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             Date : 20010618

       Dossier : IMM-3765-00

      Référence neutre : 2001 CFPI 670

ENTRE :

       NIGHAT SHAHEEN, SABA MUMTAZ, NABEEL MUMTAZ et

             NIDA MUMTAZ,

demandeurs

             - et -

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION

[1]         Nighat Shaheen, Saba Mumtaz, Nabeel Mumtaz et Nida Mumtaz (les demandeurs) demandent le contrôle judiciaire de la décision rendue par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 19 juin 2000, qui a statué que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]         Les demandeurs sont citoyens du Pakistan. Nighat Shaheen est la mère des trois autres demandeurs. Ils revendiquent le statut de réfugié au Canada du fait de leur religion et de leur appartenance à un groupe social, soit la famille.


[3]         À l'audience devant la Commission, la mère a affirmé le 3 mars 1999 qu'un ami de la famille était venu chez elle et l'avait informée que son mari avait été enlevé par les membres du Tahrik-e Jaffria. Cet ami lui a dit de plus que sa vie et la vie de ses enfants étaient en danger. La demanderesse et ses enfants ont passé la nuit chez cet ami et la demanderesse a témoigné que, au milieu de la nuit, des membres du Tahrik-e Jaffria ont fait irruption dans la maison à leur recherche. Selon la demanderesse, ils ont réussi à se cacher dans le sous-sol et sont partis le lendemain matin.

[4]         La demanderesse a aussi affirmé que son fils aîné a été enlevé à Lahore et que, lorsqu'elle était à Karachi, deux membres du Jaffria ont tenté d'enlever un autre de ses fils, mais sans succès. C'est à ce moment-là que la demanderesse a embauché un agent, est venue au Canada et a revendiqué le statut de réfugiée.

[5]         La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas un témoin crédible et digne de confiance en raison des divergences entre son témoignage oral et son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Entre autres, la Commission a relevé que la demanderesse n'avait pas mentionné que son mari était membre du Sipah-e Sahaaba, jusqu'à ce qu'elle soit interrogée sur le sujet à l'audience par l'agent chargé de la revendication.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]         Les demandeurs soulèvent deux questions dans leur demande :


1.                    La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n'était pas crédible?

2.                    La Commission a-t-elle commis une erreur lorsque, pour statuer sur la revendication, elle s'est appuyée seulement sur la crédibilité de la demanderesse, sans prendre en considération le témoignage de sa fille, Saba Mumtaz, les documents traduits et la preuve documentaire générale?

LES PRÉTENTIONS DES DEMANDEURS

[7]         Les demandeurs allèguent que la Commission a omis de prendre en considération l'ensemble de la preuve qui lui a été régulièrement présentée. Ils affirment que dans le cas où la Commission rejette certains éléments de preuve qui lui ont été soumis, mais en accepte d'autres, elle doit dire si le demandeur aurait doit au statut de réfugié au vu des éléments de preuve tenus pour crédibles. Ils affirment que l'omission de la Commission sur ce plan est une erreur de droit susceptible de contrôle judiciaire; ils invoquent à cet égard la décision Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 444.            

[8]         Ensuite, les demandeurs allèguent que la Commission s'est appuyée sur des éléments qui n'étaient pas pertinents ou des faits erronés pour conclure que le témoignage de la demanderesse n'était pas crédible. En l'occurrence, la demanderesse fait référence au traitement par la Commission de l'appartenance de son mari au groupe Sipah-e Sahaaba.


[9]         Il semblerait que la Commission donne à entendre que la demanderesse n'est pas crédible parce qu'elle aurait tenté de cacher que son mari était membre du groupe en question. La demanderesse affirme que la Commission, ce faisant, n'a pas tenu compte du fait que c'est elle qui a déposé toute la preuve concernant son mari. En outre, elle dit que la Commission a rejeté l'explication raisonnable qu'elle avait fournie quant aux divergences entre son témoignage oral et les renseignements contenus dans le rapport de police.

[10]       De façon générale, les demandeurs soutiennent que la préoccupation de la Commission pour certains détails lui a fait perdre de vue la valeur des faits sur lesquels ils fondent leurs revendications. Les divergences apparentes entre le rapport de police et le témoignage de la demanderesse sur la tentative d'enlèvement de son fils sont dues au fait que qu'elle n'avait pas elle-même eu connaissance de l'incident, mais qu'elle s'en était rapporté à ce que ses enfants lui avaient dit. Même en rejetant le témoignage de la demanderesse à cet égard, la Commission se devait, dans son processus de décision, de prendre en considération l'autre élément de preuve sur cet incident, soit le témoignage de son enfant. Cette omission de la Commission sur ce point constitue, d'après la demanderesse, une erreur de droit.

LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR


[11]       Le défendeur affirme d'abord que les demandeurs ne contestent pas les conclusions de la Commission concernant les divergences. Deuxièmement, le défendeur allègue que les revendications de la demanderesse et des autres membres de sa famille sont liées, de telle sorte que la conclusion de la Commission quant à la crédibilité de la demanderesse a un effet quant à la crédibilité des autres membres de la famille. Le défendeur allègue que les motifs qu'a la Commission pour rejeter la preuve de la demanderesse valent pour le rejet des revendications des autres membres de la famille et que les conclusions que la Commission tire quant à la crédibilité doivent faire l'objet de beaucoup de déférence.

ANALYSE

[12]       En l'espèce, la Commission a fondé sa décision sur sa conclusion que les demandeurs n'étaient pas crédibles. Elle a relevé des divergences entre le témoignage oral de la demanderesse et les renseignements contenus dans son FRP. Toutefois, à mon avis, la Commission a conclu à l'existence de divergences parce qu'elle s'est livrée à un examen microscopique des éléments de preuve qu'elle a choisi de mentionner dans ses motifs.

[13]       Dans la décision Sheik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 568, M. le juge Lemieux a examiné l'importance des divergences pour la décision de la Commission, aux paragraphes 22 et 23 :

Toutefois, les conclusions de la Section du statut de réfugié se rapportant à la crédibilité ne sont pas soustraites à la surveillance de la Cour, et ce principe a été établi par une longue série de décisions.

Les divergences sur lesquelles s'appuie la Section du statut de réfugié doivent être réelles (Rajaratnam c. M.E.I., 135 N.R. 300 (C.A.F.). La Section du statut de réfugié ne doit pas mettre un zèle « [...] à déceler des contradictions dans le témoignage du requérant [...] elle ne devrait pas manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe [les éléments de preuve]" (Attakora c. M.E.I. (1989), 99 N.R. 168, au paragraphe 9). Les contradictions ou l'incohérence doivent être raisonnablement liées à la crédibilité du demandeur (Owusu-Ansah c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1989), 98 N.R. 312 (C.A.F.). Il doit être tenu compte des explications qui ne sont pas manifestement invraisemblables (Owusu-Ansah., précité).


[14]       Selon moi, les divergences relevées par la Commission dans la présente affaire, résultant d'un examen microscopique de la preuve qu'elle a choisi d'accepter, ne sont pas pertinentes quant à la revendication présentée par la demanderesse pour l'obtention du statut de réfugié. Vu la non-pertinence de ces divergences, leur prise en compte par la Commission pour tirer une conclusion défavorable à la demanderesse quant à sa crédibilité est manifestement déraisonnable.

[15]       En outre, la Commission a commis une erreur de droit en ne prenant pas en considération le témoignage de l'enfant mineur de la demanderesse. Saba Mumtaz avait témoigné devant la Commission et puisque ce témoignage corroborait en partie le témoignage de la demanderesse, la Commission se devait d'en tenir compte. Cela aurait pu l'influencer dans les conclusions qu'elle a tirées sur la crédibilité de la demanderesse. Le fait que la Commission n'a même pas mentionné le témoignage de l'enfant donne à penser que la Commission n'a pas pris en considération toute la preuve qui lui avait été présentée. Il s'agit là d'une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[16]       En définitive, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire sera renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu'il statue à nouveau.

[17]       La demande ne soulève aucune question devant être certifiée.


ORDONNANCE

[18]       La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu'il statue à nouveau.

                  « E. Heneghan »                    

____________________________________

Juge                          

OTTAWA (Ontario),

le 18 juin 2001

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


            COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DE DOSSIER :                                                                         IMM-3765-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                             NIGHAT SHAHEEN ET AUTRES c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                             19 AVRIL 2001

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :             LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS ET DE L'ORDONNANCE :                         18 JUIN 2001

COMPARUTIONS :

HELEN TURNER                                                                         POUR LA DEMANDERESSE

KEVIN LUNNEY                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Helen Turner                                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

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