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Date : 20210928


Dossiers : IMM‑189‑20

IMM‑1660‑20

Référence : 2021 CF 1009

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2021

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

RALUCHUKWU NNAETO ONYEMELUKWE

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Raluchukwu Nnaeto Onyemelukwe [DOnyemelukwe], sollicite le contrôle judiciaire de deux décisions rendues par des agents des visas au haut‑commissariat du Canada à Londres, au Royaume‑Uni, les 15 août 2019 et 13 novembre 2019. Ceux‑ci ont rejeté ses demandes de visa de résident temporaire [le VRT] au motif qu’il était interdit de territoire au Canada pour avoir fait de fausses déclarations, au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Le Dr Onyemelukwe a déposé deux demandes de contrôle judiciaire, une pour chaque décision : celle du 15 août 2019 (IMM‑1660‑20) et celle du 13 novembre 2019 (IMM‑189‑20). Le 7 juillet 2020, la protonotaire Martha Milczynski a ordonné que les deux demandes soient réunies.

[3] En résumé, je conclus que l’agent des visas a contrevenu aux principes d’équité procédurale, au respect desquels le Dr Onyemelukwe avait droit. Bien que l’agent des visas ait précisé quel document était qualifié d’invalide, il n’a pas clarifié ses attentes quant au type de réponse qu’il voulait recevoir du Dr Onyemelukwe. Je vais donc accueillir les deux demandes de contrôle judiciaire.

II. Faits

[4] Le Dr Onyemelukwe est citoyen du Nigéria. Il est docteur en médecine et le directeur général d’une entreprise nigériane active dans l’industrie du pétrole et du gaz, de la mise en valeur immobilière et des services de conseil en assurance. En avril 2019, le Dr Onyemelukwe a déposé une demande de VRT avec plusieurs documents à l’appui, y compris la copie d’une réservation d’une chambre d’hôtel pour la période allant du 17 juillet au 27 juillet 2019, qui correspond à la durée de son séjour au Canada.

[5] L’agent des visas a procédé à sa propre enquête et a découvert que la réservation de la chambre d’hôtel soumise par le Dr Onyemelukwe n’était pas valide. Le 6 juin 2019, il lui a envoyé une lettre d’équité procédurale faisant état de ses réserves quant à la validité de la réservation de la chambre d’hôtel, à savoir qu’il avait [traduction] « des doutes selon lesquels la réservation de la chambre d’hôtel soumise par [le Dr Onyemelukwe] à l’appui de [sa] demande n’[était] pas valide, n’[avait] pas été complétée ou [avait] été annulée par la suite ». L’agent indiquait en outre que le Dr Onyemelukwe avait [traduction] « transmis une copie de la réservation d’une chambre d’hôtel qui n’[était] pas valide et [qu’il n’avait] pas informé [Immigration Canada] d’aucun changement ou annulation » et se disait ainsi « convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le [Dr Onyemelukwe avait] fait de fausses déclarations quant aux renseignements de voyage consignés au dossier. »

[6] De plus, l’agent précisait que s’il était conclu que le Dr Onyewelukwe avait fait de fausses déclarations dans sa demande, il pourrait être interdit de territoire au Canada pendant cinq ans. Dans sa lettre, l’agent offrait également au Dr Onyewelukwe l’occasion de présenter une réponse.

[7] Le Dr Onyemelukwe correspondait avec le bureau des visas par l’intermédiaire du portail et avait ouvert un compte en ligne à cette fin. Presque immédiatement après avoir reçu la lettre d’équité procédurale, il a de nouveau réservé la chambre d’hôtel et a acheminé une copie de sa nouvelle réservation à l’agent des visas en mentionnant simplement [traduction] : « J’ai joint la copie de la nouvelle réservation de la chambre d’hôtel pour votre examen ».

[8] Dans une lettre du 15 août 2019, l’agent des visas a avisé le Dr Onyemelukwe que sa demande de VRT était rejetée au motif qu’il était visé par une interdiction de territoire pour avoir [traduction] « directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR ». Par conséquent, le Dr Onyemelukwe demeurerait interdit de territoire au Canada pendant cinq ans conformément à l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.

[9] La lettre du 15 août 2019 informait aussi le Dr Onyemelukwe qu’il avait le loisir de soumettre une nouvelle demande s’il estimait qu’il pouvait répondre aux préoccupations exprimées par l’agent des visas et s’il jugeait qu’il pouvait démontrer que sa situation respecte les conditions. Le Dr Onyemelukwe a donc présenté une nouvelle demande de VRT en septembre 2019.

[10] Le 13 novembre 2019, l’agent des visas a avisé le Dr Onyemelukwe que sa deuxième demande de VRT était rejetée parce qu’il était visé par une interdiction de territoire au Canada pour avoir fait de fausses déclarations, et que cette interdiction serait maintenue pendant cinq ans.

III. Questions en litige

[11] Le Dr Onyemelukwe attaque la raisonnabilité de la décision de l’agent des visas sur sa première demande de VRT au motif que celui‑ci ne l’a pas suffisamment justifiée. Cependant, je n’ai pas à me pencher sur cette question puisque je conclus que l’agent des visas a manqué à l’équité procédurale en fournissant des explications lacunaires dans la lettre du 6 juin 2019, qui, de ce fait, n’ont pas permis au Dr Onyemelukwe de comprendre adéquatement ce que l’agent des visas attendait de lui, c’est‑à‑dire le critère qu’il devait remplir dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale.

IV. Norme de contrôle

[12] S’agissant d’un manquement à l’équité procédurale, la question est de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 33‑56). La cour de révision doit procéder à sa propre analyse et fournir ce qu’elle juge être la bonne réponse à la question de savoir si le processus suivi par l’agent satisfaisait aux critères d’équité que dictaient les circonstances (Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 809 au para 35).

V. Analyse

[13] Une conclusion quant à l’existence de fausses déclarations constitue une question sérieuse aux conséquences importantes pour la personne concernée puisque celle‑ci devient alors interdite de territoire au Canada pendant cinq ans. Comme l’a récemment déclaré le juge McHaffie au paragraphe 30 de la décision Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 731 :

[traduction]

Comme la Cour l’a déjà fait remarquer, une conclusion de fausses déclarations est une question sérieuse qui a des conséquences graves : Chughtai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 416 au para 29. La Cour suprême du Canada a souligné le fait que les motifs d’une décision fournis à une personne « doivent refléter ces enjeux » : Vavilov, au para 133. À mon avis, une partie qui fait face à une conclusion de fausses représentations entraînant une période d’interdiction de territoire de cinq ans a le droit de connaître avec plus de précision le fait ou le document sur lequel on juge qu’il y a eu des présentations erronées ou de la réticence; voir par analogie les demandes d’annulation du statut de réfugié fondées sur de fausses déclarations : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Wahab, 2006 CF 1554 au para 29c) […].

[Non souligné dans l’original.]

[14] J’ajouterais aux propos du juge McHaffie que, outre le fait que le demandeur a « le droit de connaître avec plus de précision le fait ou le document sur lequel on juge qu’il y a eu des présentations erronées ou de la réticence », l’agent des visas doit aussi être limpide quant à ses attentes envers lui pour que celui‑ci ait l’occasion de le détromper quant à ses préoccupations. Comme la Cour l’a exprimé au paragraphe 15 de la décision Liao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1926 (1re inst) :

L’agent des visas est tenu de donner à l’immigrant la possibilité de répondre à la preuve précise qui est présentée à son encontre. Cette obligation d’équité peut obliger l’agent des visas à informer le demandeur des préoccupations ou des impressions défavorables qu’il a au sujet de la demande et à donner à celui‑ci la possibilité de le détromper.

[Non souligné dans l’original.]

[15] Il n’y a aucun doute qu’il est bien établi dans la lettre d’équité procédurale du 6 juin 2019 que la réservation de la chambre d’hôtel était le document problématique. L’agent des visas a aussi fait ressortir quelles étaient les conséquences d’avoir fait de fausses déclarations durant le processus de demande de visa. Cependant, la lettre restait nébuleuse quant aux démarches que l’agent des visas demandait au Dr Onyemelukwe d’entreprendre. Elle ne laissait pas transparaître que l’agent cherchait à obtenir une explication du demandeur quant à l’anomalie apparente liée au document problématique, plutôt qu’une rectification quant à un élément manquant dans la demande.

[16] En l’absence d’une demande suffisamment claire faite par l’agent des visas au Dr Onyemelukwe, on ne saurait dire que ce dernier a eu une véritable occasion de réagir. La réponse instinctive et immédiate (peut‑être un peu trop immédiate) du Dr Onyemelukwe à la lettre d’équité procédurale est très révélatrice. Il s’est contenté d’envoyer une nouvelle réservation de chambre d’hôtel le même jour, sans même chercher à apaiser les craintes de l’agent des visas quant à de potentielles fausses déclarations. Le Dr Onyemelukwe n’a pas compris que les réserves exprimées par ce dernier à l’égard de l’ancienne réservation de la chambre d’hôtel concernaient son intégrité et non son manque d’hébergement durant son séjour au Canada. Le Dr Onyemelukwe a simplement compris qu’il devait corriger le problème lié à l’invalidité de la réservation de la chambre d’hôtel et fournir une nouvelle réservation — ce qui est précisément ce qu’il a fait aussitôt.

[17] Il ne s’agit pas d’un cas où, par exemple, le Dr Onyemelukwe aurait cherché à dissimuler des antécédents criminels ou un dossier d’immigration peu reluisant. Je n’ai pas pu relever, et le ministre n’a pu citer, aucun avantage manifeste que le Dr Onyemelukwe aurait pu retirer en soumettant la preuve d’une réservation de chambre d’hôtel dont il aurait été constaté ensuite qu’elle avait été annulée. L’état des renseignements financiers du Dr Onyemelukwe ne permettait pas de tirer raisonnablement la conclusion qu’il n’avait pas les moyens de réserver et de garder une réservation de chambre d’hôtel.

[18] La preuve au dossier de la Cour révèle que la réservation pourrait avoir été annulée par erreur par l’agent de voyage qui s’en était occupé. Le séjour au Canada était accessoire à un voyage plus long que le Dr Onyemelukwe planifiait de faire à New York. L’agent des visas n’a exprimé aucune autre réserve à l’égard de la demande de visa du Dr Onyemelukwe. On ne saurait non plus, en toute équité, s’attendre à ce que l’agent des visas exprime d’autres réserves puisqu’il ne s’est jamais rendu à l’étape de l’examen des renseignements financiers du Dr Onyemelukwe ou de ses nombreux voyages antérieurs. L’agent des visas s’est contenté de conclure que ce dernier avait fait de fausses déclarations sur sa réservation de chambre d’hôtel au Canada.

[19] Dans l’ensemble, je conclus que le manque de transparence de la lettre d’équité procédurale a empêché le Dr Onyemelukwe de comprendre adéquatement ce qu’on attendait de lui, engendrant de ce fait une réponse déficiente aux yeux de l’agent des visas. Par conséquent, il y a eu un manquement à l’équité procédurale. La décision du 15 août 2019 est donc déraisonnable.

[20] Pour ce qui est de la décision du 13 novembre 2019, l’agent des visas a rejeté la deuxième demande de VRT du Dr Onyemelukwe en s’appuyant sur la décision du 15 août 2019 que j’ai jugée déraisonnable. À ce titre, elle doit également être annulée.

[21] Je vais donc accueillir les deux demandes de contrôle judiciaire et les renvoyer pour réexamen par d’autres agents des visas.


JUGEMENT dans les dossiers IMM‑189‑20 ET IMM‑1660‑20

LA COUR STATUE :

  1. Les deux demandes de contrôle judiciaire sont accueillies.

  2. Les décisions sont annulées et les affaires sont renvoyées pour réexamen par d’autres agents des visas.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM‑189‑20 ET IMM‑1660‑20

 

INTITULÉ :

RALUCHUKWU NNAETO ONYEMELUKWE c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 SEPTEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 SEPTEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Dotun Davies

POUR LE DEMANDEUR

Nicholas Dodokin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Legal

Mississauga (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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