Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210923


Dossiers : T-1741-13

T-1569-15

T-1728-15

Référence : 2021 CF 986

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2021

En présence de madame la juge Fuhrer

Dossier : T-1741-13

ENTRE :

PACKERS PLUS ENERGY SERVICES INC.

demanderesse
(défenderesse reconventionnelle)

et

ESSENTIAL ENERGY SERVICES LTD. ET

TRYTON TOOL SERVICES LIMITED PARTNERSHIP

défenderesses
(demanderesses reconventionnelles)

Dossier : T-1569-15

ET ENTRE :

RAPID COMPLETIONS LLC ET

PACKERS PLUS ENERGY SERVICES INC.

demanderesses

et

BAKER HUGHES CANADA COMPANY

défenderesse

Dossier : T-1728-15

ET ENTRE :

PACKERS PLUS ENERGY SERVICES INC. ET RAPID COMPLETIONS LLC

demanderesses
(défenderesses reconventionnelles)

et

WEATHERFORD INTERNATIONAL PLC.

WEATHERFORD CANADA LTD. WEATHERFORD CANADA PARTNERSHIP ET HARVEST OPERATIONS CORP.

défenderesses
(demanderesses reconventionnelles)

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demanderesses, Packers Plus Energy Services Inc. et Rapid Completions LLC, contestent l’ordonnance les condamnant à verser des dépens majorés aux défenderesses (en abrégé Essential Energy, Baker Hughes et Weatherford), qui ont obtenu gain de cause à l’issue d’un procès portant sur la validité d’un brevet. Le juge responsable de la gestion de l’instance, le protonotaire Aalto, a adjugé aux défenderesses des dépens majorés pour les mesures prises en lien avec les questions de contrefaçon et de dommages‑intérêts, y compris pendant que la décision sur le procès en validité du brevet était en délibéré. Les demanderesses interjettent appel de l’ordonnance d’adjudication des dépens prononcée par le juge responsable de la gestion de l’instance.

[2] Je ne suis pas convaincue que le protonotaire Aalto a commis une erreur de compétence en adjugeant des dépens majorés ni qu’il a fixé à tort la somme globale à 66 % des frais juridiques réels. Pour les motifs plus détaillés qui suivent, je rejette la requête et l’appel des demanderesses, avec dépens.

II. Contexte

[3] Les défenderesses en l’espèce ont obtenu gain de cause dans l’action en contrefaçon de brevet intentée par les demanderesses (rejetée), ainsi que dans leur demande reconventionnelle en invalidité du brevet (accueillie) concernant le brevet no 2 412 072 [le brevet 072] (Packers Plus Energy Services Inc. c Essential Energy Services Ltd., 2017 CF 1111 [Packers Plus]). Le regroupement et la disjonction des trois affaires ont mené à la phase 1 du procès, portant sur la question de la validité, alors que les questions de contrefaçon et de dommages‑intérêts ont été examinées à la phase 2.

[4] La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel interjeté par les demanderesses visant la décision Packers Plus (2019 CAF 96) et, le 19 décembre 2019, la Cour suprême du Canada a rejeté leur demande d’autorisation d’appel (dossier 38694).

[5] Comme elles ont obtenu gain de cause à l’issue de la phase 1 du procès, les défenderesses ont déposé des requêtes pour demander à la Cour de déterminer le montant de leurs dépens en vertu des articles 400 et 403 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]. Ces requêtes en adjudication des dépens ont été déposées dans les 30 jours suivant la communication aux parties de la version préliminaire confidentielle de la décision Packers Plus. Les défenderesses ont demandé au juge du procès, le juge O’Reilly, des directives procédurales au sujet des dépens.

[6] Les directives données par le juge du procès dans l’ordonnance qu’il a rendue le 17 mai 2018 [les directives] prévoyaient notamment que l’officier de justice qui s’était principalement penché sur les questions de contrefaçon et de dommages-intérêts en suspens et qui était [traduction] « le mieux placé pour trancher les questions de dépens [était] le protonotaire Aalto ». Suivant les directives, les mesures que les défenderesses pourraient prendre pour éviter la divulgation de renseignements confidentiels devaient [traduction] « être déterminées par le protonotaire Aalto ». Pour en arriver à ces conclusions, le juge O’Reilly a pris acte de l’argument des demanderesses suivant lequel [traduction] « le juge responsable de la gestion de l’instance, le protonotaire Kevin Aalto, est le mieux placé pour examiner les questions de dépens découlant des questions en suspens (contrefaçon et dommages‑intérêts) qui débordent le cadre de l’action initiale ».

[7] À la suite du rejet de la demande d’autorisation des demanderesses par la Cour suprême, le juge O’Reilly a examiné la requête présentée par les défenderesses en vue d’obtenir des dépens majorés pour la phase 1 du procès. Dans son ordonnance d’adjudication des dépens du 17 janvier 2020 (2020 CF 68) [l’ordonnance d’adjudication des dépens de la phase 1], le juge O’Reilly a adjugé à chacune des défenderesses des dépens calculés à 40 % de leurs frais taxables, plus les débours et les rajustements nécessaires. Pour en arriver à ce chiffre, le juge O’Reilly a tiré plusieurs conclusions qui méritent d’être soulignées.

[8] Premièrement, le juge O’Reilly a estimé que les défenderesses avaient droit à des montants distincts au titre des dépens. Deuxièmement, en choisissant de poursuivre chacune des défenderesses séparément, Packer avait compliqué la procédure et fait augmenter les frais engagés. Troisièmement, l’adjudication d’une somme globale convenait davantage, étant donné la complexité de l’affaire. Quatrièmement, un ratio de 40 % convenait davantage (que celui de 50 % proposé), étant donné que les défenderesses avaient eu gain de cause, qu’elles n’avaient pas demandé de dépens excessifs et que leurs avocats avaient pris des mesures pour minimiser les chevauchements. Aucune des parties n’a interjeté appel de l’ordonnance d’adjudication des dépens de la phase 1.

[9] Quelques mois plus tard, les défenderesses ont déposé des requêtes en vue de faire adjuger leurs dépens de la phase 2. Ces requêtes ont été examinées ensemble le 4 novembre 2020.

III. Contestation de l’ordonnance d’adjudication des dépens de la phase 2

[10] Le 19 mai 2021, le protonotaire Aalto a rendu une ordonnance adjugeant aux défenderesses des dépens majorés dans le cadre de la phase 2 [l’ordonnance d’adjudication des dépens de la phase 2]. En réponse à l’affirmation des demanderesses suivant laquelle les défenderesses auraient dû présenter des requêtes distinctes sur le fondement de l’article 403 des Règles dans les 30 jours de l’ordonnance d’adjudication des dépens de la phase 1, le protonotaire Aalto a estimé que cette mesure aurait été inutile parce qu’elle aurait fait double emploi avec les requêtes que les défenderesses avaient déjà présentées sur le fondement de l’article 403 des Règles. En outre, les demanderesses avaient depuis été informées que les défenderesses réclamaient des dépens majorés relativement à la phase 2.

[11] Soulignant le pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour par l’article 400 des Règles, le protonotaire Aalto a ensuite résumé les facteurs qui, à son avis, justifiaient sa décision d’adjuger des dépens majorés aux défenderesses, à savoir la gestion intensive de l’affaire, la complexité des questions en litige, la nécessité de faire témoigner des experts, le montant élevé des dommages-intérêts éventuels, la stratégie agressive choisie par les demanderesses malgré l’échéancier serré, le caractère finalement théorique de la phase 2 et l’inexactitude des sommes réclamées en vertu du tarif. Le protonotaire Aalto a estimé que les demanderesses étaient responsables des frais « engagés inutilement » à la phase 2 et qu’elles devaient donc assumer les conséquences de leur choix d’introduire inutilement plusieurs instances.

[12] Résumant les principes les plus importants en matière d’adjudication de sommes globales à titre de dépens énoncés par le juge en chef Crampton dans la décision Allergan Inc. c Sandoz Canada Inc., 2021 CF 186, le protonotaire Aalto a accordé à chacune des défenderesses une somme globale équivalant à 66 % des frais réels, plus les débours raisonnables, ainsi que les dépens de la requête. Pour ce faire, le protonotaire Aalto a déclaré qu’à son avis, les 80 % réclamés par les défenderesses équivalaient à des dépens punitifs et que l’adoption par les demanderesses d’une stratégie agressive ne justifiait pas en soi une condamnation à des dépens punitifs. Les honoraires des experts engagés par les défenderesses ont été ramenés à 75 % des montants réclamés.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[13] Notre Cour est essentiellement appelée à trancher deux questions : (i) l’adjudication de dépens majorés (c.‑à‑d. la question de savoir si, à défaut de requêtes distinctes fondées sur l’article 403 des Règles, le protonotaire a outrepassé sa compétence); (ii) la fixation de la somme globale à 66 %. À mon avis, ces deux questions sont assujetties à la norme de contrôle de « l’erreur manifeste et dominante ».

[14] La norme de contrôle applicable à une requête fondée sur l’article 51 des Règles en vue d’interjeter appel d’une décision du protonotaire est la norme d’appel définie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen] aux paragraphes 7 à 36 : Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux para 63, 65, 79 et 83.

[15] La Cour d’appel fédérale nous a récemment rappelé que la norme énoncée dans l’arrêt Housen est la suivante : [traduction] « [L]es questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante, et les questions mixtes, lorsqu’il existe une question de droit isolable, sont assujetties à la norme de la décision correcte » : Worldspan Marine Inc. c Sargeant III, 2021 CAF 130 au para 48.

[16] La Cour suprême a signalé qu’elle ne considérait plus que les questions de compétence étaient assujetties à la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 65.

[17] La norme de « l’erreur manifeste et dominante » commande une grande déférence. De plus, par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, alors que par erreur « dominante », on entend une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire : Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 aux para 61-64.

V. Analyse

[18] À titre préliminaire, les avocats des demanderesses ont informé la Cour, à l’ouverture de l’audience que j’ai présidée, que les demanderesses s’étaient désistées de leur requête contre la défenderesse Weatherford (dossier no T-1728-15 seulement). Les demanderesses ont par la suite déposé un avis de désistement, sur consentement, sans frais.

[19] Sinon, comme je l’expliquerai en détail plus loin, je ne suis pas convaincue que le protonotaire Aalto a commis une erreur manifeste et dominante qui justifierait l’intervention de notre Cour en ce qui concerne l’ordonnance d’adjudication des dépens de la phase 2.

A. Attribution de dépens majorés

[20] Je ne suis pas d’accord avec les demanderesses pour dire que les défenderesses auraient dû présenter des requêtes séparées sur le fondement de l’article 403 des Règles dans les 30 jours de l’ordonnance d’adjudication des dépens de la phase 1, comme elles l’ont affirmé devant le protonotaire Aalto et dans le cadre du présent appel, et que les défenderesses auraient dû demander une prolongation du délai pour ce faire. Je suis convaincue que le protonotaire Aalto n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en concluant qu’il n’était pas nécessaire de présenter des requêtes distinctes sur le fondement de l’article 403 des Règles puisque cela aurait fait double emploi.

[21] L’application de l’article 403 des Règles dépend du « prononcé » d’un jugement. « L’alinéa 403(1)a) prévoit qu’une requête demandant des directives peut être présentée suivant le prononcé du jugement » : Consorzio del Prosciutto di Parma c Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417 [Consorzio] au para 3. Cette requête doit être présentée au juge ou au protonotaire qui a signé le jugement : paragraphe 403(3) des Règles.

[22] Les trois groupes de défenderesses ont présenté des requêtes sur le fondement de l’article 403 des Règles dans les 30 jours de la publication du projet de jugement confidentiel du juge O’Reilly. Leurs requêtes visaient expressément à obtenir une majoration ou la totalité des dépens de la phase portant sur la contrefaçon et les dommages-intérêts (c.-à-d. la phase 2). Selon la jurisprudence, il s’agissait de la bonne approche. À l’époque, les défenderesses savaient seulement que le projet de jugement confidentiel leur donnait raison sur la validité, ce qui rendait les questions de la contrefaçon et des dommages-intérêts essentiellement théoriques. Elles ignoraient que les demanderesses interjetteraient appel à la Cour d’appel fédérale, puis demanderaient l’autorisation de former un pourvoi devant la Cour suprême du Canada, et elles ne savaient pas que les dépens de la phase 1 et de la phase 2 seraient fixés respectivement par le juge du procès et par le juge responsable de la gestion de l’instance. Elles ne pouvaient non plus prédire la durée des étapes restantes du procès.

[23] À mon avis, l’approche suivie par les défenderesses, c’est‑à‑dire présenter une requête exhaustive sur le fondement de l’article 403 des Règles dès que possible après la publication de la version préliminaire confidentielle de la décision Packers Plus, est conforme à la jurisprudence constante. La requête fondée sur l’article 403 des Règles doit être présentée dans les 30 jours suivant le jugement, même si celui-ci fait l’objet d’un appel; une prorogation de délai ne peut être accordée que dans des circonstances particulières : Maytag Corp. c Whirlpool Corp., 2001 CAF 250 au para 16; Alliance Laundry Systems LLC c Whirlpool Canada LP, 2020 CF 660 au para 12. Étant donné que les défenderesses ont procédé de cette manière, je ne suis pas d’accord avec les demanderesses pour dire qu’elles ont été lésées d’une manière ou d’une autre ou qu’elles ont été surprises de constater que les défenderesses réclamaient des dépens majorés pour la phase 2.

[24] Je ne suis pas d’accord non plus avec les demanderesses pour dire que les directives du juge O’Reilly ne prévoyaient pas que le protonotaire Aalto examinerait la question des dépens de la phase 2 et que la demande de réparation des défenderesses relativement aux dépens de la phase 2 dans leurs requêtes fondées sur l’article 403 des Règles serait combinée avec l’ordonnance d’adjudication des dépens de la phase 1.

[25] Premièrement, le juge O’Reilly a expressément pris acte dans ses directives de l’argument des demanderesses suivant lequel le protonotaire Aalto était le mieux placé pour examiner les questions des dépens découlant des questions en suspens (contrefaçon et dommages‑intérêts) qui débordaient le cadre de l’action initiale. Deuxièmement, pour cette raison, le juge O’Reilly a rejeté la demande par laquelle les défenderesses souhaitaient que le juge du procès soit saisi de la question des dépens se rapportant aux questions en suspens relatives à la contrefaçon et aux dommages-intérêts, en déclarant expressément que [traduction] « l’officier de justice qui s’est principalement penché sur les questions de contrefaçon et de dommages-intérêts en suspens et qui est le mieux placé pour trancher les questions des dépens est le protonotaire Aalto ». Troisièmement, le juge O’Reilly a également indiqué que le protonotaire Aalto déciderait (c.‑à‑d. [traduction] « à déterminer par le protonotaire Aalto ») des mesures que les défenderesses pourraient prendre pour éviter de divulguer des renseignements confidentiels sur les questions en suspens relatives à la contrefaçon et aux dommages-intérêts.

[26] Contrairement à ce que les demanderesses ont fait valoir lors de l’audience que j’ai présidée, j’estime qu’il n’y a rien d’obscur dans ce que le juge O’Reilly voulait dire en formulant ces déclarations dans ses directives, à savoir que le protonotaire Aalto trancherait les questions relatives aux dépens concernant la phase 2, y compris celle des dépens majorés. Bien qu’il s’agisse d’une situation inusitée, je conviens avec le protonotaire Aalto que les directives ont eu pour effet de disjoindre les requêtes en dépens des défenderesses. J’estime toutefois que le paragraphe 107(1) des Règles n’empêche pas ce résultat; il prévoit en effet que « [l]a Cour peut, à tout moment, ordonner l’instruction d’une question soulevée ou ordonner que les questions en litige dans une instance soient jugées séparément » [non souligné dans l’original].

[27] De plus, les demanderesses n’ont pas soutenu devant le juge O’Reilly que le protonotaire Aalto n’avait pas compétence. Si les demanderesses n’étaient pas favorables aux directives ou ne les comprenaient pas bien, elles auraient dû demander des éclaircissements au moment où ces directives ont été données ou en faire appel. Autrement, le fait de contester le sens des directives dans le contexte de la présente requête en appel de l’ordonnance d’adjudication des dépens de la phase 2 rendue par le protonotaire Aalto pourrait être considéré comme une contestation indirecte inadmissible des directives du juge O’Reilly : R c Wilson, [1983] 2 R.C.S. 594 aux pages 599-600; Strickland c Canada (Procureur général), 2013 CF 475 au para 43.

[28] Au contraire, les demanderesses ont fait valoir devant le juge O’Reilly que le protonotaire Aalto était le mieux placé pour trancher la question de dépens découlant des questions de contrefaçon et de dommages-intérêts en suspens. À mon avis, une telle affirmation équivaut à consentir à ce que le juge responsable de la gestion de l’instance examine les questions des dépens de la phase 2, y compris celle des dépens majorés : paragraphe 50(5) des Règles. En outre, par application des alinéas 50(1)c) et 50(1)k) mentionnés au paragraphe 50(5) des Règles, rien n’empêchait le juge responsable de la gestion de l’instance de le faire.

[29] Les demanderesses se sont également opposées au dépôt par les défenderesses de requêtes supplémentaires ou améliorées fondées sur l’article 400 des Règles (réclamant des dépens majorés pour la phase 2 à 80 %, au lieu de 100 %) en vue de faire déterminer les dépens de la phase 2, à la suite du prononcé de l’ordonnance d’adjudication des dépens de la phase 1, mais sans mention spécifique de l’article 403 des Règles. À mon avis, l’opposition des demanderesses concerne la forme plutôt que le fond dans les circonstances.

B. Somme globale à 66 %

[30] Je ne suis pas convaincue que le juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur en fixant les dépens de la phase 2 à 66 % des frais judiciaires réels. Bien que ce pourcentage soit plus élevé que ce que l’on peut considérer comme habituel, il ne constitue pas, selon moi, une erreur manifeste et dominante. Le calcul d’une somme globale « n’est pas une science exacte, mais le résultat correspond à ce que le tribunal estime être une contribution raisonnable aux frais judiciaires effectivement engagés par la partie victorieuse » : Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 [Nova] au para 21.

[31] J’estime que l’ordonnance d’adjudication des dépens de la phase 2 démontre la grande importance que le protonotaire Aalto a accordée aux facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles qui, à son avis — et je suis d’accord —, justifiaient l’adjudication d’une somme globale majorée correspondant à 66 % des frais réels et que j’ai résumés au paragraphe 11 (1395804 Ontario Ltd. (Blacklock’s Reporter) c Canada (Procureur général), 2017 CAF 185 au para 7). Bien que les demanderesses contestent l’importance du rôle qu’elles ont joué en se préparant pour la phase 2 alors que la décision relative à la phase 1 du procès était en délibéré, ce sont elles qui ont élaboré la stratégie d’opter pour l’introduction de plusieurs instances complexes.

[32] Ainsi que le juge O’Reilly l’a explicitement fait observer dans son ordonnance d’adjudication des dépens de la phase 1, « [Packers] aurait pu limiter les dépens auxquels elle s’exposait en ne poursuivant que la première défenderesse, Essential Energy Services Ltd, et en poursuivant les autres défenderesses plus tard si elle obtenait gain de cause. Son approche a compliqué les procédures et a augmenté les frais engagés » : 2020 CF 68 à la p 4. À mon sens, ces observations du juge O’Reilly s’appliquent aussi bien à la phase 2 qu’à la phase 1. Bien que la défenderesse Essential Energy admette que la demanderesse Packers n’a pas violé les Règles des Cours fédérales ou toute ordonnance de la Cour en adoptant sa stratégie, le simple fait que Packers pouvait agir ainsi (c.-à-d. passer à la phase 2 alors que la décision du juge O’Reilly sur la phase 1 du procès était toujours en délibéré) ne signifie pas qu’elle devait agir de la sorte.

[33] Par conséquent, je conclus que le protonotaire Aalto a fondé sa décision d’adjuger 66 % des frais judiciaires sur les circonstances uniques de ces affaires. Bien que les demanderesses soutiennent que rien en l’espèce ne justifie l’adjudication de dépens majorés, je ne suis pas de leur avis. Les demanderesses ont fait fi des conventions admises en matière de disjonction du procès, notamment en ne tenant pas compte du fait que la préparation des questions de contrefaçon et de dommages-intérêts devait être reportée à plus tard, ce qui aurait permis d’économiser les frais et le temps à consacrer à ces questions pour la communication préalable et le témoignage d’experts. Je constate également que les demanderesses ont insisté pour poursuivre les préparatifs de la phase 2 en échange de l’acceptation du regroupement et de la disjonction de ces affaires sur la question de la validité du brevet.

[34] Bien que les demanderesses aient par la suite accepté de reporter une partie de la communication préalable relative aux questions de la phase 2 en attendant le jugement à l’issue de la phase 1 du procès, cela n’était pas suffisant à mon avis pour faire une grande différence. J’estime plutôt, à la lumière des éléments de preuves qui m’ont été présentés au sujet de cette requête, que les demanderesses ont vigoureusement contesté les démarches entreprises par les défenderesses pour ajourner la phase 2 du procès et que le protonotaire Aalto a proposé divers compromis, comme déplacer les dates d’instruction de quelques mois et reporter la communication préalable après le prononcé de la décision Packers Plus. Par conséquent, je suis d’accord avec le protonotaire Aalto pour dire que les demanderesses sont « responsables des frais engagés inutilement » en ce qui concerne les préparatifs de la phase 2.

[35] Je ne suis donc pas convaincue que le protonotaire Aalto a commis une erreur manifeste et dominante en exerçant le pouvoir discrétionnaire que lui conférait le paragraphe 400(3) des Règles de tenir compte des facteurs pertinents pour adjuger des dépens majorés à 66 %, y compris le résultat de l’instance (entièrement en faveur des défenderesses), la quantité de travail et les mesures inutiles prises au cours de l’instance (l’entêtement des demanderesses en ce qui concerne les préparatifs de la phase 2).

[36] Je ne suis pas non plus convaincue que l’adjudication de 66 % des frais réels constitue des dépens punitifs, contrairement à ce qu’affirment les demanderesses, ou, plus précisément, que cet aspect n’a pas été envisagé par le protonotaire Aalto. Au contraire, ce dernier a estimé que les dépens de 80 % réclamés par les défenderesses auraient constitué un montant punitif. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a fait observer : « [L]es dépens majorés adjugés sous forme de somme globale correspondent généralement à un pourcentage allant de 25 à 50 % des frais effectivement engagés[; t]outefois, certaines circonstances pourraient justifier un pourcentage plus ou moins élevé » : Nova, précité, au para 17 [non souligné dans l’original].

VI. Conclusion

[37] Vu l’analyse qui précède, je suis convaincue que le protonotaire Aalto n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en examinant et en adjugeant des dépens majorés dans le cadre de la phase 2 des présentes affaires, ni qu’il a fixé à tort la somme globale à 66 % des frais judiciaires réels. Par conséquent, je rejette la requête présentée par les demanderesses sur le fondement de l’article 51 des Règles en vue de faire appel de l’ordonnance d’adjudication des dépens de la phase 2 rendue par le protonotaire Aalto.

VII. Dépens

[38] Je conclus en outre que les défenderesses Essential Energy et Baker Hughes ont chacune droit à leurs dépens distincts pour la présente requête, payables par les demanderesses.

[39] Les parties ont formulé de brèves observations lors de l’instruction de la requête présentée par les demanderesses sur le fondement de l’article 51 des Règles. Elles ont toutefois demandé que la Cour leur donne la possibilité de formuler des observations au sujet des dépens après avoir statué sur la requête.

[40] Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, elles auront jusqu’au 25 octobre 2021 pour déposer et signifier de brèves observations écrites sur les dépens, ne dépassant pas trois pages, pour que la Cour détermine le montant de dépens à accorder aux défenderesses Essential Energy et Baker Hughes dans les circonstances.


ORDONNANCE dans les dossiers T-1741-13 et T-1569-15

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête et l’appel des demanderesses sont rejetés.

  2. Les défenderesses Essential Energy Services Ltd. et Tryton Tool Services Limited Partnership, et la défenderesse Baker Hughes Canada Company, ont droit à leurs dépens distincts pour la présente requête, payables par les demanderesses, Packers Plus Energy Services Inc. et Rapid Completions LLC.

  3. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, elles auront jusqu’au 25 octobre 2021 pour déposer et signifier de brèves observations écrites sur les dépens, ne dépassant pas trois pages, pour que la Cour détermine le montant des dépens à accorder aux défenderesses Essential Energy Services Ltd. et Tryton Tool Services Limited Partnership, et à la défenderesse Baker Hughes Canada Company.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

T-1741-13, T-1569-15 ET T-1728-15

 

DOSSIER :

T-1741-13

 

INTITULÉ :

PACKERS PLUS ENERGY SERVICES INC. c ESSENTIAL ENERGY SERVICES LTD. ET

TRYTON TOOL SERVICES LIMITED PARTNERSHIP

 

ET DOSSIER :

T-1569-15

 

INTITULÉ :

RAPID COMPLETIONS LLC ET PACKERS PLUS ENERGY SERVICES INC. c BAKER HUGHES CANADA COMPANY

 

ET DOSSIER :

T-1728-15

 

INTITULÉ :

PACKERS PLUS ENERGY SERVICES INC. ET RAPID COMPLETIONS LLC c WEATHERFORD INTERNATIONAL PLC. WEATHERFORD CANADA LTD. WEATHERFORD CANADA PARTNERSHIP ET HARVEST OPERATIONS CORP.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 SeptembRE 2021

 

ordONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 SeptembRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Joshua Spicer

Bruna Kalinoski

 

POUR LA demanderesse
(défenderesse reconventionnelle)

 

Anthony Prenol

 

pour les défenderesses
(demanderesses reconventionnelles)

 

Alexander Camenzind

 

pour Les demanderesses
(DÉFENDERESSES reconventionnelleS)

 

Ken Clark

Lawrence Veregin

 

POUR LA défenderesse
(demanderesse reconventionnelle)

 

Joshua Spicer

Bruna Kalinoski

 

POUR Les demanderesses
(DÉFENDERESSES reconventionnelleS)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joshua Spicer

Bruna Kalinoski

Bereskin & Parr

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

 

Anthony Prenol

CPST Law LLP

Toronto (Ontario)

 

pour les défenderesses

 

Alexander Camenzind

Gowlings WLG S.E.N.C.R.L, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR Les demanderesses

 

Ken Clark

Lawrence Veregin

Aird Berlis

Toronto (Ontario)

 

POUR LES défenderesses

 

Joshua Spicer

Bruna Kalinoski

Bereskin & Parr

Toronto (Ontario)

 

POUR Les demanderesses

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.