des consultations du Canada pour le projet et le caractère raisonnable de la décision du GEC.

[3] Les défendeurs sont le procureur général du Canada [Canada] et Manitoba Hydro [Hydro], le promoteur du projet [le promoteur]. La Régie de l’énergie du Canada [la REC] intervient dans la présente demande. La REC est la successeure de l’ONE et elle comparaît pour aider la Cour à déterminer le rôle de l’ONE dans le processus de consultation, mais ne prend aucune position sur le fond des demandes de contrôle judiciaire.

[4] Chacune de ces demandes est distincte, mais elles ont été entendues ensemble. Étant donné qu’elles se rapportent toutes au même projet, je rédige une décision commune.

II. Le contexte

A. Le projet

[5] Le MMTP est une ligne de transport internationale exploitée par Hydro. Il s’étend de Winnipeg à la frontière entre le Manitoba et le Minnesota, traversant le territoire visé par le Traité no 1. Le MMTP a pour but de fournir de l’énergie au Manitoba et de fournir l’énergie excédentaire au Minnesota. Le MMTP fait 213 kilomètres de long, dont 92 sur des emprises existantes, tandis que 92 kilomètres sont sur une nouvelle emprise. Sur ces 92 kilomètres, 85 se trouvent sur des terres privées et 36 sur des terres publiques provinciales. La construction du projet a commencé en septembre 2019 et s’est achevée en juillet 2020. Le MMTP est actuellement en service et en exploitation.

B. Le processus d’approbation du projet et les consultations

[6] Pour aller de l’avant, le projet devait être approuvé par le Manitoba et le Canada. Hydro devait obtenir une licence provinciale au titre de la Loi sur l’environnement du Manitoba, CPLM c E125, et l’approbation fédérale au titre de la Loi sur l’Office national de l’énergie, LRC 1985, c N‑7 [la Loi sur l’ONE], et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, c 19, article 52 [la LCEE].

[7] Les processus fédéraux et provinciaux ont été coordonnés. En 2013, Hydro a amorcé son processus d’évaluation environnementale, y compris son processus de mobilisation des Premières Nations [PMPN], et, en 2015, elle a terminé son énoncé des incidences environnementales [EIE]. Hydro s’est engagée auprès d’un grand nombre de Premières Nations touchées et potentiellement touchées au cours de son processus d’évaluation environnementale, afin de recueillir et d’écouter les commentaires et la rétroaction des Premières Nations.

[8] Du point de vue du Canada, les consultations se sont déroulées en trois étapes, suivant un processus semblable à celui d’autres approbations de projets énergétiques. Le Canada définit la première étape comme étant le processus d’approbation provincial, y compris les audiences de la Commission de protection de l’environnement [la CPE] et les consultations distinctes de la Couronne du Manitoba. La deuxième étape a été l’audience de l’ONE, et la troisième étape, les consultations supplémentaires du Canada.

(1) La première étape – le processus provincial d’approbation et de consultation

[9] Le processus d’approbation du Manitoba comprenait trois parties : une évaluation environnementale, des audiences de la CPE et des consultations entre la Couronne provinciale et les Autochtones.

[10] Hydro a soumis l’EIE au Manitoba le 22 septembre 2015. Le 3 octobre 2016, le Manitoba a écrit à la CPE pour l’informer qu’il avait terminé le processus d’évaluation environnementale et que toute préoccupation concernant le projet pouvait être traitée en utilisant des conditions de licence.

[11] Le 31 décembre 2015, le Manitoba a écrit à la CPE pour lui demander de tenir des audiences sur le projet et de fournir le mandat pour les audiences publiques d’examen. Le mandat (révisé le 15 février 2017) exigeait de la CPE qu’elle examine les répercussions du projet sur les groupes autochtones, conformément à l’article 5 de la LCEE, mais précisait que le Manitoba mènerait des consultations séparément du processus de la CPE. Le processus de la CPE comprenait des réunions préalables à l’audience, des ateliers, des demandes de renseignements et 18 jours d’audience. La CPE a soumis son rapport final le 12 septembre 2017, recommandant que le projet soit approuvé, sous réserve de 17 conditions de licence.

[12] Le Manitoba a mené des consultations avec un certain nombre de groupes autochtones, séparément du processus de la CPE. Les détails de ce processus de consultation ne sont pas consignés au dossier, et le caractère adéquat des consultations du Manitoba n’est pas en cause dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[13] Le 4 avril 2019, le Manitoba a délivré une licence au titre de la Loi sur l’environnement, assortie de 64 conditions.

(2) La deuxième étape – l’audience de l’ONE

[14] Conformément au paragraphe 45(1) et à l’article 58.11 de la Loi sur l’ONE, Hydro a déposé une demande de permis auprès de l’ONE le 16 décembre 2016.

[15] Le 13 juin 2017, l’ONE a envoyé des lettres à 25 collectivités et organismes autochtones que l’ONE a désignés comme étant potentiellement touchés par le projet. Les lettres informaient les groupes autochtones du processus de délivrance des permis et les invitaient à participer au processus, indiquant qu’une aide financière aux participants était disponible.

[16] Le 31 octobre 2017, l’ONE a recommandé au GEC que l’ONE procède au processus de délivrance du certificat prévu à l’article 58.16 de la Loi sur l’ONE, au lieu du processus de délivrance de permis prévu à l’article 58.11 de la Loi sur l’ONE. Les motifs de l’ONE indiquent qu’il a fait cette recommandation pour deux raisons. Premièrement, parce que la CPE avait conclu qu’elle n’avait pas besoin d’examiner la question de savoir si les effets du projet étaient susceptibles d’avoir une incidence sur l’exercice des droits ancestraux ou issus de traités. Deuxièmement, en raison de deux arrêts de la Cour suprême du Canada [la CSC] dans Clyde River (Hameau) c Petroleum Geo-Services Inc, 2017 CSC 40 [Clyde River], et Chippewas of the Thames First Nation c Pipelines Enbridge Inc, 2017 CSC 41 [Chippewas], qui ont donné des orientations sur l’obligation de l’ONE de consulter les Autochtones.

[17] Le 15 décembre 2017, le GEC a accepté la recommandation de l’ONE, lui ordonnant d’aller de l’avant au moyen du processus de délivrance du certificat.

[18] Le 21 décembre 2017, l’ONE a publié l’ordonnance d’audience EH‑001‑2017 [l’ordonnance d’audience]. L’ordonnance d’audience contenait la liste des questions à traiter lors de l’audience de l’ONE. Elle intégrait également le compte rendu des audiences de la CPE et des motifs de la CPE au dossier de l’ONE. L’ordonnance d’audience précisait que toutes les parties qui avaient demandé à participer au processus de délivrance de permis avaient obtenu un droit de participation prédéterminé à l’audience. L’ordonnance d’audience indiquait également que les parties intéressées pouvaient demander à participer à l’audience.

[19] Le 14 février 2018, l’ONE a rendu la décision no 4 [la décision]. Cette décision stipulait ce qui suit :

  • le rôle de l’ONE dans l’exécution de l’obligation de consulter;

  • elle précisait la portée des questions que l’ONE devait examiner;

  • elle énumérait les demandes de participation qui avaient été acceptées.

La décision indique que les huit parties qui se sont inscrites pour participer au processus de délivrance de permis ont obtenu un droit de participation prédéterminé à l’audience. De plus, l’ONE a accepté les douze demandes de participation à titre d’intervenant.

[20] Le 20 mars 2018, le ministre des Ressources naturelles a informé l’ONE que le Canada s’appuierait sur le processus de l’ONE pour remplir son obligation de consulter. L’intention du Canada de s’appuyer sur le processus de l’ONE a été communiquée aux demandeurs en avril et en mai 2018.

[21] Tout au long du printemps 2018, les parties ont échangé des demandes de renseignements. L’ONE a également sollicité les commentaires des intervenants sur les motifs de la CPE, les conditions provisoires et les mesures d’atténuation possibles. Certains des participants (y compris certains des demandeurs dans les présentes demandes) ont cherché à contraindre Hydro à répondre aux demandes de renseignements et, lorsque cette requête a été rejetée par l’ONE, ils ont demandé une modification de la décision de l’ONE.

[22] L’audience de l’ONE a eu lieu en juin 2018. Certains des intervenants autochtones ont présenté une preuve traditionnelle orale en personne du 4 au 8 juin 2018. Plus tard dans le mois, du 18 au 22 juin 2018, il y a eu des observations orales, un contre‑interrogatoire sur les représentations d’Hydro et les plaidoiries.

[23] Les motifs de décision de l’ONE [les motifs de l’ONE] ont été publiés le 15 novembre 2018. L’ONE a conclu que le projet comportait un caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour l’avenir. L’ONE a recommandé que le GEC délivre un certificat, sous réserve de 28 conditions.

(3) La troisième étape – les consultations supplémentaires

[24] Par lettre du 14 août 2018, le Canada a informé les groupes autochtones potentiellement touchés qu’il mènerait des consultations supplémentaires. Celles‑ci avaient pour but de cerner les préoccupations en suspens qui n’avaient pas été communiquées à l’ONE ou qui n’avaient pas été traitées par celui‑ci, concernant les répercussions du projet sur les droits ancestraux ou issus de traités, et de discuter de mesures d’accommodement additionnelles, le cas échéant. La lettre instaurant les consultations supplémentaires offrait une aide financière aux participants des Premières Nations (entre 5 000 $ et 9 000 $) aux groupes qui souhaitaient participer à ces consultations.

[25] Un certain nombre de pièces étaient jointes à la lettre du 14 août 2018 adressée à toutes les Premières Nations. L’entente relative au projet pour le MMTP a été incluse, ce qui a guidé la coordination des consultations entre les divers organismes fédéraux. Un document intitulé « Summary of Information Available and Preliminary Depth of Consultation Assessment » (Sommaire de l’information disponible et évaluation préliminaire de l’ampleur des consultations) [EAC] pour chaque Première Nation est également joint. Ce document résume les droits ancestraux ou issus de traités, les répercussions potentielles du projet sur ces droits ainsi que l’évaluation préliminaire par le Canada de l’ampleur des consultations à effectuer avec chaque Première Nation. Enfin, une demande d’aide financière aux participants pour les consultations supplémentaires et un document sur les critères d’admissibilité au financement ont été fournis.

[26] Selon la preuve du Canada, les consultations supplémentaires ont eu lieu avec douze groupes autochtones entre août 2018 et juin 2019. Conformément au paragraphe 58.16(10) de la Loi sur l’ONE, le GEC doit décider s’il approuve ou non la recommandation de l’ONE et délivrer un certificat dans les trois mois suivant la publication des motifs de l’ONE. En l’espèce, l’ONE a publié ses motifs le 15 novembre 2018, et le délai initial pour la décision pour le GEC était le 15 février 2019. Toutefois, ce délai a été prorogé deux fois par décret, d’abord au 16 mai 2019 puis au 14 juin 2019.

[27] Le 22 mars 2019, le Canada a envoyé une ébauche d’annexe du Rapport sur les consultations et les accommodements de la Couronne [le RCAC] propre à chaque Première Nation pour examen et commentaires. La lettre d’accompagnement à l’ébauche du RCAC invitait les Premières Nations à présenter des observations écrites portant directement sur les préoccupations, les questions ou les autres points de vue en suspens concernant le projet. Les groupes autochtones ont eu jusqu’au 23 avril 2019 pour fournir leurs commentaires.

[28] Le 16 mai 2019, le Canada a envoyé une lettre aux groupes autochtones qu’ils consultaient pour leur indiquer que le Canada était prêt à proposer des modifications aux conditions de l’ONE après avoir reçu les commentaires des groupes autochtones. De plus, la lettre mentionnait que le Canada avait l’intention de partager le texte des conditions provisoires. Enfin, en réponse aux préoccupations soulevées, le Canada a indiqué qu’il proposait une initiative d’études sur les ressources terrestres et culturelles [IERTC] pour financer des études dirigées par des Autochtones.

[29] Le 3 juin 2019, le Canada a encore une fois écrit aux groupes autochtones qu’ils consultaient pour leur indiquer que les consultations avaient pris fin. Le Canada a joint une copie de la version finale du RCAC et de l’annexe propre aux Premières Nations, ainsi que les modifications proposées aux conditions de l’ONE.

[30] Le 13 juin 2019, le GEC a adopté le décret ordonnant à l’ONE de délivrer un certificat, sous réserve de modifications aux conditions de l’ONE. Le 14 juin 2019, le Canada a informé les demandeurs de la décision du GEC.

[31] Je vais maintenant résumer les détails des consultations avec chacune des Premières Nations demanderesses.

C. Les consultations avec la Première Nation de Peguis (T-1147-19)

[32] Peguis a participé pour la première fois au projet en 2013, dans le cadre du PMPN d’Hydro. Dans le contexte de l’engagement d’Hydro, Peguis a produit une étude sur les connaissances traditionnelles autochtones [l’ECTA]. Peguis a également participé au comité de surveillance du MMTP d’Hydro [le CS du MMTP]. Le CS du MMTP est composé de représentants des Premières Nations touchées et d’Hydro, qui se réunissent régulièrement afin de fournir des mises à jour et de partager leurs commentaires sur le projet.

[33] Peguis a participé aux audiences de la CPE et a obtenu le statut d’intervenante pour la procédure devant l’ONE. En tant qu’intervenante, Peguis a soumis des demandes de renseignements et a répondu à d’autres, a contre‑interrogé le groupe de témoins d’Hydro, a commenté les conditions provisoires de l’ONE et a fourni une preuve traditionnelle orale et des observations écrites.

[34] Le Canada a écrit à Peguis le 14 août 2018, l’invitant à participer à des consultations supplémentaires. Dans son EAC préliminaire, le Canada a indiqué qu’il devait à Peguis un degré modéré de consultation. Le Canada a offert à Peguis une aide financière aux participants de 9 000 $.

[35] L’EAC a été effectuée unilatéralement par le Canada, mais, selon la preuve du Canada, il s’agissait d’une évaluation préliminaire et elle pouvait changer au cours du processus de consultation.

[36] Peguis a répondu à la lettre du 14 août 2018 du Canada, en présentant une demande d’aide financière aux participants le 12 septembre 2018 pour environ 77 000 $. Il s’agissait notamment d’une demande de financement d’une étude archéologique qu’elle jugeait nécessaire. Le Canada n’a pas approuvé la demande, et, entre septembre et novembre 2018, des représentants du Canada et de Peguis ont discuté de l’aide financière par courriel et lors de réunions. Le 14 novembre 2018, Peguis a présenté de nouveau sa demande d’aide financière, qui avait été mise en attente en raison du montant demandé. Le 12 décembre 2018, les parties ont participé à une téléconférence, où elles ont discuté des activités admissibles à l’aide financière aux participants. Le 19 décembre 2018, le Canada a écrit à Peguis pour lui dire qu’il avait augmenté l’aide financière disponible de l’offre initiale de 9 000 $ à 27 000 $ et a invité Peguis à soumettre un formulaire de demande de financement pour cette somme. Le 8 février 2019, Peguis a présenté une demande d’aide financière aux participants de 28 000 $, soit 1 000 $ de plus que l’offre.

[37] Le 19 février 2019, les parties ont participé à une téléconférence où elles ont discuté des activités admissibles à l’aide financière aux participants, notamment le financement d’une étude archéologique. La conclusion du procès‑verbal de la réunion montre que le représentant du Canada, Sebastian Labelle, a indiqué que [traduction] « ce que Peguis proposait dans sa demande révisée d’aide financière aux participants semblait relativement raisonnable ». Toutefois, [traduction] « il a précisé qu’il fallait faire preuve d’une plus grande diligence avant de prendre une décision », et [traduction] « il a ajouté qu’il discuterait de la proposition avec le sous‑ministre adjoint Labonté et qu’il répondrait à Peguis peu après ».

[38] Le Canada a fait un suivi de la réunion du 19 février 2019 par lettre du 8 mars 2019. Il a répondu à la demande d’étude en indiquant qu’il ne financerait pas les études déjà entreprises par le promoteur ou les groupes autochtones. Le Canada croyait comprendre que l’étude archéologique proposée avait déjà été menée, du moins en partie, par l’entremise de l’ECTA de Peguis, dans le cadre de sa collaboration avec Hydro. Le Canada a réitéré son offre de 27 000 $ pour des activités admissibles.

[39] Le 5 mars 2019, Peguis a demandé au Canada si elle devait présenter de nouveau sa demande d’aide financière, et, le 13 mars 2019, le Canada a confirmé qu’elle devait le faire. Le 22 mars 2019, Peguis a présenté de nouveau la demande d’aide financière pour 27 010,72 $.

[40] Le même jour, soit le 22 mars 2019, le Canada a envoyé à Peguis pour examen l’ébauche de l’annexe particulière à Peguis du RCAC. Dans sa lettre, le Canada a fait remarquer que, si Peguis fournissait des commentaires au plus tard le 8 avril 2019, le Canada pourrait les incorporer et fournir à Peguis la version mise à jour du RCAC pour examen. La lettre indiquait que la date limite pour présenter des commentaires était le 23 avril 2019. La lettre mentionnait également que les représentants du Canada étaient disponibles pour une rencontre et que Peguis pouvait fournir des observations écrites indépendantes.

[41] Le 10 avril 2019, un représentant du Canada a envoyé un courriel à Peguis pour lui demander si elle avait l’intention de planifier des rencontres communautaires. Peguis a répondu le même jour, précisant qu’elle ne pouvait pas planifier des réunions tant que la demande d’aide financière n’avait pas été approuvée. À l’audience, Peguis a indiqué que cette position était fondée sur la demande d’aide financière, dont le formulaire indiquait que [traduction] « [s]i vous réussissez à obtenir une aide financière, vous ne pouvez pas demander le paiement de tout travail effectué avant de signer une entente de contribution avec nous, et seul le travail effectué après la signature d’une entente avec nous est admissible au paiement » (non souligné dans l’original).

[42] Le 12 avril 2019, le Canada a écrit à Peguis que sa demande d’aide financière avait été approuvée, mais pour une somme, légèrement inférieure, de 26 960,72 $. L’approbation indiquait que l’étape suivante consistait à signer une entente de contribution. L’entente d’aide financière a été signée par toutes les parties le 29 avril 2019.

[43] Les 13 et 26 avril 2019, des représentants du Canada ont fait un suivi auprès de Peguis au sujet de l’organisation de rencontres communautaires. La communication du 26 avril 2019 mentionnait que, étant donné que le délai fixé par la loi pour la décision du GEC était le 16 mai 2019, les rencontres devraient avoir lieu au plus tard le 3 mai 2019. Peguis a compris qu’elle avait maintenant une semaine (jusqu’au 3 mai 2019) pour tenir les rencontres. Il ressort de son témoignage qu’un délai d’une semaine était trop court pour y arriver, compte tenu de la composition de la réserve.

[44] Aucune rencontre communautaire n’a été fixée. La communication suivante entre les parties au dossier est une lettre du Canada datée du 17 mai 2019. Il y est déclaré que le délai pour rendre la décision du GEC a été prorogé jusqu’au 14 juin 2019, que le Canada envisageait de modifier les conditions de l’ONE et que le Canada élaborerait une IERTC. Le 3 juin 2019, le Canada a écrit à Peguis, très surprise, pour lui indiquer que les consultations avaient pris fin et que le Canada modifierait certaines des conditions de l’ONE. Avec cette correspondance, le Canada a joint une version finale du RCAC et de l’annexe particulière à Peguis.

[45] Le 5 juin 2019, M. Sutherland, au nom de Peguis, a écrit au Canada en faisant remarquer qu’il ne faudrait pas rendre une décision alors que les consultations avec Peguis n’avaient pas encore eu lieu. Peguis a souligné qu’elle écrirait pour demander une prorogation du délai relatif à la décision. La lettre de demande de prorogation, datée du 6 juin 2019, a été envoyée au Canada le 11 juillet 2019, presque un mois après la décision du GEC, rendue le 13 juin 2019. Peguis n’a reçu aucune autre réponse concernant sa demande de prorogation.

[46] Le 6 septembre 2019, le Canada a répondu à la lettre de Peguis, l’invitant à soumettre toute dépense pour remboursement et à présenter une demande de financement par l’entremise de l’IERTC.

D. Les consultations avec Animakee Wa Zhing (T‑1142‑19)

[47] Le territoire traditionnel d’AWZ est situé au Manitoba, au Minnesota et en Ontario. AWZ a utilisé son territoire pour récolter du riz sauvage, piéger, chasser et récolter des herbes médicinales. AWZ est signataire du Traité no 3 et compte plus de 400 membres inscrits et 11 réserves en Ontario ainsi que dans le sud‑est du Manitoba.

[48] Les membres d’AWZ résident principalement à l’île Windigo, sur le lac des Bois, et à la baie Regina. Les niveaux d’eau du lac des Bois ont historiquement fluctué en fonction du développement humain, et les inondations qui en ont résulté ont eu une incidence négative sur les terres de réserve d’AWZ et sur sa capacité à récolter du riz sauvage. Les niveaux d’eau du lac des Bois sont contrôlés par la Commission de contrôle du lac des Bois [la CCLB].

[49] Hydro n’a pas désigné AWZ comme groupe autochtone potentiellement touché et ne l’a donc pas incluse dans son PMPN de 2013 à 2016. Bien qu’AWZ affirme avoir été informée pour la première fois du projet en 2017, le Canada souligne qu’AWZ a reçu une lettre du Manitoba au sujet du projet en janvier 2016. Quoi qu’il en soit, l’ONE a désigné AWZ comme un groupe potentiellement touché et a ordonné à Hydro de collaborer avec AWZ. La participation active d’AWZ a commencé en juin 2017, après qu’elle eut reçu des lettres de l’ONE et d’Hydro.

[50] AWZ a rencontré des représentants d’Hydro et a participé au CS du MMTP d’Hydro. Hydro a également fourni un financement à AWZ (ainsi qu’à une autre Première Nation) pour mener une étude sur les connaissances traditionnelles. AWZ a reçu une version préliminaire de cette étude en avril 2018. Bien qu’il y ait eu des discussions sur la conduite d’une étude plus approfondie, aucune autre étude n’a été menée.

[51] AWZ a obtenu le statut d’intervenante pour les audiences de l’ONE. À ce titre, AWZ a présenté des demandes de renseignements à Hydro, déposé des requêtes pour contraindre Hydro à répondre et pour réviser les décisions de l’ONE, déposé des affidavits, contre‑interrogé le groupe de témoins d’Hydro, commenté les conditions provisoires de l’ONE et fourni un témoignage oral et des observations écrites.

[52] Le Canada a écrit à AWZ le 14 août 2018, l’invitant à participer aux consultations supplémentaires. Le Canada a joint à la lettre une EAC, laquelle concluait qu’il devait à AWZ un degré modéré de consultation. Le Canada a également offert à AWZ une aide financière aux participants pour une somme de 9 000 $.

[53] Des représentants du Bureau de gestion des grands projets [le BGGP] ont rencontré AWZ le 24 janvier 2019. À cette réunion, ils ont discuté des préoccupations en suspens d’AWZ et des mesures d’accommodement possibles. AWZ a exprimé des préoccupations au sujet de l’incidence du projet sur les orignaux et de la possibilité d’élaborer un plan de gestion de l’orignal et de son habitat. Ils ont également discuté des préoccupations au sujet de l’incidence du projet sur le lac des Bois et du financement d’un conseiller pour assister aux réunions de la CCLB et défendre les intérêts d’AWZ. De plus, on a discuté de l’incidence du projet sur les plantes, de l’incidence psychosociale des champs électromagnétiques et d’un accommodement économique.

[54] Le 11 février 2019, le BGGP a invité AWZ à une réunion le 21 février 2019 avec la CCLB qui était déjà prévue avec une autre Première Nation, et le BGGP a envoyé un ordre du jour de la réunion le 20 février 2019. AWZ n’a pas assisté à la réunion en raison du court préavis et du manque de financement pour les déplacements.

[55] Le 12 avril 2019, le Canada a offert à AWZ une aide financière aux participants supplémentaire de 14 500 $. Vers cette époque, AWZ a tenu des élections, et la transition de gouvernance a interrompu sa capacité à collaborer avec le Canada.

[56] Le 22 mars 2019, le Canada a envoyé à AWZ une ébauche du RCAC et une annexe particulière à AWZ et a demandé des commentaires et des observations écrites. AWZ a répondu le 3 mai 2019, demandant une nouvelle collaboration avec le Canada et, le 17 mai 2019, exprimant des préoccupations au sujet du processus de consultation et faisant état de ses préoccupations en suspens.

[57] Le 9 mai 2019, AWZ et le BGGP se sont rencontrés encore une fois. Ils ont discuté des niveaux d’eau du lac des Bois, de la protection de l’habitat de l’orignal, du financement des capacités d’AWZ pour qu’elle puisse collaborer avec Hydro ainsi que de l’accommodement économique.

[58] Le 3 juin 2019, le Canada a écrit à AWZ pour l’informer que les consultations étaient terminées et a joint la version finale du RCAC ainsi que l’annexe particulière à AWZ, et lui fournir une copie des modifications proposées aux conditions de l’ONE.

[59] Le 24 juillet 2019, après l’approbation du projet, le Canada a écrit à AWZ pour lui demander si elle était intéressée par l’IERTC dans le cadre du programme, AWZ a demandé et reçu un financement pour mener à bien une étude sur les connaissances traditionnelles et élaborer un plan de gestion de l’orignal et de son habitat.

E. Les consultations avec la Première Nation de Roseau River (T-1141-19) et la Première Nation de Long Plain (T-1150-19)

[60] Roseau River est signataire du Traité no 1, et son territoire traditionnel est situé au Manitoba. Les réserves de Roseau River sont situées dans le Sud du Manitoba et comptent environ 2 600 habitants.

[61] Roseau River détient des droits fonciers issus de traités [DFIT] exceptionnels dans le Sud du Manitoba. Le 27 mars 1996, Roseau River a signé une entente de règlement sur les DFIT [ERDFIT] avec le Canada.

[62] Long Plain est aussi signataire du Traité no 1, et son territoire traditionnel est situé au Manitoba. Long Plain possède des réserves près de Portage La Prairie, au Manitoba, et une population d’environ 4 400 personnes.

[63] De façon semblable à Roseau River, Long Plain détient des DFIT exceptionnels dans le Sud du Manitoba. Le 3 août 1994, Long Plain a signé une ERDFIT avec le Canada.

[64] Hydro a désigné Long Plain comme une Première Nation visée par le Traité no 1 susceptible d’être touchée par le projet. Long Plain participe au projet, par l’entremise du PMPN d’Hydro, depuis 2013. Long Plain, par l’intermédiaire de l’équipe de gestion de l’ECTA — un groupe de trois Premières Nations potentiellement touchées — a produit un rapport relatif à l’ECTA en 2015. Ce rapport visait à éclairer la sélection du tracé du projet et l’EIE.

[65] Hydro a désigné Roseau River comme une Première Nation visée par le Traité no 1 susceptible d’être touchée par le projet. Roseau River participe au PMPN d’Hydro depuis 2013. Roseau River a produit son propre rapport sur les connaissances traditionnelles autochtones.

[66] Ces deux Premières Nations étaient représentées par les mêmes avocats, lesquels ont fourni des arguments analogues, à l’exception des faits propres à chaque Première Nation.

[67] Dans une lettre du 13 juin 2017, l’ONE a informé Long Plain de l’audience et l’a invitée à y participer, tout en faisant remarquer qu’une aide financière aux participants serait disponible. Dans une lettre du 29 avril 2018 adressée au chef Meeches, chef de Long Plain, le Canada a informé Long Plain qu’il avait l’intention de s’appuyer sur le processus de l’ONE pour remplir son obligation de consulter. Toutefois, en invoquant des préoccupations en matière de financement, Long Plain n’a pas participé à titre d’intervenante au processus de l’ONE.

[68] Le Canada fait valoir que les intérêts de Long Plain étaient néanmoins représentés aux audiences de l’ONE par l’entremise de l’EIE, du dossier de la CPE et de l’Organisation des chefs du Sud [OCS], une organisation politique indépendante représentant les Premières Nations visées par le Traité no 1 et le Traité no 3.

[69] Roseau River a demandé et obtenu le statut d’intervenante pour la procédure de l’ONE. À titre d’intervenante, Roseau River a présenté des demandes de renseignements à Hydro, a déposé des requêtes pour exiger des réponses d’Hydro et réviser la décision de l’ONE qui a rejeté ces requêtes, et a reçu les conditions provisoires de l’ONE pour commentaires. Le Canada soutient également que les intérêts de Roseau River ont été présentés par l’incorporation du dossier de la CPE et la participation de l’OCS.

[70] Dans sa lettre du 14 août 2018 invitant Long Plain et Roseau River à participer à des consultations supplémentaires, le Canada a inclus une EAC indiquant qu’il devait à Roseau River un degré modéré de consultation et à Long Plain un faible degré de consultation. Le Canada a offert à Long Plain 5 000 $ d’aide financière aux participants et à Roseau River, 9 000 $.

[71] Les expériences de Long Plain et de Roseau River se recoupent entre novembre 2018 et janvier 2019 par leur participation à l’équipe technique du Traité no 1. En novembre 2018, Long Plain et Roseau River ont été parmi les six Premières Nations ayant formé l’équipe technique du Traité no 1 [l’ETT1]. Au cours d’un appel téléphonique du 16 novembre 2018 avec le BGGP, ces groupes autochtones ont informé le Canada qu’ils avaient l’intention de créer l’ETT1 pour participer aux consultations supplémentaires. Pendant une conférence téléphonique du 28 novembre 2018, l’ETT1 a indiqué qu’elle avait l’intention de se constituer en personne morale.

[72] Entre décembre 2018 et janvier 2019, le Canada et l’ETT1 ont discuté des détails du financement et des aspects juridiques des consultations avec une société, Anishinabe Nations Construction Inc. [ANCI]. Les Premières Nations estimaient qu’ANCI jouerait un rôle financier et administratif, mais que chaque Première Nation serait responsable de l’exécution de son obligation de consulter. Selon le Canada, pour qu’il puisse financer des activités de consultation d’une société, les Premières Nations constituantes devaient fournir des résolutions de conseil de bande confirmant qu’elles avaient délégué leur obligation de consulter à la société. Les Premières Nations ont répondu qu’elles ne pouvaient légalement déléguer leurs droits constitutionnels et qu’elles ne pouvaient donc pas fournir les résolutions de conseil de bande demandées. En fin de compte, Long Plain et Roseau River ont présenté des demandes de financement indépendantes en février 2019, et un règlement est intervenu en avril 2019 quant aux sommes à financer.

[73] Le 22 mars 2019, le Canada a envoyé une ébauche du RCAC ainsi que l’annexe particulière à Long Plain et l’annexe particulière à Roseau aux Premières Nations respectives. Le Canada a demandé à Long Plain et à Roseau River leurs commentaires et rétroactions, et il a invité les Premières Nations à présenter des observations écrites. Long Plain et Roseau River ont toutes les deux présenté des observations indépendantes les 15 et 14 mai 2019, respectivement.

[74] À peu près au même moment, les deux Premières Nations ont amorcé des communications avec le Canada au sujet des sélections de DFIT sur des terres situées à proximité de l’emprise proposée par le projet ou qui la chevauchent. Le 6 avril 2019, Long Plain a envoyé une lettre au ministre des Relations Couronne‑Autochtones concernant les terres désignées par Long Plain pour les DFIT. Le 30 avril 2019, Long Plain a envoyé cette même lettre au ministre des Ressources naturelles du Canada. Le 1er mai 2019, Long Plain a à nouveau écrit au ministre des Ressources naturelles du Canada et au Manitoba pour soulever la désignation des terres par Long Plain pour les besoins des DFIT.

[75] Le 1er mai 2019, Roseau River sMest renseignée auprès de Services aux Autochtones Canada [SAC] au sujet de la disponibilité de terres situées le long du tracé du projet pour les besoins des DFIT. Le 23 mai 2019, SAC a répondu à la demande de Long Plain sur les DFIT et a fait remarquer que les terres sélectionnées n’étaient pas à vendre et que les acquisitions de DFIT étaient faites selon le principe de vente de gré à gré.

[76] Le 18 avril 2019, le personnel du BGGP a rencontré les dirigeants de Roseau River, et il y a eu des discussions au sujet des préoccupations relatives aux DFIT. Le 2 mai 2019, le personnel du BGGP a rencontré Long Plain. Lors des réunions, les parties ont discuté du financement, des DFIT, de la conduite du Manitoba dans l’approbation du projet et du caractère adéquat des consultations de la Couronne, tant au provincial qu’au fédéral.

[77] Le 2 mai 2019, le personnel du BGGP a également rencontré Roseau River et deux autres Premières Nations, et ils ont discuté du caractère adéquat des consultations avec le Manitoba et le Canada, du mandat du Canada en matière d’accommodement, des DFIT, de l’indemnisation ainsi que de la participation économique.

[78] Le 16 mai 2019, le BGGP a écrit à Roseau River pour lui indiquer que la décision du GEC avait été prorogée jusqu’au 14 juin 2019 et que le Canada envisageait de modifier les conditions de l’ONE et d’introduire l’IERTC. Roseau River a répondu le 24 mai 2019, demandant un dialogue plus poussé et exprimant son optimisme quant aux mesures d’accommodement potentielles.

[79] Il n’y a pas eu d’autres communications entre le Canada et Long Plain ou Roseau River avant le 3 juin 2019, moment où le Canada a écrit à Long Plain et à Roseau River pour les informer que les consultations avaient pris fin. Il a joint le RCAC final ainsi que les annexes particulières à Long Plain et à Roseau River, et il a fourni une copie des modifications proposées aux conditions de l’ONE.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[80] La décision faisant l’objet du contrôle est le décret du GEC du 13 juin 2019, joint à l’annexe A des présents motifs.

IV. Les questions en litige

A. Les questions préliminaires

[81] La défenderesse Hydro soulève à titre de question préliminaire la recevabilité de la preuve par affidavit et les contre‑interrogatoires dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Le Canada soulève également des préoccupations quant à la recevabilité de certaines parties de la preuve des déposants, à titre de ouï-dire, d’opinion ou d’argumentation.

B. Les questions en litige

[82] Les demandes soulèvent quatre questions de fond :

  1. Dans les dossiers T‑1142‑19 (AWZ), T‑1141‑19 (Roseau River), T‑1150‑19 (Long Plain), le Canada a‑t‑il bien apprécié l’étendue de son obligation de consulter et d’accommoder les Premières Nations?

  2. En droit constitutionnel, était‑il raisonnable pour le GEC de conclure que les consultations du Canada avec Peguis, AWZ, Roseau River et Long Plain étaient adéquates?

  3. En droit administratif, la décision du GEC était‑elle raisonnable?

  4. Quelle est la réparation appropriée?

V. La norme de contrôle

[83] Les parties ne contestent pas que la norme de contrôle pour déterminer s’il y a une obligation de consulter, et l’ampleur des consultations, est la décision correcte. La norme de contrôle pour déterminer si les consultations et le décret étaient raisonnables est celle de la décision raisonnable (Première Nation Coldwater c Canada, 2020 CAF 34 [Coldwater] au para 27).

[84] Dans l’arrêt Coldwater, la Cour d’appel fédérale [la CAF] a également donné des indications sur la façon de procéder à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable dans ce contexte. La CAF a fait remarquer ce qui suit :

[28] Pour mener à bien le contrôle, il est essentiel de s’abstenir de former sa propre opinion sur le caractère adéquat des consultations et de fonder sur celle‑ci sa décision de confirmer ou d’infirmer la décision du gouverneur en conseil. C’est en quelque sorte ce que les demanderesses invitent la Cour à faire. Toutefois, pareil procédé, qui s’apparente à ce qu’il est maintenant convenu d’appeler un contrôle déguisé selon la norme de la décision correcte, n’est pas permis […]

[29] La Cour doit donc concentrer son attention sur la raisonnabilité de la décision du gouverneur en conseil, y compris l’issue et le justificatif. Il ne s’agit pas de savoir si le gouverneur en conseil aurait pu ou aurait dû arriver à une conclusion différente ni si les consultations auraient pu durer plus longtemps ou mieux se dérouler. Il s’agit de répondre à la question de savoir si la décision d’approuver le projet et le justificatif offert sont acceptables et défendables compte tenu de la législation applicable, de la preuve présentée à la Cour et des circonstances ayant une incidence sur le contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[85] Dans cette affaire, la CAF a indiqué que le régime législatif, le droit régissant l’obligation de consulter, les consultations postérieures à l’approbation et l’importance de l’affaire aux yeux des personnes que le projet touche directement sont les facteurs pertinents pour déterminer si la décision était raisonnable.

VI. Analyse

A. La question préliminaire – la recevabilité de la preuve par affidavit

(1) Les observations d’Hydro et du Canada

[86] Hydro soutient qu’un contrôle judiciaire devrait être décidé en fonction du dossier dont disposait le décideur. En l’espèce, le dossier est la documentation présentée à l’ONE et au GEC, y compris le dossier de la CPE. Ce dossier comprend l’EIE, les études sur les connaissances traditionnelles, les transcriptions des audiences de la CPE, les pièces déposées aux audiences de l’ONE et de la CPE, les demandes de renseignements que l’ONE ainsi que les participants devant lui ont faites à Hydro et les réponses de celle‑ci, ainsi que les documents produits au cours des consultations supplémentaires.

[87] Hydro soutient que le dossier se trouve dans l’affidavit de Sebastian Labelle (déposant du Canada), souscrit le 7 janvier 2020 [l’affidavit Labelle]. Selon Hydro, dans la mesure où les demanderesses renvoient à leurs propres affidavits, sans fondement établi dans le dossier, la preuve devrait être rejetée.

[88] Hydro a pris la position selon laquelle les contre‑interrogatoires devraient être irrecevables, parce qu’ils n’ont pas de fondement dans le dossier et que leur utilisation se limite à clarifier ce qui figurait ou non dans le dossier. Hydro a déclaré ce qui suit dans son mémoire des faits et du droit, au paragraphe 27 :

[traduction]

De plus, les contre-interrogatoires sont également irrecevables, sans fondement clair dans le dossier. Mais plus encore, ils devraient viser à clarifier ce qui figurait ou non dans le dossier. Ce n’est pas le moment de mettre à l’épreuve l’opinion des gens sur les consultations. Ce n’est pas le moment d’obtenir plus de renseignements sur certains faits au dossier. Selon Hydro, le but des contre-interrogatoires n’est pas de mettre à l’épreuve l’opinion des personnes sur les consultations.

[89] Le Canada s’y oppose, parce que certaines parties des affidavits des demanderesses comprennent du ouï-dire, des opinions ainsi que de l’argumentation et, par conséquent, elles contreviennent à l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS‑98/106 [les Règles]. L’article 81 des Règles prévoit que les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a connaissance. Le Canada soutient que ce contenu est irrecevable et ne peut être pris en considération.

(2) Analyse

[90] Je suis d’accord avec Hydro pour dire que la preuve dans le cadre du contrôle judiciaire est l’information dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Association des universités] au para 19). La preuve dont ne dispose pas le décideur et qui porte sur le fond de la décision n’est pas recevable lors d’un contrôle judiciaire. Habituellement, le « dossier dont dispose un décideur » est fourni sous la forme du dossier certifié du tribunal, émanant du tribunal dont la décision fait l’objet du contrôle. En l’espèce, le Canada a invoqué le privilège des documents confidentiels du Cabinet à l’égard des documents soumis au GEC, et aucune partie n’a contesté cette revendication. Par conséquent, tous les éléments de preuve sont fournis par l’intermédiaire des déposants, notamment par l’affidavit Labelle, mais aussi par l’intermédiaire des déposants des demanderesses. À mon avis, il n’y a aucun fondement à l’observation d’Hydro selon laquelle l’affidavit Labelle constitue [traduction] « le dossier », alors que ce n’est pas le cas des renseignements fournis dans les affidavits des demanderesses. Cette déclaration n’est pas sans réserve.

[91] Comme l’a déclaré le juge Stratas au paragraphe 20 de l’arrêt Association des universités, il y a des exceptions reconnues à la règle selon laquelle la seule preuve recevable est le dossier dont disposait le décideur. Premièrement, la Cour peut admettre en preuve un affidavit qui contient des informations générales sur les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire. Deuxièmement, les affidavits peuvent être nécessaires pour démontrer des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier dont disposait le décideur. Troisièmement, parfois une preuve par affidavit est nécessaire pour faire ressortir l’absence de preuve sur un point particulier devant le décideur.

[92] Hydro soutient que les demanderesses fournissent des éléments de preuve qui ne figurent pas dans le dossier, mais elle ne donne aucun détail. En l’absence de ces détails, à mon avis, la Cour ne doit pas écarter la preuve des déposants. Comme l’a déclaré la CAF dans Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para 13, « un dossier plus complet et plus exact favorise une décision équitable des demandes sur le fond ».

[93] À mon avis, une grande partie du contenu des affidavits des demanderesses recoupe la preuve figurant dans l’affidavit Labelle. En outre, comme il est mentionné ci‑dessous, les exigences de la consultation sont procédurales et ont été comparées aux exigences du droit administratif en matière d’équité procédurale (Coldwater, au para 38). Par conséquent, dans la mesure où les affidavits parlent du processus de consultation, cette preuve peut être recevable au titre de la deuxième exception portant sur les affidavits qui démontrent des vices de procédure. De plus, il est possible que certains éléments de preuve des déposants mettent en évidence l’absence de preuve; encore une fois, Hydro ne mentionne aucun détail.

[94] Le Canada soutient que certaines parties des affidavits des demanderesses sont irrecevables aux termes du paragraphe 81(1) des Règles, parce qu’elles constituent des opinions ou des arguments.

[95] En particulier, le Canada désigne les passages suivants des dossiers des demanderesses :

  • T‑1147‑19, affidavit de Mike Sutherland – dernière phrase du paragraphe 126, première phrase du paragraphe 138, et paragraphe 158 (opinions/arguments);

  • T‑1150‑19, affidavit du chef Meeches souscrit le 31 octobre 2019 – paragraphe 24 (ouï‑dire) ainsi que paragraphes 4, 5, 7, 14, 24, 33 et 35 (opinions/arguments);

  • T‑1150‑19, affidavit de Ralph Roulette souscrit le 30 octobre 2019 – paragraphe 49 (ouï‑dire) et paragraphe 57 (opinions/arguments);

  • T‑1150‑19, affidavit de Patricia Mitchell souscrit le 31 octobre 2019 – paragraphes 36 (sauf pour la première phrase), 37, 62 et 63 (opinions/arguments);

  • T‑1141‑19, affidavit du conseiller Nelson souscrit le 31 octobre 2019 – paragraphe 4 (sauf pour la première phrase) (ouï-dire) ainsi que paragraphes 37, 40, 60, 61, 63, 66, 69, 71, 74, 85 et 87 (opinions/arguments);

  • T‑1141‑19, affidavit de Patricia Mitchell souscrit le 31 octobre 2019 – paragraphes 35 (sauf pour la première phrase), 36 et 65 (opinions/arguments);

[96] L’article 81 des Règles est ainsi libellé :

81 (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête — autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire — auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

[97] Dans Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47, la CAF a conclu ce qui suit :

[18] La question de l’affidavit du défendeur se pose toujours. En général, l’affidavit doit contenir des renseignements pertinents qui aideraient la Cour à trancher la demande. Comme l’a souligné notre Cour dans Dwyvenbode c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 120, l’affidavit a pour but de présenter les faits pertinents quant au litige sans commentaires ni explications. La Cour peut radier des affidavits ou des parties de ceux-ci lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont clairement aucune pertinence, lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit ou encore lorsque la Cour est convaincue qu’il est préférable de régler la question de l’admissibilité au stade préliminaire de façon à permettre le déroulement ordonné de l’audience (McConnell c. Commission canadienne des droits de la personne, 2004 CF 817, décision confirmée dans 2005 CAF 389).

[Souligné dans l’original.]

[98] Dans la mesure où les parties mentionnées ci-dessus sont des ouï-dire, des opinions ou des arguments — en particulier des paragraphes qui imputent au Canada l’intention de retarder ou d’entraver le processus — la Cour accordera peu de poids, voire aucun, à ces parties. Plus particulièrement :

  • affidavit du chef Dennis Meeches : je conviens que les parties désignées comme étant des opinions sont réellement des opinions, mais je ne pense pas que le paragraphe 24 représente du ouï-dire, parce que le chef Meeches indique au début de l’affidavit qu’il croit que l’information est vraie;

  • affidavit de Ralph Roullette : je crois que les parties indiquées constituent du ouï‑dire ou des opinions;

  • affidavit de Patricia Mitchell souscrit le 31 octobre 2019, Long Plain : je conviens que les paragraphes 37, 62 et 63 sont des opinions ou des arguments;

  • affidavit de Patricia Mitchell souscrit le 31 octobre 2019, Roseau River : je conviens que les paragraphes 36 et 65 sont des opinions ou des arguments;

  • affidavit du conseiller Nelson souscrit le 31 octobre 2019 – je conviens que le paragraphe 24 constitue du ouï‑dire et que les autres paragraphes mentionnés constituent des opinions ou des arguments.

[99] En ce qui concerne l’observation d’Hydro sur le rôle du contre‑interrogatoire, encore une fois, Hydro ne mentionne aucun fondement juridique pour son argument selon lequel le rôle du contre‑interrogatoire consiste à clarifier ce qui figurait dans le dossier. L’article 83 des Règles prévoit le contre‑interrogatoire sur un affidavit fait dans le cadre d’une demande, et l’article ne restreint en aucune façon le rôle ou le but du contre‑interrogatoire. Par conséquent, je vais permettre que les contre‑interrogatoires fassent partie du dossier.

B. Les principes juridiques généraux concernant l’obligation de consulter

[100] Il est utile de commencer l’analyse des première et deuxième questions — à savoir si le Canada a bien cerné l’étendue de son obligation de consulter et s’il s’est acquitté de cette obligation — par un aperçu général du droit concernant l’obligation de la Couronne de consulter et d’accommoder pour les projets axés sur les ressources. La CSC et la CAF ont été et continuent d’être des abondantes sources d’enseignements en ce qui concerne l’obligation de consulter. Récemment, la CAF a utilement examiné l’obligation de consulter du Canada dans un contexte similaire d’approbation de projets énergétiques.

[101] L’obligation de consulter découle du principe de l’honneur de la Couronne. Ce principe découle de l’affirmation de la souveraineté de la Couronne face à l’occupation antérieure des terres par les peuples autochtones. Il est inscrit à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 [l’article 35] qui reconnaît et affirme les droits et titres ancestraux existants. L’article 35 exige que la Couronne agisse honorablement lorsqu’il s’agit de définir les droits garantis par l’article 35 et de les concilier avec d’autres droits et intérêts. Cette obligation emporte à son tour celle de consulter et, s’il y a lieu, d’accommoder (Nation haïda c Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 [Haïda] aux para 16‑18, 20, 25, 32).

[102] L’obligation de consulter prend naissance lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle d’un droit ancestral et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‑ci (Haïda, au para 35). L’obligation de consulter découle de la nécessité de protéger les droits et les intérêts autochtones lorsque des terres ou des ressources font l’objet de revendications ou qu’une mesure envisagée peut avoir un effet préjudiciable sur un droit ancestral.

[103] La première étape de l’analyse consiste à déterminer si l’obligation de consulter prend naissance et, dans l’affirmative, à quel endroit du continuum de la consultation se situe l’obligation du Canada (Haïda, au para 39). La Couronne ne conteste pas le fait que l’obligation de consulter a pris naissance en l’espèce.

[104] La tâche de déterminer ce qui constitue l’étendue de l’obligation, souvent difficile, est facilitée par l’analyse de la CSC dans l’arrêt Haïda :

42 À toutes les étapes, les deux parties sont tenues de faire montre de bonne foi. Le fil conducteur du côté de la Couronne doit être « l’intention de tenir compte réellement des préoccupations [des Autochtones] » à mesure qu’elles sont exprimées (Delgamuukw, précité, par. 168), dans le cadre d’un véritable processus de consultation. Les manœuvres malhonnêtes sont interdites. Cependant, il n’y a pas obligation de parvenir à une entente mais plutôt de procéder à de véritables consultations. Quant aux demandeurs autochtones, ils ne doivent pas contrecarrer les efforts déployés de bonne foi par la Couronne et ne devraient pas non plus défendre des positions déraisonnables pour empêcher le gouvernement de prendre des décisions ou d’agir dans les cas où, malgré une véritable consultation, on ne parvient pas à s’entendre : voir Halfway River First Nation c. British Columbia (Ministry of Forests), [1999] 4 C.N.L.R. 1 (C.A.C.‑B.), p. 44; Heiltsuk Tribal Council c. British Columbia (Minister of Sustainable Resource Management) (2003), 19 B.C.L.R. (4th) 107 (C.S.C.‑B.). Toutefois, le seul fait de négocier de façon serrée ne porte pas atteinte au droit des Autochtones d’être consultés.

[…]

44 À l’autre extrémité du continuum on trouve les cas où la revendication repose sur une preuve à première vue solide, où le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et où le risque de préjudice non indemnisable est élevé. Dans de tels cas, il peut s’avérer nécessaire de tenir une consultation approfondie en vue de trouver une solution provisoire acceptable. Quoique les exigences précises puissent varier selon les circonstances, la consultation requise à cette étape pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision. Cette liste n’est pas exhaustive et ne doit pas nécessairement être suivie dans chaque cas. Dans les affaires complexes ou difficiles, le gouvernement peut décider de recourir à un mécanisme de règlement des différends comme la médiation ou un régime administratif mettant en scène des décideurs impartiaux.

45 Entre les deux extrémités du continuum décrit précédemment, on rencontrera d’autres situations. Il faut procéder au cas par cas. Il faut également faire preuve de souplesse, car le degré de consultation nécessaire peut varier à mesure que se déroule le processus et que de nouveaux renseignements sont mis au jour. La question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones. […]

[Non souligné dans l’original.]

(Voir aussi Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2018 CAF 153 [TWN] au para 489, et Coldwater, au para 41.)

[105] La CAF a examiné l’obligation de consulter pour les projets axés sur les ressources dans les arrêts Coldwater et TWN. Dans les deux affaires, il s’agissait de déterminer si le Canada s’était acquitté de l’obligation de consulter lorsqu’il avait approuvé le projet d’agrandissement du réseau pipelinier de Trans Mountain.

[106] Dans l’arrêt Coldwater, la CAF a jugé que « [l]a teneur précise de l’honneur de la Couronne dépend[ait] aussi des circonstances particulières de l’affaire ». La teneur de l’honneur de la Couronne dépendra des circonstances de chaque affaire (au para 45). Toutefois, l’objectif de la consultation est d’empêcher la Couronne de se comporter de façon déshonorante en agissant « unilatéralement d’une façon qui pourrait nuire aux droits des peuples autochtones, sans d’abord engager de véritables consultations » (Coldwater, au para 46).

[107] La CAF a déclaré que les critères pratiques de l’obligation de consulter se comparent aux normes de l’équité procédurale en droit administratif (Coldwater, au para 38). Tout en précisant que les sujets de consultation sont complexes et que des personnes raisonnables ne s’entendront pas sur les questions soulevées, en fin de compte, les consultations doivent être raisonnables. Cela signifie qu’il faut que le Canada puisse montrer qu’il a pris en considération et traité les droits revendiqués par les peuples autochtones de façon véritable (Coldwater, aux para 39, 40).

[108] La CAF a ensuite expliqué comment procéder à cette évaluation :

[41] Alors, quel est le sens des mots « raisonnable » et « véritable » dans ce contexte? Les indices abondent dans la jurisprudence sur le sujet. Par exemple, les consultations doivent être plus qu’une simple occasion de « se défouler » (Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388, par. 54 [Mikisew 2005]), la Couronne doit faire preuve d’ouverture d’esprit face aux accommodements (Nation Gitxaala, par. 233), la Couronne doit agir de « bonne foi » (Nation haïda, par. 41; Clyde River, par. 23 et 24; Chippewas of the Thames, par. 44), les consultations doivent ouvrir la voie à un véritable dialogue bilatéral (Nation Gitxaala, par. 279), le processus doit être plus qu’« un simple mécanisme permettant aux intéressés d’échanger des renseignements et d’en discuter » (TWN 2018, par. 500 à 502) et être « un dialogue qui mène à une prise en compte sérieuse et manifeste des accommodements » (TWN 2018, par. 501) et la Couronne se doit « de se pencher sur les réelles préoccupations des demandeurs autochtones de manière à être en mesure de rechercher des mesures pour y répondre » (TWN 2018, par. 6). Dans les cas comme celui dont la Cour est saisie, où les consultations approfondies s’imposent, la Cour suprême a proposé les balises facultatives suivantes (Chippewas of the Thames, par. 47; Nation haïda, par. 44; Première Nation Squamish, par. 36; voir aussi Première nation des Dénés Yellowknives, par. 66) :

la possibilité de présenter des observations;

la participation officielle à la prise de décisions;

la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision;

un mécanisme de résolution des différends tel que la médiation ou autre processus administratif doté de décideurs neutres.

[42] Quoi qu’il en soit, les exemples et les balises que l’on trouve dans la jurisprudence ne sont rien de plus que des indications. La Cour suprême a précisé, en donnant ces balises, que les éléments nécessaires pour s’acquitter de l’obligation de consulter varient d’un cas à l’autre, selon les circonstances (Nation haïda, par. 45). Alors, où trouver les repères?

[43] La Cour suprême a mis en lumière les notions qui sous‑tendent l’obligation. Selon elle, la « question décisive » à se poser pour savoir si les consultations ont été « raisonnables » ou « véritables » « consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones » (Nation haïda, par. 45).

[Non souligné dans l’original.]

[109] Ce passage indique que, bien qu’il y ait une certaine liste de vérification des activités requises pour les consultations, la question directrice est de savoir si, dans toutes les circonstances, les consultations ont maintenu l’honneur de la Couronne et encouragé la réconciliation.

[110] Dans l’arrêt TWN, la CAF a conclu que le processus de consultation du Canada répondait aux exigences d’une consultation approfondie (au para 549). La CAF a clairement indiqué que la Couronne pouvait s’en remettre au processus de l’ONE pour s’acquitter de l’obligation de consulter (au para 530). Toutefois, la CAF a conclu que, selon les faits de cette affaire, le processus de consultation supplémentaire, bien qu’il ait été conçu de façon à remplir l’obligation de consulter, n’était pas adéquat de la manière dont il avait été mené. Si une précision était nécessaire dans la jurisprudence antérieure pour comprendre qu’un dialogue doit avoir lieu, elle ne pourrait pas être énoncée plus clairement dans ces paragraphes :

[558] En bref, le Canada n’était pas simplement tenu de recueillir et de comprendre les préoccupations des demandeurs autochtones; il devait prendre part à un véritable dialogue réfléchi. Il en a été empêché par la manière dont ses représentants, au sein de l’équipe des consultations avec la Couronne, ont exécuté leur mandat. Pour l’essentiel, ses représentants se sont contentés de consigner les préoccupations des demandeurs autochtones et de les transmettre aux décideurs.

[559] Le dossier en général ne révèle pas de véritable dialogue réfléchi en réponse aux préoccupations exprimées par les groupes autochtones. S’il ressort du dossier quelques exemples de réponses aux préoccupations, ceux‑ci ne suffisent pas à compenser l’absence générale de réaction de la part du Canada. La jurisprudence de la Cour suprême souligne à maintes reprises l’importance d’un véritable dialogue. La Couronne ne saurait se contenter de recueillir et de consigner les préoccupations et les plaintes. […]

[Non souligné dans l’original.]

[111] En plus d’un dialogue lacunaire, la CAF a conclu que les consultations du Canada étaient déraisonnables pour deux raisons. Tout d’abord, la Canada était réticent à s’écarter des conclusions de l’Office pour être en mesure de réellement comprendre les préoccupations des parties autochtones. Deuxièmement, elles étaient lacunaires, parce que le Canada « estimait, à tort, qu’il ne pouvait imposer d’autres conditions » au promoteur du projet (TWN, au para 560).

[112] En ce qui a trait à l’accommodement, dans l’arrêt Coldwater, la CAF a conclu qu’une consultation véritable pouvait mener ou non à des mesures d’accommodement. Fait important, la CAF a mentionné que le défaut d’accommoder ne signifiait pas qu’il n’y avait pas eu de consultation véritable (au para 51). Elle a conclu que la réconciliation n’exigeait pas qu’on en arrive à une fin particulière et que, bien qu’il soit préférable que les parties s’entendent, les groupes autochtones n’ont pas un droit de veto sur les projets (aux para 52, 53). Les deux conséquences importantes découlant de cette conclusion étaient les suivantes :

  • l’application d’une norme de contrôle trop stricte pour le processus de consultation donnerait en réalité un droit de veto aux groupes autochtones;

  • les groupes autochtones ne peuvent négocier de mauvaise foi pour tenter d’opposer leur veto au projet (aux para 54, 55).

[113] La consultation ne garantit pas un résultat précis, et une forme d’accommodement possible est l’imposition de conditions aux promoteurs. L’obligation d’accommoder oblige le Canada à établir un équilibre entre les préoccupations des Autochtones et les répercussions possibles du projet sur les droits ancestraux ou issus de traités – une tâche qui peut être accomplie par un organisme administratif comme l’ONE (Coldwater, aux para 58 et 59).

[114] Dans l’arrêt Coldwater, la CAF a conclu que la décision du GEC était raisonnable et que les consultations étaient adéquates :

[76] En l’espèce, la preuve au dossier étaye tout à fait les raisons essentielles que le gouverneur en conseil a données pour expliquer sa décision. Le dossier de la preuve démontre qu’on a tenté de bonne foi de comprendre les principales préoccupations des demanderesses, d’en tenir compte et de les examiner, d’avoir une discussion bien nourrie, et d’envisager des mesures d’accommodement et d’y consentir dans certains cas. Cela est tout à fait compatible avec les principes de la réconciliation et de l’honneur de la Couronne.

[115] Les questions juridiques et le cadre de consultation dans le cadre des présentes demandes sont très semblables à ce que la CAF a examiné dans les arrêts Coldwater et TWN.

C. Première question : dans les dossiers T‑1142‑19 (AWZ), T‑1141‑19 (Roseau River), T‑1150‑19 (Long Plain), le Canada a-t-il bien apprécié l’étendue de son obligation de consulter et d’accommoder les Premières Nations?

(1) Les observations d’AWZ

[116] Selon la position d’AWZ, le Canada a déterminé à tort que les répercussions du projet sur AWZ étaient faibles et que, par conséquent, AWZ devait bénéficier d’un degré modéré de consultation. AWZ a déclaré que, parce qu’il y a des répercussions sur son droit de chasser l’orignal et sur son droit de jouir de ses terres de réserve, tous deux des droits issus de traités, elle devait bénéficier d’un haut degré de consultation.

i. L’orignal

[117] AWZ a soutenu que, lorsqu’une Première Nation a un droit issu de traités pour chasser des mammifères, l’obligation de consulter se situe à l’extrémité supérieure du continuum (Clyde River, au para 43). La position d’AWZ est qu’en tant que nation, elle chasse l’orignal au Manitoba depuis des temps immémoriaux. Bien que la population d’orignaux dans le Sud du Manitoba ait diminué de façon significative au cours de la dernière décennie pour d’autres raisons, au point où il ne reste que quelques individus, AWZ indique que l’orignal commence à revenir. La Cour a entendu des informations sur la responsabilité d’une Première Nation envers l’orignal en général, et plus précisément sur la responsabilité de la Première Nation de s’assurer que l’orignal est en mesure de revenir.

[118] Le Canada reconnaît que, lorsqu’ils étaient nombreux, les orignaux étaient d’une importance essentielle pour AWZ et conclut que l’incidence sur l’orignal était faible et non significative. La conclusion du Canada se fonde sur l’analyse et la conclusion de l’ONE et de l’EIE concernant l’incidence du projet sur la population faunique, y compris l’orignal.

ii. L’utilisation et la jouissance des terres (niveaux d’eau du lac des Bois)

[119] Le Traité no 3 réserve des terres à l’usage exclusif d’AWZ, et la loi reconnaît que cet intérêt dans les terres de réserve doit bénéficier de la priorité et de la protection les plus élevées (Bande indienne des Opetchesaht c Canada, [1997] 2 RCS 119 aux para 85, 86; Guerin c La Reine, [1984] 2 RCS 335). AWZ soutient que sa capacité à utiliser ses terres de réserve et à en jouir est touchée par le niveau d’eau du lac des Bois, parce que les niveaux d’eau ont une incidence sur sa capacité de pêcher, de récolter du riz sauvage et de voyager. Par conséquent, l’incidence du projet sur le lac des Bois nécessitait une consultation approfondie, ce qui n’est pas ce qui lui a été accordé.

(2) Les observations de Roseau River et de Long Plain

[120] Ces deux Premières Nations soutiennent que le Canada a déterminé à l’avance l’étendue de son obligation de consulter sans mener de consultations avec Roseau River ou Long Plain. En outre, elles soutiennent que le Canada a commis une erreur lorsqu’il a déterminé à tort que Roseau River devait bénéficier d’un degré [traduction] « moyen » de consultation et que Long Plain devait bénéficier d’un [traduction] « faible » degré de consultation.

[121] Les deux Premières Nations affirment que les consultations qui se sont déroulées correspondaient au strict minimum, de sorte qu’elles ne répondaient pas aux exigences de la consultation à l’extrémité inférieure du continuum, et encore moins à l’extrémité supérieure. Long Plain et Roseau River invoquent Première nation crie Mikisew c Canada (ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69 au para 64, pour la proposition selon laquelle, même à l’extrémité inférieure du continuum, les exigences pourraient obliger la Couronne à [traduction] « aviser la Première Nation, nouer un dialogue directement avec elle, communiquer des renseignements en temps et lieu concernant les intérêts connus de la Première Nation, fournir des renseignements sur les effets préjudiciables potentiels sur ces intérêts pour que la Première Nation puisse exprimer ses préoccupations, écouter ces préoccupations, en tenir compte, et tenter de réduire au minimum tout effet préjudiciable ».

[122] Les Premières Nations ont fait valoir que, parce qu’elles ont fourni à la Couronne des renseignements sur les graves effets préjudiciables pouvant toucher leurs droits garantis par l’article 35, y compris sur leurs DFIT, la Couronne devait procéder à des consultations approfondies. Toutefois, le Canada n’a pas modifié son évaluation de l’ampleur des consultations. Cette mauvaise ampleur des consultations signifiait que Roseau River et Long Plain ont été [traduction] « privées » du processus de consultation qui leur était dû et que chaque décision découlant de l’évaluation incorrecte du Canada a entaché le processus de consultation.

(3) Analyse – AWZ, Long Plain et Roseau River

[123] L’étendue et la teneur de l’obligation de consulter sont contrôlées en fonction de la norme de la décision correcte, tandis que les questions relatives au caractère adéquat de la consultation sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Haïda, aux para 61 et 62). Ainsi, la substance de la consultation est plus importante que sa forme (telle qu’elle a été qualifiée par les parties). En d’autres termes, l’étendue des consultations qui se sont réellement déroulées est plus importante que l’ampleur indiquée (Delgamuukw c Colombie‑Britannique, [1997] 3 RCS 1010 au para 168); Coldwater, aux para 41‑43). C’est la substance de la consultation, plutôt que sa forme ou sa qualification, qui devrait être examinée.

[124] Le Canada reconnaît qu’il avait l’obligation de consulter chacune des demanderesses et qu’une consultation approfondie exige que les Premières Nations aient la possibilité de présenter des observations, de participer officiellement à la prise de décisions et de se voir présenter des motifs écrits (Haïda, au para 44). Le Canada soutient que la question directrice n’est pas l’étendue de l’obligation, mais plutôt celle de savoir si le processus de consultation, considéré dans son ensemble, a donné lieu à des efforts raisonnables pour informer et consulter (Haïda, au para 62).

[125] Pour toutes les Premières Nations demanderesses, le Canada affirme avoir effectué une EAC préliminaire pour chaque groupe autochtone au début des consultations supplémentaires et, à la lumière de cela, il a qualifié de faible, moyen ou élevé le degré de consultation nécessaire. Toutefois, le Canada a consulté chacune des Premières Nations comme s’il leur devait une consultation approfondie, peu importe la qualification qui leur avait donné dans l’EAC. Le Canada estime que la consultation de toutes les Premières Nations comme si une consultation approfondie leur était dû lui a permis de remplir son obligation de consulter.

[126] Selon AWZ, étant donné que le projet pouvait avoir des répercussions sur ses droits ancestraux ou issus de traités de chasser l’orignal et de jouir de ses terres de réserve, elle méritait un degré plus élevé de consultation et d’accommodement. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, la totalité des études et des éléments de preuve a montré que le projet n’aurait pas d’incidence sur les niveaux d’eau du lac des Bois. En outre, il a été constaté que les répercussions sur la population d’orignaux seraient minimes, étant donné qu’il y a très peu d’orignaux. En d’autres termes, le Canada a conclu que le risque de préjudice non indemnisable n’était pas élevé.

[127] Comme il a été mentionné ci‑dessus, aux paragraphes 123 à 125, la substance de la consultation réelle est plus importante que la qualification. Le Canada devait à AWZ un degré de consultation modéré à élevé et ne lui devait pas la consultation la plus approfondie, compte tenu de l’évaluation de la façon dont elle était touchée.

[128] Les documents montrent que le projet peut avoir une incidence sur les droits ancestraux ou issus de traités de Long Plain et de Roseau River. Dans l’EAC préliminaire effectuée par le Canada et envoyée à Roseau River le 14 août 2018, le Canada a estimé qu’il avait envers Roseau River une obligation modérée. Toutefois, l’ébauche du RCAC envoyée à Roseau River le 22 mars 2019 a attribué à Roseau River un degré élevé. Il semblerait donc que le Canada et Roseau River aient finalement accepté l’ampleur de la consultation dont devait bénéficier Roseau River.

[129] De même, dans son EAC préliminaire, le Canada a estimé qu’il devait à Long Plain un faible degré de consultation. Dans l’ébauche du RCAC envoyée à Long Plain le 22 mars 2019, l’évaluation du Canada n’avait pas changé; toutefois, le RCAC final indique que Long Plain devait bénéficier d’un degré modéré de consultation.

[130] Comme il est déclaré dans l’arrêt Première nation des Dénés Yellowknives c Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2015 CAF 148 :

[53] Je reconnais que la terminologie employée pour définir la nature de la consultation exigée importe peu. Ce qui importe, c’est de rechercher si les consultations ont été d’une ampleur qui correspondait à l’évaluation préliminaire de la solidité des droits revendiqués et à la gravité des effets préjudiciables potentiels du projet de développement sur ces droits (Nation haïda, au paragraphe 35).

C’est précisément la situation dans les faits de la présente affaire.

[131] Le fait que l’EAC a changé au fur et à mesure que l’affaire progressait démontre une volonté d’écouter et d’être souple. En fin de compte, peu importe le fait que les évaluations variaient entre les trois Premières Nations (le degré pour AWZ a été évalué de modéré à élevé, celui de Long Plain a été jugé comme modéré et celui de Roseau River a été évalué comme un degré élevé de consultation), il reste que les trois Premières Nations ont été consultées de façon approfondie.

[132] La vraie question est de savoir si le Canada s’est acquitté adéquatement de son obligation de consulter — ce qui impliquerait la possibilité de présenter des observations, de participer officiellement à la prise de décisions ainsi que de se voir présenter des motifs écrits — et s’il y a eu un véritable processus de consultation maintenant l’honneur de la Couronne.

D. Deuxième question : en droit constitutionnel, était-il raisonnable pour le GEC de conclure que les consultations du Canada avec Peguis, AWZ, Roseau River et Long Plain étaient adéquates?

(1) T‑1147‑19 – Peguis

i. Les observations de Peguis

[133] Selon Peguis, un examen du processus de consultation supplémentaire démontre que la Couronne n’a pas satisfait aux exigences relatives au maintien de l’honneur de la Couronne et à la mise en œuvre de la réconciliation (elle a cité les arrêts Haïda et Coldwater). Peguis a fait valoir qu’il devait y avoir de véritables consultations et que, dans ces circonstances, le Canada aurait dû tenter d’obtenir le consentement de Peguis au projet. Peguis a déclaré que, si le consentement n’était pas possible, le Canada aurait alors dû choisir un cadre approprié, engager le dialogue et le faire de façon véritable, puis envisager des mesures d’accommodement avec Peguis, au lieu de procéder sans sa participation aux consultations supplémentaires. Peguis a résumé sa position en affirmant que le Canada n’avait pas satisfait aux exigences de l’obligation de consulter. Elle a déclaré que le Canada ne l’avait pas véritablement consultée, qu’il avait obvié aux conditions nécessaires à une consultation véritable et qu’il avait prétendu déterminer les mesures d’accommodement avant de consulter. Peguis affirme que cette décision a une incidence sur les droits ancestraux ou issus de traités, et qu’elle a été prise sans consultation adéquate. Par conséquent, Peguis prétend qu’elle viole l’obligation de consulter et qu’elle devrait être annulée.

[134] Peguis présente également des observations sur le caractère adéquat des consultations. À ce sujet, elle soutient qu’en droit, une consultation adéquate exige à la fois le choix d’un processus raisonnable et l’exécution raisonnable de ce processus. Plus précisément, Peguis ne pouvait pas organiser des rencontres communautaires sans avoir d’abord finalisé le financement et signé l’entente de financement. Peguis déclare qu’elle n’a pas empêché ni tenté d’entraver ou de ralentir le processus de quelque manière que ce soit, mais que ses efforts de participer avant la décision finale ont été contrecarrés.

ii. La position du Canada

[135] Le Canada soutient qu’il faut tenir compte de l’ensemble du dossier pour déterminer si l’obligation de consulter a été respectée. Peguis, cependant, se concentre uniquement sur la question de savoir si les consultations supplémentaires étaient adéquates.

[136] Je conviens avec le Canada qu’il est bien établi dans la jurisprudence que les processus réglementaires existants, comme les audiences de l’ONE, peuvent satisfaire à l’obligation du Canada de consulter (TWN, au para 529), malgré la position de Peguis selon laquelle l’audience de l’ONE n’était pas une [traduction] « consultation au titre de l’article 35 ».

[137] En l’espèce, il n’y a pas de preuve directe de l’objet des consultations supplémentaires. Peguis soutient qu’en amorçant des consultations supplémentaires, le Canada reconnaissait que le processus de l’ONE était lacunaire. Toutefois, en réponse à cet argument, le Canada a déclaré que la lettre du 14 août 2018, qui lançait des consultations supplémentaires, précisait que l’objet des consultations supplémentaires était, d’abord, de cerner les préoccupations en suspens qui n’avaient pas été communiquées à l’ONE, concernant les répercussions du projet sur les droits ancestraux ou issus de traités, et, en deuxième lieu, de tenir compte de toute mesure d’accommodement fédérale additionnelle pour répondre à ces préoccupations. Le Canada soutient que rien dans cette lettre n’indique que des consultations supplémentaires étaient entamées en raison de préoccupations au sujet du processus de l’ONE.

iii. Analyse

[138] Je conclus que le Canada n’a pas satisfait aux exigences de fond de l’obligation de consulter Peguis. Comme dans l’arrêt TWN, même si le processus établi pouvait satisfaire à l’obligation du Canada de consulter, ce ne fut pas le cas dans son exécution. C’est pourquoi, comme je l’ai mentionné plus tôt, il est essentiel de faire la distinction entre le degré de consultation défini dans la forme et celui entrepris en substance.

[139] Si le Canada veut entamer des consultations supplémentaires, ce processus doit répondre aux exigences d’une consultation adéquate. Cette conclusion est étayée par l’arrêt TWN, dans lequel la CAF a examiné le caractère adéquat des consultations supplémentaires de la Couronne après le processus de l’ONE. Elle a conclu que le Canada devait entreprendre de véritables consultations au cours de cette phase supplémentaire. Si le Canada offre des consultations supplémentaires et que les Premières Nations expriment leur intérêt pour ces consultations, il ne suffit pas de dire simplement que, du fait que Peguis a participé au processus de l’ONE, il était satisfait à l’obligation de consulter. Cela ne veut pas dire que le processus de l’ONE était lacunaire. Le Canada a plutôt mentionné qu’il lançait des consultations supplémentaires, et rien dans le dossier n’indique que le Canada et Peguis se sont engagés dans des consultations de fond au moyen d’une conversation.

[140] En l’espèce, et comme dans l’affaire TWN, je crois que le cadre de consultation pouvait satisfaire aux exigences de l’obligation de consulter, mais, en substance, l’obligation n’a pas été respectée. Relativement à ce qui aurait été nécessaire, comme il a été mentionné plus haut, le Canada déclare qu’il a procédé comme si chaque Première Nation devait bénéficier d’une consultation approfondie. La jurisprudence indique clairement qu’une telle consultation nécessite un échange d’informations, la possibilité pour Peguis d’exprimer ses préoccupations, et il doit y avoir des motifs écrits montrant comment ces préoccupations ont eu une incidence sur le résultat (Coldwater, au para 41). Toutefois, dans la mesure où Peguis soutient que le Canada était tenu d’obtenir son consentement, il y a lieu de rappeler que, dans l’arrêt Coldwater, la CAF a rejeté cette observation, soulignant qu’une exigence de consentement équivaudrait à un droit de veto (au para 194).

[141] Le Canada ne conteste pas qu’il n’a jamais vraiment rencontré Peguis ni discuté de ses préoccupations de fond. Le Canada soutient plutôt que Peguis a eu l’occasion de présenter des observations à l’ONE. En outre, le Canada était prêt à rencontrer Peguis, mais ne l’a pas fait, parce que Peguis n’a pas organisé les rencontres communautaires. Il soutient également que Peguis avait reçu un préavis de plus de six jours au sujet de l’organisation de rencontres communautaires, parce qu’elle savait, en août et septembre 2018, que le Canada était prêt à entreprendre des consultations supplémentaires, y compris des rencontres communautaires. Enfin, le Canada soutient qu’il a tenu compte des préoccupations de Peguis qui avaient été relevées dans les dossiers de l’ONE et de la CPE ainsi que dans le RCAC. Le Canada a déclaré que Peguis bénéficiait des mesures d’accommodement prévues dans les conditions modifiées et qu’à son avis, tout cela signifiait, en substance, que l’obligation de consulter Peguis était remplie.

[142] Le Canada s’est appuyé sur l’arrêt Nation crie Bigstone c Nova Gas Transmission Ltd, 2018 CAF 89 [Bigstone], où la CAF a jugé, au paragraphe 43, que les observations des Premières Nations, selon lesquelles les consultations avaient trop tardé, alors qu’elles n’avaient pas pris part aux trois premiers mois d’un processus de consultation de quatre mois, ne pouvaient être retenues. De même, dans l’affaire Coldwater, l’une des demanderesses avait fait valoir qu’elle n’avait pas eu l’occasion de présenter des commentaires sur le RCAC mis à jour. La CAF a conclu que, bien qu’une telle possibilité eût été souhaitable, parce que les Squamish avaient eu la possibilité de présenter des observations indépendantes, et en avaient effectivement présenté, le fait qu’elles n’avaient pas été en mesure de faire des commentaires sur le RCAC mis à jour ne constituait pas un manquement grave à l’obligation de consulter (au para 144).

[143] Les observations du Canada ne peuvent pas être retenues. Je prends acte du fait que le BGGP et Peguis ont consacré beaucoup de temps à discuter du financement, en particulier de la question de savoir si l’aide financière aux participants pourrait être utilisée pour une étude archéologique. En outre, rien dans la preuve n’indique que ces discussions sur le financement étaient des [traduction] « négociations de mauvaise foi » de la part de Peguis. Selon la preuve déposée par Peguis, elle n’a pas pu procéder à la tenue de rencontres communautaires avant d’avoir finalisé le financement. Même si le Canada était d’avis que Peguis pouvait procéder à des dépenses liées aux consultations avant de finaliser le financement, il ne l’a pas mentionné clairement à Peguis, et le formulaire de demande de financement indiquait qu’aucune dépense ne pouvait être faite avant l’approbation. Jusqu’à la signature de l’entente, Peguis ne pouvait pas organiser de rencontres communautaires et ensuite soumettre les dépenses à payer (voir le paragraphe 41 ci‑dessus). Je ne puis conclure que le retard attribué à Peguis visait à contrecarrer le processus de consultation.

[144] Les affaires invoquées ci‑dessus, au paragraphe 142, peuvent être distinguées de la présente espèce sur ce point. Il en est ainsi parce que Peguis n’a pas eu l’occasion d’exprimer ses préoccupations en suspens, par correspondance, téléconférence, rencontre communautaire, réunion avec les dirigeants ou autrement. Si le problème dans l’affaire TWN était que le Canada n’avait pas véritablement tenu compte des préoccupations des Premières Nations, en l’espèce, le Canada n’a pas fait d’efforts pour déterminer les préoccupations en suspens de Peguis, et encore moins pour les examiner véritablement.

[145] Dans l’arrêt Coldwater, la CAF a conclu que le Canada s’était acquitté de son obligation de consulter, parce que « [l]e dossier de la preuve démontre qu’on a tenté de bonne foi de comprendre les principales préoccupations des demanderesses, d’en tenir compte et de les examiner, d’avoir une discussion bien nourrie, et d’envisager des mesures d’accommodement et d’y consentir dans certains cas. Cela est tout à fait compatible avec les principes de la réconciliation et de l’honneur de la Couronne » (au para 76). Le Canada n’a pas fait montre d’une telle considération véritable en l’espèce, en ce qui concerne sa collaboration avec Peguis au cours des consultations supplémentaires.

[146] Le Canada soutient que, comme Peguis n’a pas fait de commentaires sur l’ébauche du RCAC, il a discerné les préoccupations de Peguis dans ses observations à la CPE et à l’ONE, et s’est assuré qu’elles ont été examinées et prises en compte.

[147] S’il faut prendre acte du fait que Peguis n’a pas présenté de commentaires (pour les raisons évoquées ci‑dessus), il demeure toutefois que l’approche du Canada pose encore quelques problèmes. Le fait de discerner les préoccupations de Peguis dans les processus de l’ONE et de la CPE va à l’encontre de l’objectif déclaré du Canada en matière de consultation supplémentaire, qui était de discerner les préoccupations en suspens dans le processus de l’ONE et de proposer des mesures d’accommodement additionnelles. En outre, l’ébauche a été distribuée pour commentaires en mars 2019, et puisque le Canada n’avait pas rencontré Peguis jusqu’à ce moment‑là, il n’avait aucun moyen de discerner ses préoccupations en suspens. Le Canada a envoyé l’ébauche du RCAC à toutes les parties le 22 mars 2019 et, par conséquent, il semble qu’elles travaillaient sur un calendrier uniforme. Le problème n’est pas que Peguis n’a pas répondu, mais que le Canada a élaboré le RCAC sans autre contribution et ne l’a pas indiqué dans le RCAC. Une véritable consultation qui respecte l’obligation de consulter et d’accommoder doit être un dialogue entre les parties. Bref, le problème est qu’en l’espèce, la consultation du Canada avec Peguis fut un monologue plutôt qu’un dialogue.

[148] Comme il a déjà été mentionné, la réponse du Canada aux préoccupations de Peguis est qu’elles ont été prises en compte au moyen des modifications apportées aux conditions de l’ONE. Toutefois, comme la CAF l’a conclu dans l’arrêt Nation Gitxaala c Canada, 2016 CAF 187 [Gitxaala] au para 308 :

[308] À notre avis, il n’était pas compatible avec l’obligation de consultation et l’obligation de négociation honorable que le Canada se contente d’affirmer que les répercussions du projet seraient atténuées sans d’abord discuter de la nature et de la portée des droits qui seraient touchés. Pour que les demandeurs/appelants Premières nations puissent consulter et évaluer les répercussions du projet sur leurs droits, un dialogue respectueux sur les droits revendiqués doit d’abord avoir eu lieu. Une fois que l’obligation de consulter est reconnue, une omission de consulter ne peut être justifiée en passant directement à l’étape des accommodements. Le fait de procéder ainsi est incompatible avec le principe de négociation honorable et de réconciliation.

[Non souligné dans l’original.]

[149] En l’espèce, il n’y a eu aucune consultation de fond, bien que le Canada ait reconnu qu’une telle obligation lui incombait et que l’absence de consultation ne pouvait être corrigée par un accommodement.

[150] Cela contraste avec Roseau River, Long Plain et AWZ, les demanderesses dans les dossiers connexes. Dans ces cas, le Canada a rencontré les Premières Nations, soit avant l’ébauche du RCAC, soit avant de mettre la dernière main à celui‑ci, et il leur a été donné l’occasion d’exprimer leurs préoccupations. Peguis n’en a pas eu l’occasion. Je prends bel et bien acte du fait que le Canada s’est efforcé de la consulter. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il n’aurait pas pu faire davantage d’efforts, par exemple en avisant Peguis que l’échéance du 3 mai avait été prorogée ou en faisant un suivi sur l’ébauche du RCAC. En outre, un examen de l’annexe particulière à Peguis montre qu’il n’y avait pas de commentaires de celle‑ci sur les mesures d’accommodement possibles, contrairement, par exemple, à l’annexe d’AWZ, qui présente les mesures d’accommodement proposées par AWZ et l’appréciation de ces propositions par le Canada.

[151] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le Canada n’a pas rempli adéquatement son obligation de consulter Peguis.

(2) T‑1442‑19 – AWZ

i. Les observations d’AWZ

[152] AWZ soutient que le Canada n’a pas rempli son obligation de consulter et d’accommoder concernant les répercussions du projet sur les droits de chasse issus de traités, les répercussions possibles du projet sur ses terres de réserve et le manque d’avantages découlant du projet pour les Premières Nations.

[153] AWZ soutient que la Couronne ne l’a pas consultée au sujet de ces trois questions en suspens après le processus de l’ONE.

[154] En ce qui concerne le droit d’AWZ de chasser l’orignal, AWZ affirme que les consultations ont échoué pour deux raisons. Premièrement, le Canada ne s’est pas véritablement engagé, mais s’en est plutôt remis à l’évaluation de l’ONE. Deuxièmement, l’évaluation incorrecte par la Couronne des répercussions l’a amenée à conclure qu’aucun accommodement particulier aux orignaux n’était nécessaire. AWZ soutient que l’incidence du projet sur l’orignal était une question [traduction] « évidente et non réglée » à l’issue de l’audience de l’ONE. Bien que l’EIE d’Hydro et le Canada aient tous deux constaté que le projet aurait des effets négatifs sur les orignaux, l’ONE a jugé que l’incidence du projet sur les terres et les ressources traditionnelles était négligeable. Au cours des consultations supplémentaires, AWZ a expliqué ses préoccupations et proposé des mesures d’accommodement possibles. Toutefois, le Canada a renvoyé aux conclusions de l’ONE et n’a fourni aucune information nouvelle pour répondre aux préoccupations d’AWZ.

[155] AWZ soutient que l’erreur commise par le Canada dans l’évaluation de l’incidence du projet sur les orignaux l’a amené à conclure qu’aucune mesure d’atténuation ou d’accommodement précise n’était justifiée. AWZ a fait valoir que, malgré le fait qu’elle devait bénéficier d’une obligation de consulter à l’extrémité supérieure du continuum, le projet a été approuvé sans condition ni accommodement particulier aux orignaux. AWZ renvoie à deux affaires, Bigstone et West Moberly First Nations v British Columbia (Chief Inspector of Mines), 2010 BCSC 359 [West Moberly], pour appuyer l’affirmation selon laquelle des mesures d’accommodement raisonnables exigeaient des conditions particulières aux orignaux.

[156] En ce qui a trait aux niveaux d’eau du lac des Bois, AWZ soutient que l’ONE devait tenir compte de l’incidence du projet sur les niveaux d’eau et que l’ONE a exclu cette considération sans consulter AWZ. Celle‑ci soutient que l’omission, de la part de l’ONE, d’examiner cette question rend son rapport tellement lacunaire que le Canada ne peut pas s’y appuyer.

[157] AWZ soutient que les consultations supplémentaires n’ont pas permis de répondre aux préoccupations en suspens des Premières Nations concernant les niveaux d’eau. Lors de leur rencontre de janvier, AWZ a informé le Canada qu’elle souhaitait comprendre comment le projet influerait sur les niveaux d’eau, compte tenu du lien entre les niveaux d’eau et ses droits. Toutefois, bien que le Canada ait effectué sa propre évaluation en consultant les hydrologues du ministère de l’Environnement et en rencontrant la CCLB, le Canada n’a pas communiqué cette information à AWZ ni invité AWZ à y participer. AWZ affirme que tout ce que le Canada lui a fourni était une note technique rédigée par Hydro pour expliquer pourquoi le projet n’aurait pas d’incidence sur le niveau d’eau. Toutefois, selon AWZ, elle n’avait pas l’expertise technique pour comprendre l’exposé ni les ressources nécessaires pour embaucher un expert. Bien que l’honneur de la Couronne exige plus que l’assurance du Canada qu’il a examiné une préoccupation, AWZ a soutenu que le Canada n’a rien fait d’autre que de présenter des opinions non étayées.

[158] AWZ soutient qu’elle n’a pas eu la possibilité de bénéficier du projet sur le plan économique, malgré l’incidence que le projet aurait sur ses droits. AWZ souligne qu’elle doit acheter son électricité du Minnesota à un prix majoré, tandis qu’Hydro se sert du territoire d’AWZ pour vendre de l’électricité à profit. AWZ a déclaré que, bien que le Canada ait été d’avis qu’il ne pouvait obliger le promoteur à offrir des accommodements à des fins économiques, l’obligation de consulter incombe à la Couronne, et celle‑ci pourrait effectivement obliger le promoteur à offrir des avantages ou des accommodements économiques en refusant l’approbation jusqu’à ce que de telles offres soient faites.

ii. AWZ – Analyse

a) L’orignal

[159] AWZ met l’accent sur des questions précises que la Couronne n’a pas prises en compte. La première question soulevée par AWZ est l’examen insuffisant par le Canada de l’incidence du projet sur l’orignal et l’habitat de l’orignal, ainsi que de l’incidence correspondante sur le droit d’AWZ de chasser ce cervidé. À ce sujet, AWZ soutient que le Canada ne s’est pas véritablement engagé, mais qu’il s’en est plutôt remis à l’évaluation de l’ONE, et que l’évaluation incorrecte par la Couronne des répercussions l’a amenée à conclure qu’aucun accommodement particulier aux originaux n’était nécessaire.

[160] À l’appui de ses observations, AWZ invoque un extrait de l’arrêt TWN, dans lequel la CAF a conclu que « le Canada n’est pas tenu d’adopter d’office les conclusions et conditions recommandées par l’Office. Si de réelles préoccupations sont soulevées au sujet du processus d’audience ou des conclusions et conditions, [AWZ fait valoir que] le Canada est tenu d’engager un véritable dialogue à ce sujet » (au para 627).

[161] Les observations du Canada portent principalement sur le processus qui a eu lieu. Le Canada répond qu’il a réellement tenu compte des préoccupations d’AWZ au cours des consultations supplémentaires, mais qu’il a accepté les conclusions de l’ONE concernant la population d’orignaux. Le Canada soutient qu’il a satisfait aux exigences de la consultation approfondie décrites dans la jurisprudence, parce que : AWZ a reçu toutes les informations nécessaires, a eu la possibilité de présenter des observations et s’est vu présenter des motifs écrits expliquant comment ses préoccupations avaient été prises en compte. La position du Canada appuie les observations d’Hydro qui expliquent en détail pourquoi les conclusions de l’ONE étaient raisonnables.

[162] Le Canada affirme que les affaires invoquées par AWZ pour prétendre qu’un plan d’atténuation particulier à l’orignal est nécessaire – Bigstone, aux para 15, 16, 52, 54; West Moberly, aux para 17, 51, 155‑165, 264, 265, 275 – se distinguent de la présente espèce, parce que, dans ces affaires, l’organisme de réglementation a conclu que le projet aurait une incidence importante sur le caribou, ce qui n’est pas le cas selon les faits de l’espèce.

[163] AWZ a toujours été d’avis que la chasse à l’orignal était essentielle à son mode de vie traditionnel et que, par conséquent, toute incidence du projet sur l’orignal aurait un effet sur les droits ancestraux ou issus de traités que l’article 35 lui garantit. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur l’étendue de l’incidence du projet sur les orignaux. Les orignaux ont été considérés dans le cadre d’une étude plus vaste sur la faune dans l’EIE, ce qui signifie que l’orignal n’a pas été identifié comme étant une [traduction] « composante valorisée », et aucune étude précise n’a été menée sur l’orignal. Toutefois, Hydro et l’ONE ont jugé que ce n’était pas nécessaire – le fait que l’orignal a été pris en considération dans l’incidence du projet sur la faune, de façon générale, et non comme une [traduction] « composante valorisée » est conforme aux lignes directrices fédérales. En fin de compte, l’ONE a conclu que l’incidence du projet sur la faune, y compris les orignaux, serait minime.

[164] Au cours des consultations supplémentaires, AWZ a soulevé la question de l’incidence du projet sur les orignaux lors d’une réunion tenue le 24 janvier 2019 avec des représentants du BGGP. Le procès‑verbal de la réunion reflète les préoccupations d’AWZ quant au fait que [traduction] « le promoteur n’a pas inclus l’orignal comme composante valorisée dans son EIE » et au fait que l’Office n’a pas pris en considération les orignaux au cours de son évaluation. AWZ a proposé trois mesures d’accommodement, en réponse auxquelles le personnel du BGGP a indiqué qu’il examinerait le type d’étude requis et la possibilité d’une indemnisation.

[165] Lors de sa rencontre du 9 mai 2019 avec AWZ, le représentant du Canada a mentionné que l’EIE avait porté sur l’incidence du projet sur les orignaux et qu’elle serait minime, compte tenu de l’habitat limité des orignaux dans la zone du projet.

[166] Dans le RCAC, les représentants de la Couronne ont conclu ce qui suit :

[traduction]

Compte tenu de la recherche du promoteur sur le déclin des populations d’orignaux, des conclusions de l’EIE concernant les orignaux et de l’opinion de l’ONE selon laquelle l’EIE satisfait aux documents directeurs provinciaux et fédéraux, la Couronne conclut que les répercussions possibles du projet sur la capacité des membres d’Animakee Wa Zhing à exercer leurs droits ancestraux ou issus de traités, garantis par l’article 35, relatifs aux orignaux ne seront pas significatives. Prenant acte des préoccupations d’Animakee Wa Zhing au sujet des conséquences cumulatives sur les populations d’orignaux, RNCan établira une initiative d’études sur les ressources terrestres et culturelles pour appuyer les études dirigées par les Autochtones afin d’améliorer la compréhension des enjeux liés aux terres.

[167] AWZ n’a pas souscrit aux conclusions de l’EIE ni à celles tirées par l’ONE. La Couronne a conclu que toute incidence ne serait pas significative. Cela est en contradiction avec l’affirmation d’AWZ selon laquelle l’obligation de consulter exigeait une étude particulière aux orignaux et, en fin de compte, des mesures d’accommodement fondées sur les conséquences précises relevées pour chaque projet.

[168] J’accepte le fait que le Canada a satisfait aux exigences de la consultation approfondie décrites dans la jurisprudence, de manière semblable à la façon dont la CAF, dans l’arrêt TWN, a conclu que le cadre de consultation permettait de répondre aux exigences imposées à la Couronne en la matière. J’accepte également le fait « qu’on a tenté de bonne foi de comprendre les principales préoccupations des demanderesses, d’en tenir compte et de les examiner, d’avoir une discussion bien nourrie, et d’envisager des mesures d’accommodement et d’y consentir dans certains cas », conformément à la réconciliation et à l’honneur de la Couronne (Coldwater, au para 76).

[169] Comme la CAF l’a conclu dans l’arrêt Coldwater, les exigences de la consultation sont souvent comparées aux exigences du droit administratif en matière d’équité procédurale. En l’espèce, il était raisonnable pour le GEC de conclure que le Canada s’était acquitté adéquatement de son obligation de consulter, étant donné que j’ai conclu que le processus était véritable, et non pas seulement le résultat sur le fond.

[170] Dans la présente affaire, il y a eu deux rencontres entre le Canada et AWZ. Celle‑ci a eu l’occasion de formuler des commentaires sur l’ébauche du RCAC propre à sa situation. Il est vrai que le Canada n’a fourni aucune nouvelle information concernant l’incidence du projet sur les orignaux, mais AWZ ne l’a pas fait non plus. Ces consultations supplémentaires ont permis à AWZ de soulever ces questions, car son objectif était de régler les questions en suspens découlant du processus de l’ONE.

[171] Il n’est pas du ressort de la Cour de soupeser la preuve scientifique ou de préférer l’une des observations des Premières Nations ou d’Hydro; c’est le rôle de l’ONE et de la Couronne. L’arrêt Coldwater appuie cette conclusion, puisque, dans cette affaire, la CAF a fait remarquer qu’il n’appartenait pas à la Cour « d’agir comme “académie des sciences” en vue de décider quelle opinion est la bonne ». Dans cette affaire, le Canada a indiqué aux parties qu’il avait l’intention de s’appuyer sur l’audience de réexamen de l’ONE pour satisfaire à son obligation de consulter et que l’ONE possédait l’expertise nécessaire pour évaluer les répercussions du projet sur les groupes autochtones (Coldwater, au para 162). À propos de cette question, dans l’arrêt Coldwater, la CAF a conclu que ce n’était pas parce que la position du Canada était conforme à celle de l’ONE, et que le point de vue des Premières Nations divergeait, que les consultations étaient lacunaires (Coldwater, au para 171). Je conclus qu’avec AWZ, les consultations n’ont pas été lacunaires, malgré le fait que la position du Canada était harmonisée avec celle de l’ONE, et non celle des Premières Nations.

[172] Je conclus que ni l’arrêt Bigstone ni la décision West Moberly n’appuie la proposition selon laquelle l’obligation de consulter exige une étude particulière à une espèce ou un plan d’atténuation. En outre, l’obligation d’accommoder ne se présente que lorsqu’il est impossible d’atténuer les répercussions d’un projet sur les droits ancestraux ou issus de traités, et, en l’espèce, il a été conclu que, dans le cas d’AWZ, il y avait peu ou pas d’incidence.

[173] À l’inverse, dans l’arrêt Bigstone, l’ONE avait conclu qu’il y avait « des effets cumulatifs importants sur le caribou dans la région par suite des perturbations directes et indirectes de l’habitat » et que, par conséquent, « l’Office a exigé que tous les effets résiduels sur l’habitat du caribou soient pris en considération et neutralisés » (Bigstone, au para 15). Cela diffère de la conclusion de l’ONE, sur les faits de la présente affaire, conclusion portant que la population d’orignaux était déjà assez faible en raison de divers facteurs et que l’incidence du projet sur les orignaux serait limitée (seulement pendant la construction) et minime.

[174] De même, dans la décision West Moberly, un biologiste du ministère provincial de l’Environnement avait conclu que les projets de plans d’atténuation réduiraient au minimum les répercussions sur le caribou, mais que le développement des mines était incompatible avec le maintien ou l’augmentation du nombre de caribous (West Moberly, au para 58). Dans cette affaire, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu qu’en l’absence d’un plan de rétablissement, il n’y avait pas d’accommodement raisonnable (West Moberly, au para 59). Dans la situation d’AWZ, la conclusion de l’EIE, à laquelle a souscrit l’ONE, était que le projet ne contribuerait pas aux autres facteurs qui touchaient la population d’orignaux, contrairement à l’affaire West Moberly, où il a été conclu que le projet contribuerait aux effets cumulatifs sur le caribou.

[175] Le fait que les points de vue du Canada et d’AWZ divergent ne signifie pas que celui d’AWZ doit être privilégié ou que le Canada ne l’a pas réellement pris en considération. Le Canada et AWZ ont eu une conversation au sujet de l’orignal, au cours de laquelle le Canada n’était pas d’accord avec AWZ, mais il y a eu un dialogue. Selon ces faits, je conclus que les consultations de la Couronne étaient adéquates.

b) Les niveaux d’eau du lac des Bois

[176] En ce qui a trait aux niveaux d’eau du lac des Bois, AWZ soutient que l’ONE a commis une erreur fatale en décidant d’exclure de son évaluation l’incidence du projet sur les niveaux d’eau du lac des Bois. Le Canada soutient de son côté que, selon l’ensemble de la preuve disponible, le projet n’aurait pas d’incidence sur les niveaux d’eau du lac des Bois.

[177] À l’appui de son affirmation selon laquelle cette décision relative à la portée de l’évaluation rendait le rapport de l’ONE si lacunaire que le Canada ne pouvait pas s’y fier, AWZ cite l’arrêt TWN, au paragraphe 201. La CAF y conclut que, bien que les motifs de l’ONE ne soient pas assujettis à un contrôle judiciaire, « aux termes de la loi, le gouverneur en conseil ne peut agir que s’il dispose d’un “rapport”. Or, un rapport qui comporte des lacunes importantes, par exemple s’il ne répond pas aux normes législatives, ne constitue pas un tel rapport. Dans ce contexte, on peut contrôler le rapport de l’Office pour vérifier qu’il s’agit d’un “rapport” sur lequel le gouverneur en conseil peut à bon droit fonder sa décision. Le rapport n’est pas à l’abri d’un contrôle de notre Cour et de la Cour suprême ».

[178] Dans l’arrêt TWN, la CAF a conclu que l’Office avait commis une erreur en excluant le transport maritime de la portée de la définition du « projet désigné » devant être évalué sous le régime de la LCEE. L’Office avait jugé qu’il n’avait pas de pouvoir réglementaire à l’égard du transport, et la CAF a accepté cette conclusion; elle a toutefois jugé qu’« il était néanmoins obligé d’envisager les conséquences juridiques de son incapacité à “veiller” à ce que des mesures soient prises pour améliorer les incidences du projet sur l’épaulard résident du sud » (TWN, au para 455).

[179] Dans l’arrêt TWN, la décision de l’ONE relative à la portée de l’évaluation signifiait qu’il n’avait pas tenu compte des effets du transport maritime sur l’épaulard résident du sud, une évaluation qui aurait dû relever de l’évaluation environnementale de l’Office.

[180] Je conclus que la décision de l’ONE concernant les niveaux d’eau du lac des Bois peut être distinguée de la décision « fatale » relative à la portée de l’évaluation dans l’affaire TWN. Dans cette affaire, l’ONE avait conclu que le transport maritime ne relevait pas de son pouvoir réglementaire, une conclusion juridique. Par conséquent, l’ONE n’avait pas tenu compte des effets du transport sur les baleines, un effet environnemental qu’il aurait dû considérer dans le cadre de son évaluation environnementale. En l’espèce, l’ONE n’a pas déterminé qu’il ne pouvait pas tenir compte des effets du projet sur les niveaux d’eau; il a plutôt jugé qu’en se fondant sur la demande présentée dans la présente affaire — une demande de certificat pour une ligne internationale de transport d’électricité — il n’était pas nécessaire d’évaluer les effets environnementaux et socio‑économiques connexes aux installations, en amont ou en aval, liées à la production d’électricité.

[181] Les motifs de la décision de l’ONE montrent qu’il a examiné la question des effets potentiels du projet sur le lac des Bois et qu’il a accepté les observations d’Hydro selon lesquelles il n’y en aurait pas, parce que le projet reposait sur l’énergie produite sur le lac Nelson et qu’Hydro ne contrôlait pas les niveaux d’eau du lac des Bois. AWZ soutient que, parce que l’Office a examiné cette incidence après avoir exclu les effets en amont de sa liste de points à traiter, AWZ s’est vu priver de l’équité procédurale. Je ne souscris pas à cette observation, parce qu’AWZ a présenté des observations et a contre‑interrogé les témoins d’Hydro sur cette question, ce qui démontre qu’elle s’est vu accorder l’équité procédurale requise et qu’elle ne souscrit tout simplement pas à la décision.

[182] Quoi qu’il en soit, AWZ a exprimé ses préoccupations au sujet des niveaux d’eau du lac des Bois lors de consultations supplémentaires avec le Canada. Par conséquent, même si l’ONE avait exclu de l’examen, de façon inadmissible, l’incidence des niveaux d’eau du lac des Bois, le Canada a tenu compte de cette préoccupation durant les consultations supplémentaires et a informé le GEC de ses conclusions dans le RCAC. Selon la preuve, AWZ a partagé ses préoccupations avec le Canada lors de la réunion du 24 janvier 2019. Le Canada a invité AWZ à une rencontre avec la CCLB, qui avait été prévue avec une autre Première Nation à la fin de février, à laquelle l’AWZ n’a pas assisté. Le Canada a également consulté le personnel d’Environnement et Changement climatique Canada [ECCC] au sujet des niveaux d’eau du lac des Bois.

[183] Dans la version finale du RCAC, le Canada a reconnu que les effets en amont n’avaient pas été pris en compte par l’ONE, mais que l’ONE avait accepté la position d’Hydro selon laquelle le projet n’aurait pas d’incidence sur les niveaux d’eau, et il a conclu : [traduction] « Considérant les renseignements reçus, la Couronne conclut que le projet n’aura pas d’incidence sur le niveau du lac des Bois et, par conséquent, il n’y a aucune obligation correspondante de fournir un accommodement. »

[184] Il est clair que le Canada a entendu les préoccupations d’AWZ et a fait d’autres enquêtes au‑delà de l’acceptation des conclusions de l’ONE et d’Hydro. Bien qu’il eût été préférable pour le Canada de donner à AWZ un meilleur préavis concernant la rencontre de février avec la CCLB, ou de l’informer qu’il rencontrait des experts d’ECCC, le Canada n’est pas tenu à une norme de perfection. Ce n’est pas mon rôle de lui imposer ce qui est préférable, mais plutôt d’examiner la question de savoir s’il a respecté son obligation juridique. À ce sujet, le Canada a effectivement fourni à AWZ de nouvelles informations, en particulier la note de synthèse. Le Canada a réellement examiné la question et a fondé ses conclusions sur l’ensemble de la preuve, y compris celle dont disposait l’ONE et les nouvelles informations reçues d’experts d’ECCC. Je conclus que cette conclusion est raisonnable, et que les consultations avec AWZ sur la question ont été adéquates.

c) L’accommodement économique

[185] AWZ affirme qu’étant donné les effets du projet sur ses droits, le Canada aurait dû obliger le promoteur à lui fournir un accommodement économique. AWZ soutient que l’accommodement économique est particulièrement pertinent, parce que le projet se servira de son territoire traditionnel pour exporter de l’électricité vers le Minnesota, tandis qu’elle doit acquérir de l’électricité du Minnesota à un taux majoré.

[186] Le Canada soutient que l’obligation de consulter n’oblige pas la Couronne à veiller à ce que les Premières Nations touchées bénéficient de l’activité envisagée. En outre, cet accommodement vise à améliorer les répercussions possibles sur les droits ancestraux ou issus de traités d’un groupe autochtone. Bien qu’AWZ ait bel et bien cerné des répercussions possibles, la conclusion raisonnable à la suite du processus de l’ONE et des consultations supplémentaires était que ces répercussions possibles étaient, soit adéquatement prises en compte par les engagements d’Hydro et les conditions modifiées de l’ONE, soit non importantes. Le Canada soutient que l’affirmation d’AWZ selon laquelle le Canada était obligé de compenser ses tarifs de services publics est sans fondement juridique. La mesure d’accommodement proposée, bien qu’elle ait été considérée, n’était pas appropriée, parce qu’elle n’atténuerait ni n’éliminerait les répercussions possibles du projet.

[187] Je suis d’accord avec le Canada. Il n’y a pas d’obligation d’accommoder indépendante de celle de consulter. Comme la CSC l’a déclaré dans l’arrêt Haïda :

47 S’il ressort des consultations que des modifications à la politique de la Couronne s’imposent, il faut alors passer à l’étape de l’accommodement. Des consultations menées de bonne foi peuvent donc faire naître l’obligation d’accommoder. Lorsque la revendication repose sur une preuve à première vue solide et que la décision que le gouvernement entend prendre risque de porter atteinte de manière appréciable aux droits visés par la revendication, l’obligation d’accommodement pourrait exiger l’adoption de mesures pour éviter un préjudice irréparable ou pour réduire au minimum les conséquences de l’atteinte jusqu’au règlement définitif de la revendication sous-jacente. […]

[Non souligné dans l’original.]

[188] En outre, comme le résume la CAF dans l’arrêt TWN :

[495] Des consultations menées de bonne foi peuvent révéler l’existence d’une l’obligation d’accommoder. Lorsque la revendication est établie au moyen d’une preuve à première vue solide et que la mesure proposée risque de porter atteinte de manière appréciable aux droits visés par la revendication, l’honneur de la Couronne pourrait bien commander l’adoption de mesures pour éviter un préjudice irréparable ou pour réduire au minimum les conséquences de l’atteinte […]

[189] Le fait qu’AWZ ne bénéficie pas du projet ne constitue pas une atteinte à ses droits ancestraux ou issus de traités. En outre, le fait qu’AWZ a proposé certaines mesures d’accommodement ne signifie pas que la Couronne doit les accepter (Coldwater, au para 58).

[190] En résumé, compte tenu du droit ainsi que du dossier dont je dispose, je juge que le gouverneur en conseil a raisonnablement conclu que le Canada s’était acquitté de son obligation de consulter et d’accommoder AWZ.

(3) T‑1141‑19 Long Plain et T‑1150‑19 Roseau River

i. Les observations de Long Plain et de Roseau River

[191] Long Plain et Roseau River soutiennent que les consultations du Canada ont échoué de quatre façons. Dans la présente section, je désignerai ces deux Premières Nations comme les demanderesses.

[192] Premièrement, les demanderesses soutiennent que le Canada a reporté les consultations directes sur les questions en suspens, propres au projet, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Les demanderesses soutiennent que les consultations doivent être accessibles, adéquates et offrir une véritable occasion de participer; dans certaines circonstances, elles peuvent nécessiter un financement des capacités. Les demanderesses font valoir qu’elles ont travaillé avec le Canada pendant six mois pour tenter de régler l’aide financière aux participants et qu’elles n’ont pas obtenu les ressources requises pour analyser les lacunes dans les informations ou entreprendre d’autres études. Les demanderesses ont fourni une liste des erreurs commises par le Canada dans le cadre des consultations, y compris les fardeaux administratifs, le manque de financement des capacités, le fait de ne pas participer au cadre de consultation du Canada, le fait de ne reconnaître que superficiellement leurs préoccupations de fond et de ne pas s’engager dans un dialogue, la création de retards inutiles, la fourniture des services de [traduction] « preneurs de notes survalorisés » aux réunions, la détermination unilatérale que les DFIT étaient exclus de la portée des consultations ainsi que la détermination unilatérale que les conditions révisées respecteraient l’accommodement.

[193] En fin de compte, elles affirment que le Canada n’a rencontré Long Plain et Roseau River qu’une seule fois et qu’en plus de la correspondance et des modifications apportées aux conditions de l’ONE, il n’y a eu que peu de consultations et aucune mesure d’accommodement.

[194] Deuxièmement, en prenant le décret, le Canada n’a pas véritablement tenu compte des répercussions du projet sur les droits ancestraux ou issus de traités garantis par l’article 35. Les demanderesses invoquent l’arrêt de la CAF dans l’affaire Canada c Première Nation de Long Plain, 2015 CAF 177 [Long Plain 2015], à l’appui de la proposition selon laquelle, lorsque la Couronne envisage de céder des terres publiques, elle a l’obligation de consulter.

[195] Les demanderesses soutiennent que le Canada n’a pas tenu compte des DFIT des demanderesses. Elles soulignent que les terres publiques sont limitées et qu’une plus grande disposition de ces terres pourrait empêcher le Canada de s’acquitter de ses obligations au titre de l’ERDFIT. En outre, elles ont dit que le Canada avait décidé unilatéralement que les DFIT étaient exclus de la portée des consultations.

[196] En outre, les demanderesses font valoir que le Canada n’a pas indiqué comment les conditions de l’ONE répondaient à leurs préoccupations. Elles soutiennent que la condition 22 de l’ONE, qui exige qu’Hydro élabore un plan de compensation pour les terres publiques [CTP], vise à compenser l’utilisation des terres publiques pour l’exercice des droits issus de traités, plutôt que de compenser la perte de terres publiques pour la sélection de DFIT. Les demanderesses font référence à cela comme à une approche [traduction] « approuver d’abord et consulter plus tard ».

[197] Troisièmement, les demanderesses soutiennent que le Canada n’a pas donné de motifs pour démontrer que leurs droits ancestraux ou issus de traités avaient été pris en considération et comment ils avaient influencé le décret. Les demanderesses font remarquer que le Canada a invoqué le privilège du Cabinet à l’égard des documents dont disposait le GEC. Elles font valoir que le décret mentionne que le GEC a pris en compte le RCAC, mais les demanderesses soutiennent qu’on ne leur a pas accordé suffisamment de temps pour examiner le RCAC et que, du fait qu’il contient des erreurs, il ne faut pas s’y fier. En outre, étant donné que le GEC ne mentionne pas expressément les observations indépendantes qu’elles ont présentées, il est raisonnable de supposer que le GEC ne les a pas examinées. Les demanderesses soutiennent que, si le GEC avait reçu ces observations indépendantes, il n’aurait pas pu raisonnablement conclure que les demanderesses avaient été consultées adéquatement.

[198] La quatrième erreur que les demanderesses invoquent est que le Canada ne les a pas accommodées. Elles affirment qu’elles n’ont pas bénéficié d’embauches ou de contrats préférentiels en conséquence de l’entente relative au projet et que, bien qu’Hydro ait initialement proposé une entente à Long Plain relativement au projet, Hydro a par la suite annulé l’offre.

[199] Les demanderesses soutiennent en outre que, malgré le fait que le Canada avait connaissance des répercussions du projet sur leurs droits ancestraux ou issus de traités, il n’a pas discuté avec elles des mesures d’accommodement possibles. Les demanderesses affirment que leurs demandes d’accommodement étaient raisonnables et résultaient d’un dialogue de bonne foi.

ii. Analyse

a) Les consultations trop tardives

[200] Les demanderesses soutiennent que trop de temps a été consacré à des questions administratives, comme le financement, et que les consultations de fond ont trop tardé. En fin de compte, elles n’ont eu qu’une seule rencontre avec le Canada. En outre, elles soutiennent qu’elles n’ont pas eu assez de temps pour examiner l’ébauche du RCAC et fournir des commentaires.

[201] Selon le Canada et Hydro, les consultations constituaient un processus continu, commençant au plus tard par les audiences de l’ONE, le Canada ayant commencé les consultations en août 2018. En outre, ils déclarent que le délai pour la décision du GEC a été prorogé deux fois, afin d’intégrer les résultats des consultations dans le processus.

[202] Dans l’affaire Bigstone, la demanderesse a soutenu qu’elle n’avait pas eu assez de temps pour examiner l’ébauche du RCAC. La CAF a d’abord souligné que le délai pour les consultations supplémentaires était d’environ quatre mois, mais que « rien » n’avait été fait pendant les trois premiers mois à cause de l’inaction de Bigstone (au para 43). La CAF a également pris acte du fait que le BGGP avait accordé aux Premières Nations un délai serré pour formuler des commentaires sur l’ébauche du RCAC, mais a fait remarquer que le délai avait été prorogé à deux reprises (au para 42). La CAF a jugé que, compte tenu de la conduite des parties, les délais étaient appropriés.

[203] De même, dans l’arrêt Coldwater, l’une des nations demanderesses, les Ts’elxwéyeqw, a soutenu que les consultations n’étaient pas véritables, parce que le Canada avait passé trop de temps à déterminer comment les consultations se dérouleraient et en avait ensuite hâté l’exécution. Les Ts’elxwéyeqw ont fait en outre valoir que l’imposition des délais ne tenait pas compte de leurs contraintes de capacité (Coldwater, au para 231). La CAF a jugé que, s’il était raisonnable de chercher à optimiser les efforts, il fallait le faire en gardant à l’esprit les délais et que « [f]aire en sorte d’avoir en place tous les éléments nécessaires à des consultations efficaces sans prévoir une période suffisante au déroulement de celles‑ci ne constitu[ait] pas une ligne de conduite appropriée en l’espèce » (au para 242). La CAF a rejeté les arguments des Ts’elxwéyeqw, et a fait remarquer que « [l] Canada a[vait] fait tout ce qui était en son pouvoir pour fixer la date des ateliers et pour avoir avec les Ts’elxwéyeqw des discussions approfondies […], mais n’a essuyé que des refus à cet égard » (au para 244).

[204] Les faits en l’espèce diffèrent légèrement de ceux des affaires Bigstone et Coldwater. Les parties ont consacré beaucoup de temps à déterminer si le financement pouvait être acheminé par l’entremise d’ANCI comme le voulaient les Premières Nations. Toutefois, contrairement aux observations des demanderesses, je ne pense pas qu’il s’agisse de la preuve que le Canada tentait délibérément de retarder ou d’éviter les consultations.

[205] Tout comme dans l’affaire Bigstone, des consultations supplémentaires ont été entamées tôt – en l’espèce en août 2018, soit environ dix mois avant la décision du GEC, en juin 2019. De plus, les parties savent ou devraient savoir qu’aux termes de la Loi sur l’ONE, le GEC dispose de trois mois, à compter de la publication des motifs de l’ONE, pour formuler une recommandation. Ce délai a été prorogé deux fois (de février à mai, puis de mai à juin), et le Canada a communiqué cette prorogation aux parties. Je tiens à souligner que la date limite pour présenter des commentaires sur l’ébauche du RCAC a été prorogée de la même façon et que ni Long Plain ni Roseau River n’ont fourni de commentaires ou de rétroaction, mais qu’elles ont correspondu et présenté des observations indépendantes.

[206] Dans l’ensemble, je conclus que les consultations n’avaient pas trop tardé et que tout retard dans la tenue de consultations véritables est attribuable à parts égales aux deux parties.

b) Les DFIT

[207] En résumé, les demanderesses maintiennent que l’ONE n’a pas tenu compte de leurs DFIT, que le Canada a unilatéralement exclu les DFIT de la portée des consultations et que le Canada n’a pas suivi les directives données par la CAF dans l’arrêt Long Plain 2015.

[208] En réponse, le Canada soutient qu’au cours des consultations supplémentaires, il a pris en compte les préoccupations de Long Plain et de Roseau River au sujet de la perte de terres publiques. Le Canada souligne que des préoccupations générales concernant les DFIT ont été soulevées pendant l’audience de l’ONE, et ce dernier a conclu que les besoins en terres prévus étaient raisonnables et justifiés. L’ONE a également conclu que la sélection du tracé visait à réduire l’incidence du projet sur les terres publiques inoccupées. L’ONE a imposé la condition 22, qui exige d’Hydro qu’elle présente un plan de CTP décrivant la façon dont la perte permanente de terres publiques serait compensée ou accommodée. La position du Canada est qu’il a considéré les conclusions et la condition 22 de l’ONE comme une mesure d’accommodement raisonnable et qu’il n’y avait donc pas lieu de prendre d’autres mesures d’accommodement. Bien que Long Plain ait identifié des parcelles de terre qu’elle prétendait avoir le droit de choisir aux termes de son ERDFIT avec le Canada, le Canada a informé Long Plain que les parcelles précises n’étaient pas à vendre et que les sélections de DFIT n’étaient disponibles que selon le principe de vente de gré à gré. En outre, dans une lettre du 25 novembre 2019, le Canada a fourni à Roseau River une réponse au sujet des parcelles de terre qu’elle avait désignées pour la sélection de DFIT.

[209] Après avoir examiné la preuve et la jurisprudence, je conclus qu’elles n’appuient pas les arguments des demanderesses.

[210] En l’espèce, la preuve indique que Long Plain et Roseau River ont des DFIT en suspens, en partie aux termes de l’ERDFIT signée avec le Canada. Les demanderesses affirment que l’incidence du projet sur leurs droits est qu’il réduira de façon irrémédiable les terres publiques disponibles pour les DFIT.

[211] Premièrement, de façon plus générale, l’ONE a conclu que l’incidence sur les DFIT ou l’utilisation traditionnelle des terres était minime, en raison de la sélection du tracé. L’ONE a également jugé que toute perte de terres publiques pourrait être atténuée par la condition 22, qui exige d’Hydro qu’elle élabore un plan de CTP. Dans le RCAC, le Canada a accepté ces conclusions et a aussi modifié la condition 22 pour préciser qu’Hydro devait consulter les groupes autochtones lors de l’élaboration du plan.

[212] Deuxièmement, en ce qui a trait à la sélection précise des DFIT, je fais remarquer que ces sélections n’ont été faites qu’en mai 2019, après le PMPN d’Hydro et le processus d’audience de l’ONE. Au cours des consultations supplémentaires, les demanderesses ont exprimé leurs préoccupations au sujet des DFIT au moyen de communications avec le Canada, de leur rencontre avec lui, ainsi que des sélections de terres visées par des DFIT qu’elles avaient effectuées en mai. Par conséquent, contrairement à l’argument des demanderesses, ces dernières ont eu la possibilité de présenter des observations. En outre, le Canada a pris ces sélections en compte, mais a jugé que cette [traduction] « mise en œuvre des DFIT [était] une question distincte du processus de consultation sur le projet et soulign[é] que, conformément à l’entente sur des DFIT de Long Plain, RCAANC et la province du Manitoba travailler[aient] de concert avec Long Plain pour déterminer le plan d’action approprié ».

[213] Je conviens qu’aux termes de l’ERDFIT, le Canada doit consulter les demanderesses lorsqu’il cède des terres publiques (c.‑à‑d. lorsqu’il est un « vendeur sérieux » selon Long Plain 2015). Toutefois, la CAF a également jugé que « [l]e processus de consultation […] n’était pas censé être un forum pour la détermination et décision finale des revendications de droits ou titres ancestraux autochtones » (Gitxaala, au para 289). On ne peut pas dire que tous les projets proposés sont assujettis aux sélections de DFIT, en particulier celles faites si tard dans le processus. Conclure ainsi reviendrait à accorder aux Premières Nations un droit de veto sur le projet, et la jurisprudence souligne que la consultation n’est pas un droit de veto (voir, par exemple, Coldwater, au para 53).

[214] En outre, le Canada a fait un suivi auprès des demanderesses au sujet de leurs sélections de DFIT en mai, puis en novembre 2019. Cela me montre que le Canada n’a pas écarté ou rejeté les préoccupations des demanderesses, mais qu’il en a tenu compte et y a répondu.

[215] Dans la mesure où les demanderesses soutiennent qu’il n’y a pas eu de véritables consultations, en raison d’un manque de financement, je signale que, dans l’arrêt Bigstone, la CAF a conclu que le Canada n’était nullement tenu de fournir une aide financière et qu’il s’agissait « tout au plus d’un seul facteur parmi d’autres qui servir[aient] à évaluer le sérieux des consultations » (au para 45). De même, selon la preuve de Long Plain, elle n’a pas participé à l’audience de l’ONE, parce qu’elle estimait que l’aide financière aux participants disponible (80 000 $) était insuffisante. Le juge de Montigny a déclaré au nom de la CAF qu’il « incomb[ait] aux groupes autochtones de recourir à de tels processus s’ils souhait[aient] exprimer leurs préoccupations » (Bigstone, au para 52).

[216] Selon la preuve du Canada, le financement des consultations supplémentaires n’était pas destiné à couvrir l’ensemble des coûts de consultation. Dans l’arrêt TWN, la CAF a également conclu qu’en l’absence d’éléments de preuve démontrant comment le financement était si insuffisant que le processus de consultation était devenu déraisonnable, ce facteur n’est pas déterminant (paragraphe 539).

[217] Je conclus que, bien que la somme fournie en financement n’ait peut‑être pas été aussi élevée que ce que les demanderesses auraient voulu, elles ont obtenu un financement, et, en l’absence d’une preuve de la façon dont cela a rendu le processus inadéquat, je conviens que cela n’est pas déterminant ni ne rend pas la décision déraisonnable.

c) Les motifs du GEC

[218] Les demanderesses soutiennent que le GEC n’a pas fourni de motifs justifiant sa décision et n’a pas expliqué sur quels éléments il s’est fondé, ce qui a rendu la décision déraisonnable. Cette question sera examinée sous la troisième question ci‑dessous (à partir du paragraphe 228).

d) L’accommodement

[219] Les demanderesses affirment que le Canada n’a pas pris en compte leurs préoccupations au sujet des DFIT et de la participation économique. Elles soutiennent que la condition 22 est insuffisante, parce qu’elle ne visait que la perte de terres utilisées à des fins traditionnelles, et non la perte de terres pour la sélection de DFIT.

[220] Comme il a été mentionné plus haut, au paragraphe 187, il n’y a pas d’obligation d’accommoder indépendante; cette obligation découle plutôt du processus de consultation. Dans l’arrêt Coldwater, la CAF a fait remarquer que « l’obligation de consulter ne garantit pas que la mesure d’accommodement spécifiquement demandée sera justifiée ou possible ni que les mesures d’accommodement donneront lieu à une entente entre les parties » (au para 179). Il a été conclu, dans les deux arrêts Coldwater et Bigstone, que l’imposition de conditions à un promoteur de projet était une forme d’accommodement.

[221] Bien que l’obligation de consulter exige que la Couronne envisage sérieusement un accommodement, il n’y a aucune garantie qu’il y en aura un, ou que les parties s’entendront sur les mesures d’accommodement appropriées. Cet examen sérieux de la Couronne peut se refléter dans ses motifs écrits, comme le RCAC, et les conditions imposées au promoteur peuvent être des mesures d’accommodement appropriées.

[222] Les demanderesses affirment que la condition 22 est une forme d’approche [traduction] « approuver maintenant et consulter plus tard ». La CAF (Bigstone) a examiné une préoccupation similaire quant à la nature prospective des conditions, mais a conclu que le rôle de l’Office n’était pas seulement d’approuver, mais aussi de superviser – il s’agit d’un processus dynamique, qui n’est pas figé dans le temps (au para 56). La CAF a également conclu que « l’obligation de consultation et d’accommodement de la Couronne ne prend pas fin une fois que l’autorisation a été donnée; elle subsiste aux stades ultérieurs du processus de mise en œuvre » (au para 59).

[223] À la lumière de ce jugement, je conclus qu’il était possible pour l’ONE et le GEC d’adopter une mesure d’accommodement prospective.

[224] La condition 22 s’ajoute à la conclusion de l’ONE selon laquelle la sélection du tracé évitait les terres choisies pour les DFIT ainsi que le plus grand nombre possible de terres publiques. En outre, la condition 22b), dans sa version modifiée, exige d’Hydro qu’elle fournisse « une liste des mesures de compensation ou d’indemnisation qui seront mises en œuvre pour pallier la perte permanente des terres publiques ». Il s’agirait notamment de la perte permanente de terres pour la sélection des DFIT, en supposant que les DFIT font partie des « fins traditionnelles », ce qui, à mon avis, est le cas, puisque la propriété de terres correspond à son utilisation traditionnelle la plus élémentaire.

[225] En l’espèce, un examen du dossier démontre que, bien que les demanderesses puissent ne pas approuver les mesures d’accommodement choisies, cela ne signifie pas que la Couronne n’a pas rempli son obligation de consulter et d’accommoder. La Couronne soutient que les préoccupations des demanderesses au sujet de l’utilisation traditionnelle des terres ont été prises en compte au moyen de la condition 22 modifiée et que les préoccupations au sujet de la participation économique ont été prises en compte au moyen des conditions 3 et 15. En outre, la Couronne a donné suite aux observations des demanderesses sur la sélection des DFIT – le fait que la terre n’était pas en vente ne signifie pas que la Couronne n’a pas envisagé l’accommodement. Enfin, dans les annexes du RCAC particulières aux Premières Nations, la Couronne a énuméré les mesures d’accommodement proposées et a expliqué pourquoi elle ne jugeait pas que ces mesures d’accommodement étaient nécessaires, et, dans les motifs écrits, elle a démontré qu’il y avait eu un examen sérieux des mesures d’accommodement.

[226] La condition 22, dans sa version modifiée, exige d’Hydro qu’elle soumette le plan des mesures de CTP à l’Office pour approbation 30 jours avant le début des activités. L’Office a donc un rôle de surveillance continu pour s’assurer qu’Hydro adopte ce plan.

[227] Les demanderesses peuvent ne pas souscrire aux mesures d’accommodement, mais elles n’ont aucune obligation de les accepter, et, à mon avis, les mesures d’accommodement proposées répondent raisonnablement aux préoccupations des demanderesses.

E. Troisième question : en droit administratif, la décision du GEC était-elle raisonnable?

(1) Les observations de Peguis

[228] Peguis soutient que la décision du GEC était déraisonnable. Peguis a déclaré que non seulement les consultations étaient insuffisantes, mais que la décision relative au décret est déraisonnable, étant donné les lacunes des consultations que reflète le RCAC.

[229] Peguis a défini la portée du dossier devant le décideur, mais elle a fait remarquer qu’elle ne pouvait que présumer qu’il incluait le RCAC, parce que le reste du dossier est assujetti au privilège des documents confidentiels du Cabinet.

[230] Peguis soutient que, sur la base de l’arrêt de la CSC dans l’affaire Vavilov, il existe deux grandes catégories de décisions déraisonnables :

  • les décisions qui sont intrinsèquement incohérentes;

  • les décisions indéfendables, compte tenu de contraintes factuelles et juridiques pertinentes.

Peguis soutient que la décision du GEC répond à ces deux critères et qu’elle est donc déraisonnable.

[231] Peguis fait valoir qu’il n’y a pas de raisonnement intrinsèquement cohérent dans le décret. Plus précisément, elle affirme que l’analyse ne peut mener à la conclusion que le Canada a adéquatement consulté et accommodé les Premières Nations touchées. Selon Peguis, le problème fatal est que le GEC ne tient pas compte de la dimension de fond de l’obligation de consulter. Peguis fait valoir que le maillon manquant dans l’analyse rationnelle est que le Canada n’a pas exécuté de façon raisonnable le processus de consultation relativement à Peguis. Celle‑ci conclut que le décret est silencieux sur la dimension de fond des consultations, mais que même le RCAC démontre la lacune.

[232] Peguis affirme que le fait de conclure que les préoccupations ont été adéquatement prises en compte est intrinsèquement incohérent, parce que cette conclusion fait l’impasse sur l’exécution des processus établis et va directement à l’accommodement. Peguis soutient que le Canada ne peut [traduction] « abdiquer ses responsabilités », après la création d’un processus, en invitant à Peguis à y participer, mais en ne menant pas réellement de consultations. Peguis prétend que le Canada est tenu d’examiner la question de savoir s’il a raisonnablement mis en œuvre son obligation constitutionnelle.

[233] Peguis laisse entendre que la décision est indéfendable, compte tenu des contraintes juridiques et factuelles pertinentes, et elle signale qu’une décision est déraisonnable si le décideur se méprend sur la preuve dont il dispose ou n’en tient pas compte. Peguis a prétendu que la conclusion selon laquelle le Canada avait mené les consultations supplémentaires de façon raisonnable n’était pas étayée par la preuve au dossier. La Première Nation fait remarquer que la preuve présentée dans l’annexe du RCAC propre à Peguis démontre qu’entre le 14 août 2018 et le 23 avril 2019, les parties n’étaient préoccupées que par le financement et que rien dans la preuve ne démontre qu’elles ont discuté des répercussions possibles du projet sur les droits ancestraux ou issus de traités de Peguis. Celle‑ci ajoute que le RCAC montre qu’il y a eu un courriel de suivi au sujet des consultations de fond, lequel indiquait qu’elles devaient avoir lieu dans la semaine qui suivait, et qu’après, il n’y a plus eu de communications jusqu’à ce que la Couronne mette fin aux consultations. Peguis conclut que le dossier de preuve est dépourvu de fondement factuel sur lequel le GEC pouvait se fonder pour tirer la conclusion que le Canada avait raisonnablement exécuté la phase de consultation supplémentaire.

[234] Dans son argumentation, Peguis a fait valoir que le GEC avait appliqué ses conclusions à tous les groupes autochtones sans tenir compte séparément des faits liés à Peguis. Elle a affirmé que le GEC aurait pu proroger davantage le délai pour prendre une décision, mais qu’il n’a fourni aucune explication de la raison pour laquelle il avait choisi de ne pas le faire.

[235] En outre, Peguis fait valoir que la décision est fondée sur un raisonnement vicié. Selon elle, l’arrêt Vavilov exige qu’une attention particulière soit accordée aux motifs de la décision, et une décision raisonnable doit tenir valablement compte des préoccupations soulevées et des questions centrales (citant Vavilov, aux para 86 et 87). Peguis signale qu’aucun motif écrit n’a été présenté, qui révélerait l’incidence qu’elles ont eue sur la décision, et que les attendus du décret sont [traduction] « épars et de pure forme ».

(2) Les observations de Long Plain et de Roseau River

[236] En plus des observations ci‑dessus sur le caractère adéquat des motifs du GEC, ces demanderesses soutiennent que [traduction] « selon la longue liste de manquements », la décision du GEC ne peut être considérée comme justifiée, transparente ou intelligible. Ces manquements comprennent ce qui suit :

  1. les motifs n’ont pas été fournis;

  2. il n’y a aucune indication quant à une analyse complète;

  3. il subsiste un flou quant à la nature des documents examinés par le GEC;

  4. il n’y a aucune information liant la décision du GEC à l’une quelconque des préoccupations soulevées par les demanderesses.

(3) Analyse

[237] Le Canada fait une distinction entre la question de droit constitutionnel — celle de savoir si la conclusion du GEC, selon laquelle l’obligation de consulter a été satisfaite, était raisonnable — et la question du droit administratif – celle de savoir si le décret était raisonnable du point de vue du droit administratif.

[238] Dans l’arrêt Gitxaala, la CAF a conclu que la décision du GEC était raisonnable sur la base des principes du droit administratif, mais qu’elle ne pouvait être maintenue, parce que le Canada n’avait pas rempli l’obligation de consulter (aux para 156‑325).

[239] Dans l’arrêt TWN, la CAF a établi une distinction entre les questions de droit administratif et de droit constitutionnel. Certains aspects du rapport de l’ONE étaient en cause dans l’affaire TWN. La CAF a examiné les lacunes du rapport dans le cadre du droit administratif et a conclu que le rapport était vicié au point qu’il était déraisonnable pour le GEC de s’y fonder (au para 228‑373).

[240] Dans la présente demande, et contrairement à l’affaire TWN, les demanderesses ne contestent pas le rapport de l’ONE. La question est celle du caractère adéquat des consultations, en termes de droit administratif, à savoir si la décision du GEC était justifiée à la lumière des faits et du droit sous‑jacents (Vavilov, au para 99).

[241] Tout d’abord, j’examinerai les observations des demanderesses au sujet du caractère inadéquat des motifs du GEC. Peguis soutient que celui‑ci devait présenter des motifs écrits officiels. Toutefois, étant donné que les seuls motifs officiels sont le décret et qu’ils sont épars et de pure forme, sans aucune note explicative, ils étaient déraisonnables. Long Plain et Roseau River soutiennent que le GEC n’a pas fourni de motifs justifiant sa décision et n’a pas expliqué sur quels éléments il s’est fondé. Par conséquent, cela est déraisonnable.

[242] Bien qu’elles aient précédé l’arrêt Vavilov, dans les affaires Bigstone et TWN, la CAF a examiné le caractère adéquat des motifs du GEC. Dans l’arrêt Bigstone, elle a conclu ce qui suit :

[65] Il est incontestable qu’une consultation approfondie nécessite des explications écrites susceptibles de montrer que les préoccupations des groupes autochtones ont été dûment prises en compte et de révéler l’incidence que ces préoccupations ont eue sur la décision du gouverneur en conseil (Nation haïda, par. 44, Nation Gitxaala, par. 314). En l’espèce, il n’a pas été satisfait à cette exigence. Le gouverneur en conseil pouvait à juste titre fonder sa décision sur le rapport de l’Office et sur le RCAC. Il est bien établi qu’il n’est pas nécessaire qu’un décideur administratif motive ses conclusions à l’égard de chacune des questions que soulèvent les parties et qu’il peut se fonder sur les rapports d’autres organismes administratifs et y souscrire (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par. 16, [2011] 3 R.C.S. 708; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 44). En fait, le gouverneur en conseil a explicitement indiqué, dans le préambule du décret, que sa décision d’autoriser le projet reposait sur le rapport de l’Office et le RCAC.

[…]

[70] Compte tenu du rapport de l’Office et des motifs détaillés de la Couronne (par l’entremise du BGGP), motifs sur lesquels le gouverneur en conseil s’est expressément fondé dans le décret, il ne peut raisonnablement être soutenu que le gouverneur en conseil n’a pas fourni de motifs suffisants. La décision ne plaît peut‑être pas à la Nation Bigstone, mais il ne s’agit pas là du critère qui permet de décider si la Couronne s’est acquittée de l’obligation de consultation, laquelle ne peut se muer en une obligation de parvenir à une entente, ce qui équivaudrait alors à un droit de veto. Comme l’a déclaré sans ambages la Cour suprême dans Nation haïda (par. 62) : « [l]e gouvernement doit déployer des efforts raisonnables pour informer et consulter. Cela suffit pour satisfaire à l’obligation ».

[Non souligné dans l’original.]

[243] Dans l’arrêt TWN, la CAF a également conclu ce qui suit :

[479] De même, il serait indûment formaliste de négliger le rapport de l’Office, qui éclaire la décision du gouverneur en conseil. Le décret renvoyait expressément au rapport et aux conditions énoncées dans l’annexe du rapport, et a expressément accepté la recommandation de l’Office sur l’intérêt public. La conclusion selon laquelle le décret doit être interprété à la lumière du rapport de l’Office est conforme à l’arrêt Gitxaala, dans lequel notre Cour a accepté la prétention du Canada selon laquelle le décret devait être interprété à la lumière des conclusions et recommandations figurant dans le rapport de la commission d’examen conjoint. Ayant pris connaissance du contenu du décret, du rapport et des autres documents au dossier, la Cour a conclu que le gouverneur en conseil avait respecté son obligation légale d’énoncer les motifs.

[244] Selon les faits, il me semble que la seule différence entre ces affaires et celle dont la Cour est saisie est qu’une note explicative n’accompagnait pas la décision du décret, comme c’était le cas dans les affaires TWN et Bigstone. Toutefois, la disposition de la Loi sur l’ONE applicable dans ces affaires énonce que le GEC doit donner les motifs de sa décision de délivrer ou non un certificat pour un pipeline. Mais il n’y a pas d’exigence légale correspondante lors de l’examen d’une ligne internationale de transport d’électricité. En outre, l’absence d’une note explicative n’atténue en rien les conclusions ci‑dessus selon lesquelles le GEC n’a pas à fournir ses propres motifs, mais peut s’appuyer sur le raisonnement du rapport de l’ONE et du RCAC. En l’espèce, le décret indique expressément qu’il y a eu examen des motifs de l’ONE et du RCAC.

[245] Dans le cadre de l’obligation de consulter, il est établi qu’une consultation approfondie exige la présentation de motifs expliquant comment les préoccupations des Premières Nations ont été prises en considération et ont eu une incidence sur les résultats. Je conclus que les motifs de l’ONE et le RCAC satisfont à cette exigence dans le présent contexte.

[246] Cette conclusion est appuyée par l’arrêt Vavilov :

[103] Bien que, comme nous l’avons déjà mentionné aux par. 89 à 96, il faille interpréter des motifs écrits eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés, une décision sera déraisonnable lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle : voir […] Une décision sera également déraisonnable si la conclusion tirée ne peut prendre sa source dans l’analyse effectuée (voir Sangmo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 17, par. 21 (CanLII)), ou qu’il est impossible de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central […]

[Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[247] Le GEC a correctement pris en compte les intérêts des Autochtones, les consultations et les mesures d’accommodement. Le GEC a examiné les informations obtenues au cours des consultations, en particulier le RCAC, lequel comprend un résumé du processus de consultation, une description des opinions des groupes autochtones au sujet de la façon dont le projet peut avoir une incidence sur eux et au sujet des mesures d’accommodement possibles, ainsi que la conclusion de la Couronne sur le caractère adéquat des consultations. Cela est appuyé par le texte du décret, qui mentionne ce qui suit :

Attendu que la gouverneure en conseil est convaincue, après examen des préoccupations et des intérêts des groupes autochtones relevés dans le rapport sur la consultation de la Couronne intitulé Rapport sur la consultation et l’accommodement fédéral pour le projet de ligne de transmission Manitoba-Minnesota, que le processus de consultation est compatible avec l’honneur de la Couronne et que les préoccupations et intérêts ont fait l’objet de mesures d’accommodement appropriées, notamment la modification de certaines conditions énoncées à l’annexe III du rapport de l’Office;

Il est raisonnable pour le GEC de conclure que le Canada s’est acquitté adéquatement de son obligation de consulter.

[248] Toutefois, le RCAC ne montre pas comment les préoccupations exprimées par Peguis ont été prises en considération et ont eu une incidence sur le résultat des consultations supplémentaires, car ce processus n’a pas eu lieu. Essentiellement, le RCAC, en ce qui concerne Peguis, est l’examen par la Couronne de la conclusion de l’ONE. Je suis d’accord avec Peguis pour dire que le RCAC ne reflète pas l’existence de consultations de fond ou véritables avec Peguis, pour les motifs déjà mentionnés sous la question 2. Rien dans le RCAC n’indique que le Canada a rencontré Peguis pour discuter de ses préoccupations en suspens. Par conséquent, la conclusion tirée par le GEC, selon laquelle la Couronne s’était acquittée de son obligation de consulter ne pouvait être fondée sur les faits sous‑jacents concernant Peguis. Le GEC s’est appuyé sur le RCAC (sans l’obligation de consulter liée aux consultations supplémentaires) pour prendre sa décision, ce qui rend la décision déraisonnable à l’égard de Peguis.

[249] Je conclus que le GEC a été raisonnable relativement aux autres demanderesses. À mon avis, la décision est raisonnable pour les motifs mentionnés ci‑dessus (liés aux autres questions), concernant l’exécution, par la Couronne, de son obligation de consulter les demanderesses autres que Peguis. Ainsi, il a démontré qu’il avait examiné les observations et les préoccupations des demanderesses. Il y a eu un enchaînement rationnel de faits pouvant être suivi, qui montre comment il a été satisfait aux préoccupations ou de quelle manière celles‑ci ont été traitées par ailleurs. Je conclus que les motifs et le dossier, lorsqu’ils sont lus de façon holistique, sont transparents, intelligibles et raisonnables à l’égard des autres Premières Nations. Des motifs distincts ne sont pas nécessaires, comme l’ont fait valoir Long Plain et Roseau River, parce que le fait que le GEC s’est appuyé sur le rapport de l’ONE ainsi que sur le RCAC, et les a adoptés, constitue un fondement adéquat pour sa décision (Bigstone).

F. Résumé

[250] Les demandes des demanderesses Long Plain, Roseau River et AWZ seront rejetées, et celle de Peguis sera accueillie.

VII. La réparation

[251] Après avoir conclu que le Canada n’avait pas rempli son obligation de consulter Peguis, il reste à déterminer la réparation appropriée. Étant donné que le MMTP a été construit et qu’il est en service depuis un certain nombre d’années maintenant, cela rend la question de la réparation plus complexe que dans la plupart des contrôles judiciaires.

[252] Peguis soutient que, du fait que la décision du GEC est déraisonnable, le décret devrait être annulé, parce que les lacunes découlent du fait que le Canada n’a pas terminé la phase supplémentaire avec Peguis. Celle‑ci a déclaré, comme l’a fait la CAF dans l’arrêt TWN, que la Cour devrait ordonner au Canada de refaire sa phase de consultation supplémentaire, et que le projet ne pouvait être approuvé qu’une fois ces consultations terminées et les mesures d’accommodement déterminées. Reconnaissant que le projet est terminé, Peguis soutient que la licence d’Hydro pour l’exportation d’énergie devrait être suspendue jusqu’à ce que le processus de consultation supplémentaire ait été mené.

[253] D’autre part, le Canada soutient qu’étant donné les réparations demandées, il n’est pas pratique de s’attendre à ce que les parties défenderesses précisent, avant les motifs de la Cour, quelles réparations précises seraient appropriées et a donc demandé une audience sur les réparations.

[254] Hydro soutient que, si la Cour conclut que le Canada n’a pas consulté adéquatement les demanderesses, la réparation ne devrait pas avoir d’incidence sur la capacité d’Hydro à exploiter le MMTP. Celui‑ci est en service et est assujetti à la surveillance continue de l’ONE, de sorte que, selon Hydro, le fait de tenir d’autres consultations n’aurait pas d’incidence sur le tracé ni sur les modalités des contrats d’exportation d’Hydro. Hydro a soutenu qu’étant donné mon pouvoir discrétionnaire, une réparation appropriée peut consister à prononcer un jugement déclaratoire de manquement à l’obligation de consulter.

[255] Mais d’abord, comme je crois l’avoir dit à l’audience, je ne suis pas disposée à tenir une audience supplémentaire sur les réparations, comme le Canada l’a proposé, parce qu’il ne s’agit pas d’une utilisation efficiente des ressources judiciaires dans la présente situation. Comme l’ont avancé les parties, il y a plusieurs options que je peux envisager en l’espèce. Toutefois, je dispose d’autres options qui n’ont pas été présentées par les parties.

(1) Annuler la décision

[256] Dans les demandes de contrôle judiciaire, la réparation la plus courante et la plus juste consiste à annuler la décision et à la renvoyer au décideur pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire. Mais, vu les faits de l’espèce, étant donné que la ligne est construite et en service, je n’accorderai pas cette option à titre de réparation. En pratique, cela rend cette réparation irréalisable, de sorte qu’elle ne correspond pas vraiment à la raison pour laquelle la présente demande est accueillie. Ma conclusion est que le Canada n’a pas consulté Peguis de façon adéquate et que l’annulation de la décision mettrait injustement fin aux activités d’Hydro, qui est une partie non « fautive » dans le cadre de la présente demande. Pour aller encore plus loin, le fait de démolir la ligne maintenant causerait probablement plus de tort que le fait de rectifier les manquements visés par la présente demande. Par conséquent, je n’accorderai pas cette réparation.

(2) Aucune réparation

[257] L’option de ne pas accorder de réparation a un certain mérite, puisque le projet est construit et en service depuis juillet 2020. La preuve montre que l’habitat qui a été détruit pour construire la ligne a commencé à se renouveler autour de la ligne et des terres.

[258] La CAF a clairement fait savoir que, même si une partie a gain de cause dans une demande, la Cour peut refuser d’accorder une réparation.

[41] Le contrôle judiciaire constitue un recours intrinsèquement discrétionnaire : voir Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 41, [2014] 1 RCS 502; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 RCS 3, au paragraphe 30, 122 D.L.R. 4th 129. Il est discrétionnaire en ce sens que la Cour peut décider si une demande sera entendue alors qu’il existe un autre recours. Même si la demande est entendue et que le demandeur obtient gain de cause, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder une réparation : voir l’arrêt Vavilov, au paragraphe 139; Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada–Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, au paragraphe 228, 111 D.L.R. 4th; Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, au paragraphe 52, [2010] 1 RCS 6; Canada (Procureur général) c. Philps, 2019 CAF 240, au paragraphe 40; Krause c. Canada, [1999] 2 CF 476, au paragraphe 490, 1999 CanLII 9338 (CAF).

(Première nation des ‘Namgis c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2020 CAF 122)

[259] Toutefois, cela signifierait que le Canada pourrait, en toute impunité, ne pas respecter son obligation de consulter, si le projet est construit avant que l’affaire ne soit traitée par les tribunaux. Ce serait une injustice pour Peguis, et nuirait à tort au respect de l’obligation de consulter et d’accommoder à l’avenir.

(3) Ordonner des consultations supplémentaires

[260] Une troisième option est que la Cour pourrait ordonner que le Canada mène d’autres consultations avec Peguis. Cette option est fondée sur la jurisprudence selon laquelle la consultation est un processus continu. Un exemple de cette option est l’affaire Bigstone. La CAF y a conclu que « l’obligation de consultation et d’accommodement de la Couronne ne prend pas fin une fois que l’autorisation a été donnée; elle subsiste aux stades ultérieurs du processus de mise en œuvre ». De même, dans l’arrêt Gitxaala, la CAF a conclu ce qui suit :

[177] Dans l’arrêt Taku River, la Cour suprême a aussi reconnu que l’approbation du projet était « simplement l’étape du processus qui permet la mise en œuvre du projet » (au paragraphe 45). Ainsi, les préoccupations non résolues des Premières Nations pourraient être étudiées de façon plus efficace à des étapes ultérieures du processus d’élaboration. On s’attendait à ce que, à chacune des étapes (permis, licences et autres autorisations) ainsi que lors de l’élaboration d’une stratégie d’utilisation des terres, la Couronne continue de s’acquitter de son obligation de consulter, et, s’il y a lieu, d’accommoder.

[261] Comme la consultation porte sur un processus, pas nécessairement sur l’obligation de s’entendre, et du fait que l’ONE a un rôle de surveillance permanent, si une ordonnance est rendue à cet effet, la Couronne et Peguis pourront peut‑être participer à d’autres consultations, afin de déterminer les préoccupations continues et de savoir si une mesure d’accommodement est possible à ce stade.

[262] Le problème de cette réparation est qu’elle peut nécessiter la supervision de la Cour et d’éventuelles ordonnances judiciaires additionnelles, afin d’assurer le respect de délais raisonnables, ainsi qu’un rôle de surveillance pour indiquer ce qui est raisonnable. Cela n’est ni approprié ni gérable dans la présente affaire, même si ça peut l’être dans d’autres situations.

(4) Le jugement déclaratoire

[263] Le jugement déclaratoire est accordé sur une base discrétionnaire. La CSC a jugé qu’il pouvait être approprié lorsque :

  • a) le tribunal a compétence pour entendre le litige,

  • b) la question en cause est réelle et non pas simplement théorique,

  • c) la partie qui soulève la question a véritablement intérêt à ce qu’elle soit résolue,

  • d) la partie intimée a intérêt à s’opposer au jugement déclaratoire sollicité.

(SA c Metro Vancouver Housing Corp, 2019 CSC 4)

[264] Les parties n’ont pas fait valoir que l’un de ces éléments n’était pas présent, et il est évident en l’espèce, selon les faits, qu’il est satisfait au critère énoncé ci‑dessus pour le jugement déclaratoire.

[265] Dans l’arrêt Assiniboine c Meeches, 2013 CAF 114 [Assiniboine], la CAF a conclu que le jugement déclaratoire dit le droit, sans infliger de sanction et sans ordonner l’accomplissement d’un acte précis. Elle a ajouté que les questions liées au jugement déclaratoire ont force de chose jugée entre les parties et a déclaré qu’on s’attend à ce qu’elles s’y conforment.

[266] Dans Assiniboine, la CAF a apporté des précisions utiles sur les jugements déclaratoires ainsi :

12 [Un] jugement déclaratoire est juridiquement contraignant. Un jugement déclaratoire se distingue des autres ordonnances judiciaires en ce qu’il dit le droit sans ordonner l’accomplissement d’un acte précis et sans infliger de sanction à quelqu’un. Habituellement, les jugements déclaratoires ne sont pas exécutoires par les voies habituelles. Toutefois, comme les questions qui sont tranchées au moyen d’un jugement déclaratoire ont force de chose jugée entre les parties, on s’attend néanmoins à ce que les parties s’y conforment, et le respect de ce genre de décision est exigé dans certaines circonstances.

13. Le jugement déclaratoire est particulièrement utile lorsqu’il vise un organisme public ou un fonctionnaire ayant des responsabilités publiques, parce qu’on peut supposer qu’ils respecteront le droit tel qu’il a été déclaré par les tribunaux, et ce, sans coercition. On ne doit donc pas considérer que les ordonnances déclaratoires rendues contre des organismes publics ou des fonctionnaires sont insuffisantes en raison de l’inaptitude, sans plus, du jugement déclaratoire à prévoir un processus d’exécution.

14 […] [L]e principe selon lequel les organismes publics et leurs fonctionnaires doivent se conformer à la loi est un aspect fondamental du principe de la primauté du droit qui est maintenant inscrit dans la Constitution du Canada, au préambule de la Charte canadienne des droits et libertés. Ainsi, l’organisme public ou le fonctionnaire visé par une ordonnance déclaratoire est lié par cette ordonnance et a l’obligation de s’y conformer. Si l’organisme public ou le fonctionnaire entretient des doutes au sujet de l’ordonnance, le principe de la primauté du droit exige qu’il s’adresse aux tribunaux. Le principe de la primauté du droit ne laisse entendre rien de moins.

15 De plus, comme on l’a également fait observer dans l’arrêt Doucet Boudreau c. Nouvelle Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, (Doucet Boudreau), au paragraphe 62, on tient pour acquis, lorsqu’on choisit de demander une ordonnance déclaratoire comme réparation, que le gouvernement et les organismes publics visés par cette ordonnance s’y conformeront rapidement et entièrement. Toutefois, advenant le cas contraire, la Cour suprême du Canada a dissipé tout doute au sujet de la possibilité d’intenter des poursuites pour outrage en cas de non‑respect de l’ordonnance par l’organisme public ou des fonctionnaires. Les juges Iacobucci et Arbour ont ainsi déclaré ceci, au paragraphe 67 de l’arrêt Doucet Boudreau : « [n]os collègues, les juges LeBel et Deschamps, sont d’avis qu’une ordonnance enjoignant de rendre compte n’était pas nécessaire puisque toute violation d’un simple jugement déclaratoire par l’État pouvait donner lieu à des poursuites pour outrage. Nous ne doutons pas que des poursuites pour outrage peuvent convenir dans certains cas » […].

[Non souligné dans l’original; un soulignement supprimé.]

[267] Le pouvoir discrétionnaire dont je dispose pour accorder une réparation sera mieux exercé, dans les circonstances, en rendant un jugement déclaratoire. Bien que je ne sois pas disposée à prononcer la longue liste des déclarations énumérées dans l’avis de demande de contrôle judiciaire de Peguis, j’estime effectivement que, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, le fait de rendre un jugement déclaratoire est la réparation la plus appropriée en l’espèce.

[268] Je prononce la déclaration suivante : « En omettant de collaborer substantiellement avec Peguis durant les consultations supplémentaires, le Canada n’a pas rempli adéquatement son obligation de consulter. »

[269] Avec cette déclaration, j’espère que le Canada mènera à bien d’autres consultations avec Peguis et que l’un des objectifs de ces consultations pourra être de déterminer si un accommodement est nécessaire. La CAF, dans l’arrêt Assiniboine (précité), appuie sans aucun doute le fait que le Canada s’y conformera.

[270] Je ne demeure pas saisie de l’affaire.

VIII. Les dépens

[271] À la fin de l’audience, j’ai demandé aux parties, si elles ne parvenaient pas à s’entendre sur une somme forfaitaire pour les dépens, de soumettre leur mémoire de frais et de brèves observations sur les sommes demandées au cas où aucune somme forfaitaire ne serait adjugée. Elles ne sont pas parvenues à une entente.

[272] Hydro a produit un mémoire de frais selon la colonne III pour 33 150 $ et des débours de 3 000 $, pour un total de 36 150 $. Dans ses observations, elle demande que la somme soit doublée, étant donné la grande quantité de papier utilisée dans les quatre dossiers. Elle demande que chaque Première Nation lui verse une somme forfaitaire de 16 000 $, ce qui représente un total de 64 000 $.

[273] Le mémoire de frais du Canada visait toutes les demandes. Le Canada a utilisé la colonne III et avait des frais de 33 150 $ avec des débours de 33 439,19 $, pour un total de 66 589,19 $. Le Canada me demande d’adjuger une somme forfaitaire de 16 000 $, payable par chaque Première Nation. Je précise que le Canada a répondu à toutes les demandes et a produit une quantité importante de la documentation nécessaire. Toutefois, de grandes quantités de documents ont été produites par toutes les parties.

[274] Roseau River a évalué ses dépens en se fondant sur la colonne V, avec des honoraires de 65 945,25 $ et des débours de 3 746,15 $, pour un total de 69 691,14 $.

[275] Long Plain a également évalué ses dépens en fonction de la colonne V et avait des honoraires de 64 945,25 $ ainsi que des débours de 3 746,15 $, pour un total de 69 691,14 $

[276] AWZ n’a pas produit de mémoire de frais.

[277] Peguis a soumis un mémoire de frais en utilisant la colonne V, avec des honoraires de 60 795 $, plus des débours de 7 890,75 $, pour un total de 68 685,75 $. De même, elle a déposé un affidavit indiquant qu’elle avait engagé des frais pour des services professionnels (juridiques) de 286 500 $ et des débours de 7 890,75 $. Selon ses observations, une somme forfaitaire de 150 000 $ ou une autre taxation établie à l’aide de la colonne III serait une indemnité appropriée en l’espèce. Peguis affirme que cette somme forfaitaire est justifiée, compte tenu de l’intérêt public et de la complexité de la demande, de la nature non monétaire de celle‑ci et du déséquilibre des ressources entre les parties.

[278] Étant donné que le Canada a eu gain de cause dans les dossiers T‑1150‑19 (Long Plain), T‑1141‑19 (Roseau River) et T‑1442‑19 (AWZ), j’adjugerai des dépens contre ces Premières Nations, qu’elles doivent payer immédiatement au Canada. J’ordonnerai que Long Plain, Roseau River et AWZ versent chacune au Canada une somme forfaitaire de 15 000 $, les honoraires, les taxes et les débours compris (pour un total de 45 000 $).

[279] Hydro a également obtenu gain de cause dans trois des demandes. Il incombe à la partie qui demande l’adjudication de dépens majorés de démontrer en quoi les circonstances particulières le justifient (Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 au para 13). À mon avis, Hydro ne l’a pas fait. Je n’exercerai pas mon pouvoir discrétionnaire de doubler la somme du mémoire de frais. Je ne crois pas non plus que son degré de participation a été aussi élevé que celui du Canada. Compte tenu de ces deux points et du fait que son mémoire de frais (pour l’ensemble des quatre demandes des Premières Nations) totalisait 36 150 $ (environ 8 000 $ pour chacune), je vais ordonner que Roseau River, Long Plain, AWZ paient chacune des dépens à Hydro pour une somme forfaitaire de 5 000 $ (total pour les trois : 15 000 $), les honoraires, les taxes et les débours compris.

[280] En adjugeant les dépens ci‑dessus, je suis consciente ne pas vouloir mettre en place une « sanction sur le plan de l’adjudication des dépens » pour tenter de respecter les principes constitutionnels, surtout ceux qui sont au cœur de nos valeurs canadiennes, comme l’obligation de consulter. Ainsi, les dépens sont inférieurs à ce qui était demandé dans le mémoire de frais.

[281] Peguis a obtenu gain de cause dans sa demande, et je vais donc adjuger les dépens payables à Peguis par le Canada sous forme de somme forfaitaire. Celle demandée, 150 000 $, n’est pas raisonnable, comparativement aux autres mémoires de frais. Bien sûr, ce facteur n’est pas déterminant, mais il est un bon indicateur. Les dépens ne sont pas non plus attribués pour compenser les dépenses en frais juridiques, ce que Peguis a quelque peu reconnu en avançant le chiffre de 150 000 $, soit la moitié des dépens facturés.

[282] En outre, la colonne V invoquée par Peguis n’est pas justifiée dans les circonstances, surtout du fait que les défendeurs ont répondu à quatre demandes en même temps et que bon nombre des arguments étaient répétés. Ces gains d’efficience rendraient plus appropriée une taxation des honoraires selon la colonne III. Compte tenu des autres facteurs énoncés dans les Règles, partie 11 – Dépens, plus précisément les paragraphes 400(3) à (7) des Règles, ainsi que les dépens adjugés au Canada et à Hydro dans les autres demandes, une somme forfaitaire de 20 000 $, les honoraires, les taxes et les débours compris, est appropriée. Cette somme équivaut à ce que le Canada et Hydro se sont vu adjuger conjointement pour chacune des autres Premières Nations, ce qui en fait une adjudication appropriée.

[283] Aucuns dépens ne sont adjugés au défendeur, l’Office national de l’énergie du Canada.


JUGEMENT dans les dossiers T‑1147‑19, T‑1141‑19, T‑1150‑19 et T‑1442‑19

LA COUR STATUE :

T‑1147‑19

  1. La demande est accueillie dans le dossier T‑1147‑19. Une déclaration est prononcée, selon laquelle, en omettant de collaborer substantiellement avec la Première Nation de Peguis durant les consultations supplémentaires, le Canada n’a pas rempli adéquatement son obligation de consulter.

  2. Des dépens sont adjugés à la Première Nation de Peguis sous la forme d’une somme forfaitaire de 20 000 $, les honoraires, les taxes et les débours compris, à payer par le Canada.

  3. Aucuns autres dépens ne sont adjugés au défendeur, Manitoba Hydro, ou à l’intervenante.

T‑1141‑19, T‑1150‑19 et T‑1442‑19

  1. Les demandes dans les dossiers T‑1141‑19, T‑1150‑19 et T‑1442‑19 sont rejetées.

  2. Des dépens sont adjugés contre la Première Nation de Long Plain (T‑1150‑19), la Première Nation des Anishinabe de Roseau River (T‑1141‑19) et la Première Nation Animakee Wa Zhing no 37 (T‑1442‑19), à payer au Canada, sous la forme d’une somme forfaitaire de 15 000 $ chacune, les honoraires, les taxes et les débours compris.

  3. Des dépens sont adjugés contre la Première Nation de Long Plain (T‑1150‑19), la Première Nation des Anishinabe de Roseau River (T‑1141‑19) et la Première Nation Animakee Wa Zhing no 37 (T‑1442‑19), à payer à Manitoba Hydro, sous la forme d’une somme forfaitaire de 5 000 $ chacune, les honoraires, les taxes et les débours compris.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés au défendeur, l’Office national de l’énergie du Canada.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche, traducteur


Annexe A – Décret n° PC 2019‑0784

Attendu que, le 16 décembre 2016, Manitoba Hydro a présenté à l’Office national de l’énergie (l’« Office »), sous le régime de la partie III.1 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, une demande de permis fondée sur l’article 58.11 de cette loi en vue de la construction et de l’exploitation d’une ligne internationale de transport d’électricité dans le cadre du projet de transport d’électricité Manitoba‑Minnesota (le « projet ») ainsi qu’une demande de modification du certificat d’utilité publique EC‑III‑16 délivré à Manitoba Hydro à l’égard de la ligne internationale de transport d’électricité Riel;

Attendu que, par le décret C.P. 2017‑1693 du 15 décembre 2017, la gouverneure en conseil a précisé, sur la recommandation de l’Office au ministre des Ressources naturelles et en vertu de l’alinéa 58.15(1)a) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, que la ligne internationale de transport d’électricité Dorsey proposée par Manitoba Hydro dans sa demande concernant le projet est une ligne dont la construction et l’exploitation sont assujetties à l’obtention d’un certificat visé à l’article 58.16 de cette loi, ainsi qu’à l’observation de celui‑ci;

Attendu que, le 15 novembre 2018, après avoir examiné la demande de Manitoba Hydro et procédé à l’évaluation environnementale du projet, l’Office a présenté son rapport sur le projet, intitulé Motifs de décision Manitoba Hydro EH‑001‑2017 (ci‑après le « rapport de l’Office »), au ministre des Ressources naturelles, au titre de l’article 22 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et du paragraphe 21(2) et de l’article 58.16 de la Loi sur l’Office national de l’énergie;

Attendu que, par le décret C.P. 2019‑90 du 8 février 2019, la gouverneure en conseil, en vertu du paragraphe 58.16(10) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, a prorogé le délai visé à ce paragraphe, qui expirait le 15 février 2019, jusqu’au 16 mai 2019 et a ensuite accordé, par le décret C.P. 2019‑510 du 15 mai 2019, une prorogation supplémentaire jusqu’au 14 juin 2019 afin de permettre à la Couronne de tenir des consultations supplémentaires auprès des groupes autochtones potentiellement touchés;

Attendu que la gouverneure en conseil accepte la recommandation de l’Office selon laquelle, si Manitoba Hydro respecte les conditions énoncées à l’annexe III du rapport de l’Office de même que celles qui sont ajoutées ou modifiées par le présent décret et énoncées à l’annexe ci‑après, le projet présentera, aux termes de la Loi sur l’Office national de l’énergie, un caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur, et le projet n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012);

Attendu que la gouverneure en conseil a été informée des préoccupations en lien avec le projet présentées dans le rapport sur la consultation de la Couronne intitulé Rapport sur la consultation et l’accommodement fédéral pour le projet de ligne de transmission Manitoba-Minnesota daté du 3 juin 2019 et soulevées par les groupes autochtones lors des consultations sur le projet, préoccupations qui ont une incidence sur la question de savoir si le Canada s’est acquitté de son obligation de consultation;

Attendu que la gouverneure en conseil est d’avis que les préoccupations qui subsistent chez les groupes autochtones peuvent faire l’objet de mesures d’accommodement par la modification de certaines des conditions énoncées à l’annexe III du rapport de l’Office;

Attendu que la gouverneure en conseil est convaincue, après examen des préoccupations et des intérêts des groupes autochtones relevés dans le rapport sur la consultation de la Couronne intitulé Rapport sur la consultation et l’accommodement fédéral pour le projet de ligne de transmission Manitoba‑Minnesota, que le processus de consultation est compatible avec l’honneur de la Couronne et que les préoccupations et intérêts ont fait l’objet de mesures d’accommodement appropriées, notamment la modification de certaines conditions énoncées à l’annexe III du rapport de l’Office;

Attendu que la gouverneure en conseil estime que le projet augmenterait l’efficacité du marché de l’électricité et permettrait à la société d’exploitation du réseau d’électricité du Manitoba de mieux s’adapter pour répondre à des besoins énergétiques changeants, améliorer la fiabilité du réseau électrique et offrir des retombées économiques à l’échelle locale, régionale et provinciale, ainsi que pour les groupes autochtones,

À ces causes, sur recommandation du ministre des Ressources naturelles, Son Excellence la Gouverneure générale en conseil :

a) dans le but de s’acquitter de son obligation de consulter les groupes autochtones et de prendre des mesures d’accommodement à l’égard de toute préoccupation qui subsiste chez eux, ajoute ou modifie certaines des conditions énoncées à l’annexe III du rapport de l’Office national de l’énergie intitulé Motifs de décision Manitoba Hydro EH‑001‑2017 et énonce ces ajouts ou modifications dans l’annexe ci‑jointe;

b) en vertu de l’article 58.16 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, donne son agrément à la délivrance du certificat d’utilité publique EC‑059 à Manitoba Hydro par l’Office national de l’énergie relativement au projet de transport d’électricité Manitoba‑Minnesota, sous réserve des conditions énoncées à l’annexe III du rapport de l’Office national de l’énergie intitulé Motifs de décision Manitoba Hydro EH‑001‑2017, y compris les conditions ajoutées ou modifiées qui sont visées à l’alinéa a);

c) en vertu du paragraphe 21(2) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, agrée la délivrance, par l’Office national de l’énergie à Manitoba Hydro, de l’ordonnance AO‑006‑EC‑III‑16.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

T‑1147‑19

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION DE PEGUIS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET MANITOBA HYDRO ET LA RÉGIE CANADIENNE DE L’ÉNERGIE

 

ET DOSSIER :

T‑1141‑19

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION DES ANISHINABE DE ROSEAU RIVER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA RÉGIE CANADIENNE DE L’ÉNERGIE ET MANITOBA HYDRO

 

ET DOSSIER :

T‑1150‑19

 

INTITULÉ :

PREMIÈRE NATION DE LONG PLAIN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LA RÉGIE CANADIENNE DE L’ÉNERGIE ET MANITOBA HYDRO

 

ET DOSSIER :

T‑1442‑19

 

INTITULÉ :

LE CHEF JIM MAJOR EN SON NOM ET AU NOM DE LA PREMIÈRE NATION ANIMAKEE WA ZHING NO 37 c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LA RÉGIE CANADIENNE DE L’ÉNERGIE ET MANITOBA HYDRO

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Par vidéoconférence au moyen de Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 25 mai 2021 au 28 mai 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 24 septembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Mike McDonald

c.r.

Saul Joseph

 

Pour la demanderesse

PREMIÈRE NATION DES ANISHINABE DE ROSEAU RIVER

 

Luke Hildebrand

Yana Sobiski

 

POUR LE DEMANDEUR

LE CHEF JIM MAJOR EN SON NOM ET AU NOM DE LA PREMIÈRE NATION ANIMAKEE WA ZHING NO 37

 

Brian J. Meronek

c.r.

Jeremy W. McKay

 

Pour la demanderesse

PREMIÈRE NATION DE PEGUIS

 

Mike McDonald

c.r.

Saul Joseph

 

Pour la demanderesse

PREMIÈRE NATION DE LONG PLAIN

 

John Faulhammer

Kelsey Desjardine

Susan Eros

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Doug Bedford

Sacha Paul

 

POUR LA DÉFENDERESSE

MANITOBA HYDRO

 

Audrey Boctor

Olga Redko

Marian Yuzda

 

POUR L’INTERVENANTE

RÉGIE CANADIENNE DE L’ÉNERGIE

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Clark Wilson, srl

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour la demanderesse

PREMIÈRE NATION DES ANISHINABE DE ROSEAU RIVER

 

Major Sobiski Moffatt, srl

Kenora (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

LE CHEF JIM MAJOR EN SON NOM ET AU NOM DE LA PREMIÈRE NATION ANIMAKEE WA ZHING NO 37

 

DD West, srl

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour la demanderesse

PREMIÈRE NATION DE PEGUIS

 

Clark Wilson, srl

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour la demanderesse

PREMIÈRE NATION DE LONG PLAIN

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Thompson Dorfman Sweatman, srl

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

MANITOBA HYDRO

 

IMK LLP/s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L’INTERVENANTE

RÉGIE CANADIENNE DE L’ÉNERGIE

 

Régie canadienne de l’énergie

Calgary (Alberta)

 

POUR L’INTERVENANTE

RÉGIE CANADIENNE DE L’ÉNERGIE

 

 

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